Séance en hémicycle du 26 janvier 2005 à 15h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • SNCF
  • ferroviaire
  • fret
  • fruit
  • gare
  • légume
  • marchandise
  • route
  • trafic

La séance

Source

La séance est ouverte à quinze heures cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

M. le président du Sénat a été saisi :

- par M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères, d'une demande tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information en Afghanistan pour apprécier la reconstruction politique du pays et rencontrer les forces militaires françaises déployées à Kaboul dans le cadre de la Force internationale d'assistance à la sécurité ;

- par M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, d'une demande tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information au Liban consacrée à l'examen de la mise en place d'un système d'assurance maladie dans ce pays.

Le Sénat sera appelé à statuer sur ces demandes dans les formes fixées par l'article 21 du règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Mes chers collègues, j'ai l'honneur et le plaisir de saluer la présence, dans notre tribune présidentielle, d'une délégation de dix sénateurs malgaches, conduite par le président du Sénat de la République de Madagascar, M. Guy Rajemison, président régional du Parlement panafricain pour l'Afrique de l'Est.

Cette délégation de haut niveau, qui comprend notamment six vice-présidents et deux questeurs, est en France pendant une semaine pour étudier la décentralisation et le développement local.

Pendant ce séjour, elle aura l'occasion de rencontrer divers sénateurs ou administrateurs, ainsi que d'autres interlocuteurs publics français, compétents dans les domaines qui les intéressent.

C'est l'occasion pour moi de saluer les représentants d'un pays ami, avec lequel nous entretenons des relations très étroites et très fraternelles, en particulier depuis ces dernières années.

Vous savez, monsieur le président, messieurs les vice-présidents, messieurs les questeurs, monsieur le sénateur, combien nos intérêts sont convergents, tant du point de vue régional que du point de vue de notre coopération bilatérale.

Je forme le voeu que votre séjour en France soit aussi fructueux qu'instructif. Je ne doute pas qu'il annonce d'autres échanges entre nos deux institutions, au service de nos deux peuples, que l'histoire et la culture ont toujours rapprochés.

Bienvenue chez nous !

M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.

Ordre du jour réservé.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 5 de M. Daniel Reiner à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer, relative à l'avenir du fret ferroviaire.

M. Daniel Reiner attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer sur la mise en oeuvre par la SNCF du « plan fret » 2006 et, plus largement, sur l'avenir du fret ferroviaire.

En déclin depuis plusieurs années, le fret SNCF n'a cessé de perdre des clients au bénéfice de la route ; il accuse des pertes consolidées de plus de un milliard d'euros. Pourtant, d'importants investissements ont été réalisés en sa faveur, dans le cadre des contrats de plan Etat - régions 2000-2006 avec l'aménagement d'itinéraires dédiés. Un « plan fret » 2006 a été mis en place par la SNCF, le 19 novembre 2003, avec pour seul objectif le retour à l'équilibre en trois ans et l'espoir de reconquête de parts de marché dès 2007. L'Etat a annoncé un soutien à ce plan de 800 millions d'euros.

Toutefois, il semble que ce plan suive une logique essentiellement comptable et se traduise sur le terrain par la fermeture de nombreuses gares, la suppression, depuis le 15 juin 2004, de près de 50 % des dessertes qualifiées de « non rentables », la perte de marchés qu'il sera pratiquement impossible de reconquérir, la suppression de 6 000 à 8 000 emplois de cheminots et une augmentation des tarifs forçant de nombreux clients à abandonner le rail pour la route. Les associations de chargeurs ont fait part de leur hostilité à ce plan, ainsi que de nombreux élus locaux, en raison des risques qui pèsent sur l'aménagement du territoire.

Engagée dans la mise en oeuvre du protocole de Kyoto, la France doit respecter ses engagements internationaux en faveur du développement durable et de la lutte contre les changements climatiques, bien que la loi de finances 2004 ait réduit les aides au transport combiné, augmenté les péages ferroviaires et diminué les aides au désendettement du secteur.

Aussi, à l'heure où ce débat s'inscrit plus que jamais dans un contexte européen, avec l'ouverture à la concurrence du fret international en 2006 et du fret national en 2007, il souhaite que le Gouvernement expose ses projets à court et moyen termes pour le maintien et surtout pour le développement d'un véritable service public de transport ferroviaire de marchandises.

La parole est à M. Daniel Reiner, auteur de la question.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord, je sais gré à la conférence des présidents d'avoir permis l'inscription de cette question à l'ordre du jour de nos travaux. En effet, elle me donne l'occasion d'attirer l'attention du Gouvernement et celle de nos collègues, à partir de la mise en oeuvre par la SNCF du « plan fret » 2004 - 2006, plus largement sur l'avenir du transport ferroviaire de marchandises.

S'il me fallait résumer ma question en quelques mots, je demanderais au Gouvernement - il peut arriver que ses actes s'éloignent de ses discours - s'il a toujours la volonté politique d'opérer un rééquilibrage modal - le met-il en oeuvre ? - et de développer des transports de marchandises alternatifs à la route.

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer

Ma réponse est : oui !

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

M. Daniel Reiner. Vous nous donnerez votre réponse tout à l'heure, monsieur le ministre !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Pour l'instant, les perspectives qui s'offrent au fret ferroviaire français nous incitent à en douter.

Quelles sont les données du problème ?

Nous le savons tous, les transports prennent une part considérable dans la dégradation de notre environnement quotidien : émission de gaz à effet de serre, bruit, répercussions sur la santé, insécurité routière, etc. C'est pourquoi la recherche d'un développement durable et respectueux de l'environnement doit constituer une clef essentielle de notre politique des transports.

Or nous savons que ces flux, tous modes confondus, vont continuer à croître de 50 %, dit-on, jusqu'en 2025. Certes, cette croissance est moins rapide qu'elle ne l'a été au cours des dernières années, mais les conditions de circulation sur les routes vont s'aggraver, en raison de la congestion croissante des contournements périurbains et de l'augmentation des situations de gêne entre poids lourds et véhicules légers.

Les déclarations du Gouvernement - auxquelles nous souscrivons -, y compris lors du récent débat budgétaire, sont toutes marquées du sceau du développement durable et rappellent nos engagements de Kyoto en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la lutte contre les changements climatiques.

Toutefois, sans véritable engagement politique, il sera impossible de rompre avec la logique libérale et financière des entreprises, pour lesquelles seuls comptent les coûts. La route gagnera toujours, surtout si l'on s'obstine à ne pas prendre en compte tous ses coûts, notamment sociaux ; certains s'inquiètent, par exemple, des risques de dumping social de la part de certains transporteurs routiers de nouveaux pays membres de l'Union européenne.

Quel est le résultat de ce développement du « tout routier » ?

Le fret ferroviaire de la SNCF connaît depuis plusieurs années des difficultés très sérieuses. Ainsi, sa part de marché a régulièrement baissé ; en trente ans, elle est passée de près de 50 % du volume des marchandises transportées à moins de 20 % aujourd'hui. Son chiffre d'affaires a subi une érosion moyenne de près de un pour cent par an au cours des quinze dernières années. Ces facteurs contribuent à dégrader fortement les résultats : depuis 2000, les pertes consolidées du fret s'élèvent à plus de un milliard d'euros. Le trafic a encore baissé de 2 % en volume cette année, pour atteindre 43, 3 milliards de tonnes/kilomètre.

Pourtant, d'importants investissements en sa faveur avaient été réalisés ou sont en cours de réalisation. Les collectivités locales y ont pris une grande part dans le cadre des contrats de plan Etat - régions 2000-2006, en décidant l'aménagement d'itinéraires dédiés.

Pour autant, le fret continuer de « plomber » les comptes de la SNCF, laquelle compense ces pertes par ses activités TGV et de transports publics de voyageurs - sauf le Corail -, ainsi que par la cession d'actifs. Cette compensation est de plus en plus difficile à opérer au sein de l'entreprise, comme l'a expliqué le président de la SNCF devant notre commission des affaires économiques, en raison notamment d'une directive européenne de 2001 qui prévoit la séparation de la comptabilité des activités de transport de voyageurs de celles du fret. Vous avez transposé cette directive par voie de décret, en mars 2003. Or c'est de cette séparation - parfois artificielle - des comptes que découlent à l'évidence les déficits - parfois artificiels, eux aussi, j'y reviendrai - du fret ainsi que les mesures de repli mises en oeuvre aujourd'hui en termes d'aménagement du territoire.

Faut-il ajouter que l'entreprise reste très endettée - plus de 8 milliards d'euros - et qu'elle a vu aussi ses charges alourdies de 60 millions d'euros par an, le Gouvernement ayant décidé une augmentation des redevances de péages dues à Réseau ferré de France, RFF, de 300 millions d'euros en cinq ans ?

Dans ce contexte, la SNCF, à votre demande, a élaboré et lancé en novembre 2003 le « plan fret » 2004 - 2006, qui a été présenté comme le plan de la dernière chance. Il a été confié à un nouveau directeur, avec lequel j'ai eu l'occasion de m'entretenir hier après-midi.

Le maître mot de ce plan est le suivant : recentrer l'activité de fret de la SNCF sur des flux massifs, directs, à distance moyenne ou longue, et prévisibles quantitativement. Il s'agit de gagner 10 milliards de tonnes/kilomètre d'ici à 2006, objectif de nouveau confirmé après un an d'exercice de ce plan.

Pour atteindre cet objectif, la SNCF cherche essentiellement à accroître sa productivité par l'amélioration du taux de rotation des wagons, la concentration du trafic sur quelques grands axes nationaux, le renouvellement du matériel et, surtout, l'abandon de trafics non rentables.

Le plan prévoit également une augmentation conséquente des tarifs.

Force est de constater que ce plan s'apparente plus à un exercice d'assainissement comptable ayant pour objectif réel l'équilibre financier en 2006 ; c'est une politique qui privilégie clairement la marge par rapport aux volumes. La SNCF table sur la conquête de nouveaux trafics après un retour à la rentabilité dès 2007.

Mais comment peut-elle espérer, après 2006, dans un environnement concurrentiel, une croissance de l'activité fret SNCF de 3 % par an - c'est ce qui est annoncé - après avoir fermé des gares, supprimé entre 6 000 et 8 000 postes de cheminots et définitivement convaincu certains de ses clients d'utiliser la route ?

L'Etat actionnaire joue ici un rôle majeur ; ayant approuvé le « plan fret », il prévoit de le soutenir directement à hauteur de 800 millions d'euros en trois ans, auxquels s'ajouteraient encore 700 millions d'euros apportés par la SNCF ; ces aides - nous en reparlerons - sont subordonnées à un accord de Bruxelles.

Pourtant, comment ne pas noter l'ambiguïté de la position de l'Etat, qui soutient le plan et, en même temps, accepte l'accroissement des péages qui pèsent sur l'entreprise, à la demande de RFF, rendant chaque année l'équilibre plus difficile à atteindre ?

Que faut-il penser des objectifs du « plan fret » ? Depuis plusieurs années, le Sénat enchaîne débats et rapports sur la politique des transports pour éclairer sa réflexion. Je pense tout particulièrement au rapport établi par nos collègues Hubert Haenel et François Gerbaud en février 2003, à la demande du Gouvernement, et que j'ai relu attentivement.

Je me suis aperçu, à la relecture de ce document, que la concentration du « plan fret » sur les clients « rentables » était dénoncée comme un scénario irrecevable.

Permettez-moi d'en citer quelques extraits.

Selon nos collègues, « La réduction du trafic fret à la seule part incompressible de marché est à éviter. Sans toucher au trafic combiné ni au secteur à peu près rentable des trains entiers, cette optique conduirait de fait à mettre sur la route près de la moitié du trafic diffus, soit l'équivalent de 1, 5 million de camions par an.

« Ce scénario » - écrivent-ils également, avec beaucoup de clairvoyance - « conduirait inexorablement à une récupération rapide des meilleurs trafics par les entreprises davantage prêtes à la concurrence sans que, nouveaux entrants ou non, ces mêmes entreprises prennent en charge les trafics ou les fonctions qui relèvent davantage du seul intérêt collectif. Il aurait pour conséquence que de nombreuses dessertes terminales seraient définitivement abandonnées.

