Intervention de Georges Tron

Réunion du 22 octobre 2010 à 22h15
Limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire — Adoption d'un projet de loi organique en procédure accélérée

Georges Tron, secrétaire d'État :

Selon vous, monsieur le sénateur, la RGPP aurait des effets négatifs sur la magistrature. Je suis désolé de vous contredire, mais s’il existe un contre-exemple en ce domaine, c’est précisément celui de la magistrature, laquelle a été affranchie des règles de diminution des effectifs. Au demeurant, je ne me lancerai pas dans un long débat sur la RGPP, me contentant de rappeler que les effectifs des magistrats sont en augmentation, avec 400 ou 500 agents supplémentaires prévus dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011. Depuis l’an 2000, on a pu observer une augmentation de 20 % environ du nombre de magistrats, pour ne parler que de cette catégorie de fonctionnaires.

Il appartient désormais au ministre de la justice et au Parlement de décider d’un éventuel rééquilibrage des effectifs en faveur du nombre de greffiers. Dans le projet de loi de finances pour 2011, qui sera bientôt débattu au Parlement, des mesures destinées à créer de nouveaux postes de greffiers ont été inscrites.

Vous vous êtes également inquiété, monsieur le sénateur, de différents déséquilibres qui menaceraient ces corps de la fonction publique, notamment des effets sur la pyramide des âges des relèvements de limite d’âge. Sur ce point, vous avez parfaitement raison. À ce propos, je formulerai trois remarques.

Tout d’abord, pour reprendre les chiffres que vous avez vous-même cités, si seulement 37 % des magistrats partent à la retraite aujourd’hui dès qu’ils atteignent l’âge d’ouverture de leurs droits à pension, cela signifie que la réforme, qui a été anticipée, n’est pas redoutée. Par conséquent, le présent texte se contente qu’entériner une situation préexistante.

Pour ma part, j’ai du mal à croire que des femmes et des hommes aussi au fait de l’évolution des mœurs et des comportements soient heurtés par une réforme qui ne fait qu’accompagner un mouvement que vous constatez vous-même, monsieur le sénateur. Il est logique que la loi accompagne – je n’ose pas dire « suive » – les comportements. De ce point de vue, votre inquiétude est donc dépassée, anachronique.

Vous nourrissez ensuite quelques craintes concernant les éventuels blocages provoqués par la réforme sur le déroulement des carrières. Or, avant la réforme des retraites, le problème des magistrats bloqués au dernier échelon du premier grade se posait déjà. C’est d’ailleurs pour cette raison que Michèle Alliot-Marie a engagé une réforme importante sur les plans tant statutaire qu’indiciaire, en fonction de deux objectifs que je me permets de vous rappeler. Il s’agit, premièrement, de la création de nouvelles fonctions et de nouveaux postes, hors hiérarchie et au huitième échelon, afin d’éviter les situations que vous avez évoquées, et, deuxièmement, de la dynamisation des parcours professionnels grâce à une mobilité fonctionnelle accrue et aux sorties du corps judiciaire.

Comme vous pouvez le constater, il s’agit d’un problème ancien et bien identifié, auquel Mme le garde des sceaux a souhaité répondre. J’espère donc que mes propos auront permis de vous rassurer, monsieur le sénateur.

Vous avez également fait part de vos inquiétudes concernant la rémunération des magistrats. Dans le projet de loi de finances pour 2011, 3, 3 millions d’euros sont consacrés à la revalorisation des différents traitements de ces fonctionnaires. En année pleine, cela représentera une augmentation moyenne de 6 millions d’euros. Nous avons donc une perception nette du problème que vous avez justement posé, et auquel nous apportons des réponses précises et chiffrées.

Vous avez aussi évoqué, monsieur le sénateur, le régime indemnitaire actuel. Comme pour la fonction publique, Mme le garde des sceaux s’efforce de rendre le système plus compréhensible pour les magistrats, en s’appuyant notamment sur la valorisation des compétences. C’est la raison pour laquelle une grande concertation est menée avec les organisations syndicales.

Pour ne pas allonger mon propos au-delà du raisonnable, je ne développerai pas ce que nous mettons en œuvre dans la fonction publique. Je précise toutefois que nous nous référons à la prime de fonctions et de résultats, la PFR, laquelle, vous le savez, a déjà été mise en place dans la fonction publique d’État et que nous sommes en train d’adapter, dans le cadre de la loi sur le dialogue social dans la fonction publique, aux fonctions publiques hospitalière et territoriale.

Il existe aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, 1 800 primes différentes dans la fonction publique d’État, ce qui rend le système indemnitaire totalement illisible. Par ailleurs, un vrai problème se pose en ce qui concerne la mobilité des fonctionnaires, eu égard aux différentiels existant à cet égard entre les trois fonctions publiques. Notre objectif, qui est également valable pour la magistrature, est de rendre un peu de lisibilité à cet ensemble. Par conséquent, votre remarque, que je crois juste, monsieur Tropeano, est en réalité très précisément prise en compte par les efforts que nous menons actuellement dans ce domaine.

