Intervention de Robert Tropeano

Réunion du 22 octobre 2010 à 22h15
Département de mayotte — Adoption d'un projet de loi organique et d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Robert TropeanoRobert Tropeano :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, autant le dire d’emblée : le groupe du RDSE sera heureux de manifester, par son vote en faveur des deux textes qui nous sont soumis, la solidarité que doit la République à nos concitoyens mahorais, membres à part entière de la communauté nationale.

Depuis près de trente ans – et donc à une époque où le soutien à Mayotte était beaucoup moins large qu’aujourd’hui –, les familles politiques, à commencer par les radicaux qui composent majoritairement le groupe du RDSE, n’ont pas cessé d’appuyer la revendication des Mahorais de protéger leur liberté en accédant au statut de département d’outre-mer.

Dès 1958, la population de Mayotte a, en effet, répété, sans se lasser, à une métropole quelquefois hostile et souvent indifférente, le slogan déclamé au cours des grandes manifestations dans lesquelles la population mahoraise aime se rassembler : « Nous voulons rester français pour être libres. » Ce mot d’ordre, toujours actuel, nécessite un rappel historique et une mise au point juridique.

Comme chacun le sait désormais, Mayotte est française de son plein consentement depuis 1841, c’est-à-dire depuis plus longtemps que Nice et la Savoie, ainsi que l’a souligné M. le rapporteur.

Tandis que l’île devenait une colonie, à l’image de ces quatre « vieilles » colonies qui devaient être érigées en départements en 1946, c’est seulement par deux séries de traités, en 1886 et 1892, que les trois îles de l’archipel des Comores – Grande Comore, Anjouan et Mohéli – sont devenues des protectorats rattachés à l’autorité du Gouverneur de Mayotte, puis transférées en deux phases – en 1908 et 1912 – au rang des dépendances de Madagascar, le chef-lieu de la province restant localisée à Dzaoudzi, soit sur la Petite-Terre de Mayotte.

C’est seulement en 1958 que, jouant de leur supériorité démographique et s’appuyant sur les facilités conférées par la loi-cadre de 1956, les Comoriens décidèrent le transfert à Moroni, en Grande Comore, de la capitale du nouveau territoire d’outre-mer.

C’est également en 1958 qu’a été adoptée la Constitution de la Ve République, entrée en vigueur le 4 octobre. Moins d’un mois plus tard, le 2 novembre, une foule de Mahoraises et de Mahorais rassemblés en un congrès de Mayotte demandait à bénéficier du statut de département d’outre-mer.

Les débats sur la nouvelle Constitution – qui prévoyait, on l’oublie souvent, la création d’une communauté franco-africaine sur le modèle du Commonwealth – avaient montré que les territoires d’outre-mer avaient vocation à l’indépendance, alors que les départements d’outre-mer étaient promis à une intégration renforcée. Les Comoriens exigeaient le premier statut et les Mahorais revendiquaient le second. Ils n’en ont jamais démordu.

Pourtant, les épreuves ne leur ont pas été épargnées pendant les années où les lois dites « d’autonomie interne », votées en 1961 et en 1968, ont donné aux autorités territoriales comoriennes les moyens de mettre Mayotte en coupe réglée. Spoliations foncières, discriminations dans l’accès aux bourses scolaires, mutations d’office des fonctionnaires mahorais, suppression des investissements publics les plus indispensables – les écoles, les dispensaires, les routes, notamment –, répression violente des manifestations pro-françaises ou de la simple expression d’un sentiment républicain… Rien ne sera venu à bout de la détermination mahoraise pendant les dix-sept années de coexistence forcée au sein du territoire d’outre-mer des Comores.

Rien, pas même les nombreuses violences policières, n’aura pu faire plier l’inflexible volonté des femmes mahoraises, dont je tiens à saluer en cet instant le combat de plus d’un demi-siècle.