« Il faut refuser, sous couvert d'assainir la situation du fret ferroviaire, de préconiser un scénario de repli sur les marchés les plus rentables. En effet, cette stratégie satisfaisante sur le papier qui prévoit un volume de trafic de 40 milliards de tonnes/kilomètre annuelles » - cette prévision est toujours d'actualité - « et la suppression de plusieurs milliers de postes pour le fret, est un scénario à haut risque. Personne n'est en mesure de dire s'il serait maîtrisable, s'il ne conduirait pas à un effritement bien plus important de l'activité et surtout quelles en seraient les répercussions sur les autres activités de l'entreprise, les moyens étant encore aujourd'hui fortement intégrés. »

Les conclusions de ce rapport sont toujours d'actualité.

De même, si ses auteurs évoquent la possibilité d'une filialisation, idée que nous ne partageons pas, ils remarquent que cette décision relève de l'Etat actionnaire et non de l'entreprise. Par ailleurs, ils notent la nécessité de recapitaliser fortement cette activité - entre 1, 5 et 2 milliards d'euros - tout en soulignant les difficultés qu'il y aurait à séparer des activités encore très intégrées.

Quelle lucidité !

A ma demande, la SNCF a bien voulu me communiquer quelques premiers éléments de bilan après une année d'application du plan

Certains éléments sont positifs.

En 2004, la ponctualité des acheminements s'est améliorée.

Le parc de locomotives utilisées a diminué sensiblement, au profit des unités les plus modernes.

La SNCF aurait gagné près de 3, 5 millions de tonnes de nouveaux trafics sur l'année - j'avoue être un peu sceptique -, ce qui serait supérieur aux objectifs initiaux.

Toutefois, en 2004, si 100 prestations de transports ont été arrêtées, 80 % des dessertes sont encore considérées comme déficitaires.

Les prix ont progressé en moyenne de 5 % au cours de l'année, certains ayant augmenté beaucoup plus.

S'inscrivant dans une perspective européenne, qu'il faut souligner, Fret SNCF se prépare à obtenir les certificats de sécurité pour entrer sur les réseaux étrangers.

Au total, après un an d'application, la SNCF se veut plutôt optimiste sur le déroulement de ce plan qu'elle déclare conforme aux objectifs initiaux. Toutefois, elle admet que son recentrage sur les trafics directs « aura forcément un impact sur l'organisation de l'exploitation, notamment sur la répartition territoriale des centres de production comme les triages de wagons ».

En outre, la SNCF ne chiffre pas les volumes perdus ou en instance de l'être en raison du relèvement des tarifs ou de l'abandon pur et simple de certains clients.

L'amélioration de la régularité et la réduction du nombre de trains « calés » - expression de spécialiste pour désigner les trains qui, à certains moments, ne circulent pas - sont le résultat de la suppression de nombreux trafics, ce qui libère des sillons, allège les triages, demande moins d'hommes et de matériels.

La concentration de l'activité semble focalisée sur quarante-cinq à soixante grands comptes ; le filtrage des dessertes non rentables a clairement marqué l'année 2004 et se poursuivra en 2005.

Depuis qu'il est en vigueur, le « plan fret » a suscité des réactions dubitatives, inquiètes, parfois même hostiles, des clients aux personnels.

L'association des usagers de transport de fret, l'AUTF, qui rassemble les chargeurs, a fait savoir que les augmentations largement imposées par Fret SNCF étaient souvent « sans réelle justification commerciale et surtout sans commune mesure avec les pratique anciennes ». La brutalité de ces augmentations est également contestée.

Certains secteurs ont témoigné de la situation catastrophique dans laquelle ils se trouvaient, tel le bois. Sur 200 « gares bois » en activité voilà deux ans, il n'en resterait plus qu'une quarantaine à la fin du plan. Ce n'est donc pas si simple.

Les principaux syndicats de la SNCF ont manifesté contre le plan le 13 mai 2004 et, plus récemment, le 18 janvier 2005. En effet, sur les 3 590 suppressions d'emplois prévues dans le budget pour 2005, 75 % concernent le fret au titre de l'amélioration de la productivité. Ces syndicats sont dans leur rôle.

Pour autant, nous attachons une grande importance au maintien d'un statut de qualité, garant de la compétence et de la sécurité de notre entreprise ferroviaire.

Les cheminots dénoncent tous l'abandon d'une politique de volume au bénéfice d'une politique de marge, la casse de l'outil de production, qui serait selon eux incapable en 2006 de reconquérir des parts de marché, les conséquences sociales, l'abandon de pans entiers du territoire et d'une politique de développement durable.

J'ai pu constater sur le terrain un certain sentiment de « déresponsabilisation » des cheminots face à une centralisation commerciale jugée excessive. C'est avec inquiétude et un sentiment d'impuissance qu'ils assistent au repli du fret. Par ailleurs, ils redoutent une filialisation de cette activité ; je reviendrai sur ce point.

Je souhaite m'attarder sur les conséquences de ce plan sur l'aménagement du territoire, domaine qui est de la responsabilité de l'Etat, et qu'il partage avec les collectivités locales.

Or, que ce soit dans le Nord, en Aquitaine ou en Lorraine, les collectivités ont injecté énormément d'argent dans des axes dédiés au fret, des embranchements ferroviaires de zones d'activité ou des installations de transport combiné. Mais sans une volonté claire et nette de l'Etat, ces efforts risquent d'avoir été réalisés en pure perte, et de nouveaux exemples viennent tous les jours étayer cette crainte.

Par exemple, en Lorraine, pourtant la première région de France pour le fret, j'assiste à un repli général de cette activité.

Malgré mes recherches, je n'ai pas constaté de réels gains de trafic dans cette région ; en dehors de marchés ponctuels comme le transport de granulats pour le TGV Est ou les chantiers routiers, aucun autre client notable ne semble avoir décidé de se tourner vers la SNCF.

On m'a cité l'exemple de gains de trafics pour certains transports, mais s'il s'agit d'un marché pris au transport fluvial, cela ne sert strictement à rien ; c'est à la route qu'il faut prendre des parts de marché.

En Lorraine, ce sont plutôt les pertes de clients qui se succèdent, et parfois de gros clients : fermeture généralisée des « gares bois », menaces sur des dessertes comme celles de Pont-à-Mousson SA, Vittel-Contrexéville ou encore sur les papeteries de Golbey, les chaudières Viessmann à Faulquemont, etc.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Certains clients dénoncent des augmentations de tarifs de 25 %, des clauses permettant, en outre, à la SNCF de poursuivre les hausses dans les années à venir. Comment ne pas considérer que la SNCF les pousse à emprunter la route ?

Par ailleurs, un itinéraire dédié Longwy-Toul a été mis en service le 12 décembre dernier. Destiné au délestage du sillon mosellan, il a été largement financé par les collectivités locales, puisqu'il s'agissait de 500 millions ou 600 millions de francs Mais je commence à me demander sérieusement si des trains vont un jour l'emprunter ! Il devait voir passer cinquante trains supplémentaires par jour, mais ces prévisions ont été largement revues à la baisse.

En conséquence, environ 400 emplois de cheminots devraient être supprimés dans la région cette année, à Woippy, Metz-Sablon ou encore à Blainville-Damelevières. Et les fermetures pourraient s'accélérer par un effet de dominos, puisque la perte d'un client sur un secteur a pour conséquence que les frais fixes de l'activité fret sont reportés sur les autres clients de ce secteur, ce qui augmente encore les tarifs jusqu'à décourager totalement ces mêmes clients.

Je pourrais multiplier à l'envi les exemples qui indiquent une atrophie du réseau fret national et un abandon de la fonction d'aménagement du territoire par la SNCF.

Ainsi, en Dordogne, les papeteries de Condat, face à une hausse de 40 % des tarifs SNCF, ont choisi la route : quarante-cinq camions supplémentaires emprunteront chaque jour la RN 89, déjà surchargée, alors même que les collectivités locales avaient financé pour 2, 6 millions d'euros un embranchement ferroviaire !

De fortes inquiétudes pèsent également sur l'importante plate-forme de chargement bois du Buisson-de-Cadouin en Périgord Noir.

De plus, sur seize « gares bois » en Limousin, la SNCF n'en conserverait que six. Or, on connaît la topographie de cette région et ses routes.

La SNCF renonce même parfois au rail, comme pour son propre site national de fabrique de traverses en bois, à Bretenoux-Biars dans le Lot, dont une partie de la production va être transportée par camions. Quel symbole !

La mise en place de ce plan se traduit par la perte irréversible de multiples clients qui « lanceront » des milliers de tonnes de marchandises sur les routes. Jusqu'à ce qu'on me prouve le contraire, je ne pense pas que ce plan se traduise d'ici à 2006 par une augmentation ou même par un simple maintien des volumes transportés ; les effets obtenus vont donc exactement à l'inverse des effets recherchés en matière de développement durable. Chaque fois qu'un train cesse de rouler, des dizaines de camions sont « jetés » sur les routes.

S'achemine-t-on vers un scénario qui verrait le transport de marchandises se résumer à un réseau fret squelettique, uniquement constitué de quelques grands axes internationaux, et abandonnant toutes les dessertes terminales et l'irrigation du territoire aux camions ? J'espère, monsieur le ministre, que vous allez nous apporter une réponse à cette question.

Plaçons-nous dans la perspective européenne.

Pour envisager la relance d'un transport des marchandises par voie ferrée, nous devons avoir à l'esprit que cet objectif ne peut s'inscrire avec succès que dans un contexte européen. C'est l'échelle pertinente qui avait été envisagée par le précédent gouvernement, même si de multiples obstacles techniques subsistent.

Ainsi, la SNCF réalise déjà la moitié de son chiffre d'affaires « fret » à l'étranger et les années à venir seront marquées par de grandes alliances et une recomposition du paysage. Des mouvements sont déjà en cours comme, par exemple, le rachat par les chemins de fer polonais de la filiale de fret du groupe minier allemand RAG.

De plus, les calendriers d'ouverture à la concurrence s'accélèrent, sous la pression d'une Europe majoritairement libérale. Après de longues tractations, la Commission et le Parlement européen étaient tombés d'accord, le 17 mars dernier, pour fixer l'ouverture du fret ferroviaire national au 1er janvier 2007... ou au 1er janvier 2006 : il semblerait que ce dernier point soit encore en discussion.

Pour notre part, nous aurions préféré que l'on conforte le réseau transeuropéen de fret ferroviaire, le RTEFF, pour une meilleure interopérabilité avant d'envisager une telle ouverture : c'est mettre la charrue devant les boeufs.

Le Gouvernement a délivré, au cours de l'année dernière, plusieurs licences d'opérateurs ferroviaires et des certificats de sécurité permettant d'emprunter le réseau : quatre entreprises sont déjà sur les rangs. Elles devraient donc commencer à opérer cette année et chercheront, bien entendu, à s'emparer des trafics les plus rentables.

Dans ce nouveau contexte, quels sont selon vous, monsieur le ministre, les grands acteurs qui vont structurer le fret ferroviaire européen ? Notre entreprise nationale en fera-t-elle encore partie ?

En effet, pour pouvoir affronter cette concurrence, Fret SNCF doit recevoir l'accord de Bruxelles sur le plan de recapitalisation proposé par l'Etat, dont le montant total s'élève à 1, 5 milliard d'euros.

Selon le Gouvernement, ce dossier serait en passe d'aboutir, peut-être même dans quelques jours. Mais nous nous interrogeons sur les contreparties demandées, notamment sur la séparation totale des bilans « fret » et « passagers » de la SNCF et sur la nomination à la tête du fret d'un directeur autonome. Faut-il voir dans cette séparation comptable et organisationnelle un prélude à une forme de filialisation ?

Ce genre de démarche ouvre le champ de tous les possibles : une filiale, on peut y faire entrer d'autres actionnaires ; on peut aussi s'en séparer. Quelle est la position du Gouvernement sur ce sujet ? Pour notre part, nous nous opposerons résolument à tout démantèlement de la SNCF par branches successives.

J'ai récemment pu lire dans la presse économique que Bruxelles souhaitait que la SNCF abandonne son statut d'EPIC, établissement public à caractère industriel et commercial, sur le modèle d'EDF et de GDF. Confirmez-vous cette demande, monsieur le ministre, et quel est votre sentiment sur ce sujet ?

Comment réussir une relance du fret ferroviaire français ?

Le développement de la concurrence n'est pas la seule condition de la relance du fret. Il me semble que notre réflexion doit s'orienter dans trois directions et je souhaite, monsieur le ministre, avoir votre avis sur ces propositions.

La première concerne les moyens de la recherche et du développement.

Il n'y a pas eu de révolution technologique dans le domaine du fret, contrairement à ce qui s'est passé pour le TGV ou le transport routier, au cours des trente dernières années. Aussi, la lutte avec le transport routier me semble-t-elle imposer un véritable effort de recherche et de développement Or, le « plan fret » ne prévoit aucun crédit à cet effet.

