Intervention de Jacques Gautier

Réunion du 3 juin 2008 à 21h30
Adaptation du droit des sociétés au droit communautaire

Photo de Jacques GautierJacques Gautier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat est appelé à examiner en première lecture le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation du droit des sociétés au droit communautaire, adopté avec modifications le 6 mai dernier par l’Assemblée nationale.

Vous le savez, depuis 1957, le droit des sociétés constitue un domaine dans lequel les traités européens ont donné de fortes compétences aux institutions communautaires. De nombreuses directives ont été adoptées par l’Union pour tendre à une harmonisation, sans cesse plus poussée, des règles nationales, afin d’éliminer les obstacles au mouvement des sociétés sur le territoire européen.

À cet égard, vous vous en souvenez, les dernières années ont vu aboutir des avancées spectaculaires.

En 2001, est créé le statut de la société européenne.

En mai 2003, est adopté le plan d’action de la Commission européenne sur la modernisation des sociétés.

Entre 2003 et 2006, trois textes qui nous intéressent plus particulièrement sont adoptés. Le premier, en date du 22 juillet 2003, est relatif à la société coopérative européenne, et son adaptation dans notre droit aurait dû intervenir avant le 16 août 2006. Le second concerne les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux, qui ont été organisées par la directive du 26 octobre 2005, dont la transposition aurait dû intervenir avant le 15 décembre 2007. Enfin, le troisième est une directive du 14 juin 2006 portant sur les obligations comptables des sociétés de capitaux, dont la transposition doit intervenir avant le 5 septembre prochain.

Mme la ministre nous l’a dit, le présent projet de loi a pour objet essentiel d’apporter au droit français les adaptations rendues nécessaires par ces divers textes européens. Il permettra à la France de remplir ses obligations communautaires, au moment où elle s’apprête à prendre pour six mois la présidence de l’Union européenne.

De façon incidente, le texte soumis au Sénat apporte aussi certaines modifications aux règles relatives à la société européenne, aux fusions internes de sociétés ou aux sociétés coopératives, bien que ces aménagements ne soient pas imposés par le droit communautaire.

Je commencerai par la société coopérative européenne.

Initié au xixe siècle, le modèle coopératif dissocie le montant des revenus et les droits de vote du nombre de parts sociales détenues par chaque associé de la coopérative.

Trois principes essentiels sont retenus : la double qualité, les membres de la société coopérative étant à la fois associés et contractants ; l’égalité entre les associés, selon le principe « un homme, une voix » ; l’absence de but lucratif de l’activité exercée.

Comme le soulignait récemment notre collègue Louis Souvet, la quasi-totalité des États membres de la Communauté européenne connaissent la forme coopérative. Mme la ministre a évoqué ce type de sociétés pour la France. Au niveau européen, ce sont 288 000 coopératives qui sont ainsi constituées : elles comptent 60 millions de sociétaires et emploient 5 millions de salariés.

Les coopératives sont cependant régies par des règles juridiques très diverses selon les États. Ces différences ont été considérées par les institutions communautaires comme des obstacles à l’achèvement du marché intérieur européen.

Fortement inspirés des mécanismes retenus pour la société européenne, le règlement du 22 juillet 2003 relatif au statut de la société coopérative européenne et la directive du même jour instituent une nouvelle forme sociale permettant aux sociétés de type coopératif ayant une activité transnationale de bénéficier d’un statut européen. Lors des auditions auxquelles j’ai procédé, les représentants du secteur ont insisté sur l’importance de la société coopérative européenne pour le développement des structures coopératives françaises et le rapprochement avec des coopératives d’autres États membres.

Ce dispositif complexe se caractérise par deux traits saillants. D’une part, son utilisation est conditionnée par l’application simultanée des dispositions tant du règlement que de la directive. D’autre part, seul un socle minimal de règles communautaires s’applique, de nombreux aspects de son fonctionnement étant régis par la législation de l’État membre où la société est établie.

