Intervention de Odette Herviaux

Réunion du 13 mai 2008 à 16h00
Langues régionales ou minoritaires — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Odette HerviauxOdette Herviaux :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite à mon tour remercier M. Alfonsi d’avoir été à l’initiative de ce débat sur la question des langues régionales, débat qui s’est également tenu la semaine dernière à l’Assemblée nationale et qui aurait pu être une étape importante et attendue dans un processus permettant à notre pays de se mettre en adéquation avec ce qu’il préconise très souvent à l’échelon international.

Pourtant, il me semble que la France a bien signé en 2006 deux conventions de l’UNESCO : la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de 2003, qui stipule en son article 2 que ce patrimoine se manifeste notamment dans « les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel », et la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005, qui rappelle dans ses considérants que « la diversité linguistique est un élément fondamental de la diversité culturelle » et dans ses objectifs, à l’article 1er, qu’il convient « de promouvoir le respect de la diversité des expressions culturelles et la prise de conscience de sa valeur aux niveaux local, national et international ».

En revanche, dans le cadre du Conseil de l’Europe et de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, il semble que l’on ne veuille toujours pas s’engager davantage. Il en a été beaucoup question aujourd’hui.

Pourtant – et nous en avons la preuve dans de nombreuses régions à forte identité comme la mienne, la Bretagne –, la reconnaissance et la promotion des langues régionales représentent non seulement un atout culturel et social considérable, mais aussi une véritable chance de développement économique.

Cependant, comme l’ont souligné plusieurs intervenants, de nombreuses langues minoritaires régionales sont aujourd’hui en péril. Nous constatons malheureusement une baisse parfois considérable du nombre de locuteurs de ces langues.

Depuis la signature de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, le 7 mai 1999, la situation n’a pas évolué. De surcroît, dans certains cas, des blocages administratifs n’ont pas permis le développement de ces langues : non-ouverture de classes dans l’enseignement public, articulation entre l’école élémentaire et le collège non organisée, crédits spécifiques en baisse…

Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la reconnaissance officielle de notre diversité culturelle et linguistique. Cette question est traitée à l’échelle de l’Europe de manière régulière depuis une quinzaine d’années, et les avancées vers la reconnaissance de la pluralité culturelle au sein des États européens sont avant tout vécues comme des avancées démocratiques, malgré ce que certains ont pu dire à cette tribune.

Alors qu’elle s’apprête à prendre la présidence de l’Union, la France ne peut faire figure de mauvaise élève s’agissant de cet enjeu politique, culturel et citoyen majeur.

Avec mes collègues des départements du Finistère et des Côtes-d’Armor – le département que je représente pour ma part, le Morbihan, est d'ailleurs le seul à ne pas porter un nom français, puisqu’il signifie « la petite mer » en breton –, nous pensons qu’il importe que des garanties puissent être apportées par l’État, d’une manière ou d’une autre. C’est la raison pour laquelle, depuis six ans, à l’occasion de chacune des modifications constitutionnelles, nous avons proposé que la France s’engage dans cette voie.

C’est dans cette optique que nous avions déposé un amendement lors du débat sur la révision constitutionnelle qui s’est tenu en janvier dernier. La référence que nous devons avoir à l’esprit, c’est la signature par la France, en mai 1999, des articles de cette charte déclarés conformes à la Constitution, comme le gouvernement de M. Jospin l’avait à l’époque proposé.

À chaque fois, on nous a répondu que ce n’était pas le moment, que l’on ne pouvait pas inscrire cette disposition dans le texte, mais que le Gouvernement allait prendre des initiatives. Nous attendons toujours, et je forme le vœu que ce débat ne constitue pas un énième épisode de cet attentisme poli.

Si nous voulons consolider les dispositifs éducatifs de transmission et donner un signe de la détermination de la puissance publique à agir en ce sens, la signature de certains articles de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires peut se révéler particulièrement probante et incitative.

Il ne s’agit pas d’une remise en cause de notre langue nationale, cela va de soi, et nous avons été très nombreux à le dire ici. Lors de la défense de notre amendement, nous avions d’ailleurs souhaité que soit réaffirmé notre attachement à l’unité de la République et à la suprématie du français, garant de la cohésion nationale.

