Intervention de Daniel Reiner

Réunion du 26 janvier 2005 à 15h00
Avenir du fret ferroviaire — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner :

Certains clients dénoncent des augmentations de tarifs de 25 %, des clauses permettant, en outre, à la SNCF de poursuivre les hausses dans les années à venir. Comment ne pas considérer que la SNCF les pousse à emprunter la route ?

Par ailleurs, un itinéraire dédié Longwy-Toul a été mis en service le 12 décembre dernier. Destiné au délestage du sillon mosellan, il a été largement financé par les collectivités locales, puisqu'il s'agissait de 500 millions ou 600 millions de francs Mais je commence à me demander sérieusement si des trains vont un jour l'emprunter ! Il devait voir passer cinquante trains supplémentaires par jour, mais ces prévisions ont été largement revues à la baisse.

En conséquence, environ 400 emplois de cheminots devraient être supprimés dans la région cette année, à Woippy, Metz-Sablon ou encore à Blainville-Damelevières. Et les fermetures pourraient s'accélérer par un effet de dominos, puisque la perte d'un client sur un secteur a pour conséquence que les frais fixes de l'activité fret sont reportés sur les autres clients de ce secteur, ce qui augmente encore les tarifs jusqu'à décourager totalement ces mêmes clients.

Je pourrais multiplier à l'envi les exemples qui indiquent une atrophie du réseau fret national et un abandon de la fonction d'aménagement du territoire par la SNCF.

Ainsi, en Dordogne, les papeteries de Condat, face à une hausse de 40 % des tarifs SNCF, ont choisi la route : quarante-cinq camions supplémentaires emprunteront chaque jour la RN 89, déjà surchargée, alors même que les collectivités locales avaient financé pour 2, 6 millions d'euros un embranchement ferroviaire !

De fortes inquiétudes pèsent également sur l'importante plate-forme de chargement bois du Buisson-de-Cadouin en Périgord Noir.

De plus, sur seize « gares bois » en Limousin, la SNCF n'en conserverait que six. Or, on connaît la topographie de cette région et ses routes.

La SNCF renonce même parfois au rail, comme pour son propre site national de fabrique de traverses en bois, à Bretenoux-Biars dans le Lot, dont une partie de la production va être transportée par camions. Quel symbole !

La mise en place de ce plan se traduit par la perte irréversible de multiples clients qui « lanceront » des milliers de tonnes de marchandises sur les routes. Jusqu'à ce qu'on me prouve le contraire, je ne pense pas que ce plan se traduise d'ici à 2006 par une augmentation ou même par un simple maintien des volumes transportés ; les effets obtenus vont donc exactement à l'inverse des effets recherchés en matière de développement durable. Chaque fois qu'un train cesse de rouler, des dizaines de camions sont « jetés » sur les routes.

S'achemine-t-on vers un scénario qui verrait le transport de marchandises se résumer à un réseau fret squelettique, uniquement constitué de quelques grands axes internationaux, et abandonnant toutes les dessertes terminales et l'irrigation du territoire aux camions ? J'espère, monsieur le ministre, que vous allez nous apporter une réponse à cette question.

Plaçons-nous dans la perspective européenne.

Pour envisager la relance d'un transport des marchandises par voie ferrée, nous devons avoir à l'esprit que cet objectif ne peut s'inscrire avec succès que dans un contexte européen. C'est l'échelle pertinente qui avait été envisagée par le précédent gouvernement, même si de multiples obstacles techniques subsistent.

Ainsi, la SNCF réalise déjà la moitié de son chiffre d'affaires « fret » à l'étranger et les années à venir seront marquées par de grandes alliances et une recomposition du paysage. Des mouvements sont déjà en cours comme, par exemple, le rachat par les chemins de fer polonais de la filiale de fret du groupe minier allemand RAG.

