Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, évoquer, au lendemain de sa mort, la mémoire d’Aimé Césaire, me semble de circonstance dans un débat sur les langues régionales ou minoritaires, parce que s’il y a un mot qu’il a affirmé avec une foi laïque et citoyenne, c’est bien le mot : « identité » !
C’est ce mot-là qui doit être au cœur de notre réflexion ; c’est ce mot-là qui nous impose de faire preuve d’ouverture d’esprit, de responsabilité et de courage à une époque où les cultures sont prises entre la déferlante de la mondialisation et la volonté de perdurer, de s’affirmer et de rayonner.
C’est en vertu du respect légitime des identités qu’une grande nation comme la France ne peut répondre ni par la surdité législative, ni par la contorsion politique, ni par la cécité culturelle à la demande de ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
En effet, de la Guadeloupe à la Martinique, de la Martinique à la Guyane, de la Guyane à la Réunion, de la Réunion à la Nouvelle-Calédonie, sans oublier les Comores, Wallis et Futuna, Tahiti, des langues chantent, pleurent, rient pour exprimer les héritages, les filiations, les domiciliations, les inflexions qui singularisent, ici ou là, la condition humaine.
Dans l’Hexagone même, le succès extraordinaire du film Bienvenue chez les Ch’tis confirme, si besoin était, la conscience des langues régionales et des langages du terroir.
Disant cela, je ne fais l’éloge d’aucun passéisme ni d’aucun folklorisme. C’est au présent et, surtout, à l’avenir que je pense. En effet, les langues minoritaires, loin d’être des langues résiduelles ou bâtardes, sont des langues à part entière. Elles méritent, à ce titre, le respect de tous et, mieux encore, le respect de la nation.
En effet, non seulement la France ne va pas disparaître parce qu’elle aura consacré, soutenu, développé le principe d’un pluralisme linguistique, mais elle s’enrichira, au contraire, d’une diversité résolument moderne. Elle permettra à ses différentes composantes de valoriser des pans de cultures, des parts d’humanité, des éclats d’imaginaires. C’est dans ce terreau-là que surgira, avec vigueur, l’identité d’une France résolument plurielle et fortement unie. Vous le savez mieux que moi, mes chers collègues, l’unité n’est pas l’uniformité !
L’enjeu de la question des langues régionales est de donner des fondements juridiques au multilinguisme français.
Je ne saurais, dans ce débat, occulter la question du créole. Si de notables avancées visent à faire oublier le mépris d’hier, on ne peut, pour le moment, crier victoire. Le créole, toujours chichement enseigné, encore englué dans des suspicions « coloniales », y compris de la part des parents d’élèves, demeure mal soutenu, alors même que les expériences menées établissent que l’enseignement du créole ne nuit en rien à celui du français.
Plutôt que de nous enfermer dans une dichotomie opposant langue nationale et langue régionale, il faudrait, au contraire, favoriser l’une et l’autre dans le cadre d’une politique linguistique généreuse, cohérente et humaniste. Astérix vient d’être édité en créole : c’est une fierté pour les créolophones, et c’est également un cadeau que le créole fait à tous les francophones ! C’est le refus de l’ouverture qui engendre les communautarismes, les frustrations et parfois les blessures. Aucune langue n’est petite pour ceux qui l’habitent !
Aussi, je formule le vœu que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires soit ratifiée, sous peine de rétrécir linguistiquement une France qui mérite mieux que des refus obstinés et des aveuglements culturels. Les langues aussi ont besoin de liberté, d’égalité et de fraternité.