Cependant, des recherches semblent être menées en dehors de la SNCF : c'est le cas chez les wagonniers et les consultants industriels. A titre d'exemple, j'ai eu connaissance d'études portant sur un projet intermodal permettant de relier des utilisateurs directs, sans rupture de charge, par un système entièrement automatique de wagons autoportés sur des itinéraires dédiés.

La multiplication d'initiatives de cette sorte, si elles démontrent leur pertinence économique, pourrait redorer le blason du transport ferroviaire et le rendre plus compétitif. Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, que vous indiquiez au Sénat les actions que vous menez dans ce domaine.

La deuxième proposition concerne le transport combiné ; à cet égard, je serais tenté de parler de « scandale ».

Mes chers collègues, il me semble que ce gouvernement a décidé de « laisser tomber » - j'emploie cette expression volontairement - le transport combiné !

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Monsieur le ministre, à l'heure où vous venez de commander au Conseil national des transports une énième étude, je constate que les subventions accordées au transport combiné n'ont cessé de diminuer depuis quelques années. En 2005, elles passent de 32 millions d'euros à 16 millions d'euros, alors qu'elles s'élevaient à plus de 90 millions d'euros en 2000. La France est le pays d'Europe qui consacre le moins d'aides au transport combiné !Et, naturellement, les volumes transportés ne font que diminuer, car ce type de transport n'est pas auto-suffisant.

Si j'en crois les propos tenus par les chargeurs au cours du dernier Conseil national des transports, auquel j'ai participé, la fin du transport combiné est proche, peut-être même pour cette année. C'est invraisemblable et intolérable ! Monsieur le ministre, une relance de ce secteur s'impose rapidement ! Allez-vous mettre vos actes en accord avec vos paroles ?

Si j'évoque cette question, c'est parce qu'il existe à l'évidence des possibilités de participations publiques lorsque l'activité de transport ne peut pas s'autofinancer, ou bien être directement financée par le transporteur ou par l'entreprise. Les particularités géographiques, topographiques, ainsi que les intérêts de certaines filières le justifient largement. L'absence de participations publiques en ce domaine serait une erreur grave.

J'en viens à ma troisième proposition.

Soyons clairs : la concurrence entre les différents modes de transport ne peut être équitable que si l'ensemble des coûts internes et externes supportés par la collectivité - sécurité, infrastructures, nuisances, pollution, etc - sont pris en considération. Le prix du transport, en règle générale, est trop faible - c'est particulièrement vrai pour le transport routier - et ne reflète pas la réalité des coûts.

De même qu'il existe désormais un commerce équitable, l'Etat et l'Union européenne doivent créer les conditions d'un transport équitable permettant une réelle complémentarité entre les différents modes de transport. Il serait suicidaire pour le développement durable d'encourager une concurrence entre des systèmes qui ne peuvent lutter entre eux à armes égales.

C'est pourquoi nos collègues, MM. Haenel et Gerbaud, préconisaient déjà dans leur rapport la mise en place des conditions d'une véritable concurrence intermodale intégrant les coûts externes, ce qui suppose notamment d'instaurer une redevance d'usage pour le transport routier, dont nous parlons depuis plusieurs années.

Les entreprises les plus pénalisées ne seront sans doute pas celles qui pratiquent une politique de qualité, c'est-à-dire la plupart de nos entreprises nationales, mais plutôt celles des nouveaux pays membres qui pratiquent un dumping social dévastateur.

Sur ce point, il faut souligner le lancement au 1er janvier dernier, en Allemagne, avec un retard dû à des problèmes techniques, d'un système de péage automatique permettant de reporter davantage sur les transporteurs routiers le coût de l'infrastructure.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Nous n'oublions pas qu'il nous faut alimenter l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, l'AFITF. Il est donc souhaitable, et j'aimerais que vous le rappeliez, monsieur le ministre, que la majeure partie des recettes de cette Agence - le taux de 70 % a été évoqué - soit affectée à des modes de transports alternatifs à la route.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite que ce débat nous permette de connaître les intentions réelles du Gouvernement pour sauver le fret ferroviaire et lui redonner ses chances. En effet, l'équilibre des comptes de la branche « fret » de la SNCF ne sera en aucune manière un gage de réussite du transport ferroviaire de marchandises. C'est tout à fait insuffisant. Il faut que le fret ferroviaire reprenne des trafics à la route et qu'il inverse cette tendance considérée comme naturelle.

Même si la mise en place du « plan fret » 2004-2006 ne nous semble pas porter les germes de cette relance, je rappelle que c'est à l'Etat, et non à la SNCF, qu'il incombe de concilier, par son action régulatrice et son appui financier, les impératifs économiques du transport de marchandises et les objectifs du développement durable.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Monsieur Reiner, je vous rappelle que l'auteur de la question dispose de vingt minutes pour l'exposer !

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Trente minutes !

J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe UC-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratiqueet social européen, 9 minutes ;

Réunion administrative des sénateursne figurant sur la liste d'aucun groupe7 minutes ;

Dans la suite du débat, la parole est à M. Bernard Seillier.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Seillier

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que, dans nos départements, la fracture autoroutière et la fracture numérique sont sur le point d'être résorbées, une fracture ferroviaire risque d'apparaître.

Au-delà de la stratégie reposant sur le développement du TGV, la desserte fret pose aujourd'hui problème. La rapidité et le manque de concertation qui ont caractérisé les décisions concernant la branche « fret » de la SNCF sont pénalisants, notamment pour les entreprises spécialisées dans l'agroalimentaire et dans la filière forêt-bois.

Le département de l'Aveyron, avec 150 000 tonnes acheminées chaque année pour l'agroalimentaire, est évidemment concerné : nombre d'entreprises sont très inquiètes pour leur compétitivité, conditionnée par la variable « transport ».

Le fret ferroviaire contribue, en effet, très fortement à l'activité économique du Massif central. Support de l'activité économique permettant d'irriguer le tissu économique local, il est par conséquent un élément déterminant de l'aménagement du territoire. L'aide apportée aux zones de revitalisation rurale perd de son efficacité et devient même incohérente si, dans le même temps, le fret ferroviaire n'accompagne pas ce volontarisme politique.

L'exemple du trafic de bois est parlant. Traité par les « gares bois » disséminées dans des zones géographiques assez peu favorisées, il permet d'offrir un débouché à une activité essentielle pour nos régions, au moment où la forêt du Massif central arrive à maturité.

M. Jean-Louis Carrère. Les « gares bois » ferment dans les Landes !

M. Bernard Seillier. L'exemple des traverses de rail, qui vient d'être cité, est tout à fait significatif. Ainsi, l'abandon de la desserte ferroviaire de la menuiserie Lapeyre, dans le Cantal, sans que les pouvoirs publics nationaux ou locaux interviennent, a pour conséquence, d'une part, un afflux de camions supplémentaires sur une route peu adaptée à de telles circulations puis un essoufflement rapide de la compétitivité des entreprises et, d'autre part, une impossibilité, même physique, de substitution.

Le Massif central bénéficiait, jusqu'au début des années quatre-vingt, de l'application de l'annexe B ter du budget de la SNCF qui permettait de compenser les pertes enregistrées par des lignes à faible trafic concernées, par exemple, par le transport du bois, des bestiaux et par l'industrie agroalimentaire en général. Depuis, cette compensation a été supprimée, d'où un problème évident de surcoût et d'aménagement du territoire.

La SNCF est soumise aujourd'hui à des contraintes diverses qui la conduisent à la suppression de dessertes. Or le fret a besoin d'une multitude d'interventions peu spectaculaires, mais ô combien ! essentielles. Dans le cadre d'une décentralisation accrue, les collectivités locales doivent pouvoir s'appuyer davantage sur l'outil que constitue le fret ferroviaire.

Dans quelle mesure les directives européennes, qui s'appliquent à la France, permettent-elles à l'Etat et aux régions de favoriser le maintien de ces dessertes ferroviaires, essentielles pour le développement économique de nos départements ?

Quelle est la volonté du Gouvernement et quelles sont ses possibilités d'action en matière d'aménagement du territoire, afin d'éviter que les conditions économiques n'incitent les entreprises à concentrer leurs activités sur quelques pôles industriels du fait de l'émergence d'une nouvelle fracture territoriale, d'origine ferroviaire, qui accroîtra à terme la menace de désertification de nos territoires ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du transport de fret renvoie toujours à la même image des files de camions sur les routes et implique deux conséquences, non dénuées de gravité : d'une part, le coût environnemental, dû à l'émission de CO2 et de particules et, d'autre part, le problème de sécurité posé par la coexistence sur les mêmes axes, souvent engorgés, des poids lourds et des voitures particulières en nombre chaque jour croissant.

Le discours politique récurrent, consensuel, affirme régulièrement que la solution des deux premiers problèmes passe par un rééquilibrage modal en faveur des transports de marchandises alternatifs à la route. Cela ne peut se traduire que par un développement du fret ferroviaire et du transport par voie d'eau.

Au-delà de ces bonnes intentions affichées par tous, nous constatons que les évolutions des trente dernières années sont inquiétantes et déçoivent la plupart de nos espérances.

Elles se caractérisent tant par le déclin considérable du fret ferroviaire, dans les proportions citées tout à l'heure par mon collègue Daniel Reiner, que par l'aspect quasi marginal du transport fluvial.

Les multiples raisons pour lesquelles on en est arrivé là ont été largement analysées dans le rapport Gerbaud-Haenel.

Je n'y reviendrai que très rapidement, pour rappeler quelques facteurs importants : la réduction d'activité de l'industrie lourde, une plus grande volatilité des marchandises transportées, une adaptabilité nettement meilleure et une plus forte réactivité du transport routier, un très fort développement du réseau autoroutier, la dégradation progressive du service apporté par les entreprises de transport de fret face à des clients de plus en plus exigeants sur la ponctualité et la fiabilité de la prestation dans un contexte de pression sur les prix.

II faut noter aussi que cette situation n'est pas une exception française. Notre pays n'est pas celui où l'on transporte, proportionnellement, le moins par chemin de fer, même si le tonnage a reculé régulièrement.

Les objectifs ambitieux affichés au début des années quatre-vingt dix, qui marquaient une volonté de rupture, n'ont pas été atteints.

Aujourd'hui, face à une opinion de plus en plus motivée et inquiète, face aux exigences environnementales, de santé, de sécurité, la question posée par notre collègue Daniel Reiner trouve toute sa légitimité.

Non politicienne, mais très politique, elle est motivée par les évolutions observées au cours des quatre ou cinq dernières années, qui semblent marquées par l'abandon de l'objectif de croissance du volume transporté, évoqué précédemment, au profit d'une réorganisation de la branche fret de la SNCF autour d'un autre objectif : la recherche de meilleurs résultats financiers avec, pour corollaire, une stratégie de recentrage sur un dispositif plus squelettique, mais plus rentable.

Dans ces conditions, certaines questions peuvent légitimement être posées : la stratégie développée actuellement est-elle justifiée, et par quoi ? Donne-t-elle des résultats, et lesquels ? Quel est son coût social ? Cette stratégie est-elle compatible avec la volonté exprimée par tous d'une augmentation durable du fret ferroviaire ? Comporte-t-elle des risques à moyen terme ? Dans l'hypothèse, aujourd'hui plus concrète, de l'ouverture du marché européen, le fret de la SNCF se trouve-t-il mieux ou plus mal placé face à la concurrence potentielle ? Dans le « conflit » rail-route abordé sous cet angle, une indécision subsiste-t-elle, ou la route a-t-elle d'ores et déjà définitivement gagné ?

Cette question de l'ouverture du marché européen est posée par la transcription dans le droit français, le 15 mars 2003, de la directive européenne sur le transport des marchandises, qui ouvre le marché de fret national à la concurrence. Dans les faits, c'est en cours, et certaines entreprises disposent déjà ou disposeront prochainement d'une licence.

A quoi nous conduit cette directive ? D'abord, à fournir un bilan individualisé du fret par rapport au bilan global de la SNCF. Ensuite, à faire figurer la dette du fret dans les comptes de ce dernier, ce qui interdit de pratiquer la compensation interne, par exemple, entre le service grandes lignes et le fret.

Cette directive expose la SNCF à un éventuel audit de Bruxelles pour vérifier la réalité des comptes fournis.

Dans ce contexte, quels sont aujourd'hui les objectifs internes de la branche fret ?

