Intervention de Josiane Mathon-Poinat

Réunion du 22 octobre 2010 à 22h15
Limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire — Adoption d'un projet de loi organique en procédure accélérée

Photo de Josiane Mathon-PoinatJosiane Mathon-Poinat :

Le Gouvernement a, une fois de plus, usé de méthodes autoritaires pour assurer le passage en force du présent projet de loi organique dont il sait pertinemment qu’il soulève la colère de tous les partenaires sociaux. Monsieur le secrétaire d'État, vous l’avez vous-même reconnu tout à l'heure, il s’agit d’un texte de coordination.

Pour ne pas déroger à la règle qu’il s’est apparemment fixée en matière de négociation sociale, le Gouvernement n’a, en effet, procédé à aucune concertation avec les partenaires sociaux avant de déposer ce texte devant le Parlement. Les syndicats n’ont été informés que de façon totalement incidente de son existence à l’issue d’une réunion consacrée à un autre thème. Le texte ne leur a même pas été communiqué, et aucune commission permanente d’études n’a été saisie de la question.

Et le comble est atteint si l’on compare ce passage en force au dispositif prévu par la charte de dialogue social signée, voilà un peu plus de six mois, entre le ministère de la justice et les partenaires sociaux. Le Gouvernement passe outre, renie ses propres engagements et sa signature pour faire adopter ce texte.

Afin de conclure sur ce sujet, permettez-moi de rappeler les paroles de Mme le garde des sceaux : « un dialogue social de qualité est essentiel à la modernisation du ministère. Je serai toujours ouverte à un dialogue social franc et respectueux. » Ou encore a-t-elle affirmé aux syndicats : « Je souhaite que vous soyez associés à l’ensemble des réformes engagées ».

Le procédé est particulièrement grave. Outre le fait que le Gouvernement ne respecte pas ses engagements, il contribue à dégrader encore plus un climat déjà tendu par les atteintes à l’indépendance de l’autorité judiciaire, les incidences de la réforme de la carte judiciaire et l’état de quasi-cessation de paiement des juridictions.

Mais il nous faut entrer dans le vif du sujet pour comprendre les raisons pour lesquelles le Gouvernement procède de cette manière.

Le projet de loi organique prévoit un ensemble de mesures particulièrement défavorables aux magistrats, que les organisations représentatives auraient très certainement refusées en bloc, j’y insiste, si de réelles négociations avaient eu lieu.

Il a pour effet de repousser à 67 ans la limite d’âge actuellement fixée à 65 ans par l’article 76 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 pour les magistrats de l’ordre judiciaire. Ce report de la limite d’âge aura une incidence importante sur la gestion du corps de la magistrature et sur la pyramide des âges. En effet, à l’heure actuelle, les magistrats partent en moyenne à la retraite à 63, 3 ans ; le régime de maintien en activité ne concerne donc aujourd’hui qu’un faible nombre d’entre eux.

Dans le régime proposé, du fait de l’application des mécanismes de décote en raison du report à 62 ans de l’âge d’ouverture des droits à la retraite, un nombre croissant de magistrats choisiront de prolonger leur carrière bien au-delà de 62 ans.

Par ailleurs, contrairement au régime actuel du maintien en activité, le report de la limite d’âge à 67 ans permettra aux magistrats de continuer à bénéficier des gains indiciaires liés à l’ancienneté dans le déroulement de leur carrière, ce qui aura des conséquences sur le niveau futur de leur pension. Cet élément incitera donc un plus grand nombre de magistrats à poursuivre leur activité professionnelle, notamment ceux qui auront été intégrés après avoir exercé une autre activité. D’ailleurs, à considérer le nombre réduit de places offertes au premier concours, telle est la voie de recrutement qui est actuellement privilégiée par le Gouvernement.

Les postes importants de fin de carrière seront donc occupés beaucoup plus longtemps par les mêmes magistrats, ce qui va à l’encontre de la mobilité fonctionnelle et géographique pourtant prônée par le ministère de la justice.

En outre, on peut s’interroger sur l’image et le dynamisme d’une institution dont la hiérarchie et les postes de cadres intermédiaires seront occupés par des titulaires plus âgés encore qu’actuellement dans une société vieillissante – on a beaucoup parlé de l’espérance de vie tout au long des semaines passées –, qui a tant de mal à faire une place à sa jeunesse et à avoir un regard positif sur elle.

Cette réforme aura pour effet d’amputer plus encore un budget déjà notoirement insuffisant, en augmentant le volume des traitements des magistrats anciens, mieux rémunérés, ce qui mettra un frein à des recrutements déjà fort dérisoires, ne serait-ce que pour compenser les départs à la retraite.

Certes, les magistrats ne seront évidemment pas les premiers à pâtir des conséquences sociales de votre réforme des retraites, mais ils verront tout de même leur pouvoir d’achat diminuer, car le recul du départ à la retraite entraînera mécaniquement un allongement du temps passé dans chaque échelon, ce qui retardera l’accès aux échelons les plus élevés.

À l’heure où le Gouvernement s’attelle à démolir notre régime de retraite solidaire, gageons que les magistrats, comme tous ceux qui ont encore les moyens d’épargner, seront encore plus nombreux à se précipiter vers les systèmes complémentaires souvent défiscalisés, autrement dit aidés par l’État.

Il faut reconnaître qu’ils y sont encouragés par le monde de la finance qui, évidemment, se réjouit de la perspective de l’éventuelle disparition de notre système solidaire et vous remercie jour après jour de vos bons et loyaux services.

Le Gouvernement, on le sait, espère ainsi réduire la dépense publique et augmenter la dépense privée, ainsi que les profits qui s’ensuivent. Mais, en matière de retraite, la voie fut tracée voilà fort longtemps.

Dès 1993, un homme définit la stratégie, qu’il expliqua ainsi : « Les fonds d’épargne-retraite auront toujours en France un rôle marginal et complémentaire. C’est uniquement si l’on pose ce principe que l’on aboutira à obtenir du législateur et des partenaires sociaux l’incitation à de vrais régimes de capitalisation favorisant l’épargne longue et les fonds propres des entreprises. » Cet homme, c’était… Raymond Soubie.

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