La suite, nous la connaissons mieux. Pressés de se partager les « avantages » d’une indépendance aventureuse, les dirigeants comoriens allaient décréter unilatéralement, le 6 juillet 1975, l’indépendance du territoire. Aussitôt, Mayotte, qui avait choisi de demeurer française lors d’une consultation organisée sept mois plus tôt, se plaçait sous la protection de la métropole et demandait de plus belle les garanties du statut départemental.

Faute de pouvoir livrer les Mahorais à la vindicte de leurs voisins comoriens, la France devait faire partiellement droit à ce souhait, en reportant toutefois à quatre reprises – en 1976, 1979, 1984 et 2002 – l’octroi de ce statut, que les Comoriens, mollement soutenus par des majorités de circonstance à l’Assemblée générale des Nations unies, réfutaient par avance pour cause d’illégitimité au regard du droit international.

On a essayé de masquer le fond du problème politique posé par l’impossible cohabitation entre Mahorais et Comoriens derrière un faux débat juridique : les textes constitutifs de l’ex-Organisation de l’unité africaine et une résolution adoptée en 1960 par l’Organisation des Nations unies interdisaient la remise en cause des frontières coloniales.

La vérité tient en trois points : le principe n’a jamais été respecté ; il n’est pas applicable à Mayotte ; il est fondamentalement inopérant, car contraire à la volonté des peuples. De nombreux exemples montrent que cette pseudo-norme de droit international n’a pas été respectée par ceux qui s’en prévalaient : au Cameroun, en Érythrée, dans les Antilles britanniques et néerlandaises, dans l’ensemble de la Micronésie, la décolonisation a été réalisée dans le plus grand désordre et sans égard aucun pour l’ancien découpage colonial. La communauté internationale encourage aujourd’hui la partition du Soudan et devra admettre, demain, le caractère totalement artificiel des frontières du Congo démocratique et, peut-être, du Nigéria.

Quand bien même elle serait effective, cette règle ne s’appliquerait pas à Mayotte, française depuis 169 ans et qui n’a vécu, comme je l’ai rappelé, qu’un dixième de cette longue période – encore était-ce contre son gré – dans un ensemble comorien artificiel.

Mais l’essentiel réside bien dans la volonté de la population mahoraise. En trente-cinq années d’indépendance, les Comores ont connu presque autant de coups d’État. Outre les convulsions politiques et leur cortège d’emprisonnements, d’exactions diverses, de régimes de parti unique ou de républiques islamistes, elles sont frappées par un sous-développement dont on ne pourra éternellement accuser l’ex-métropole, tant il doit au népotisme et à la corruption.

Tout au long de ces années, Mayotte, située dans cet environnement instable également caractérisé par les soubresauts de la « démocratie » malgache ou par l’interminable guerre civile au Mozambique, est apparue comme un havre de sérénité politique et de liberté au point de servir souvent – trop souvent ? – de refuge à ceux qui voulaient l’entraîner dans l’aventure de l’indépendance.

Certes, Mayotte a, en quelque sorte, refusé le trop fameux « sens de l’histoire » ; elle a rejeté la fatalité d’une indépendance qui paraissait inéluctable pour lui préférer un destin choisi. Mais je dirai qu’elle a opté en toute liberté pour la décolonisation à l’intérieur de la République française, processus qui sera non pas parachevé, mais grandement accéléré par l’adoption des textes qui nous sont soumis.

J’aurais voulu en discuter de façon détaillée, car ils sont encore insuffisants, notamment pour le droit fondamental des Mahorais à l’égalité sociale. J’aurais aimé saluer le travail, spécialement de codification, conduit par la commission des lois. Mais il faut aller à l’essentiel.

D’aucuns vous ont dit, mes chers collègues, et vous diront encore, que Mayotte est éloignée de la métropole, que les Mahorais ont leur langue, leur religion, leur culture, ce qui rendrait difficile leur intégration dans l’ensemble français. À l’heure où, dans le monde entier et dans notre pays, les communautarismes, l’ethnicisme, le tribalisme ou la religiosité se donnent libre cours, je crois tout au contraire que la France s’honore d’avoir fondé sa nationalité sur un seul critère, celui de la volonté librement exprimée d’un avenir commun.

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