Monsieur Cointat, je vous remercie d’avoir résumé en quelques mots l’esprit et le dispositif du projet de loi organique, ce qui me permet de ne pas les évoquer à mon tour. Comme j’ai rendu hommage aux orateurs qui se sont exprimés contre ce texte, je salue votre cohérence intellectuelle, qui ne me surprend pas. Vous l’avez en effet souligné, l’ensemble de la fonction publique étant concernée par le projet de loi portant réforme des retraites, il aurait été singulier que les magistrats de l’ordre judiciaire soient laissés à l’écart d’une telle évolution.

Monsieur Tuheiava, l’ensemble des questions que vous avez abordées au cours de votre intervention nous ont demandé trois semaines de débat. Votre discours constituait ainsi une sorte de résumé des interrogations et des réponses que nous y avons apportées.

Vous avez parlé d’une « offensive à marche forcée ». Je peux vous assurer que tel n’est pas le cas, j’en suis d’ailleurs le témoignage vivant, en quelque sorte ! En effet, nommé par le Président de la République au mois de mars, j’étais le lendemain même, aux côtés d’Éric Woerth, devant les syndicats. Pendant trois mois, nous nous sommes presque entièrement consacrés à ces échanges. Nous avons ensuite entamé la procédure parlementaire et travaillé avec la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Le débat avec les députés en séance publique a tout de même duré une semaine et demie, jour et nuit. Le texte a enfin été débattu durant trois semaines au Sénat.

Je veux bien entendre toutes sortes d’arguments, car, je vous l’assure, je suis d’esprit ouvert ! Mais je peux témoigner d’une chose : Éric Woerth, qui menait la discussion, et moi-même avons tout fait, sauf une marche forcée ! D’ailleurs, si tel avait été le cas, le texte n’aurait pas pu être amélioré à dix-huit reprises. En effet, qu’il s’agisse de la situation des mères de famille, des polypensionnés, des personnes handicapées, de celles et ceux qui les accompagnent, ou de la fonction publique, sur tous ces sujets importants, le texte a été amélioré à la suite des discussions qui se sont déroulées avec les députés puis les sénateurs. Telle est, je le dis avec force, la puissance du débat parlementaire. Par conséquent, monsieur le sénateur, vous ne pouvez pas dire que ce texte n’a pas été discuté.

Vous avez également évoqué la réforme menée en 2003. À ce propos, je me permets de vous rappeler que nous avons porté les réformes de 1993, de 2003, de 2007 et de 2010 non pas par plaisir – il n’est pas toujours facile de s’opposer à l’opinion publique, si tant est qu’elle considère que nous n’allons pas dans la bonne direction –, mais par devoir.

Si, par hasard, vous en doutiez, je vous rappelle que la formation politique à laquelle vous appartenez n’a pas remis en cause la réforme de 1993 en 1997, ni celle de 2003 en 2007, ni, dans les projets qu’elle développe actuellement, les règlements modifiés de 2007 et de 2008. Je prends le pari avec vous, monsieur le sénateur, qu’elle ne le fera pas davantage après la réforme de 2010, et ce pour une raison très simple : sur le moment, elle privilégie l’effet de réaction ; elle s’aperçoit ensuite que nous avons fait pour elle ce qu’elle n’a jamais fait auparavant. C’est à la fois notre fierté et, plus simplement, notre devoir.

Je terminerai, monsieur le sénateur, en évoquant deux ou trois points sur lesquels nous avons réalisé des avancées. Le secrétaire d’État chargé de la fonction publique que je suis peut vous le dire très clairement, pour ce qui concerne les polypensionnés, nous avons adopté des mesures nouvelles tout à fait importantes.

Je prendrai l’exemple des agents de la fonction publique. Ils étaient jusqu’à présent « rebasculés » dans le régime général quand ils changeaient de métier sans avoir accompli quinze ans de service. Pour constituer leurs droits à retraite, ils devaient alors adopter le rythme du régime général et le différentiel de cotisations leur était imputable. Aujourd’hui, grâce à la mesure que nous avons adoptée en faveur des titulaires sans droits à pension, les polypensionnés, que vous avez cités, ne seront pas obligés de payer une surcotisation : les droits à pension qu’ils auront acquis alors qu’ils étaient dans la fonction publique seront payés par les caisses de la fonction publique et le reste, par les caisses privées. Il s’agit d’une mesure de simplification et de justice.

Pour ce qui concerne les taux de cotisation des secteurs public et privé, nous avons souhaité retenir une mesure de justice, que je ne redévelopperai pas. Il s’agissait non pas de fustiger par plaisir la fonction publique, mais de combler un différentiel qui ne se justifiait pas.

En toute hypothèse, dans le projet de loi de finances pour 2011, le budget de la justice dépassera les 7 milliards d’euros et permettra notamment des créations d’emploi importantes dans les greffes, afin d’atteindre un ratio inégalé jusqu’à présent, à savoir un greffier pour un magistrat. C’est une mesure que les organisations syndicales réclamaient en vain depuis de très nombreuses années.

Mesdames, messieurs les sénateurs, Éric Woerth a rappelé tout à l’heure notre conviction concernant la nécessité de cette réforme des retraites. Pour ma part, je défends plus modestement ce soir l’adaptation à la magistrature d’une réforme qui concerne l’ensemble des Françaises et des Français. C’est cohérent, mais aussi nécessaire.

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