Intervention de Jean-Paul Alduy

Réunion du 13 mai 2008 à 16h00
Langues régionales ou minoritaires — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jean-Paul AlduyJean-Paul Alduy :

Madame le président, madame le ministre, mes chers collègues, je ne m’adresserai pas à vous en catalan, même si je pourrais m’exprimer dans cette langue, qui se classe aujourd'hui au huitième rang européen, avec 10 millions de locuteurs.

Certes, l’école de la République m’en avait interdit l’accès. Dans ma jeunesse, on écrivait sur les murs des préaux des écoles : « Soyez propres : parlez français ! »

Depuis, j’ai appris cette langue et mené une politique active de reconquête de la culture et de l’identité de Perpignan la Catalane, en me fondant d’ailleurs sur certaines lois qui ont ouvert la voie, sans aller plus loin.

Soc capaç de parlar català ! Cependant je ne m’adresserai pas à vous en catalan, parce que je veux être compris de toutes et de tous, parce que je veux respecter notre unité, forte de nos diversités, parce que je suis pour la catalinité qui enrichit, et non pour le catalanisme qui dresse des frontières et réduit notre espace économique, social et culturel.

Notre débat d’aujourd’hui doit être abordé en termes sereins. Il ne doit être ni folklorisé ni caricaturé.

Tout d’abord, le fait de n’avoir pas considéré la protection de la langue et de la culture d’origine comme un droit fondamental dès la naissance de notre République, c’est-à-dire dès la proclamation des droits de l’homme et du citoyen, a été, même si cela s’explique par la préoccupation de fonder un État moderne et homogène, une erreur historique que n’ont pas commise d’autres pays européens.

En effet, et cela a été souligné, à l’heure où l’on défend la biodiversité comme une valeur cardinale, garante du respect des différences, une telle exception apparaît comme une crispation idéologique sans véritable fondement logique.

En quoi l’existence d’une langue nationale serait-elle contradictoire avec la défense de la diversité culturelle de notre patrimoine, que l’ensemble des langues régionales constituent ? En quoi ces dernières et leur inscription dans un statut juridique clair menaceraient-elles les fondements et les principes de l’État français ?

Les langues régionales ont une tradition, une syntaxe, une longue histoire. Lorsqu’on n’évolue pas dans une communauté où ces langues sont parlées, lorsqu’on ne les pratique pas, on a l’impression qu’il s’agit de survivances. Or elles sont au contraire au cœur de notre identité individuelle et collective.

Comme nous le savons tous, l’article 2 de la Constitution n’a été modifié qu’en 1991 : encore l’a-t-il été pour faire barrage à la généralisation de l’anglais, langue commerciale par excellence, en passe de devenir l’unique langue d’échanges, au détriment de la francophonie.

Précisément, la francophonie inclut toutes les langues de France, à savoir aussi les langues régionales. Au passage, notons que la modification de cet article n’a eu aucun effet sur l’extension de la langue de Shakespeare…

Permettez-moi de parler de Perpignan, ville duelle, plurielle, française et catalane. Cette claudication entre plusieurs identités, cette capacité naturelle à appréhender au moins deux langues nous donnent un rôle naturel de plate-forme entre le monde ibérique – et, au-delà, le Maghreb – et l’Europe du Nord.

Loin d’être un signe de repli identitaire, notre langue naturelle est ainsi devenue le gage d’une inscription dans l’Europe de demain et dans l’Euro-Méditerranée, ainsi que le ciment d’un espace transfrontalier en voie d’émergence qui unit les villes de Gérone, de Figueras, de Perpignan et de Narbonne. Toute la communication de Perpignan est bilingue, sans que cela pose le moindre problème aux habitants, quelles que soient leurs origines.

En tant que maire de Perpignan, en tant que vice-président du Haut Conseil national des langues régionales de France, je pense qu’il est temps de donner à nos langues le statut auquel elles ont droit : un droit de cité aux côtés de la langue de la République, sans se substituer à elle, bien entendu, mais dans tous les actes et sphères de la vie publique.

Cela suppose l’existence parallèle d’un enseignement structuré : chacun sait aujourd’hui combien le bilinguisme favorise et l’agilité intellectuelle et l’apprentissage d’autres langues. Ainsi le respect du passé peut-il, une fois encore, devenir le gage d’une inscription résolue dans la modernité.

La loi doit imposer non seulement le respect de ces langues, mais aussi leur défense : le respect ne suffit plus. Nous avons besoin de fonder une politique positive, et c’était l’engagement du Président de la République. Il s’agit de défendre un droit, celui de pratiquer les langues qui nous ont faits ce que nous sommes. Parler catalan, basque, alsacien, occitan, wallon, breton ou créole, ce n’est pas ringard, c’est décliner une identité multiple, une interculturalité qui sera, demain, le socle de nos sociétés.

Les langues régionales ne représentent pas la France d’hier ; ce sont les racines de la France de demain, celle qui résistera à la banalisation culturelle de la mondialisation !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion