Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 13 mai 2008 à 16h00
Langues régionales ou minoritaires — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant de vous faire part de la position des Verts sur la question des langues régionales, je souhaite remercier M. Alfonsi de son initiative. Son engagement pour la promotion et la préservation des langues régionales lui fait honneur.

Les langues régionales, dites minoritaires, voire minorisées, constituent un élément fondamental du patrimoine culturel français. Plus de 10 % de nos compatriotes pratiquent l’une des soixante-quinze langues régionales qui existent à côté du français.

Ces « langues régionales de France », ainsi que les qualifient les lois du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française et du 1er août 2000 relative à la liberté de communication, sont enseignées dans nos écoles et font l’objet d’une attention évidente de la part des collectivités territoriales, dont nous sommes ici les représentants.

Qui n’a jamais eu le plaisir de voir des doubles signalisations à l’entrée des villes, qui font coexister la langue régionale du territoire avec le français ?

Il existe une demande sociale forte de préservation de ces langues. Comme pour tout patrimoine historique, leur disparition doit nous préoccuper, au même titre que la déshérence constatée de nombreuses traditions locales.

Là est le débat : comment préserver ces langues régionales vouées à s’éteindre ? Comment permettre une transmission de qualité de ces langues et garantir à leurs locuteurs la liberté d’en user dans des sphères autres que celle de la vie privée ?

Bien évidemment, il y a l’école. Ainsi, 404 000 élèves ont suivi un enseignement en langue régionale en 2005.

Il y a également les médias. Certains programmes diffusés par le service public de l’audiovisuel sont exclusivement en langue régionale.

Il y a donc une pratique, qu’il s’agit aujourd’hui de reconnaître de manière solennelle. La révision prochaine de la Constitution nous en offre l’occasion.

À cet égard, permettez-moi de vous faire part de notre position sur la question des langues régionales, s’agissant notamment de leur reconnaissance constitutionnelle.

Au préalable, je souhaite rappeler que les langues régionales n’ont jamais eu pour vocation de se substituer au français. Personne ne le conteste, le français est la langue officielle de la République. C’est même tellement évident qu’il a fallu attendre 1992 pour qu’une telle précision soit inscrite dans la Constitution. La raison en est simple : la révision constitutionnelle intervenue à cette époque visait non pas les langues régionales, mais bien les langues étrangères, notamment l’anglais, qui prenait parfois le pas sur le français.

Deux ans plus tard d’ailleurs, et ce n’est pas anodin, la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dite « loi Toubon », est venue renforcer ce que vous avez qualifié de « processus d’unification » de la langue française lors de votre intervention devant l’Assemblée nationale, madame la ministre.

Parler de processus d’unification de la langue en 1992 n’a plus aucun sens ! Quoi qu’il en soit, cette reconnaissance officielle a eu pour conséquence un dommage collatéral : la minorisation des langues régionales.

Partout où elles existaient avant cette modification de la Constitution, elles ont survécu. Elles transcendent la notion d’unité et d’indivisibilité du territoire en ce qu’elles prennent racine dans l’histoire la plus profonde de notre pays.

Malheureusement, ces langues ont souvent été diabolisées. Nombre d’entre vous, mes chers collègues, leur prêtent le rôle de cheval de Troie dans la destruction de l’identité nationale et de l’unité de la République.

En 1999, la gauche s’était engagée à accorder à ces langues la place qu’elles méritent dans notre ordre juridique et social en signant la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, étape fondamentale qui devait aboutir à la ratification de ce texte par notre pays.

Or aujourd’hui, nous nous retrouvons enfermés dans un piège abscons : nous nous sommes engagés à ratifier la charte, mais le Conseil constitutionnel a déclaré certaines de ses clauses contraires à la Constitution.

Pour autant, faut-il baisser les bras et renoncer à une telle ratification pour cause d’incompatibilité de la charte avec la Constitution ? Cette charte constitue pourtant le cadre juridique idoine pour permettre aux langues régionales de perdurer, de se développer et de prospérer, et ce dans le respect le plus total des principes fondateurs de notre République.

Plusieurs des dispositions de ce texte sont déjà appliquées, mais il faut aller plus loin aujourd'hui.

