Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 19 février dernier, devant la montée du mouvement social et l’exigence grandissante, au sein de l’opinion, d’un contrôle des aides publiques aux entreprises, le Président de la République a déclaré : « Plus que jamais, le dialogue social est nécessaire. Désormais, les organisations syndicales seront associées aux opérations de restructuration dans les entreprises. Elles participeront aussi au contrôle des aides publiques. […] C’est une transparence que nous devons aux contribuables. »
C’était déjà, précisément, dans cet esprit que la loi relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises avait été votée en janvier 2001. Sous la pression du patronat, elle fut abrogée, avec zèle, par la majorité de droite du Sénat dès décembre 2002. Pourtant, alors que nous assistons aujourd’hui à une véritable fuite en avant en matière d’aides publiques aux entreprises et aux établissements financiers et que, malgré la crise, les entreprises du CAC 40 ont vu leurs bénéfices augmenter de plus de 12 % en 2008, il serait plus que jamais nécessaire qu’une loi pertinente et efficace permette d’assurer la transparence, ainsi que le contrôle et l’intervention des organisations syndicales, des représentants des élus et de l’État. Tel est le sens de la proposition de loi que nous vous soumettons, mes chers collègues.
Je vous propose d’examiner ce texte à l’aune de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en particulier de son article XV : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. »
Que nous dit ce texte fondateur de l’État de droit dans notre pays ? Que lever l’impôt est une nécessité, qu’il est légitime que la charge publique soit justement répartie, que ceux qui ont plus paient plus, tandis que ceux qui ont moins paient moins. Il est tout aussi légitime que le peuple, la société dans son ensemble, sache à quoi servent les impôts recouvrés, étant entendu que les modalités de fixation des droits et de recouvrement sont déterminées par la loi.
C’est dans ce cadre – faut-il le souligner ? – que nous pouvons aujourd’hui appréhender le contrôle parlementaire de la dépense publique.
Toutefois, la dépense publique revêt des formes de plus en plus complexes, et les aides publiques aux entreprises ne présentent pas toujours le caractère d’une dépense. Qui peut avoir à craindre la clarté et la transparence ? Que pourrait fonder, selon vous, monsieur le rapporteur, une sorte d’a priori purement idéologique selon lequel demander la transparence dans l’utilisation de l’argent public témoigne d’une suspicion à l’égard de ceux qui bénéficient de ce dernier ?
Il est légitime que le régisseur d’un poste de recettes du Trésor public rende des comptes sur sa gestion, comme il est légitime que le responsable d’une association ou d’une collectivité subventionnée produise tout élément d’appréciation de la situation de son organisme. Je crois que personne ici ne voit en ces contrôles la manifestation d’une quelconque suspicion.
Mes chers collègues, la présente proposition de loi peut être interprétée comme la manifestation d’un tout aussi légitime souci de transparence en matière d’utilisation de l’argent public.
Que vous ayez supposé, monsieur le rapporteur, que nous considérons avec suspicion les entreprises bénéficiaires de l’argent public révèle en fait quelque chose de plus profond : vous et ceux qui partagent vos vues estimez tout simplement, et ce depuis fort longtemps, ne pas avoir de leçons à recevoir ni, en réalité, de comptes à rendre.
Dois-je pourtant vous rappeler que l’essentiel des procédures menées par la Cour des comptes comme par les chambres régionales des comptes, s’agissant notamment des budgets locaux, ne conduisent à rien d’autre qu’à la délivrance d’un quitus ?
Revenons d’ailleurs quelques instants sur le problème du contrôle de l’utilisation des fonds publics, tant par la Cour des comptes que par le Parlement.
Vous nous chantez les louanges de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. En vertu de cette loi organique, ainsi d’ailleurs que de la dernière révision constitutionnelle, les parlementaires disposeraient de larges moyens de contrôle et d’investigation sur la gestion des dépenses publiques.
Or, que constatons-nous ? D’une part, la pratique des « chapitres réservoirs », maintes fois dénoncée par la Cour des comptes, n’a pas disparu, loin de là ! D’autre part, c’est bien souvent en dernière instance le Gouvernement qui garde la haute main sur la ventilation effective de la dépense publique.
Je sais, monsieur le rapporteur, que vous avez déjà voté à plusieurs reprises des lois de finances dont les crédits, bien que soumis au contrôle du Parlement et de la Cour des comptes, ont été « ajustés » du seul fait du Gouvernement, ajustements que la majorité à laquelle vous appartenez a entérinés sans broncher ni sourciller.
Dans le même ordre d’idées, toujours en matière de dépense publique, les exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises ne font que croître et embellir année après année depuis l’adoption de la loi quinquennale du 20 décembre 1993 relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle. Cette seule progression pourrait d’ailleurs nous amener à nous interroger sur l’opportunité d’un tel engagement de dépenses.
Je citerai deux chiffres à cet égard : en 1993, l’État consacrait l’équivalent de 1 milliard d’euros à l’allégement des cotisations sociales des entreprises, au profit de publics ciblés et en vertu de politiques très précises ; aujourd’hui, ce sont 42 milliards d’euros de recettes qui échappent ainsi à la sécurité sociale, distraits du mode « normal » de recouvrement par cotisation, et si 3 milliards ou 4 milliards d’euros sont inscrits au passif de la sécurité sociale, le solde, c’est-à-dire de 38 milliards à 39 milliards d’euros, est pris en charge par l’État au travers d’un transfert de recettes fiscales…
Mes chers collègues, peut-on décemment refuser de s’interroger sur l’efficacité d’une dépense publique qui a été multipliée par quarante en une quinzaine d’années ? Je ne connais pas beaucoup de chapitres budgétaires ayant connu une telle progression sur la même période ! Je crois d’ailleurs me souvenir que, à l’instar de quelques-uns de vos mandants, vous êtes évidemment partisans de la réduction de la dépense publique, chaudement recommandée par le MEDEF et les cercles et aréopages patronaux les plus divers.
Madame la ministre, le 5 juin 2008, la Cour des comptes a déposé, à la demande de la mission d’information commune de l’Assemblée nationale sur les exonérations de cotisations sociales, un rapport sur la question des allégements de cotisations sociales.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce rapport comportait de nombreuses critiques à l’égard des dispositifs existants. Il mettait en cause, par exemple, les allégements généraux de cotisations sur les bas salaires, au motif, précisément, qu’ils entraînent une généralisation de ces derniers. Il était également particulièrement critique envers les dispositifs d’exonérations ciblées, pointant la faiblesse de leur évaluation. Notons d’ailleurs que, parmi les grands pays européens, seule l’Italie met en œuvre de telles politiques sans exercer le moindre contrôle : un pays aussi profondément libéral que le Royaume-Uni n’a jamais utilisé cet outil pour « aider » les entreprises !
Le rapport de juin 2008 faisait suite à un autre rapport, le rapport Méhaignerie, remis en septembre 2006, qui portait lui aussi sur les politiques d’allégement de cotisations pour les emplois dits peu qualifiés.
Tout cela montre, mes chers collègues, que voilà bien longtemps que l’on s’interroge sur le bien-fondé de certains engagements de dépenses publiques en faveur des entreprises.