Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vois dans le hasard qui me fait intervenir après M. Adrien Giraud et avant M. Soibahadine Ibrahim Ramadani, les deux sénateurs mahorais, un clin d’œil sympathique du destin.
Madame la ministre, l’étape législative d’aujourd’hui vient clore un long processus et tracer des perspectives d’avenir pour Mayotte et sa population.
Sur le plan politique et institutionnel, il nous est proposé d’achever le processus de départementalisation de Mayotte. La population mahoraise a démontré de manière constante son profond attachement à la République française, et ce dans un contexte géopolitique complexe dû aux liens l’unissant à l’archipel des Comores.
Dans cette longue marche, il a fallu beaucoup de volonté politique pour aboutir.
Permettez-moi de vous rappeler, sans malice, que le changement majeur de ces dix dernières années s’est opéré sous le gouvernement de Lionel Jospin. Le 27 janvier 2000, un accord sur l’avenir de Mayotte est signé, au nom de l’État, par Jean-Jack Queyranne, alors secrétaire d’État à l’outre-mer, par le président du conseil général et par les représentants des principaux partis politiques. Cet accord, tout en conservant le principe de spécialité législative, organise la marche progressive vers le droit commun et prévoit le passage de Mayotte au statut de collectivité départementale.
Comme l’ont rappelé les orateurs qui m’ont précédé, cet accord a recueilli un avis favorable de la population à près de 73 % lors de la consultation de l’année 2000. Restait alors à en organiser la transposition législative concrète : ce sera la loi du 11 juillet 2001.
Cette loi constitue la pierre angulaire du processus de décentralisation, car elle organise le transfert du pouvoir exécutif du préfet au président du conseil général et fixe un véritable cap politique ainsi qu’un calendrier concret.
L’évolution que nous connaissons depuis vient conforter le processus ainsi lancé. Elle dépasse les clivages politiques, contrairement à ce que l’on peut rencontrer dans d’autres territoires ultramarins. Il y a là, comme pour la Nouvelle-Calédonie, une continuité, qui va au-delà des alternances politiques que la France a connues. Je m’en réjouis. Je pourrais vous dire, à cette heure avancée, que quand le gouvernement auquel vous appartenez a la chance de retrouver des lignes intelligentes comme celles qui avaient été tracées par le gouvernement de Lionel Jospin, nous pouvons le suivre. Malheureusement, c’est de plus en plus rare. Je préfère en effet qu’il conforte ce qui est intelligent plutôt qu’il le détruise, comme cela s’est passé au cours des trois dernières semaines.
La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 inscrit pour la première fois Mayotte dans notre Constitution, puis la loi organique de 2007 inverse la logique du régime législatif applicable pour mettre en place le principe d’assimilation législative.
Conformément à la loi organique, le conseil général, obligatoirement saisi, a délibéré et approuvé à l’unanimité de ses dix-neuf membres, le 18 avril 2008, une résolution portant sur la transformation de Mayotte en département et région d’outre-mer. La consultation des électeurs mahorais, en 2009, a conforté ce choix, celui-ci ayant été approuvé à plus de 95 %.
Il faut comprendre – Mayotte est loin pour nos compatriotes de l’Hexagone – l’attachement de Mayotte au lien qui la relie à la République française. Cela s’exprime très fortement par la sémantique et l’emploi du mot « département », qui en l’occurrence est ambigu car Mayotte ne sera pas un département ordinaire : le vocable « département » désignera tout à la fois un département, une région et une région d’outre-mer.
Les deux projets dont nous discutons ce soir visent à aller au bout de la démarche institutionnelle, volontairement progressive au niveau de l’adaptation législative. Ainsi, à compter du mois d’avril 2011, le régime législatif applicable sera celui de l’identité législative, de manière immédiate et intégrale, moyennant les adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte.
Le conseil général de Mayotte, saisi de ces deux projets de loi, avait d’abord émis un avis défavorable, au motif que les élus refusaient le renouvellement intégral du conseil général en 2011.
Le Gouvernement a suivi l’avis du Conseil d’État – quelle excellente initiative ! Pourquoi ne le fait-il pas plus souvent ? –, qui soulignait les risques juridiques liés au raccourcissement des mandats électoraux. Il a fait droit à la demande des élus mahorais et la version nouvelle du projet de loi ne reprend plus le principe du renouvellement intégral.
Nous savons bien que les problèmes à régler ne proviennent pas uniquement des évolutions statutaires. La réussite du processus dépend très fortement – nous en avons déjà discuté en commission, madame la ministre – du développement économique, social, culturel de Mayotte, sujet sur lequel de grandes incertitudes perdurent.
Sur le plan statutaire, les adaptations nécessaires touchent un nombre important de codes législatifs et de droits privés, tant pour le toilettage des textes que pour leur mise à niveau. Elles doivent suivre un calendrier précis que je ne remets nullement en cause. Permettez-moi toutefois de m’interroger sur la méthode suivie, avec un recours massif aux ordonnances.
L’article 27 du projet de loi comporte des dispositions pour prévoir l’extension ou l’adaptation de la législation d’après les caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte. Cette formule permet de faire, sinon n’importe quoi, tout au moins tout ce que l’on souhaite.
Je conçois parfaitement que des assemblées ne doivent pas passer leur temps à travailler sur l’adaptation du code forestier, du code rural et de la pêche maritime ou du code de l’urbanisme. Étant donné le nombre de codes touchés explicitement ou implicitement, il n’est pas possible d’exclure le recours aux ordonnances. La qualité du temps législatif passe aussi par une rationalisation des textes gouvernementaux qui nous sont soumis, je vous en donne acte.
Mais l’étendue de l’habilitation n’en demeure pas moins à mes yeux problématique. Notre excellent rapporteur, Christian Cointat, s’interroge lui-même dans son rapport et souligne l’importance de cette habilitation, y compris dans le temps puisqu’elle court sur un délai de dix-huit mois suivant l’application de la loi. La commission a ramené ce délai à six mois et le Gouvernement, par amendement, propose douze mois. Cela me rappelle certaines discussions sur l’achat que j’ai pu avoir dans d’autres contrées, mais je pense que nous pourrons nous accorder sur un délai de douze mois.
Je m’en tiendrai à un seul exemple, celui de l’extension du droit du travail au nouveau département. La matière est très complexe et l’incidence sur la vie quotidienne des mahorais est forte. L’étude d’impact y consacre d’ailleurs un long développement dans son annexe. Ces questions appellent une très grande vigilance et auraient pu justifier un débat parlementaire.
Autre procédé sujet à la critique – M. Christian Cointat ne me démentira pas –, c’est l’usage qui consiste, à l’occasion de chaque texte consacré à l’outre-mer, à accrocher quelques wagons supplémentaires. C’est ainsi que le cas de Mayotte avait été ajouté au débat sur la Nouvelle-Calédonie, alors qu’il aurait mérité à lui seul de faire l’objet d’un texte, constitué d’un article unique. Nous aurions pu le faire dans le même temps tout aussi rapidement.
Aujourd'hui, on nous demande de ratifier un train de treize ordonnances, dont trois concernent Mayotte, je vous le concède.