Il s'agit de revenir, dès 2006, à un résultat comptable positif ; de dégager des capacités financières pour rembourser la dette accumulée, donc de dégager des fonds propres en vue d'investir et, par conséquent, de remplacer le parc de locomotives Je rappelle que leur moyenne d'âge est particulièrement élevée, puisque certaines ont plus de 50 ans. Cela correspond à près de 1 000 locomotives, dont le prix unitaire est supérieur à 2 millions d'euros.

C'est cette situation difficile qui conduit aujourd'hui la SNCF à solliciter de l'Etat un soutien à hauteur de 800 millions d'euros, tout en prévoyant, en interne, un financement de 700 millions d'euros pour le « plan fret » 2006, lequel a été déposé devant la Commission européenne.

Cette nouvelle approche financière est donc particulièrement contrainte par l'application de la directive européenne, qui impose la séparation comptable des charges relevant des différentes activités de la SNCF : grandes lignes, fret, TER...

Cette condition, imposée par la Commission qui peut demander un audit, explique logiquement la marche forcée de la société nationale vers ce type de comptabilité.

C'est aussi une condition à remplir pour faire accepter le plan de financement du fret par la direction de la concurrence et la direction des transports de l'Union européenne, qui ne sont pas toujours d'accord entre elles.

Ceux qui, comme moi et comme beaucoup d'autres, souhaitent que s'améliore la transparence des comptes des transports, pour autant que tous soient retenus, ne peuvent normalement que se réjouir de cette clarification des coûts du fret ferroviaire. Mais nous devons bien mesurer que cette démarche suppose quelques décisions politiquement difficiles à faire accepter.

Elle conduit, pour le moment, à la fermeture d'une « gare bois » sur deux pour en conserver probablement moins d'une sur quatre à court terme.

Elle conduit aussi à poser la question de la desserte de certaines entreprises isolées dont la rentabilité est loin d'être atteinte.

Elle conduit encore à mettre en oeuvre un plan drastique de réduction du personnel, unanimement rejeté par les organisations syndicales représentatives des salariés.

Elle conduit enfin à mettre en difficulté le transport combiné qui, en France, a reçu en moyenne 45 millions d'euros par an de soutien public sur les dix dernières années. En 2005, cette somme se réduira à 16 millions d'euros, soit moins que les 30 millions d'euros que verse la Belgique, qui intervient de manière volontariste, ou que la Suisse, qui soutient beaucoup plus.

Nous devons bien mesurer que, au terme de cette logique purement financière, les trafics déficitaires pourraient être abandonnés. La SNCF ne saura pas les garder s'ils sont nettement en dessous du point d'équilibre et s'ils ne font pas l'objet d'une aide.

Cela entraîne, inexorablement, un recentrage sur le grand squelette susceptible d'être inséré dans l'espace ferroviaire européen qui est en train d'émerger lentement.

Le fret ferroviaire « rentable » pourrait se limiter demain au trafic longue distance - je rappelle que le seuil de rentabilité du rail se situe au-dessus de 500 kilomètres - et au trafic transfrontalier, lequel, pour progresser, devra améliorer sa qualité de bout en bout en se rapprochant le plus possible des 100% de remplissage et par une intégration des services entre les pays traversés. Cela réussira lorsque seront résolues les questions liées à l'interopérabilité et à la continuité de l'activité des chauffeurs aux frontières.

Il convient d'ajouter les possibilités réelles, générées par des trafics plus importants, ceux des ports maritimes, qui permettent d'envisager de transporter sur rail des milliers et des milliers de conteneurs sur des liaisons du type Rotterdam-Italie, Anvers-Italie, Marseille-Rhône-Rhin, Le Havre-Strasbourg-Europe centrale.

Sur ces segments, seule la voie d'eau, peut, dans certains cas, concurrencer le rail pour une quantité significative de produits.

Cette marche forcée vers l'équilibre financier se fait au détriment d'actions aussi indispensables au développement de la SNCF que la recherche appliquée, en matière de transport ferroviaire, sur les complémentarités entre le transport ferroviaire et la logistique, laissant à des partenaires de l'entreprise, en particulier, les wagonniers, le soin de développer de nouveaux produits.

On peut, par ailleurs, regretter que l'Europe, qui espère favoriser, à travers l'application de cette directive, l'émergence d'un espace ferroviaire européen, n'ait pas su imposer aux différents opérateurs ferroviaires un standard de lecture qui permettrait, dans les mouvements intracommunautaires, de suivre instantanément chaque wagon, donc chaque produit, et par conséquent de répondre à la demande des chargeurs et des entreprises, donc de favoriser le développement du fret.

Nous regrettons aussi le retard pris dans la mise en oeuvre du programme de satellite européen Galileo, seul susceptible de permettre de répondre à ces questions.

Pour être juste, il faut néanmoins souligner la part active prise par la SNCF dans l'expérimentation du système Modalhor, même si cette dernière ne se déroule pas dans les conditions les plus favorables : une seule voie disponible et des plages de fermeture dans le tunnel du Mont Blanc.

Il faut aussi noter que la réflexion sur les lignes dédiées au fret n'est pas abandonnée et que la possibilité de TGV fret n'est pas écartée pour autant, là encore, qu'il s'agisse de niches nettement délimitées et rentables, par exemple pour du trafic de fret entre aéroports.

Enfin, l'immense effort réalisé par les équipes de la branche fret de la SNCF a permis, dans un contexte économique pour le moins hésitant, de poursuivre peu ou prou l'activité à volume constant malgré les importantes réductions d'effectifs, de faire progresser le coefficient de remplissage des trains de marchandises de plus de 8%, d'améliorer significativement le résultat comptable.

Toutes ces actions sont menées dans l'espoir de construire les bases de la compétitivité de la branche fret de la SNCF.

Y parviendra-t-elle ? C'est possible. Arrivera-t-elle à la hauteur de ses concurrents, tels les voisins allemands de la Deutsche Bahn ? Ce n'est pas sûr quand on sait que, avec le même nombre de machines, ils transportaient, il y a peu, près du double de volume que notre société nationale ; que, par exemple, ils ne desservent plus que dix « gares bois » correspondant à dix scieries ; que l'Allemagne est un pays où la densité industrielle est plus forte qu'en France.

La possibilité est réelle de voir arriver assez rapidement sur le marché d'autres opérateurs.

Bien sûr, aujourd'hui, on ne parle que d' « autonomisation » de la branche fret de la SNCF. Il s'agit, évidemment, de ne pas polluer le débat dans le contexte actuel de « remise à niveau ». Pour autant, le mot «filialisation» ne saurait être aussi pudiquement éludé.

Nous sommes donc dans une approche libérale traditionnelle, avec ses règles comptables et ses conséquences Répondant aux questions à caractère économique, elle évacue les questions plus sociétales. Elle réaffirme que la branche fret de la SNCF ne peut porter, seule, les attentes de la société, même si elles sont relayées par les élus.

La stratégie financière actuellement développée par la branche fret de la SNCF est justifiée par la mise en oeuvre de la directive sur l'ouverture du marché du transport ferroviaire. Les comptes s'améliorent en maintenant les volumes transportés au prix d'un recentrage de l'activité sur le squelette principal du réseau ferré.

Cette seule stratégie financière apparaît largement inadaptée à une demande d'augmentation durable du volume transporté.

Elle laisse entière la question des conséquences à moyen et long terme des amputations de clientèle réalisées.

Elle permet d'améliorer la santé financière de la branche fret de la SNCF, qui se trouvera en moins mauvaise position au moment de l'ouverture effective du marché.

Dans le conflit rail-route, le fret semble en grande difficulté si l'on prend en compte les seules réalités financières, et pas les attentes sociales.

Le coût social, très important, de cette stratégie financière est rejeté par les salariés.

Devant cette situation, quelles peuvent être les réponses de la puissance publique aux légitimes interrogations de la société en ce qui concerne la qualité de vie et le développement durable ?

Une modification des coûts de production des transports en faveur des modes non routiers par la réorientation des interventions publiques en matière de financement d'infrastructures n'est pas invraisemblable.

En effet, dans son document fondateur, l'Association des sociétés françaises d'autoroutes, l'ASFA, ouvre des pistes formulées en ces termes : « Un élargissement de l'usage du péage autoroutier pourrait ainsi se concevoir pour le financement d'autres infrastructures de transport, leur entretien et leur maintenance ».

L'AFITF doit remplir ce rôle. Nous serons notamment attentifs à l'affectation d'une part importante de ses moyens au fret ferroviaire, en particulier.

Le président Gallois déclarait, lors de la présentation du « plan fret » 2006 : « Nous nous situons clairement dans une perspective de développement du fret, et non dans une stratégie de repli. Avec la réussite du plan fret, la SNCF pourra mieux répondre à la demande de ses clients en France et en Europe, et aux attentes de la société tout entière pour davantage de fret ferroviaire ».

Si l'on veut que l'avenir lui donne raison, il semble nécessaire de prendre des mesures incitatives supplémentaires.

Si l'on veut sauver le transport combiné, il est urgent d'aider les entreprises concernées, sinon ce mode est extrêmement menacé.

L'Etat doit se positionner clairement par rapport à une question aussi importante, aussi urgente, et nous ne pouvons faire moins bien que nos voisins sur ce terrain.

C'est là que la politique doit jouer pleinement son rôle.

A titre d'exemple, qu'adviendra-t-il, sans intervention publique, de la plateforme de transport combiné de Vesoul, liée à la présence d'une grande entreprise qui exporte vers le monde entier ? La même question peut être posée pour bien d'autres sites sur le territoire national.

La Commission européenne semble avoir pour doctrine constante, depuis quelques années, que la situation du fret ferroviaire ne pourra être réglée que grâce à la libéralisation du marché.

La seule logique libérale et financière ne suffira pas, au contraire.

L'Europe doit créer les conditions de l'internalisation des coûts externes - pollution, sécurité - du transport routier.

L'expérience allemande, déjà citée, qui consiste à taxer les transports routiers permettrait, si elle était généralisée à l'Union européenne, de couvrir par des recettes indexées sur l'activité du transport routier les coûts externes de ce mode de transport et de réutiliser les produits au profit des autres modes - rail et eau -, pour mieux répondre aux attentes de la société.

L'Europe, si elle a le devoir d'exiger la transparence, doit aussi permettre l'intervention de la puissance publique, afin de remplir sa mission en matière d'aménagement du territoire et de répondre au principe d'égalité.

L'Europe doit aussi jouer son rôle en ce qui concerne les projets structurants en matière de fret ferroviaire ou de recherche.

En aidant au développement d'infrastructures de qualité, pour faciliter les gains de temps sur les ruptures de charges - gares, ports et aéroports équipés pour décharger les conteneurs, voies d'arrivée spéciales pour le ferroutage, pôles multimodaux efficaces - l'Europe et l'Etat permettront aux infrastructures françaises et européennes d'évoluer vers une intermodalité souple et efficace.

C'est à l'Europe et à l'Etat qu'il appartient d'affirmer fortement leur volonté d'un rééquilibrage, en adoptant un plan cohérent de développement des infrastructures multimodales.

Nous attendons du Gouvernement qu'il donne un signe de cette volonté et réponde ainsi aux attentes de la société.

La position française consistant à limiter à 1 % du PIB communautaire le budget de l'Union nous semble faire peser une hypothèque majeure sur ces interventions, pourtant indispensables.

Monsieur le ministre, comme mon collègue M. Reiner, je vous remercie de nous informer de la position et des intentions de votre gouvernement sur l'ensemble de ces questions.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Monsieur le ministre, depuis des années, si ce n'est des décennies, tous les gouvernements qui se sont succédé, de droite comme de gauche, formulent le voeu pieu de développer le transport ferroviaire et de réduire le transport routier de marchandises.

Malheureusement, personne ne s'en donne les moyens : chaque fois que des choix doivent être faits, on tranche en faveur du routier et ou de l'autoroutier, et l'on s'abstient de faire ce qui serait nécessaire au développement du transport ferroviaire.

En matière de fret ferroviaire - ce sera le premier point de mon intervention - je suis tout à fait conscient que l'on ne peut maintenir toutes les petites gares qui existent aujourd'hui, ni conserver la logique du transport ferroviaire de marchandises que l'on connaissait au xixe siècle. Un besoin de modernisation, d'évolution, se fait sentir et je considère donc que la SNCF a raison sur certains points.

En revanche, la contrepartie de cette logique de modernisation devrait être de miser de façon volontariste sur les nouvelles technologies du fret ferroviaire.

Si l'on veut transmettre l'idée que les trains de marchandises ne peuvent continuer, comme par le passé, à s'arrêter ici ou là pour déposer un petit paquet, il faut, corrélativement, que la France fasse le nécessaire pour que les nouvelles technologies de transport du fret ferroviaire se développent.

