Intervention de Marie-Luce Penchard

Réunion du 22 octobre 2010 à 22h15
Département de mayotte — Adoption d'un projet de loi organique et d'un projet de loi en procédure accélérée

Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, relancée lors du conseil des ministres du 23 janvier 2008, conformément aux engagements du Président de la République, la départementalisation de Mayotte est historiquement et juridiquement un processus progressif et adapté. Le Gouvernement a alors engagé une concertation très large, notamment avec les élus et les forces vives mahoraises, afin d’en déterminer les principaux axes et, surtout, les conditions de mise en œuvre les meilleures.

Les bases de la départementalisation sont largement fondées sur les évolutions engagées depuis l’accord sur l’avenir de Mayotte de 2000 : évolution institutionnelle, avec la mise en œuvre de la collectivité départementale ; évolution juridique, avec l’extension des pans entiers du droit applicable à Mayotte soumis à l’identité législative par la loi organique du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer. C’est aux termes de ce texte qu’a également été avancée la date à laquelle la collectivité départementale de Mayotte pouvait demander l’évolution de son statut, afin de relever de l’article 73, et non plus de l’article 74, de la Constitution. C’est donc dans ce cadre que le processus a été lancé en 2008.

Le pacte pour la départementalisation a été élaboré en 2008 par le Gouvernement, afin de présenter aux Mahorais une feuille de route des principales étapes de la mise en œuvre de la départementalisation. Il a clairement indiqué les évolutions rapides qui sont d’ores et déjà traduites dans les lois ; elles concernent la justice républicaine, l’égalité entre les femmes et les hommes et un état civil fiabilisé et constituaient des préalables à l’évolution institutionnelle.

Ce pacte présente aussi les évolutions indispensables pour le développement économique de Mayotte et aborde sans détour les problématiques liées au développement de l’emploi salarié, d’une part, et des prestations et minima sociaux, d’autre part. Il indique clairement que ces évolutions devront se faire sur une période de vingt à vingt-cinq ans à partir de 2012. Il réaffirme aussi le passage à la fiscalité de droit commun en 2014.

Ce pacte pour la départementalisation a été présenté par le Président de la République lui-même aux élus de Mayotte au mois de décembre 2008.

Une délégation de la commission des lois du Sénat, menée par son président, s’est elle-même rendue sur place au mois de septembre 2008. Son rapport met en avant les problématiques, les prérequis pour réussir l’évolution de Mayotte, sur le plan aussi bien institutionnel qu’économique et social. Le Gouvernement l’a largement pris en compte lors de l’élaboration du projet de loi.

Il a également fixé au 29 mars 2009 la date de la consultation des électeurs mahorais sur l’évolution du statut de Mayotte. Préalablement à cette consultation, ainsi que la Constitution le prévoit, un débat s’est tenu au Sénat le 12 février 2009, au cours duquel les sénatrices et les sénateurs ont très largement affirmé leur soutien à cette évolution, tout en indiquant les conditions de sa mise en œuvre et de son succès. Les électeurs mahorais se sont prononcés à plus de 95 % en faveur de l’évolution institutionnelle.

Dès l’été suivant, la loi organique du 3 août 2009 a prévu, à son article 63, que la collectivité de Mayotte sera régie par l’article 73 de la Constitution à compter du prochain renouvellement du conseil général, à savoir au mois de mars 2011.

Le principe de la départementalisation de Mayotte et son calendrier ont donc déjà été arrêtés par le Parlement.

L’objet des deux projets de loi, ordinaire et organique, sur lesquels vous allez vous prononcer aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, est donc de prévoir la mise en œuvre opérationnelle de la départementalisation.

J’aborderai d’abord les modalités de mise en place de la transformation de Mayotte en département et région d’outre-mer, puis le projet de loi organique et, enfin, je terminerai par les demandes d’habilitation à légiférer par ordonnance.

Le projet de loi ordinaire fixe le mode de fonctionnement du 101e département, qui exercera à la fois les compétences dévolues à un département et à une région. Il s’agira d’une collectivité unique, dotée d’un seul exécutif et d’une seule assemblée, en pleine cohérence avec les objectifs de rationalisation et d’efficacité portés par la réforme des collectivités locales. Il s’agit là d’un schéma institutionnel novateur, mais conforme aux évolutions souhaitées à l’échelon national ainsi qu’en Martinique et en Guyane, et adapté à l’échelle du territoire.

Le nombre de conseillers généraux restera inchangé en 2011, soit dix-neuf, avant d’être ensuite légèrement augmenté et atteindre vingt-trois lors du renouvellement intégral de 2014.