Cependant, reconnaissons-le, ce n’est pas le développement des classes bilingues ou même en immersion dans l’école de la République qui mettra notre langue commune en danger, mais plus certainement le manque de volonté de la défendre là où elle est réellement en péril, comme dans les publications scientifiques ou industrielles nationales, au sein des institutions européennes parfois, ou le manque de moyens efficaces pour défendre la francophonie partout où cela est possible.

À notre sens, la reconnaissance des héritages culturels et linguistiques de nos régions doit s’accompagner de la réfutation de toute forme de communautarisme. Cette reconnaissance a vocation à constituer au contraire un véritable rempart contre toute dérive de cette sorte. Elle intervient, en effet, comme un remède à l’humiliation qui est encore parfois très fortement ressentie par certains et qui pourrait favoriser un repli communautaire contre lequel nous voulons lutter.

La pratique de plusieurs langues, la maîtrise de plusieurs cultures, la valorisation d’un ancrage local sont autant de facteurs reconnus pour favoriser l’épanouissement personnel, l’ouverture au monde, l’acquisition d’autres langues, et donc une intégration plus réussie dans le monde globalisé qui est le nôtre.

Nous connaissons tous la décision du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999 à propos de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires : celui-ci n’a déclaré contraires à la Constitution qu’une partie du préambule de la charte, l’article 1 a partie 5, l’article 1 b et l’article 7, paragraphes 1 et 4. Le Conseil constitutionnel a en outre déclaré que les autres dispositions se bornaient à reconnaître des pratiques déjà mises en œuvre par la France en faveur des langues régionales.

Il n’y a donc apparemment aucun inconvénient à ratifier cette charte, et il n’y aurait nul besoin de modifier la Constitution pour cela, dès lors que l’on ne ratifierait pas celles des dispositions qui ont été déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Dans cet esprit, il serait peut-être intéressant de mettre en place un groupe de travail commun à la commission des lois et à la commission des affaires culturelles pour préciser quelles sont les dispositions de la charte applicables et quelles pourraient être les modalités de leur mise en œuvre.

Pour en revenir à la question de la sauvegarde des langues régionales, les régions concernées sont souvent déjà très offensives. À son niveau, dans la limite de ses compétences et de son budget, le conseil régional de Bretagne a voté à l’unanimité, en décembre 2004, la mise en œuvre d’un plan de politique linguistique, afin de soutenir les filières d’enseignement, les formations pour adultes, le développement des usages des langues régionales dans les médias, l’édition et l’expression culturelle. Mais il y a urgence : les régions se trouvent aujourd’hui confrontées aux limites de leurs moyens et de leurs compétences en la matière.

Cette année, nous fêtons les trente ans de la Charte culturelle qui avait été présentée par M. Valéry Giscard d’Estaing, alors Président de la République, en Bretagne. Alors même que l’UNESCO annonce une année internationale des langues, il semble plus que jamais opportun de franchir un nouveau cap et de donner un nouvel élan au bilinguisme dans les régions françaises.

À ce sujet, madame la ministre, permettez-moi une suggestion : la suppression de la publicité à la télévision publique étant envisagée, pourquoi ne pas attribuer, lorsque cela est possible, les créneaux ainsi libérés aux langues régionales ?

Dans un courrier adressé mardi dernier au Premier ministre, le président du conseil régional de Bretagne a demandé l’introduction d’un droit à l’expérimentation dans la Constitution, afin de développer et de mettre en œuvre une véritable politique linguistique en adéquation avec les attentes des citoyens.

S’agissant de cet enjeu de la sauvegarde et de la transmission des langues régionales, le Sénat, représentant des collectivités territoriales, devrait adopter avec force des positions claires, réalistes et ambitieuses, comme beaucoup d’entre nous l’ont fait cet après-midi : ratification des dispositions de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires compatibles avec la Constitution ou, le cas échéant, soutien à la régionalisation au travers de la mise en place d’un droit à l’expérimentation en matière de politique linguistique publique, et ce d’une manière sereine et positive.

C’est la condition pour redonner du contenu et du sens à une démocratie de proximité, certes enracinée dans une histoire bien particulière à laquelle nous tenons, mais ouverte sur le monde et porteuse d’une diversité culturelle reconnue et valorisée.

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