Composé de 80 articles, le règlement du 22 juillet 2003 détermine les conditions de constitution, la structure, ainsi que les modalités de fonctionnement de cette nouvelle entité juridique.

Ce règlement définit des règles uniformes qui ne concernent que certains caractères essentiels. Pour le surplus, il renvoie aux dispositions des différents droits nationaux relatives aux sociétés coopératives et aux stipulations des statuts de la société coopérative européenne.

La directive détermine « l’implication » des travailleurs et impose la constitution d’un groupe spécial de négociation dont la mission est de déterminer les modalités d’implication des travailleurs dans la nouvelle entité sociale. Ces dispositions posent surtout le principe « avant-après » en matière de participation des travailleurs dans la société coopérative européenne, principe sur lequel je reviendrai ultérieurement.

Je vais aborder maintenant la fusion transfrontalière des sociétés de capitaux.

La définition d’un régime communautaire applicable aux fusions transfrontalières de sociétés a soulevé des difficultés importantes, alors que la fusion des sociétés est l’une des modalités de concentration des entreprises permettant à ces dernières d’acquérir une taille et une dimension supérieures. Elle peut revêtir deux formes : l’absorption par une société d’une autre société ou la création d’une entité juridique nouvelle.

Une avancée importante a résulté de la création de la société européenne en 2001. Toutefois, compte tenu des exigences, il est apparu indispensable de disposer d’un outil plus large de rapprochement des législations. L’adoption de la directive 2005/56/CE du 26 octobre 2005 a répondu à cette attente.

Forte de 21 articles, cette directive limite l’application des règles uniformes au strict minimum et prévoit des modalités particulières d’implication des salariés des sociétés qui fusionnent. L’une des avancées résulte de son application à l’ensemble des sociétés. De fait, seules sont néanmoins concernées les sociétés relevant de la législation d’au moins deux États membres de l’Union européenne.

La directive détermine un certain nombre de règles, de procédures uniformes ayant vocation à s’appliquer cumulativement avec les règles prévues par les droits nationaux. Ces règles concernent, en premier lieu, la forme et la substance du projet commun de fusion, les modalités de publicité auxquelles doit être soumis le projet.

La directive institue deux types de contrôle : un contrôle préalable de la fusion, à l’article 10, et un contrôle de la légalité, à l’article 11, un certificat étant ensuite délivré. La fusion ne prend effet qu’après ces contrôles, à une date déterminée par la législation de l’État membre dont relève la société absorbante.

En matière d’implication des salariés, la directive pose le principe de l’application à la société issue de l’opération de fusion des règles de participation des travailleurs prévues par la législation de l’État membre dans lequel se trouve son siège statutaire. Toutefois, la directive impose le respect du principe « avant-après » pour les salariés.

La directive adoptée le 14 juin 2006 par le Parlement européen et le Conseil modifie trois directives antérieures. Elle a pour objet de renforcer le règlement comptable, d’alléger les obligations imposées aux petites sociétés en ce domaine et d’améliorer la qualité de l’information financière dans les sociétés cotées en les obligeant, au sein de l’Union européenne, à faire chaque année une déclaration sur le gouvernement d’entreprise et à fournir davantage d’informations sur le recours aux opérations hors bilan et sur les transactions inhabituelles avec des parties liées.

Mme le garde des sceaux l’a dit, l’objet principal du présent projet de loi est d’assurer la mise en conformité de notre législation avec les nouvelles normes communautaires. Pour autant, le texte soumis au Parlement apporte également des aménagements ponctuels au droit français des sociétés qui ne sont pas directement liés aux dispositions de ces directives.

Il permet, premièrement, de faciliter la fusion des sociétés de capitaux, point sur lequel Mme le garde des sceaux a longuement insisté.

Le régime juridique applicable à la fusion des sociétés de capitaux en droit français est modifié par le titre Ier du projet de loi, tant pour transposer les règles issues de la directive que pour procéder à des simplifications ponctuelles concernant les fusions internes.