De plus, les calendriers d'ouverture à la concurrence s'accélèrent, sous la pression d'une Europe majoritairement libérale. Après de longues tractations, la Commission et le Parlement européen étaient tombés d'accord, le 17 mars dernier, pour fixer l'ouverture du fret ferroviaire national au 1er janvier 2007... ou au 1er janvier 2006 : il semblerait que ce dernier point soit encore en discussion.

Pour notre part, nous aurions préféré que l'on conforte le réseau transeuropéen de fret ferroviaire, le RTEFF, pour une meilleure interopérabilité avant d'envisager une telle ouverture : c'est mettre la charrue devant les boeufs.

Le Gouvernement a délivré, au cours de l'année dernière, plusieurs licences d'opérateurs ferroviaires et des certificats de sécurité permettant d'emprunter le réseau : quatre entreprises sont déjà sur les rangs. Elles devraient donc commencer à opérer cette année et chercheront, bien entendu, à s'emparer des trafics les plus rentables.

Dans ce nouveau contexte, quels sont selon vous, monsieur le ministre, les grands acteurs qui vont structurer le fret ferroviaire européen ? Notre entreprise nationale en fera-t-elle encore partie ?

En effet, pour pouvoir affronter cette concurrence, Fret SNCF doit recevoir l'accord de Bruxelles sur le plan de recapitalisation proposé par l'Etat, dont le montant total s'élève à 1, 5 milliard d'euros.

Selon le Gouvernement, ce dossier serait en passe d'aboutir, peut-être même dans quelques jours. Mais nous nous interrogeons sur les contreparties demandées, notamment sur la séparation totale des bilans « fret » et « passagers » de la SNCF et sur la nomination à la tête du fret d'un directeur autonome. Faut-il voir dans cette séparation comptable et organisationnelle un prélude à une forme de filialisation ?

Ce genre de démarche ouvre le champ de tous les possibles : une filiale, on peut y faire entrer d'autres actionnaires ; on peut aussi s'en séparer. Quelle est la position du Gouvernement sur ce sujet ? Pour notre part, nous nous opposerons résolument à tout démantèlement de la SNCF par branches successives.

J'ai récemment pu lire dans la presse économique que Bruxelles souhaitait que la SNCF abandonne son statut d'EPIC, établissement public à caractère industriel et commercial, sur le modèle d'EDF et de GDF. Confirmez-vous cette demande, monsieur le ministre, et quel est votre sentiment sur ce sujet ?

Comment réussir une relance du fret ferroviaire français ?

Le développement de la concurrence n'est pas la seule condition de la relance du fret. Il me semble que notre réflexion doit s'orienter dans trois directions et je souhaite, monsieur le ministre, avoir votre avis sur ces propositions.

La première concerne les moyens de la recherche et du développement.

Il n'y a pas eu de révolution technologique dans le domaine du fret, contrairement à ce qui s'est passé pour le TGV ou le transport routier, au cours des trente dernières années. Aussi, la lutte avec le transport routier me semble-t-elle imposer un véritable effort de recherche et de développement Or, le « plan fret » ne prévoit aucun crédit à cet effet.

Cependant, des recherches semblent être menées en dehors de la SNCF : c'est le cas chez les wagonniers et les consultants industriels. A titre d'exemple, j'ai eu connaissance d'études portant sur un projet intermodal permettant de relier des utilisateurs directs, sans rupture de charge, par un système entièrement automatique de wagons autoportés sur des itinéraires dédiés.

La multiplication d'initiatives de cette sorte, si elles démontrent leur pertinence économique, pourrait redorer le blason du transport ferroviaire et le rendre plus compétitif. Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, que vous indiquiez au Sénat les actions que vous menez dans ce domaine.

La deuxième proposition concerne le transport combiné ; à cet égard, je serais tenté de parler de « scandale ».

Mes chers collègues, il me semble que ce gouvernement a décidé de « laisser tomber » - j'emploie cette expression volontairement - le transport combiné !

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