Le transport combiné rail-route ou de grands axes ferroviaires de fret lourd sur de grandes distances peuvent ainsi se substituer aux poids lourds, notamment dans le couloir rhodanien et sur l'axe nord - sud.

Or, sur ce point, je constate que rien n'est fait.

Il me semble donc non seulement que l'on perd l'héritage du passé, héritage qui devait inéluctablement être modernisé, mais encore que l'on ne gagne rien de ce pourraient apporter une vision moderne, tournée vers l'avenir, et une politique volontariste.

C'est ce qui me paraît le plus regrettable : en matière de transport combiné, de grands axes lourds, on se trouve face à une carence totale des pouvoirs publics.

Cette carence n'est d'ailleurs pas liée au gouvernement actuel ; elle existait déjà par le passé. Une sorte de lobby du transport routier empêche que ne se traduise par des faits ce voeu pieu que tous les élus, tous les gouvernements, ne cessent de répéter : renforcer le ferroviaire pour réduire le transport routier de marchandises. Or, on constate que c'est le contraire qui se produit.

J'en viens au deuxième point de mon propos : si l'on veut relancer le ferroviaire et faire en sorte que le transport routier cesse de croître de manière exponentielle, comme c'est le cas actuellement, il faut rééquilibrer les conditions de compétitivité.

Ce rééquilibrage doit être de deux ordres. Il doit tout d'abord se situer au niveau des coûts respectifs. Ainsi, par exemple, s'agissant des frais de personnel, on constate que le système ferroviaire dans lequel le personnel est surprotégé - on connaît les problèmes que posent les grèves, qui pénalisent considérablement le développement du transport ferroviaire - doit affronter un système routier dans lequel le personnel est sous-protégé : les règles sociales et le droit du travail y sont respectés de manière fort élastique, quand ils le sont.

Les pouvoirs publics ont là une responsabilité, de même qu'ils en ont une dans la prise en compte des coûts globaux, pour la collectivité, de chacun des modes de transport.

Le transport routier de marchandises a un coût qu'il ne supporte pas directement : il provoque des nuisances pour la collectivité dont il ne répond pas.

L'une des mesures pour parvenir au rééquilibrage de ces deux modes de transport consisterait à faire en sorte que les donneurs d'ordres aient économiquement intérêt à ne plus utiliser uniquement le transport routier.

Il faut donc que le transport routier paie son coût réel pour la société. L'Allemagne a mis en place un péage sur lequel nous devrions méditer en France où seules les autoroutes à péage représentent un coût pour les transporteurs. Dans notre pays, en effet, un grand nombre de voies rapides et d'autoroutes sont gratuites : il faudrait en faire payer l'usage aux transporteurs.

Dans les zones frontalières, le trafic de poids lourds allemands se reporte sur les autoroutes françaises qui sont gratuites. En tant que sénateur de la Moselle, je connais bien la question. Cette situation est logique : ils vont là où le coût est moindre.

Si le Gouvernement, qui prétend parfois ne pas avoir les moyens de financer le développement du ferroviaire, installait des péages pour les poids lourds sur ces autoroutes gratuites et sur ces voies rapides, à l'exemple de l'Allemagne, ces recettes pourraient alors être affectées au développement du transport de fret ferroviaire. Cela serait particulièrement utile au rééquilibrage des conditions de compétitivité.

Je voudrais enfin aborder la question des choix. Je constate que ce gouvernement, comme les gouvernements précédents, a tendance à faire des efforts nettement plus importants en faveur des investissements routiers et autoroutiers, donc du transport routier de marchandises, plutôt qu'en faveur du transport ferroviaire.

Je prendrai un exemple. Le réseau ferroviaire du sillon lorrain est absolument saturé. Or, que propose le Gouvernement ? En fait, peu de chose : une deuxième autoroute, dont personne ne veut.

Les partisans de cette autoroute ont connu une déroute lors des dernières élections régionales, et je m'en réjouis. Or, malgré le désaveu des Lorrains, vous vous obstinez, monsieur le ministre, à tout miser sur cette autoroute, au lieu de miser sur le ferroviaire. Pas un Lorrain ne se battrait contre des investissements dans le transport de fret ferroviaire alors que, au contraire, des manifestations et des réactions hostiles à cette autoroute se sont multipliées ; les Lorrains pourraient protester encore par leurs suffrages si vous poursuiviez dans cette voie.

Cet exemple vous montre qu'il serait préférable d'anticiper les aspirations du xxie siècle - nous ne nous situons plus dans la logique productiviste du xxe siècle -, pour améliorer la qualité de la vie, protéger l'environnement, et faire en sorte que le transport ferroviaire trouve sa juste place.

Il est actuellement scandaleux de voir de véritables trains de poids lourds qui attendent, à la frontière luxembourgeoise, pare-choc contre pare-choc, les heures où l'usage du réseau leur est gratuit. Pour aller à Marseille ou Barcelone, ils traversent la France du nord au sud, tout cela parce qu'aucune mesure n'a été prise pour développer le fret ferroviaire.

Debut de section - PermalienPhoto de François Gerbaud

M. François Gerbaud. Je remercierai tout d'abord notre collègue M. Reiner de cette question, qui est pour nous comme un élixir de jouvence.

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de François Gerbaud

Cette question est plus que jamais d'actualité et tout le monde a bien noté qu'elle revêt désormais une dimension tant nationale qu'européenne. Elle correspond à des urgences, à des changements de comportements. Elle appelle des réponses dans lesquelles l'audace ne doit pas être exclue.

Elle confirme cette certitude : le fret ferroviaire a nécessairement un avenir. Nos voisins européens ont déjà répondu positivement, telle la Grande Bretagne, qui, malgré un réseau ferroviaire qui n'est pas très solide, lui confie plus de 43% de son trafic de marchandises

Le fret ferroviaire est bien la meilleure réponse technique, économique et environnementale aux exigences de notre monde et aux « figures imposées » du développement durable.

Tous les indicateurs montrent qu'en Europe, d'ici à vingt ans, avec l'accélération prévue des échanges, le tonnage de marchandises sera multiplié par deux, ce qui provoquera le doublement du trafic des poids lourds.

Dans cette perspective, si le rail ne reprend pas à la route les parts de marché qu'elle lui a prises depuis des années, s'il ne s'ouvre pas à de nouveaux besoins, il est évident que nous serons face à une saturation autoroutière et routière et que nous trouverons proches de l'asphyxie.

Les trains de camions qui se succèdent en donnent largement l'illustration. Au pied des Pyrénées, par exemple, plus de dix-sept mille camions franchissent chaque jour la frontière espagnole à raison d'un toutes les cinq secondes, aux deux points de passage obligés du Perthus et de Biriatou, en attendant l'ouverture du tunnel de Figueras.

Debut de section - PermalienPhoto de François Gerbaud

De nombreux camions étrangers, dont les conducteurs travaillent le plus souvent dans des conditions sociales et économiques différentes des nôtres, ce qui ne saurait changer sous peu, traversent la France sans apporter aucune valeur ajoutée.

Dans ces conditions, le moment n'est-il pas venu d'envisager, comme en Allemagne et en Suisse, l'instauration d'une taxe au kilomètre alimentant un fonds d'aide aux investissements de transport ? Si une telle taxe devait voir le jour, elle ne pourrait naturellement que s'inscrire dans une dimension européenne, pour des raisons d'égalité. Monsieur le ministre, où en est la réflexion à Bruxelles sur ce sujet ? La porte est-elle fermée ou entrouverte ? A-t-on renoncé à ce projet ?

Quoi qu'il en soit, il est temps, semble-t-il, sans compromettre l'équilibre économique de nos entreprises de transport routier, souvent en difficulté, de mettre un terme à ce que j'ai déjà appelé le règne pharaonique du « tout en camion ».

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de François Gerbaud

Les transporteurs routiers eux-mêmes en sont conscients, et souhaitent que nous puissions freiner cette évolution qui les place en situation de monopole pour le transport de marchandises, dans des conditions économiques gravement dégradées en raison du coût croissant de l'énergie, que révèlent les dépêches de l'Agence France-Presse relatives au prix du pétrole constaté aujourd'hui à New York.

Dans cette recherche de l'équilibre intermodal, le fer reste bien l'un des plus puissants moyens d'action. Sur ce marché désormais ouvert à la concurrence - et sans doute, de ce fait, aux partenariats -, les entreprises ferroviaires européennes ont dorénavant accès aux sillons du réseau français de RFF, dans des conditions parfaitement définies de sécurité, sous le contrôle de l'Agence ferroviaire européenne, la sécurité étant un élément primordial.

De nombreuses demandes d'accès au réseau ont déjà été enregistrées. La concurrence est désormais un fait, et nul ne peut s'y soustraire. C'est donc très sagement et très judicieusement que, en fonction de cette concurrence, RFF a cru devoir, avec l'appui du Gouvernement, relever ses péages.

Parlementaires en mission, Hubert Haenel et moi-même avons, en 2003, pendant six mois, mené une vaste investigation, à la demande du Premier ministre, et « passé au scanner » le problème du fret ferroviaire à la SNCF.

C'était le temps où l'on nous signalait que, n'ayant pas, ou rarement, la priorité, de nombreux trains de marchandises étaient quotidiennement arrêtés, calés, retardés ou même égarés. De ce fait, nous aurions pu, à la manière proustienne, intituler notre investigation « A la recherche du train perdu »...

Notre mission était d'analyser la stratégie de développement du fret ferroviaire, de dresser une synthèse des attentes des clients, d'évaluer l'organisation des outils de production et d'adapter les capacités d'infrastructures. Nous avions donné à notre rapport un titre symbolique : Fret ferroviaire français : la nouvelle bataille du rail.

Ce rapport comportait constats et propositions : constat d'une activité en péril, avec un trafic en baisse et des résultats économiques et financiers affligeants, qui « plombent », nous l'avons dit, la SNCF ; constat que le fret était le parent pauvre de l'activité de la SNCF, loin de la priorité donnée au transport de voyageurs ; constat de la méfiance des clients qui, soumis à l'exigence des flux tendus, nous ont dit et redit qu'ils ne trouvaient pas, dans le service qu'on leur offrait, la ponctualité, la flexibilité, la régularité - le taux en est tombé à 77 % - et la fiabilité dont ils ont besoin, et qu'ils redoutaient de surcroît les conséquences préjudiciables des arrêts de travail nationaux ou locaux venant trop souvent perturber et paralyser le trafic.

A cet égard, l'alarme sociale, qui, à la SNCF, semble substituer désormais la concertation préalable à la culture du conflit, peut, nous le souhaitons, aider à dissiper ces craintes, pour peu bien sûr que cette alarme sociale concerne autant le fret que le transport de voyageurs.

Forts de ces constats et conscients des enjeux stratégiques, nous avons fait des propositions en vue d'élaborer une véritable politique du fret ferroviaire, d'inviter la SNCF à reconsidérer sa place dans cette activité, d'appeler au développement concerté d'une véritable complémentarité rail-route, en souhaitant en particulier une accentuation des efforts en faveur du transport combiné, de solliciter la mobilisation de tous les partenaires - Etat, collectivités territoriales, entreprises ferroviaires, chargeurs...

« Rapport dur, mais juste ! », a commenté le président Gallois. Si, lors de sa publication, ce rapport a suscité quelque intérêt, c'est qu'il répondait sans doute à des attentes exprimées ou retenues. Cependant, comme beaucoup d'autres rapports, il risque, au-delà d'une notoriété momentanée, de connaître bientôt l'honneur de devenir une référence classée.

Quoi qu'il en soit, restent les questions qu'il soulève, à commencer par celle-ci : où en sommes-nous aujourd'hui, monsieur le ministre ?

Dans le cadre de son projet industriel, la SNCF a entrepris le redressement de son activité fret. Pour le réussir, il faut des clients, des moyens, des sillons, une stratégie et, surtout, une volonté. Ce projet est bien accueilli, de bons résultats sont attendus, devant mettre un terme à la dépression, annoncer une remontée en 2006 et, au-delà, la montée en puissance espérée, avec un gain de 20 % d'efficacité en trois ans et un accroissement de la compétitivité. Succédant de nombreux autres plans, c'est le plan de la dernière chance. Je tiens à le souligner ici.