Dans un premier temps, le Gouvernement avait souhaité que l’élection de l’ensemble de ces représentants ait lieu au mois de mars 2011, afin de marquer symboliquement la création du département. Toutefois, le Conseil d’État ayant considéré que le raccourcissement d’un mandat devait rester l’exception, le Gouvernement a décidé de suivre cet avis et de ne prendre aucun risque constitutionnel, afin de ne pas compromettre ni retarder la création du département de Mayotte.

L’organisation de ce dernier se fera selon le droit commun des départements, alors qu’il exercera également les compétences d’une région. Les dispositions actuellement en vigueur seront remplacées par celles qui figurent dans le projet de loi qui vous est présenté à compter de la première réunion qui suivra l’élection des conseillers généraux au mois de mars 2011.

Ce projet de loi fixe aussi les modalités de dévolution de nouvelles compétences. Il prévoit à la fois l’application du droit commun, avec la compétence de la commission consultative sur l’évaluation des charges, et il instaure à Mayotte un comité local destiné à préparer ces transferts en concertation étroite avec les élus locaux.

En effet, compte tenu des problématiques spécifiques liées au rattrapage des retards, à la construction de nombreux équipements eu égard aux nouvelles compétences du département et au développement du rôle des communes, il nous a semblé qu’un éclairage par un comité local ad hoc serait utile à la commission nationale. Ainsi que je l’ai indiqué à la commission des lois, je vous confirme que ce comité sera consulté non seulement pour les transferts, mais également pour les créations et les extensions de compétences.

Par ailleurs, le conseil général de Mayotte peut aujourd’hui solliciter l’avis de deux conseils consultatifs locaux, le conseil économique et social ainsi que le conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement. Afin de rationaliser et de simplifier leur rôle, le Gouvernement proposait leur fusion. Toutefois la commission des lois ayant rappelé que l’existence de deux conseils est le droit commun dans l’ensemble des départements et régions d’outre-mer, le Gouvernement a donc décidé de se ranger à cette position.

Pour accélérer le processus de rattrapage en cours, le projet de loi crée le fonds mahorais de développement économique, social et culturel. Son objet sera d’aider financièrement à la mise en œuvre d’infrastructures publiques, mais aussi de projets privés d’intérêt général. Il soutiendra à la fois l’investissement et l’emploi. Nous souhaitons qu’il joue un rôle clé pour développer l’accueil des personnes âgées, des handicapés ou de la petite enfance. En effet, parallèlement à la montée en charge des prestations sociales et à leur revalorisation, nous devons développer les structures d’accueil des populations les plus fragiles.

J’ai veillé à ce que, dans le budget triennal pour la période 2011-2013, ce fonds soit doté de 30 millions d’euros sur trois ans. J’ai toujours eu pour objectif, conformément au pacte pour la départementalisation, que le fonds devienne effectif dès 2011, comme le préconise la commission des lois. Nous nous donnerions ainsi les moyens soit d’organiser, soit d’accélérer la mise à niveau des équipements de Mayotte en attendant son accession au statut de région ultrapériphérique, qui lui ouvrira la voie aux fonds structurels européens.

Pour ce qui concerne le développement du rôle du département de Mayotte sur le plan européen et international, le Gouvernement a veillé à ce que ce département dispose des mêmes compétences que les autres départements et régions d’outre-mer. Une telle demande, je le rappelle, avait été formulée lors des états-généraux de l’outre-mer qui se sont déroulés voilà un an. Compte tenu du contexte particulier des relations avec les États insulaires dans l’océan Indien, ces dispositions seront, je l’espère, de nature à faciliter localement le dialogue.

Je veux affirmer devant la représentation nationale que l’évolution statutaire de Mayotte n’entame en rien la coopération avec la Fédération des Comores.

Pour ce qui concerne cette évolution sur le plan européen, en association avec les élus mahorais, j’ai noué des contacts de haut niveau avec la Commission. Dès 2011, le Gouvernement saisira officiellement celle-ci de la demande de transformation de Mayotte en région ultrapériphérique, afin qu’une décision du Conseil européen puisse être prise entre 2012 et 2013, ce qui laisserait un délai significatif au Gouvernement et aux autorités locales de Mayotte pour l’échéance de 2014.

J’en viens au projet de loi organique, qui vise principalement à maintenir, de manière transitoire, le régime fiscal particulier de Mayotte, le temps de permettre l’application, au 1er janvier 2014, du code général des impôts.

