Je n’ai pas besoin d’insister sur le fait que le poids de la coopération est très fort dans notre pays, en particulier dans certains secteurs de l’économie tels que la banque, l’agriculture ou la distribution, ce que beaucoup de Français oublient ou ignorent.
Vous-même, madame la ministre, faisiez récemment état de chiffres qui sont très parlants : en France, la coopération représente 21 000 entreprises, 900 000 employés et 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Dans l’ensemble de l’Europe, on dénombre quelque 280 000 sociétés coopératives, regroupant 60 millions de sociétaires et occupant 5 millions de salariés.
Par conséquent, le droit européen, face à une telle présence de la coopération, à un tel dynamisme, ne pouvait demeurer muet, chacun de nous en conviendra, quelles que soient ses options économico-politiques.
Grâce à la société coopérative européenne, les différences existant entre les divers pays de l’Union ne seront plus un obstacle au développement de ces sociétés à l’échelle de notre continent.
De la même façon, nous souscrivons, à la méthode retenue par les institutions communautaires et qui consiste à mettre en place un socle minimal de règles communautaires, le droit de l’État membre où sera établie la coopérative régissant le reste.
Le choix fait par le Gouvernement d’aller au-delà des textes communautaires, en intégrant la société coopérative européenne au droit français, nous semble en outre tout à fait pertinent.
Dès lors, au chapitre des coopératives, on pourrait se dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes communautaires ! Toutefois, il me semble que subsiste un problème de taille, à savoir que, à l’heure où la coopérative est explicitement reconnue par le droit européen, elle pourrait, dans le même temps, être menacée par les institutions communautaires.
L’examen du présent projet de loi nous donne l’occasion d’alerter le Gouvernement sur ce qui nous apparaît aujourd'hui comme une menace planant paradoxalement sur le statut coopératif.
Je m’explique.
En mai 2004, une plainte émanant de la Confédération du commerce en gros et du commerce international a été déposée auprès de la Commission européenne contre l’État français pour « aide d’État illégale » sur le régime fiscal des coopératives agricoles. Le plaignant excipait de la non-conformité du régime fiscal français des coopératives au regard du droit communautaire.
En vérité, il me semble que le régime fiscal français, loin de constituer une aide illégale, est surtout le reflet d’une reconnaissance proportionnée aux contraintes et aux spécificités du secteur coopératif. Mais chacun sait bien qu’une coopérative, en tant qu’organisation économique singulière, peut être suspecte aux yeux de certains ! Pourtant, il s’agit d’un modèle d’entreprise qui s’inscrit bien dans le marché, même s’il fonctionne selon des règles différentes, notamment en ce qui concerne la prise de décision et la redistribution de la richesse produite, autant de caractéristiques que les pouvoirs publics doivent reconnaître.
Dès lors, assujettir demain toutes les coopératives à une fiscalité de droit commun conduirait inévitablement à rompre avec l’idée que les coopératives sont, par exemple, le prolongement de l’exploitation agricole en ce qu’elles permettent aux agriculteurs d’avoir accès au marché.
J’espère que des distinctions seront faites avec discernement et que l’on pourra clairement identifier, d’un côté, le système coopératif qui fonctionne complètement sur le modèle des sociétés anonymes, et, d’un autre côté, le système coopératif qui conserve et utilise réellement ces spécificités justifiant un régime fiscal particulier.
Avec ce texte, nous réaffirmons notre attachement au statut de la coopérative, et je vous demande donc, madame le garde des sceaux, de veiller à ce que, à l’avenir, le droit européen ne soit pas sur ce point une sorte de Janus, présentant deux visages : d’un côté, la coopérative serait inscrite dans les traités et bénéficierait d’un statut reconnu par le règlement de 2003, et même recommandé par la Commission européenne ; de l’autre, cette même Commission refuserait de reconnaître les caractéristiques des coopératives, telles que les réserves impartageables – à bien distinguer des fonds propres des entreprises privées qui, eux, peuvent être distribués –, la ristourne coopérative ou le versement d’un intérêt limité sur les apports financiers des membres.
Demain, sur le fondement des plaintes déposées devant elle, la Commission pourrait demander à la France un « ajustement » – c’est un euphémisme ! – du régime fiscal des coopératives. Il vous revient donc, madame le garde des sceaux, ainsi qu’à votre collègue chargé du budget, de faire preuve de vigilance, et ce, tout simplement, dans la logique du texte que nous examinons aujourd'hui.
Je ne m’étendrai pas sur l’autre mesure importante contenue dans le présent projet de loi, à savoir l’instauration d’un régime européen de fusion transfrontalière des sociétés de capitaux. D’autres l’ont souligné avant moi, les fusions qui interviennent entre des sociétés de plusieurs États membres se heurtent aujourd'hui à des obstacles juridiques quasi insurmontables. Aussi, parmi les personnes morales ou les groupes qui s’y sont essayés, beaucoup ont dû renoncer à leur projet ou contourner les difficultés juridiques en créant des sociétés dans d’autres pays, quand bien même ce n’était pas forcément la meilleure solution, du moins pour les entreprises françaises.
Les dispositions de ce projet de loi relatives aux fusions transfrontalières sont bonnes parce que leur champ d’application, très large, s’étend à l’ensemble des sociétés de capitaux reconnues par le droit français et parce que, nous semble-t-il, les simplifications qu’elles apportent sont positives. Nous accueillons celles-ci d’autant plus volontiers que la commission des lois proposera tout à l'heure d’aller plus loin dans ce registre, notamment en autorisant les associés, s’ils en décident ainsi, à ne pas recourir à un commissaire à la fusion. L’intervention des commissaires aux comptes serait réservée aux opérations d’apports en nature, dont la valeur doit, bien entendu, rester contrôlée par le commissaire aux apports.
En conclusion, vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe de l’Union centriste-UDF est favorable à ce texte, qu’il votera assorti des amendements présentés par notre rapporteur.