Cela étant, ce dispositif est-il suffisant ? La structure qui l'encadre est-elle adaptée, peut-elle et doit-elle évoluer ? Peut-on, pour plus de transparence, d'efficacité, d'étanchéité comptable, de productivité, envisager une plus large autonomie de l'activité fret au sein de la SNCF et, dans cette perspective, convaincre la Commission européenne, méfiante, que les efforts financiers de l'entreprise et de l'Etat, à hauteur respectivement de 700 millions et de 800 millions d'euros, seront bien consacrés au redressement de l'activité fret et aux investissements matériels qui lui sont indispensables, sans être détournés au profit d'autres activités ?

Au-delà de cette évolution de l'organisation, reste posé le problème, que M. Haenel et moi-même avons évoqué, de la possibilité d'une filialisation de l'activité fret, souhaitée par Bruxelles, qui risque d'en faire une condition.

Des perspectives nouvelles doivent être envisagées. Disant cela, je pense, en particulier - et la France est en première ligne sur ce plan -, aux dessertes ferroviaires des ports, points de départ et d'arrivée d'un important trafic. A cet égard, je voudrais, monsieur le ministre, que l'on puisse prendre en considération les conclusions de l'excellent rapport de notre collègue Henri de Richemont, qui a déjà ouvert des pistes de réflexion dans ce domaine.

Debut de section - PermalienPhoto de François Gerbaud

Quels nouveaux outils peut-on envisager de mettre en place pour favoriser le développement du fret ferroviaire ?

Par ailleurs, les fermetures de lignes jugées peu rentables au regard des coûts de production de la SNCF sont souvent ressenties comme un abandon de compétitivité et, paradoxalement, comme un avantage inopportunément concédé à la route. Ces lignes, ne l'oublions pas, doivent toujours être considérées comme des éléments de l'outil industriel de la SNCF. Il faut donc bien réfléchir avant de décider leur fermeture.

Dans ces conditions, pourquoi ne pas envisager, dans le cadre d'un partenariat public-privé, une exploitation de ces lignes en sous-traitance ou en cotraitance avec d'autres acteurs ? Dans cette dimension du possible, quel rôle peuvent jouer les collectivités territoriales, en particulier les régions ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Gerbaud

Organisatrices du service public de transport des voyageurs, les régions, au-delà de la part qu'elles prennent aux investissements, s'agissant notamment des chantiers, peuvent-elles être impliquées dans une politique de promotion du fret ferroviaire ? L'idée se fait jour qu'elles pourraient peut-être organiser une sorte de hub multimodal, point de convergence de tous les systèmes de transport : la route, le canal et le rail.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Elles font des économies de bouts de chandelles !

Debut de section - PermalienPhoto de François Gerbaud

C'est là une perspective séduisante, mais sans doute utopique aux yeux de certains.

Sur le plan européen, notre réseau modernisé, restructuré, élargi, ne trouvera sa pleine compétitivité, grâce à sa fluidité, que si l'interopérabilité en tous domaines est mise en place aux frontières des réseaux nationaux. Où en sommes-nous, monsieur le ministre, au regard de cette évolution, de cette harmonisation des modes, qui relèvent de la responsabilité de l'Agence ferroviaire européenne ?

En tout état de cause, l'infrastructure joue un rôle essentiel : 30 000 kilomètres de voies, c'est un lourd patrimoine, mais c'est aussi une immense richesse. Entretien, rénovation, modernisation, constitution de réseaux nouveaux relèvent, à travers RFF, de la responsabilité stratégique et financière de l'Etat, responsabilité en termes de choix et de priorités. Il doit se donner les moyens nécessaires : même si les circonstances économiques lui imposent une réduction de la dépense publique, les crédits consacrés aux transports ne doivent pas s'en trouver affectés.

Il reste que, si important soit-il, l'investissement n'est pas tout. Il doit être accompagné et précédé par une amélioration du fonctionnement, et favoriser tout ce qui permet celle-ci, comme en témoigne, par exemple, la récente contribution de RFF à l'amélioration du fret ferroviaire par la mise à disposition de sillons nouveaux et plus nombreux.

Il s'agit de la structuration du graphique de circulation des trains. Cette expression quelque peu barbare cache des objectifs simples : assurer, selon un schéma harmonieux, l'ordonnancement des trains, des plus rapides aux plus lents ; répéter, selon un rythme régulier - toutes les demi-heures, toutes les heures, toutes les deux heures... -, appelé le cadencement, le même schéma de desserte, le principe s'appliquant à toutes les catégories de trains - trains de marchandises, TER, trains nationaux et trains internationaux.

Les trains de marchandises retrouveront alors la priorité. Grâce à la structuration du graphique, que RFF a fini d'élaborer et qui pourrait être mise en oeuvre à l'horizon de 2007, ces derniers bénéficieront systématiquement de sillons prédéfinis, répétitifs et répondant à une exigence de vitesse adaptée. J'ajoute que ce système de cadencement généralisé est appliqué par tous ceux de nos voisins qui constituent des références en matière ferroviaire, à commencer par la Suisse et l'Allemagne. Il ne serait pas convenable, et cela irait même à l'encontre de toute logique, monsieur le ministre, que certaines réticences, qui semblent exister encore, viennent compromettre l'application de ce nouvel outil.

Je voudrais maintenant m'associer pleinement aux propos de mon collègue Hubert Haenel, qui, se demandant quelle serait demain l'entreprise ferroviaire leader en Europe, a estimé que la Deutsche Bahn s'adapterait avant la SNCF si cette dernière ne se reprenait pas. Cela m'amène à poser la question suivante : ne devrions-nous pas envisager un rapprochement avec, précisément, la Deutsche Bahn ?

A cet égard, je souhaite ouvrir ici, en guise de conclusion, une fenêtre - par laquelle risque de s'engouffrer un petit courant d'air ! -, en rapportant la déclaration suivante de M. Hartmut Mehdorn, président de la Deutsche Bahn : « Laissez à la SNCF la responsabilité du trafic voyageurs - elle y excelle - et confiez-nous celle du fret » ! L'avenir dira s'il s'agissait d'une boutade ou d'une prémonition...

Avec tous les partenaires du rail, je forme le voeu que, par la mise en place accélérée de tous les systèmes combinés - ferroutage, système Modahlor -, la route du fer ne soit pas coupée pour les marchandises, contrairement à ce qu'affirmait une célèbre expression historique !

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question dont nous débattons aujourd'hui est naturellement primordiale et dépasse largement le débat idéologique sur le service public des transports ou sur l'ouverture à la concurrence du rail.

L'évocation de l'avenir du fret en France doit prendre en compte trois dimensions : la dimension européenne, la nécessaire dimension environnementale et, enfin, mais ce n'est pas la moindre, la dimension de l'aménagement du territoire.

Mon collègue François Gerbaud, spécialiste de ces questions, vient de développer excellemment tous ces points, avec son humour habituel et en faisant appel à des références historiques et cinématographiques. Pour ma part, je vais essayer d'exprimer les préoccupations des membres du groupe de l'UC-UDF s'agissant du fret ferroviaire.

Le fret ferroviaire est un élément primordial de notre politique des transports, et ce à l'échelle européenne. En effet, notre politique des transports déterminera, dans les prochaines années, si la France de demain a vocation à devenir un carrefour européen, « véritable plate-forme logistique structurée par ses ports et un système intermodal discriminant », et non « un simple pays de transit, avec des retombées économiques limitées et des nuisances croissantes », pour reprendre les termes de l'étude de la DATAR. C'est pourquoi il est nécessaire de conserver des objectifs ambitieux en matière d'équipement.

Un véritable potentiel de développement du fret ferroviaire existe en France : n'oublions pas qu'à côté des grands investissements nécessaires, dont il a été question précédemment, il subsiste d'importantes possibilités d'optimisation des infrastructures actuelles. Je pense à la magistrale éco-fret, qui relierait le Nord au Midi, d'Anvers à Paris, puis dans la vallée du Rhône ; une succession de petits investissements peut changer bien des choses dans l'organisation du fret. La France doit également participer activement à la mise en place du réseau transeuropéen de fret ferroviaire.

La vraie question reste cependant celle des moyens. Avons-nous réellement la volonté de trouver les financements nécessaires pour doter la France d'un réseau de transport intermodal de fret à la hauteur d'une Europe à vingt-cinq ? Dans le cas contraire, nous serions réduits au rôle du pays du bout du continent ! Il est donc urgent de faire de cette question une priorité et nous vous demandons, monsieur le ministre, si l'Agence de financement des infrastructures de transport en France, qui a été créée en décembre dernier, soutiendra le développement du fret ferroviaire.

Les dernières lois de finances ont cependant réduit considérablement les aides au transport combiné, comme cela a été rappelé, et nous le regrettons. Et même si d'importants investissements ont été réalisés dans le cadre des contrats de plan Etat-régions 2000-2006 avec l'aménagement d'itinéraires dédiés, il semble indispensable, monsieur le ministre, que cet effort financier soit poursuivi, voire intensifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Il n'y a plus d'argent pour les contrats de plan !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Le fret ferroviaire présente des avantages incontestables en matière de sécurité et de protection de l'environnement. Le secteur des transports est à l'origine du quart des émanations de CO2 dont 84 % sont imputables au transport routier. Alors que le protocole de Kyoto doit être appliqué et que le marché des quotas de CO2 se met en place, il est impossible de négliger le fret ferroviaire.

Enfin, le fret ferroviaire doit être un élément de la politique d'aménagement du territoire. En cela je partage l'inquiétude de mes collègues sur le nombre de gares de fret desservies. M. Reiner a mentionné la suppression, depuis le 15 juin 2004, de près de 50 % des dessertes qualifiées de « non rentables ».

Je suis tout à fait consciente des impératifs de rentabilité auxquels toute entreprise est soumise. Toutefois, monsieur le ministre, nous souhaitons avoir des précisions sur ces fermetures de gare. Alors que nous examinons le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, l'impératif d'aménagement du territoire et de maintien des services publics en zone rurale est plus que jamais au coeur de nos préoccupations.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Comme vous pouvez le constater, monsieur le ministre, je suis convaincue, ainsi que l'ensemble du groupe UC-UDF au nom duquel je m'exprime, du rôle central qui doit être celui du fret ferroviaire.

Il est indispensable que le fret ferroviaire ait un avenir en France. Or, nous le savons tous, ce secteur se porte très mal. Je citerai quelques chiffres qui se passent de tout commentaire. Depuis vingt ans, le secteur perd 1 % par an en volume, son déficit est égal au quart de son chiffre d'affaires et il accuse des pertes consolidées de plus de un milliard d'euros.

C'est pourquoi nous sommes favorables au « plan fret » 2006, adopté le 19 novembre 2003 par la SNCF. Présenté comme le plan de la dernière chance, il vise à reconstruire en trois ans les bases d'une croissance saine du transport de marchandises.

Ce plan comporte quatre volets.

Premièrement, la refonte de l'outil de production dans une logique industrielle avec la création de cinq grands axes et une gestion informatisée et centralisée.

Deuxièmement, l'amélioration de la productivité par restructuration, par rationalisation et par des investissements supplémentaires évalués à près de 600 millions d'euros.

Troisièmement, une nouvelle politique commerciale, de marge plutôt que de volume, afin de rétablir la rentabilité des trafics.

Enfin, une offre internationale, nécessitant des alliances avec d'autres partenaires logistiques.

Après un an d'application, ces différentes mesures ont déjà permis des améliorations sensibles de productivité. Ainsi, le nombre de wagons du réseau est passé de 38 000 à la fin de 2003 à 33 000 en novembre 2004 et le remplissage des trains a progressé de 7 %.

A la fin de 2004, 3, 5 millions de tonnes de nouveaux trafics ont été gagnés, ce qui représente, selon les charges transportées, entre 100 000 et 200 000 camions de moins sur les routes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

D'après la SNCF, les flux qui ont été supprimés, trop coûteux en moyens, ne dépassent pas 2 % du trafic global de fret SNCF. Environ 100 prestations de transports ont ainsi été arrêtées en 2004.

Mais le chemin à parcourir reste important : 1 500 gares ne sont desservies que par deux ou trois wagons par semaine et 80 % des dessertes sont encore déficitaires.

Sur les deux prochaines années du plan, c'est-à-dire 2005 et 2006, la SNCF doit parvenir à économiser 400 millions d'euros pour atteindre l'objectif comptable fixé et, notamment, pour améliorer la productivité à hauteur de 330 millions d'euros d'ici à la fin de 2006.

