Intervention de Robert Tropeano

Réunion du 22 octobre 2010 à 22h15
Limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire — Adoption d'un projet de loi organique en procédure accélérée

Photo de Robert TropeanoRobert Tropeano :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi organique relatif à la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire n’est que l’application – cela a été rappelé par M. le rapporteur – du projet de loi portant réforme des retraites à ce corps de fonctionnaires.

D’un point de vue purement technique, le statut d’indépendance des magistrats de l’ordre judiciaire posé à l’article 64 de la Constitution explique que les dispositions relatives à leur limite d’âge soient distinctes du statut général de la fonction publique. Pour autant – cela a été dit –, l’âge d’ouverture des droits et les dispositions régissant les pensions des magistrats ne sont pas spécifiques à ce corps, mais résultent du droit commun de la fonction publique.

En repoussant de 65 à 67 ans la limite d’âge du départ à la retraite sans décote pour les magistrats de l’ordre judiciaire, à l’exception du Premier président et du procureur général près la Cour de cassation, le présent projet de loi organique transpose ce qui doit désormais être le droit commun de la fonction publique La majorité des membres du RDSE ayant vivement et fermement marqué leur opposition à la réforme des retraites, vous ne serez donc pas étonnés qu’ils confirment, par cohérence, cette position et soumettent à la Haute Assemblée des amendements de suppression. Ils s’opposent également au présent texte qui marque, lui aussi, un recul des droits sociaux.

Ce texte illustre de façon plus globale le nouvel écueil qui vient frapper un corps de fonctionnaires déjà durement touché par la politique pénale du chiffre mise en œuvre par votre majorité depuis maintenant plus de huit ans Il n’est pas anodin que nombre de magistrats décrivent leur corps comme empreint d’un profond malaise, pris entre une instabilité législative maladive, des objectifs quantitatifs éloignés de ce que devrait être la sérénité de la justice et le manque patent de considération dont font preuve, de façon irresponsable, certains ministres.

À l’heure où les fonctionnaires sont les victimes de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, et du dogme budgétaire, la politique de recrutement en dents de scie mise en place depuis cinq ans engendrera d’ici à quelques années d’importants problèmes avec la non-compensation des départs à la retraite d’ici à 2017. Nos collègues Yves Détraigne et Simon Sutour avaient d’ailleurs confirmé dans leur rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2009 que dès 2010, ces départs seraient supérieurs à 200 par an et s’élèveraient à 260 en 2013 et à 321 en 2017. Les départs volontaires avant la limite d’âge sont, depuis 2002, nettement supérieurs aux départs imposés par la limite d’âge, preuve, s’il en fallait encore, du malaise des magistrats !

Les syndicats de magistrats ont manifesté leur opposition au présent projet de loi organique, s’étonnant même qu’ils n’aient pas été associés à sa conception.

Surtout, ce texte ne règle pas les problèmes qui affectent la magistrature et que vous connaissez nécessairement, mes chers collègues. Le recul de l’âge de la retraite risque, au contraire, de mettre de l’huile sur le feu, en accentuant les déséquilibres déjà existants.

Ces problèmes concernent en premier lieu la structure même de la hiérarchie des magistrats. Il est notoire que les magistrats sont peu nombreux à faire valoir leur droit dès l’ouverture des droits à pension. Seuls 37 % d’entre eux l’ont fait en 2009. L’âge moyen de départ à la retraite a même tendance à s’allonger, passant de 62, 7 ans en 2008 à 63, 3 ans en 2009.

Il en résulte, de façon quasi mécanique, un allongement du temps passé dans le dernier échelon indiciaire du premier grade, tendance qui ne sera qu’accentuée avec le recul du départ à la retraite De façon concomitante, les magistrats qui ont réussi à atteindre la hors hiérarchie devront rester plus longtemps dans ces fonctions, ce qui revient à limiter très fortement pour les générations suivantes la perspective d’accéder à ces fonctions les plus prestigieuses. Du point de vue du progrès social, nous y voyons surtout une forme prononcée de conservatisme !

Nous ne souscrivons pas aux solutions envisagées par la Chancellerie qui consisteraient, par exemple, à « dilater » les échelons en augmentant le temps passé dans chacun d’eux pour retarder l’accès aux niveaux plus élevés. De fait, vous sacrifiez la carrière de fonctionnaires qui effectuent leur travail dans des conditions de plus en plus contraintes, et auxquels vous ne promettez que des lendemains qui déchantent ! Cette « dilatation » conduirait à une baisse de pouvoir d’achat tout au long de la carrière.

Certes, nous convenons que la catégorie des magistrats de l’ordre judiciaire est loin d’être la plus à plaindre par rapport à l’ensemble des travailleurs, alors que la crise économique frappe de plein fouet des milliers de nos compatriotes. Nous n’entendons pas non plus défendre un corporatisme totalement éloigné de notre vision de l’intérêt général. Mais il est patent que la convergence du taux de cotisation des magistrats avec celui des salariés du régime général – il passera de 7, 85 % à 10, 55 % –, conjuguée au gel annoncé du point d’indice et au relèvement du taux de décote à 1, 25 % par trimestre, aboutira à une baisse de pouvoir d’achat des magistrats que nous déplorons, à l’instar de toute diminution de cette nature pour n’importe quelle catégorie de travailleurs.

Les syndicats de magistrats évoquent également de façon très régulière, comme vous le savez, mes chers collègues, la question de l’intégration des primes lors du calcul de la pension. Depuis la réforme du régime additionnel de la fonction publique en 2003, ces primes ne pèsent que pour 20 % dans ce calcul, maintenant un taux de remplacement particulièrement défavorable. Pourquoi refusez-vous toujours d’engager des discussions sur ce point ?

Enfin, je ne saurais conclure mon propos sans évoquer la question, encore épineuse, des polypensionnés.

Tandis que votre gouvernement promeut la mobilité professionnelle des salariés et a fait voter une loi censée faciliter la mobilité dans la fonction publique, les conditions de reprise d’ancienneté pour les magistrats ayant intégré ce corps par les deuxième et troisième concours leur sont particulièrement défavorables.

Le recul de l’âge de départ à la retraite ne fera que pénaliser davantage encore ces magistrats, qui ne bénéficient pas d’annuités antérieures dans la fonction publique. Il en sera de même pour ceux, nombreux, qui choisissent, pour des raisons personnelles, notamment pour s’occuper de leur famille, de suspendre temporairement leur carrière.

Dans un corps majoritairement féminisé comme la magistrature, vous comprendrez que le fait de parler d’avancée des droits relève de la gageure, a fortiori lorsque l’on sait que la Chancellerie a refusé d’évoquer cette question et de réunir la commission permanente d’études.

Toutes ces questions, les magistrats auraient souhaité les voir aborder avant que ne leur soit imposé d’office, sans concertation véritable, le recul de l’âge de départ à la retraite. Les quelques mesures introduites par l’Assemblée nationale sur les conditions de maintien en activité des magistrats ayant dépassé la limite d’âge ou l’unification de textes jusqu’à présent épars ne changent rien à l’appréciation de fond que nous portons sur ce texte.

Tout aussi résolue que lors du vote de la réforme des retraites, voilà quelques heures, la majorité des membres du RDSE votera contre le présent projet de loi organique.

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