En ratifiant la charte, la France se conformerait aux conventions de l’UNESCO du 17 octobre 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et du 20 octobre 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Ces conventions, dont notre pays a été à l’initiative, font obligation aux États de défendre la diversité culturelle et linguistique sur leur territoire.

La ratification de la charte s’inscrit également dans la logique du traité de Lisbonne, dont l’un des articles dispose que l’Union « respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen ». Elle serait d’autant plus opportune que l’Allemagne, l’Autriche, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Espagne et la Finlande y ont déjà procédé. Cela constituerait indiscutablement un signe fort en faveur de la promotion de la diversité et de la richesse culturelles de notre pays.

Pourtant la majorité, ainsi que certains membres de l’opposition, refusent cette ratification. Permettez-moi, à cet instant, de lever l’ambiguïté sur l’impossibilité de ratifier la Charte en raison de son incompatibilité avec la Constitution.

Dans sa décision du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel a seulement soulevé des réserves d’incompatibilité entre la Constitution et plusieurs articles de la charte, en en précisant le champ. Ce sont donc seulement quelques dispositions, et non la charte dans son intégralité, qui sont inconstitutionnelles.

D’ordinaire, lorsque le Conseil constitutionnel déclare qu’un traité est incompatible avec la Constitution, il indique systématiquement que cette dernière doit être révisée. Or la nécessité de réviser la Constitution n’est nullement mentionnée dans la décision du 15 juin 1999 : en effet, réviser la Constitution pour la rendre compatible avec la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires porterait atteinte aux principes d’unité et d’indivisibilité de la République, qui ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle.

Ce piège dans lequel la signature de la charte nous a enfermés, nous pouvons pourtant en sortir d’une manière très simple.

En effet, dans sa décision du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel précise clairement quelles dispositions de la charte sont contraires à la Constitution.

Il suffit donc, dans le cadre d’un projet de révision constitutionnelle, de préciser que la France peut ratifier la charte dans le respect de l’article 2 de la Constitution et des réserves soulevées par le Conseil constitutionnel.

L’obstacle juridique serait alors levé, et la charte pourrait être ratifiée. De cette ratification découlerait la reconnaissance encadrée des langues régionales ou minoritaires, dans le respect de la Constitution et de la forme républicaine de notre régime.

Enfin, je souhaite répondre à un argument qui est souvent avancé par les opposants à la ratification, à savoir le risque d’une dérive communautariste.

Pourquoi la reconnaissance encadrée des langues régionales engendrerait-elle du communautarisme ? D’ailleurs, derrière la notion de « communautarisme », je crois déceler la peur de reconnaître les langues des minorités, peut-être celles des migrants : d’aucuns ont évoqué l’arabe ou le chinois. Pourtant, ces langues sont exclues du champ d’application de la charte. Une telle crainte ne se justifie donc pas.

Depuis des générations, des familles et des professeurs transmettent les langues régionales, dont les locuteurs n’en parlent pas moins le français pour autant. Il s’agit d’organiser la coexistence du français avec les langues minoritaires et régionales, et non de substituer celles-ci à celui-là.

Les langues régionales sont source d’enracinement et de cohésion sociale. Elles sont les portes qui permettent d’accéder à d’autres cultures et de les comprendre. Elles ne menacent nullement l’unité de la République, celle-ci étant au contraire préservée dans sa diversité. L’identité française est également constituée de ces différences et de ces enrichissements linguistiques. Le nier reviendrait à nier une partie de notre histoire, de nos régions et de notre patrimoine local. Reconnaître la diversité culturelle, plutôt que de la nier, nous paraît aujourd’hui le plus sûr moyen de préserver l’identité républicaine et de l’enrichir. Seule la reconnaissance du multiple peut garantir notre unité et favoriser l’égalité. Si nous voulons être tous égaux, commençons par admettre que nous sommes tous différents.

La reconnaissance des langues régionales n’est pas un objectif à atteindre ; il s’agit d’une réalité que nous devons renforcer, d’une pratique que nous devons reconnaître juridiquement, en l’inscrivant dans la Constitution.

Pour conclure, permettez-moi de citer un proverbe breton : « ar pobl a koll e yezh a koll e spered », ce qui signifie : « un peuple qui perd sa langue perd son âme ».

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