Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, chaque parlementaire, chaque élu de notre pays est actuellement directement confronté à la triste réalité de la crise sociale qui frappe les Françaises et les Français.
Dans ses permanences, au cours de ses visites de terrain, il mesure la gravité de cette crise à l’aune de la multiplication des demandes d’intervention auprès des services sociaux, demandes émanant la plupart du temps de salariés et liées à une impossibilité de payer le loyer, la cantine des enfants, les factures d’eau ou d’électricité. Et je ne parle même pas du nombre croissant de bons d’alimentation distribués par les mairies…
Dans cette situation, le gouvernement auquel vous appartenez, messieurs les secrétaires d’État, a une responsabilité, celle de faire tout ce qui est en son pouvoir pour préserver la cohésion de la société française, en évitant à des centaines de milliers de ménages de connaître encore plus de précarité et de détresse.
C’est d’ailleurs tout le sens de l’appel que le président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, a lancé aux gouvernements de la zone euro, lundi dernier, en pronostiquant « une crise sociale » en Europe du fait de la forte hausse attendue du chômage. M. Juncker a ainsi affirmé : « Tous les efforts doivent être orientés vers l’encadrement social et économique de cette situation. » Il a invité les gouvernements à amortir le choc pour les salariés appelés à perdre leur emploi et les chefs d’entreprise à éviter « les licenciements massifs et prématurés » en faisant preuve « de responsabilité sociale ».
C’est aussi, depuis plusieurs semaines déjà, tout le sens des politiques des collectivités locales dirigées par la gauche. Malgré le désengagement financier de l’État et la paupérisation organisée des services publics, celles-ci déploient des moyens exceptionnels en faveur de l’économie et de l’emploi de leurs territoires.
Ainsi, un conseil général aux moyens limités comme celui de l’Ardèche mobilise 106 millions d’euros, alors que celui des Bouches-du-Rhône en réunit 1 milliard. Ainsi, la Ville de Paris apporte sa garantie à 57 millions d’euros de crédits réservés aux PME, tandis que le conseil régional de Poitou-Charentes a voté, il y a seulement quelques jours, l’entrée de la région au capital d’Heuliez, à hauteur de 5 millions d’euros.
Or, dans le même temps, qu’observent les 50 000 nouveaux chômeurs qui s’inscrivent chaque mois à Pôle emploi, dans les conditions déplorables dues à la restructuration du service public de l’emploi engagée par le Gouvernement ?
Ils voient Dexia, sauvé de la faillite par les gouvernements belge et français au prix de 6, 4 milliards d’euros de crédits publics, distribuer au même moment 8 millions d’euros de primes à ses cadres dirigeants français.
Ils voient les banques, aux bilans plombés par leurs engagements dans des produits financiers complexes, demander à l’Autorité des marchés financiers d’agréer de nouveaux produits de ce type, qui n’ont pas de raison d’être moins toxiques que leurs prédécesseurs.
Ils voient la pression accrue que les directions des grandes entreprises font subir aux salariés pour diminuer toujours plus les coûts et accroître toujours plus les rendements.
Ils voient les multinationales du CAC 40 rendre publics des résultats en baisse – une décroissance globale de 42 % entre 2007 et 2008 – et gratifier simultanément leurs actionnaires de dividendes au moins aussi élevés que l’année passée. Ainsi, les sociétés cotées au CAC 40 ont distribué, au titre de l’exercice 2008, près des deux tiers, 64 %, de leurs bénéfices nets en dividende, soit 37, 5 milliards d’euros.
Ce choix des grands groupes en faveur de la rémunération du capital s’inscrit parfaitement, malgré une récession économique historique, dans l’orientation prise par les entreprises depuis le début des années 1990 en défaveur de leur capacité propre d’investir et, donc, de développer leur activité.
Jean-Philippe Cotis, le directeur général de l’INSEE, missionné par le Président de la République pour étudier l’évolution du partage de la valeur ajoutée au cours des dernières années, montre dans son rapport que « les dividendes nets représentent 16 % de l’excédent brut d’exploitation des sociétés non financières en 2007, contre seulement 7 % en 1993 ».
Qui plus est, cette explosion des profits financiers au détriment de l’investissement dans le capital productif s’est accompagnée d’une dérive exponentielle des plus hautes rémunérations, celles qui dépassent 200 000 euros annuels, dont la part dans la masse salariale n’a cessé de progresser au cours des dix dernières années.
Dans ce contexte, la question que François Rebsamen pose au nom du groupe socialiste est de celles que se posent tous les jours beaucoup de nos concitoyens, qu’ils soient artisans ou patrons de PME réduits au dépôt de bilan à cause de banques ayant coupé le « robinet du crédit » ou qu’ils soient salariés menacés par le chômage et la précarité.
Votre réponse, monsieur Novelli, est donc attendue bien au-delà de nos travées.
Elle est notamment attendue par les centaines de salariés de Total, victimes de la restructuration des activités de pétrochimie et de raffinage en France, que le quatrième groupe pétrolier mondial a eu l’indécence de rendre publique concomitamment à l’annonce d’un résultat net au titre de l’exercice 2008 constituant le plus important bénéfice jamais réalisé par une entreprise française en valeur, soit 13, 92 milliards d’euros.
Que la France dispose, dans un secteur aussi stratégique que l’énergie, d’un incontestable leader mondial, tout le monde s’en félicitera. Que l’activité de cette entreprise soit très profitable, personne ne s’en plaindra. Mais que cette rentabilité, qui est largement le fruit du travail et des efforts de productivité des milliers de salariés de Total, enrichisse principalement les actionnaires, là, il y a un problème !