Le travail à réaliser dans ce domaine est lourd et complexe. Des progrès sensibles ont déjà été réalisés depuis la loi de 2007. Ainsi le cadastre est-il achevé et à jour. Toutefois, la valorisation des propriétés foncières n’est pas encore réalisée et l’adressage doit être amélioré.

Le dialogue et le travail conjoint entre mes services et ceux du ministère du budget s’est approfondi dès 2008. Le diagnostic partagé a fait l’objet de propositions d’action transmises à nos services déconcentrés à Mayotte. Désormais, des arbitrages doivent être rendus pour mettre en œuvre localement ces décisions indispensables à l’extension du droit commun dans un domaine clé. Le ministre du budget et moi-même avons la volonté et la conviction que ces évolutions seront réalisées durant les années 2013 ou 2014.

Je me range également à l’avis de la commission des lois du Sénat qui a ajouté dans le projet de loi ordinaire un article 10 bis maintenant l’application du code général des impôts et du code des douanes au 1er janvier 2014, un article 10 ter créant l’octroi de mer, également à la même date, ainsi qu’un article 10 quater qui rend applicable la taxe spéciale de consommation sur les produits. Ces dispositifs existent dans les autres départements d’outre-mer, Mayotte doit donc pouvoir en bénéficier.

Par ailleurs, le projet de loi organique assure la concomitance avec la métropole, en 2014, pour l’élection des conseillers territoriaux. C’est à cette date que seront renouvelés tous les cantons existants alors à Mayotte.

Enfin, les départements d’outre-mer et les régions d’outre-mer peuvent être habilités par le Parlement à adapter les lois sur leur territoire. Le projet de loi organique transcrit dans le code général des collectivités territoriales la réforme constitutionnelle de 2008, qui étend cette procédure au domaine réglementaire. Mayotte sera donc désormais, au même titre que les autres départements d’outre-mer, concernée par ce dispositif.

J’en viens enfin aux habilitations prévues dans le projet de loi pour étendre à Mayotte, par voie d’ordonnance, la législation de droit commun, notamment le droit du travail. Il s’agit d’une une attente forte des partenaires sociaux mahorais. Les minima sociaux seront, pour leur part, mis en place à compter de 2012, mais leur niveau sera le quart de celui de métropole, pour éviter de déstabiliser l’économie et la société locales. Afin de sécuriser l’attribution de ces nouvelles allocations, et comme je l’ai déjà indiqué, un travail approfondi a d’ores et déjà été réalisé pour renforcer la fiabilité de l’état civil.

Tous les départements ministériels ont, en collaboration avec mon administration, préparé la départementalisation de Mayotte, conformément au pacte du Gouvernement, c’est-à-dire de manière à la fois réaliste et volontariste : réaliste pour que cette évolution soit mise en œuvre de manière progressive et puisse s’adapter aux spécificités locales ; volontariste pour que le passage au statut de département se traduise par des changements concrets, conformément au souhait de la population et des élus de Mayotte. Ainsi, l’ordonnance du 3 juin 2010 a d’ores et déjà réformé le statut civil de droit local, en garantissant notamment le respect du principe d’égalité entre les hommes et les femmes. Il vous est d’ailleurs proposé de ratifier cette ordonnance dans le présent projet de loi.

C’est dans cet esprit que la liste des ordonnances et leur calendrier de mise en œuvre ont été définis.

Cette évolution institutionnelle ne conduit pas pour autant à des changements automatiques du droit applicable. Ainsi, les textes spécifiques régissant à Mayotte le droit d’entrée et de séjour des étrangers ne seront pas modifiés afin de tenir compte de la pression migratoire.

Je me suis rendue à Mayotte au début du mois de juillet pour présenter aux élus les deux textes soumis aujourd'hui au Sénat, et cette visite a permis de lever certaines interrogations et d’avancer sur la base d’un avis positif unanime du conseil général.

Je sais toutefois que les élus et les partenaires sociaux de Mayotte, au fur et à mesure que l’échéance approche, souhaitent une accélération du calendrier. Comme je m’en suis expliquée avec eux, le calendrier et les modalités du passage au statut de département ont fait l’objet d’un travail de réflexion et de préparation qui s’est traduit par l’élaboration du pacte pour la départementalisation de Mayotte, diffusé à l’ensemble de la population avant la consultation du mois de mars 2009. Cette évolution est équilibrée. Nous souhaitons la respecter, sans prendre de retard, mais sans céder non plus à une quelconque précipitation.

Le Gouvernement tient ainsi les engagements qui ont été pris à l’égard des Mahorais en mettant en œuvre la départementalisation de Mayotte, de manière progressive et adaptée.

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