Je tiens tout d’abord à remercier le Gouvernement de ce débat, qui fait suite à celui qui s’est tenu à l’Assemblée nationale il y a quelques jours. Il se conforme ainsi à l’engagement qu’il avait pris en janvier dernier, lors de la discussion sur la révision constitutionnelle ayant précédé la ratification du traité de Lisbonne. Je remercie également notre collègue Nicolas Alfonsi d’avoir posé une question qui transcende les appartenances politiques, comme nous venons de le constater.
Nous pouvons, en effet, nous interroger sur les suites que le Gouvernement compte donner à la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles certaines clauses de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires signée à Budapest le 7 mai 1999.
La question mérite d’être soulevée car, ne nous leurrons pas, la situation des langues historiques et patrimoniales de France, que l’on désigne sous le nom de « langues régionales », est très préoccupante. Elle est même catastrophique pour celles de ces langues qui n’ont pas la chance d’avoir une part significative de leur aire culturelle située hors de France. Tel est le cas du breton et de l’occitan, que l’ONU a déclarées « langues en grand danger » ! C’est pourquoi nous ne pouvons plus nous contenter du flou juridique entourant cette situation.
Ne pas défendre ces langues, ce serait causer la ruine d’une part importante du patrimoine culturel de la France. Notre pays a la responsabilité, à l’égard des générations futures, de transmettre son patrimoine linguistique et culturel. Les langues régionales sont l’expression, au sens propre du terme, de cultures régionales riches et anciennes, qui sont elles-mêmes constitutives du patrimoine culturel de la France et de son identité. Elles sont une de ses richesses et un de ses attraits. Les étouffer, comme cela a pu être le cas par le passé, ce serait mutiler la France et la déposséder d’une partie de son héritage.
Si je prends l’exemple de l’occitan, qui m’est cher, d’autant que le Centre interrégional de développement de l’occitan, pôle associé à la Bibliothèque nationale de France, est installé dans la ville de Béziers, dont je suis le maire, il ne s’agit en rien d’un patois, comme certains le qualifient pour marquer leur mépris.
Au contraire, la sauvegarde de l’occitan est un enjeu majeur, qui concerne une aire culturelle importante, la plus large d’ailleurs de toutes les langues régionales : elle va des vallées alpines italiennes jusqu’au Val d’Aran espagnol, en passant par la Provence, le Languedoc, la Gascogne, le Poitou, l’Auvergne… Les langues d’oc ont longtemps été les langues de la moitié de la France : qui pourrait dire qu’il s’agit d’un détail ? C’est une culture rayonnante. Il n’y a qu’à observer le foisonnement de l’œuvre d’un certain Frédéric Mistral, qui fut d’ailleurs couronnée par le prix Nobel de littérature en 1904, pour s’en convaincre.
La défense et la promotion des langues régionales sont, à mon sens, une obligation internationale de la France. En effet, notre pays prône, sur la scène internationale, la nécessité de défendre la diversité culturelle dans le monde, la fameuse « exception culturelle ». Cependant, il ne suffit pas de promouvoir la diversité culturelle dans le monde si, à côté de cela, on étouffe ses langues historiques et autochtones sur son propre sol. Ainsi, à l’image de ce qui a pu être fait en matière de biodiversité, il faut mettre en œuvre les politiques nécessaires à la sauvegarde de l’esprit et de la culture dans toute leur diversité.
La France a réussi à faire admettre à l’échelon mondial qu’il fallait défendre la diversité culturelle : c’est une belle victoire mais, de ce fait même, elle devient comptable, devant la communauté internationale, de la part de cette diversité culturelle dont elle a la responsabilité, en tout cas pour ce qui se passe sur son sol et dans son espace juridique. Nos langues et cultures sont en effet un patrimoine de l’humanité dont la France a la responsabilité, tout comme elle est comptable de la conservation du château de Versailles ou du Mont-Saint-Michel, qui ne sont pas seulement des éléments du patrimoine français.
En outre, nos langues devraient normalement avoir les moyens de leur vie et de leur avenir. L’État, ainsi que les collectivités locales, doivent s’impliquer davantage dans la défense de la diversité linguistique.
Cependant, il existe de nombreux blocages juridiques, qui ne permettent pas d’attribuer un véritable statut aux langues régionales, nuisant ainsi à leur promotion et à leur diffusion. Ces langues sont souvent moins bien traitées que les langues étrangères, en particulier dans l’enseignement.
Or, contrairement à ce qu’en disent certains de ses détracteurs, l’apprentissage des langues régionales ne se fait pas au détriment de celui des langues étrangères : ce n’est pas une soustraction, c’est une multiplication. Toutes les études de psychopédagogie l’ont démontré : l’apprentissage d’une langue régionale ouvre tout aussi bien que l’étude d’une langue étrangère à la gymnastique mentale qui conduit au plurilinguisme. De même, dans l’enseignement, il nous faut éveiller les enfants aux langues régionales dès la maternelle et le primaire, au-delà de ce qui se fait déjà dans les calendretas. Je tiens d’ailleurs à saluer ici leur rôle dans la promotion et la diffusion de la langue occitane.
C’est pourquoi, afin de relever ce grand défi, j’en appelle à la création d’un véritable statut pour les langues historiques de France. Il est nécessaire de reconnaître les langues qui constituent l’identité de la France et de les distinguer de l’ensemble des langues du monde, qui toutes peuvent être, ou ont été, langues de l’immigration.
L’absence de statut juridique pour ces langues n’est pas sans conséquences concrètes, comme nous venons de le voir pour l’enseignement. Elle justifie encore des blocages. Ainsi, récemment, un recteur d’académie pourtant bien disposé à l’égard des langues régionales justifiait l’interdit de l’immersion au motif que si elle était accordée, il faudrait aussi l’accepter pour le chinois, l’arabe, le turc… Il faut pourtant souligner que si le destin du chinois, de l’anglais, de l’arabe ou du turc ne se joue pas en France, il n’en va pas de même de celui de l’occitan et des autres langues régionales !
Un grand nombre de blocages faisant obstacle à la promotion des langues régionales sont directement issus de la rédaction de l’article 2 de notre Constitution. Depuis sa modification de 1992, il est inscrit dans le marbre que « la langue de la République est le français ». Que l’on me comprenne bien : il ne s’agit en rien de contester, d’une quelconque manière, cette affirmation. La langue de la République est et doit rester le français, dans un souci d’unité territoriale de notre pays.
Cependant, ce qui est contestable, ce sont les seize années d’interprétation continûment très restrictive de cet article, de la part à la fois du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État : refus de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, interdiction de l’enseignement bilingue en immersion, etc. Leurs décisions, sans recours possible, sont la marque d’une rigidité anachronique à une époque où le pluralisme linguistique dans le monde a été reconnu comme une des sources majeures de la richesse des sociétés. Un nouveau texte est donc nécessaire.
Le défi, pour la République, n’est plus d’unifier un pays morcelé pour le fondre dans une destinée commune, comme c’était le cas il y a un siècle et demi, à une époque où les États-nations achevaient leur construction en Europe. Non, le défi aujourd’hui est de promouvoir la diversité, sous toutes ses formes, afin que chacun puisse retrouver, dans le socle commun de la nation française, les racines de son identité.
On ne fédère pas en méprisant, on unit au contraire en associant, en assemblant. À un moment où l’idée même de nation semble remise en question, où l’identité française est en débat, gageons, mes chers collègues, que le respect de l’identité de chacun contribuera au renouveau de notre grande nation.