La mise en œuvre de la directive nécessite la modification de certaines dispositions du code de commerce, du code du travail et, de façon accessoire, du code monétaire et financier.

L’article 1er crée une nouvelle section au sein du titre III du livre II du code de commerce relative aux règles applicables aux fusions transfrontalières des sociétés de capitaux. Il établit la liste des sociétés de capitaux, soumises au droit français, susceptibles de participer à ce type de fusions. Il permet ainsi à l’ensemble des sociétés de capitaux reconnues par le droit français de bénéficier de ce dispositif.

Ces dispositions posent le principe d’une application générale aux fusions transfrontalières des règles relatives aux fusions internes, sous réserve de mesures spécifiques.

S’agissant des modalités de contrôle de la fusion transfrontalière, le texte proposé prévoit de confier au greffier du tribunal la compétence pour procéder au contrôle des formalités préalables et pour délivrer l’attestation de conformité, mais aussi de charger le notaire de contrôler la légalité de la réalisation de la fusion et, en cas de fusion par création d’une personne morale nouvelle, de la constitution de la nouvelle société.

Les articles 5 à 7 reprennent sans modification de substance les dispositions précédentes au sein du nouveau code du travail et l’article 8 devait fixer leur date d’entrée en vigueur.

L’article 9 comporte des dispositions transitoires destinées à ne pas affecter les opérations de fusion en cours.

Les articles 10 à 12 du projet de loi apportent des modifications ponctuelles au régime des fusions et scissions des sociétés commerciales, qu’il s’agisse d’opérations internes ou transfrontalières.

Ces dispositions comprennent des mesures de simplification et des mesures tendant à prévoir des règles de protection des obligataires similaires à celles qui sont prévues pour les sociétés anonymes.

Il s’agit également d’adapter le droit français afin d’accueillir les sociétés coopératives européennes et d’améliorer certains dispositifs relatifs à la société européenne.

Suivant les recommandations du rapport de Mme Noëlle Lenoir, le titre II du projet de loi apporte deux modifications ponctuelles aux dispositions relatives à la société européenne.

L’article 13 du projet de loi précise les conditions de transformation d’une société anonyme en une société européenne, ainsi que la mission du commissaire à la transformation.

L’article 14 prévoit que la décision par laquelle le procureur de la République s’oppose, pour des raisons d’intérêt public, au transfert hors de France du siège est susceptible d’un recours devant la cour d’appel de Paris.

Le titre III du texte du Gouvernement procède aux adaptations nécessaires à la mise en œuvre en droit français des dispositions relatives à la société coopérative européenne.

Le chapitre Ier de ce titre modifie la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, qui définit le droit commun des sociétés coopératives françaises.

L’article 15 du projet de loi fait de la société coopérative européenne une nouvelle forme de société coopérative régie par le droit français.

S’agissant de la constitution de la société, il apporte les innovations suivantes : il interdit la dissociation entre le siège statutaire et le siège réel ; il rend obligatoire la désignation de commissaires à la fusion ; il désigne le greffier du tribunal de commerce comme autorité chargée d’effectuer le contrôle des formalités préalables à la constitution, ainsi que le notaire pour réaliser le contrôle de la légalité de la réalisation de la fusion et de la constitution ; il fait du procureur de la République l’autorité compétente pour s’opposer, pour des raisons d’intérêt public, au transfert de siège.

Le texte prévoit aussi les règles et obligations concernant, notamment, le conseil d’administration, les associés minoritaires et la direction de l’organisation de la société.

L’article 22 complète le code rural pour rendre applicables aux coopératives européennes agricoles les dispositions du code rural relatives aux modalités d’établissement des comptes consolidés ou combinés, ou imposées aux coopératives agricoles nationales.