Nous ne pouvons que nous réjouir du soutien financier de l'Etat à ce plan alors que les schémas de services collectifs de transport tendent à doubler le volume ferroviaire de fret d'ici à 2010 pour parvenir à 100 milliards de tonnes/kilomètre par an. Cet objectif est ambitieux et nous souhaitons, monsieur le ministre, que tous les moyens soient mis en oeuvre pour qu'il puisse être atteint. Je regrette que les dotations budgétaires à ce mode de transport et aux transports combinés aient été réduites de façon aussi drastique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Mme Jacqueline Gourault. Je souhaite, avec l'ensemble des membres du groupe UC-UDF, que le fret ferroviaire devienne une priorité pour les pouvoirs publics et que, lors de l'ouverture à la concurrence du fret international et du fret national en 2006 et en 2007, le fret ferroviaire français et Fret SNCF soient des acteurs incontournables au niveau européen.

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 12 septembre 2001, la Commission européenne a publié son Livre blanc sur « La politique européenne des transports à l'horizon 2010 » dans lequel elle place, pour la première fois, le développement durable au coeur de sa stratégie en matière de transport.

La première de ces mesures tend à rééquilibrer les modes de transport en faveur du rail d'ici à 2010, afin de mieux respecter l'environnement. Par ailleurs, la Commission européenne a affirmé très clairement sa volonté de mettre en oeuvre l'intermodalité.

Tout en constatant le manque d'infrastructures adaptées au transport moderne et l'absence d'interopérabilité entre les réseaux, la Commission européenne propose la « création d'un espace ferroviaire intégré, performant, compétitif et sûr, ainsi que la mise en place d'un réseau dédié au fret ».

Même si je partage le constat et la volonté de la Commission européenne, je pense que les remèdes qu'elle propose risquent d'être pires que le mal.

En effet, elle a entériné la libéralisation du fret international à l'horizon de 2006 et du fret national en 2007, par l'adoption des deux premiers « paquets » ferroviaires.

Le troisième « paquet » concernant les voyageurs devrait venir en lecture devant le Parlement européen le 8 mars prochain, alors même qu'aucun bilan économique et social n'a été effectué sur les premières directives.

C'est l'une des raisons qui a incité le groupe CRC à déposer une proposition de résolution demandant le retrait de ces directives qui font peser de graves menaces sur nos services publics de transport en ouvrant à la concurrence les lignes transversales, ce qui constitue le premier pas vers la privatisation du transport ferroviaire sur les grands axes.

Les sénateurs communistes républicains et citoyens soulignent, enfin, la concordance entre la libéralisation des services publics de transport - comme ceux de La Poste ou de l'énergie - et le traité constitutionnel européen, qui inscrit dans le marbre une évolution contraire aux objectifs de solidarité, d'égalité et de sécurité.

Cette logique, qui livre aux appétits financiers les outils de la puissance publique, se révèle très néfaste.

II devient vraiment urgent de réaffirmer la notion fondamentale de services publics pour les garantir et les moderniser au niveau tant européen que national.

Comme mon collègue Yves Krattinger, j'aimerais croire Louis Gallois, président de la SNCF, lorsqu'il déclare que le « plan fret » 2006 permettra de se placer « clairement dans une perspective de développement du fret ». Avec la réussite de ce plan, dit-il « la SNCF pourra mieux répondre à la demande de ses clients en France et en Europe, et aux attentes de la société tout entière pour davantage de fret ferroviaire ».

Pourtant, concrètement, le « plan fret » est totalement subordonné aux directives européennes et se traduira, au nom de la rationalisation et de la compétitivité, selon les organisations syndicales, par la suppression de 3 505 emplois, la fermeture de 4 centres de triages, de 16 gares principales de fret et de 100 gares ouvertes au fret.

Ces données sont confirmées par le budget pour 2005 de la SNCF, qui entérine des pertes importantes de personnels. Ainsi, 1 526 emplois seraient supprimés dans l'activité fret elle-même, 377 dans le matériel et 763 dans les tractions.

De septembre 2002 à la fin de 2005, ce sont 11 765 emplois qui auront ainsi disparu sous l'effet conjoint de la politique du Gouvernement et de celle de la direction de la SNCF. Ce sont donc les cheminots et les usagers qui payent pour une certaine conception de l'équilibre de l'entreprise.

Dans ces conditions, on comprend bien les raisons de la mobilisation des cheminots avec l'ensemble de leurs organisations syndicales, et le succès de la grève qui a eu lieu la semaine dernière et qui s'est accompagnée d'un très large soutien de la population.

Le « plan fret » est un plan de repli et de casse de l'outil de production. A contrario des enjeux de développement durable, il déstructure durablement la production et la commercialisation du fret ferroviaire à la SNCF.

En témoignent quelques chiffres : à la fin du mois d'août 2004, le trafic a diminué de 2, 8 % par rapport aux objectifs, mais le transport conventionnel a régressé de 3, 5 % et le transport combiné a enregistré une baisse de 6, 2 %.

Sur les huit premiers mois de l'année, on observe 22 157 circulations de trains fret en moins par rapport à la même période en 2003.

Actuellement, sur la totalité du territoire, 100 kilomètres de voies sont utilisés pour le stationnement de wagons, faute de marchandises à acheminer.

La mise en oeuvre de ce plan entraîne les entreprises régionales à faire le choix de la route. A la suite des augmentations de tarifs de 50 %, voire plus, qu'elle a pratiquées, la SNCF a perdu de nombreux clients et non des moindres, comme Pechiney et ICF, Intercontainer-Interfrigo, le grand opérateur européen de transport combiné, sans parler de l'abandon pur et simple de la filière bois.

Autant de mesures, de choix contraires à l'intérêt collectif, qui n'améliorent ni la qualité, ni la régularité de la production.

D'ailleurs, comment pourrait-il en être autrement quand on constate que, pour la livraison de trois locomotives neuves en moyenne par mois, on observe une radiation de 250 engins par an ?

Les restructurations, les réorganisations, les réformes, les études, l'externalisation ou la création de filiales ont successivement affaibli le service public.

En réduisant les capacités de la production et l'emploi statutaire, la direction de la SNCF et l'Etat organisent le déclin de la part modale du fret SNCF, menaçant ainsi le statut d'entreprise intégrée de service public de transport. Il s'agit bien, finalement, de la programmation de la filialisation de l'activité du fret et de l'organisation de la concurrence intramodale sur ce secteur d'activité.

En abandonnant certains trafics, la SNCF va permettre à des opérateurs privés de se positionner. Ainsi, 22 000 sillons ont été supprimés, le 12 décembre 2004, dans le cadre du changement de service roulant. Réseau ferré de France, RFF, va pouvoir offrir ces sillons aux nouveaux entrants.

La direction de la SNCF fait le choix d'une logique purement marchande en se repliant sur les créneaux les plus rentables. Ce qui compte pour elle, ce sont les plus gros chargeurs, qui représentent les 20 % du trafic non déficitaires. Il suffira de supprimer les 80 % restants ou de pratiquer des tarifs dissuasifs. N'est-ce pas ce que vous souhaitez, monsieur le ministre, lorsque vous enjoignez à la SNCF de « se concentrer sur les lignes qui peuvent garantir l'équilibre » ?

Ce plan présente un caractère d'irréversibilité par la perte évidente de capacité d'exploitation du réseau. Ces infrastructures présentent pourtant un vrai potentiel pour préparer l'avenir, si l'on en croit les déclarations du Premier ministre qui prévoit que le fret devrait encore progresser de 40 % d'ici à 2020.

Pour résumer, ce plan n'identifie aucun vecteur de progrès ; aucun projet n'est mis en avant et aucun moyen n'est prévu pour asseoir un quelconque développement.

Dans une perspective où la demande de transport devrait augmenter, le train pourrait, au contraire, voir sa part revalorisée dans le transport de marchandises, à condition qu'une orientation publique soit clairement définie en sa faveur, ce qui n'est évidemment pas le cas aujourd'hui.

En effet, depuis 1999, si le fret ferroviaire a enregistré une progression de 17 %, le transport routier a, lui, fait un bond de 40 %.

Une évolution notable s'est produite en faveur de la route, notamment sur la base du dumping social, cause principale de terribles accidents ; nous venons d'ailleurs de le voir à nouveau ces derniers jours.

L'attractivité de la route réside dans le fait qu'une grande partie des coûts est externalisée vers les collectivités territoriales. Cependant, ce mode de transport est le plus polluant : il représente à lui seul 84 % des émissions de gaz à effet de serre.

La facture énergétique ne plaide pas non plus en faveur de la route. La quantité d'énergie nécessaire pour transporter une tonne de fret par la route est trois fois supérieure au rail.

Que l'on se place du point de vue de l'emploi, de l'aménagement du territoire, du développement local, de la préservation de l'environnement ou de la santé, le développement du transport du fret ferroviaire est indispensable. Il faut donc se donner les moyens de réorganiser la complémentarité entre la route et le rail.

Afin que l'intermodalité fonctionne, il faut que le fret bénéficie d'investissements importants et que l'Etat respecte son engagement de désendetter RFF et la SNCF, dette qui s'élève aujourd'hui à 40 milliards d'euros.

A ce propos, il faut rappeler que les frais financiers liés à la dette se situent aux environs de 380 millions d'euros pour la SNCF et de 1, 3 milliard d'euros pour RFF. Pour la SNCF, par exemple, cela représente l'équivalent de 8 800 emplois statutaires, de 30 rames de TGV et de plus de 200 locomotives de fret.

Pourtant, la Commission européenne exige encore davantage de la SNCF pour autoriser une aide de l'Etat français de 800 millions d'euros. Elle demande que les comptes du fret tendent à l'équilibre, ce qui suppose une amélioration des gains de productivité, l'abandon de segments de marché et, à terme, sa filialisation.

Dans cette optique, la SNCF procédera à une recapitalisation de l'activité fret à hauteur de 700 millions d'euros. Celle-ci se fera essentiellement par la cession d'actifs, ce qui renforcera le caractère irréversible du déclin du fret en tant que service public.

Cette pression de la Commission européenne n'a pas été observée à l'encontre de la décision gouvernementale qui vise à opérer un doublement du dégrèvement de la taxe professionnelle sur les véhicules de plus de 7, 5 tonnes. Qu'en est-il, alors, de sa volonté de rééquilibrage entre la route et le rail évoquée par le Livre blanc ?

Ces mesures attestent également de la supercherie du programme du Gouvernement, qui indiquait, lui aussi, vouloir encourager le rééquilibrage des modes de transport en réorientant les camions vers le rail et les voies navigables.

Entre la volonté affichée d'engager de telles actions et leur contenu, force est de constater que les mesures prises favorisent les intérêts financiers des futurs opérateurs, en s'opposant à la satisfaction des besoins des salariés, de la population, et à la protection de l'environnement.

La loi de finances pour 2005 en est un bon exemple : les subventions octroyées au transport combiné - cela a déjà été dit, mais j'y reviens - ont encore baissé, n'avoisinant plus que les 16 millions d'euros.

En l'absence d'un engagement concret des pouvoirs publics à promouvoir le transport combiné comme mode alternatif à la route, les opérateurs traditionnels seront incités à resserrer leurs maillages sur les relations les plus rentables, et le rééquilibrage nécessaire entre les différents modes de transport ne pourra voir le jour.

Les sénateurs communistes républicains et citoyens considèrent que le transport ferroviaire doit jouer un rôle économique, social et de progrès, ce qui induit une responsabilité de l'Etat quant à la définition des besoins de transport et pour le financement du service public, afin de permettre son développement et son efficacité.

Notre choix n'est pas celui de la mise en concurrence et du désengagement de l'Etat, c'est celui d'une politique ambitieuse en faveur du rail.

En ce sens, le groupe CRC propose l'organisation d'un véritable débat sur les transports sur le plan tant national qu'européen. II demande qu'une étude préalable mesurant l'impact de la libéralisation du fret ferroviaire sur l'emploi, la sécurité et le niveau de développement des réseaux soit réalisée. II considère nécessaire, afin que la concurrence ne se traduise pas par des pratiques de dumping social, une harmonisation vers le haut des normes sociales.

Le groupe CRC juge indispensable de mettre en place une véritable politique commune de développement des réseaux transeuropéens de fret ferroviaire intégrant les objectifs du développement durable, de protection de l'environnement, d'aménagement du territoire et de développement de l'emploi. Pour cela, il estime fondamental que soient élaborés à l'échelle européenne de véritables plans de financement s'appuyant sur la création de pôles publics financiers et permettant aux Etats d'entreprendre les investissements nécessaires en matière d'infrastructures nouvelles, de modernisation des réseaux actuels et de nouveaux réseaux dédiés.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

Monsieur le ministre, je suis heureux de vous voir, ...

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

Moi aussi !