Afin de procéder à la transposition de la directive du 14 juin 2006, les articles 23 et 24 du projet de loi complètent les dispositions du code de commerce relatives à l’information des actionnaires sur le gouvernement d’entreprise.

Le conseil d’administration ou le conseil de surveillance des sociétés anonymes faisant appel public à l’épargne devra ainsi indiquer annuellement dans un rapport s’il applique les dispositions du code de bonne conduite en matière de gouvernement d’entreprise ou, à défaut, les règles mises en place en cette matière, et préciser les modalités de participation des actionnaires à l’assemblée générale. Le texte pose également le principe d’une approbation du rapport du président par le conseil afin d’impliquer la responsabilité du conseil.

En outre, aux termes de l’article 25, une attestation de ces informations doit être fournie par le commissaire aux comptes de la société.

Sur l’initiative de sa commission des lois, l’Assemblée nationale a adopté de nombreux amendements apportant, pour l’essentiel, des modifications ponctuelles aux dispositions proposées par le Gouvernement.

Premièrement, il s’agit de la suppression de dispositifs devenus sans objet à la suite de l’entrée en vigueur, le 1er mai 2008, du nouveau code du travail. L’Assemblée nationale a ainsi supprimé les articles 3, 4 et 8 du projet de loi.

Deuxièmement, il s’agit de la clarification de certains aspects du régime de la fusion transfrontalière et de la société coopérative européenne.

L’Assemblée nationale a ainsi décidé de confier au notaire ou au greffier, selon le choix fait par les sociétés participant à l’opération de fusion, le soin d’exercer le contrôle de la légalité de la fusion transfrontalière, qui fait l’objet de l’article 1er, ou de la constitution d’une société coopérative européenne par fusion, prévue à l’article 15.

Elle a également, à l’article 5, donné aux dirigeants des sociétés qui fusionnent la possibilité d’appliquer, sans négociation préalable, les dispositions « de référence » en matière de participation des salariés et, à l’article 5 bis, renforcé la protection accordée aux salariés membres du groupe spécial de négociation ou du comité de la société issue de la fusion transfrontalière ou de la société coopérative européenne.

Troisièmement, l’Assemblée nationale est à l’origine de modifications ponctuelles de notre législation non liées aux textes communautaires.

Elle apporte ainsi deux aménagements au droit français des sociétés coopératives, d’une part, à l’article 22 bis, en permettant d’étendre les possibilités d’unions mixtes aux sociétés coopératives de consommation, par analogie avec le régime juridique des coopératives de commerçants détaillants et, d’autre part, à l’article 22 ter, en prévoyant que les sociétés coopératives n’ont pas l’obligation de fixer dans leurs statuts le montant maximal de leur capital autorisé, afin de remédier à l’insécurité juridique créée par la jurisprudence récente de la Cour de cassation en la matière.

Les députés ont également inscrit, à l’article 26 A, une disposition dépassant le seul cadre du droit des sociétés, qui vise à imposer aux greffiers de tribunaux de commerce l’obligation de déposer à la Caisse des dépôts et consignations les sommes qu’ils détiennent pour le compte de tiers.

Enfin, sur l’initiative du Gouvernement, l’Assemblée nationale a habilité ce dernier à transposer par ordonnance la directive 2006/43/CE du 17 mai 2006 concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés. Cette directive, qui doit être transposée avant le 15 juin 2008, tend à assurer une harmonisation poussée du contrôle légal des comptes des entreprises au sein de l’Union européenne.

La commission des lois a souscrit à l’essentiel du projet de loi, ainsi qu’aux modifications apportées par l’Assemblée nationale, qui permettent de clarifier le texte présenté par le Gouvernement et d’y apporter des ajouts très utiles.

Je vous présenterai, cependant, vingt-huit amendements afin de conforter les travaux des députés, d’y apporter des aménagements ponctuels et de préciser, ou de simplifier, certains articles, sans remettre en cause ce texte attendu par les entreprises françaises, les sociétés coopératives et les instances européennes.

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