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

... non pour vous infliger un énième discours compétent et argumenté sur l'impuissance relative du rail ou sur l'avenir compromis du fret, mais pour confronter nos expériences d'élus et notre volonté, ainsi que pour savoir si nous pouvons agir ensemble.

Mon intervention aurait pu être, comme celle de mes collègues, notamment de mes collègues socialistes, totalement fondée et un peu paradoxale.

Je préfère dire que je crois en la SCNF, qui est l'entreprise ferroviaire la plus performante du monde. Je sais que sous votre férule, après d'autres peut-être, elle geint, elle souffre et elle réalise que vous pouvez parfois lui faire faire des bêtises. M. Carrère est d'ailleurs désespéré de la fermeture des « gares bois » au coeur des Landes, ...

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

Moi aussi !

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

... le premier massif forestier de France et au-delà. Là aussi, la présence de la SNCF doit être saluée.

Je voudrais vous raconter une petite histoire à usage national, qui sera plus parlante que bien des phrases, au sujet des chances et des malchances du fret ferroviaire et évoquer l'insoutenable légèreté de l'autre acteur du rail, RFF.

Dunkerque est le premier port ferroviaire de France. Celui-ci évacue 50 % à 60 % de son trafic par le rail, notamment par l'artère nord-est vers la Lorraine. Le pari du développement portuaire face à la redoutable concurrence de nos voisins du Benelux - Anvers, Rotterdam, Zeebrugge - et d'autres grands ports de l'axe rhénan est en train d'être gagné.

Cela étant, il faut moderniser la desserte ferroviaire. Je n'entrerai pas dans le détail, mais sachez que le barreau ferroviaire de Saint-Georges a ainsi besoin de 20 millions d'euros. Or figurez-vous que RFF s'est présenté à la région - à qui d'autre s'adresser ? - pour proposer un tableau de financement dans lequel le propriétaire du réseau n'investit pas un centime !

Monsieur le ministre, il y va de l'avenir du port de Dunkerque - où les bateaux chinois commencent à s'arrêter -, du transport des containeurs, du développement durable. Il y va également de la saturation intolérable de l'autoroute infernale qu'est l'A1 - la plus fréquentée de France. Bref, il y va tout simplement du développement du fret ferroviaire.

Sur les 20 millions d'euros nécessaires, l'Etat fait un tout petit geste. RFF ne fait rien ! Jusqu'à quand RFF sera-t-il cet acteur impuissant ?

Et si la fameuse cagnotte de 8 milliards d'euros dont vous nous parliez jadis, peut-être à juste titre ou de manière excessive, servait en partie au désendettement de RFF et de la SNCF ! Et si l'on offrait au développement durable et à l'ambition ferroviaire, partagés par toutes les collectivités locales, affirmés par la nation à travers son gouvernement, les moyens de se mettre enfin en mouvement !

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

Sachez que c'est humiliant de discuter avec RFF. Mais je sais bien que, au gré des alternances, il faut recaser les préfets ...

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

Donnez-nous plutôt un interlocuteur valable. Nous ne recherchons pas les mondanités ferroviaires, nous sommes demandeurs d'interlocuteurs, de patrons du ferroviaire.

Quand on rencontre le président de la SCNF, M. Gallois, cela a du sens ! Lorsque l'on est aux prises avec l'absence à RFF, les élus des grandes collectivités locales sont humilié ! Je le dis ici en tant que président de région.

Je voudrais vous raconter une autre petite histoire, qui est au coeur de notre débat. A l'instar d'une fable de La Fontaine, vous pourrez en tirer une morale ... ferroviaire.

Vous le savez, tous ensemble - Etat, Europe, collectivités locales -, nous avons investi 1 milliard de francs dans la plate-forme multimodale de Dourges, qui - comme le veut l'expression, mais elle est juste - est au coeur de l'Europe du nord-ouest.

Nous avons la dernière usine en Europe qui fabrique des wagons de marchandise, Arbel-Fauvet-Rail. Les deux autres, qui étaient roumaine et polonaise, sont passées sous capitaux américains et s'apprêtent à la tuer.

Cette société, comme le groupe Lohr, cherche un produit robuste, innovant, polyvalent, qui permettrait de mettre en même temps les camions et les containeurs sur le train. Les régions sont prêtes, comme elles l'ont fait pour le TER, à préfinancer des trains afin que la route roulante aille de Dourges jusqu'à Hendaye, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

... et que 5 000 poids lourds, soit le tiers du trafic, prennent le rail à l'horizon de 2007 et de 2008. Pour cela, nous avons besoin d'un chef d'orchestre !

Entre Dourges, dans le Pas-de-Calais, et Hendaye, il existe un point dur sur le réseau, à savoir un tunnel. C'est l'occasion d'y bricoler le passage du gabarit spécifique, d'intégrer des wagons surbaissés. Ce serait ainsi le début du ferroutage, symbole de notre volonté de le réussir.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

De qui cela dépend-il ? De vous !

Il faut que RFF nous réponde. Le marché existe, nous sommes prêts à lui donner des signes et à lui apporter les subventions qui le mettront en mouvement. Alors, place au gouvernement de la France ! Sinon, les régions se prendront en main, malgré les coordinations toujours difficiles et aléatoires.

Aujourd'hui, la France régionale est rose, vous ne le savez que trop. Du Nord-Pas-de Calais jusqu'à l'Aquitaine, en passant par l'Ile-de-France, nous réaliserons avec vous, ou malgré vous, cette autoroute roulante que nous réclament tous les habitants, tous les décideurs, et que le marché, c'est-à-dire les transporteurs, semble prêt à accepter.

Je voudrais maintenant vous parler de l'usine Arbel-Fauvet-Rail.

La région l'a sauvée - c'était la dernière usine - grâce à une avance remboursable. Tout cela pour vous dire à quel point nous attendons de votre part - car le rail est un, et tout se tient - un appui pour les pôles de compétitivité, pour la recherche.

Le Valenciennois abrite le premier pôle de compétitivité ferroviaire du monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

Nous sommes prêts à faire les investissements démesurés qu'exige la piste d'essai complémentaire. Nous sommes en train de rassembler les chercheurs ; les deux plus grands constructeurs de matériel ferroviaire du monde y sont d'ailleurs implantés. Là aussi, nous pouvons donner une illustration vivante, convaincante, prometteuse de notre volonté de développer le rail.

J'en viens pour terminer à la médiocrité de l'Europe, qui, l'affaire est entendue, n'est plus une Europe-puissance, afin d'évoquer deux aspects.

Le premier concerne le fameux système ERTMS, European railway traffic management system. Sans entrer dans le développement savant des cantons, de la sécurité et des décisions exemplaires prises jadis par la SNCF, ce système augmenterait de 20 % à 40 %, à sécurité constante, la capacité de notre réseau.

La Commission semble absolument vouloir mettre en mouvement le système ERTMS. Nous sommes prêts, car cela ne coûte pas très cher, à en équiper les voies, voire nos matériels. Nous avons là aussi besoin d'un geste très fort, d'une volonté minimale de l'Etat et des deux grands partenaires que sont la SNCF et RFF.

Vous le savez, monsieur le ministre, vous qui êtes un fervent européen, vous qui venez de Picardie, l'Europe est plus que jamais nécessaire. C'est pourquoi le miracle européen doit être préservé.

Croyez-vous que, dans ce débat où nous allons confronter nos limites, nos bonnes volontés sur l'avenir du transport ferroviaire, nous puissions nous contenter de 1 % du budget de la nation, de 1 % de la richesse des nations européennes afin que l'Europe ferroviaire, le marché unique des transports, plus ou moins libéralisé - plus que moins, d'ailleurs -, voient enfin le jour ?

Le développement durable s'appuiera-t-il sur une volonté européenne ?

Monsieur le ministre, vous qui êtes si indépendant et, par certains côtés, si convaincant - je pense à la sécurité routière -, consacrer 1 % du budget européen signifie-t-il que nous abandonnons la perspective européenne en matière de transport, d'infrastructure, de service public de la mobilité des Européens, aux lois du marchés ?

Vous le savez comme moi, le marché est myope, il peut même être aveugle. Dans le domaine des transports, si on ne le corrige pas, il se trompe.

Après les remarquables interventions généralistes qui viennent d'être faites, voilà ce que je tenais à dire.

Je ne doute pas qu'avec votre conviction, monsieur le ministre, vous pourrez apporter un début de réponse aux élus locaux qui se rassemblent comme rarement autour de l'ambition ferroviaire, du développement durable, de l'aménagement du plus vieil Etat-nation du monde qui ne demande qu'à vivre harmonieusement à l'heure des grands échanges mondiaux et européens.

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup a été dit en matière de fret ferroviaire, ce qui devrait me permettre d'être relativement bref.

L'importance du fret ferroviaire, quelles que soient les sensibilités politiques, n'échappe à personne. La route est de plus en plus engorgée, le coût social des transports routiers devient insupportable et, pour autant, on constate une baisse relative du fret ferroviaire par rapport à l'ensemble du trafic de marchandises.

Bien entendu, les causes en sont multiples.

Tout d'abord, les prix apparaissent comme peu attractifs aux yeux des clients.

Ensuite, l'attitude de la SNCF est souvent frileuse, ou à tout le moins peu agressive ; le problème de RFF a, en outre, été évoqué. La volonté, il faut bien en convenir, est peu marquée : la SNCF s'est attachée à avoir une bonne image de marque en matière de transport de voyageurs, notamment sur les trains à grande vitesse, mais son image s'est dégradée au fil du temps s'agissant des marchandises.

De surcroît, la volonté de la SNCF à moyen ou à long terme n'est guère visible. Si l'on ajoute la fermeture ou la désaffection d'un certain nombre de lignes, il est clair que peu d'éléments plaident en faveur de l'évolution du trafic de marchandises.

Pourtant, dans les déclarations politiques de toutes sensibilités, voire dans les médias, tout le monde s'accorde à reconnaître que nous sommes au coeur du développement durable, ...

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

...mais ce sont la plupart du temps des déclarations incantatoires !

Qu'attendons-nous, pour notre part, de l'Etat ?

Si nous laissons les choses se dérouler naturellement, le fret ferroviaire continuera à baisser. Il faut donc une volonté politique forte, laquelle va quelquefois à l'encontre des lois du marché...

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

C'est le sens même du combat politique, car, à la limite, il n'est nul besoin d'élus dans un pays s'il s'agit simplement de laisser les choses se développer naturellement !

Nous attendons de votre part un signe fort, monsieur le ministre, pour que les marchandises pondéreuses non périssables circulent en priorité par le chemin de fer.

J'évoquerai pour conclure un symbole qui, à mes yeux, est assez catastrophique. Le département du Lot, mon collègue et ami André Boyer en parlerait beaucoup mieux que moi, abrite une usine qui fabrique des traverses de chemin de fer. Eh bien, la SNCF fait circuler ce produit non plus par le rail mais par la route !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

C'est comme le PDG de la SNCF qui circule par la route !

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

M. François Fortassin. Quand on en arrive à de tels paradoxes, il y a du chemin à parcourir pour mettre en accord notre volonté politique et les faits sur le terrain. Mais nous sommes là, monsieur le ministre, pour vous soutenir si vous allez dans le bon sens !

Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Mortemousque

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Serge Vinçon m'a demandé de le suppléer. Je le fais avec d'autant plus de plaisir que Daniel Reiner, dans son propos introductif, a évoqué la Dordogne. Il a cité les cas de Le Buisson-de-Cadouin et de Condat-Le Lardin. Or je veux lui préciser que ces deux sites recouvrent des réalités fondamentalement différentes.

Pour Le Buisson-de-Cadouin, je dirai, peut-être avec une certaine amertume, que les arguments liés à l'activité étaient moins forts. Mais, à Condat-Le Lardin, M. le ministre le sait, la situation n'est pas normale et j'espère qu'il y sera remédié.

Vous avez fait allusion à la RN 89, mais je veux également citer l'autoroute A 89. Comme par hasard, un tronçon est justement inachevé, en raison d'un conflit local pour savoir s'il convient de réaliser une ouverture ou un pont, à la suite de différentes catastrophes. Comme quoi, les tergiversations font parfois du tort !

J'en viens aux propos que mon collègue Serge Vinçon m'a demandé de vous transmettre.

La relance du fret ferroviaire est un enjeu économique pour les entreprises, au premier chef pour la SNCF, et un impératif environnemental, au titre de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

L'amélioration de la compétitivité est d'autant plus nécessaire que le secteur du fret s'ouvre à la concurrence et que notre premier partenaire économique, l'Allemagne, a un réseau fret plus performant et mieux maillé que le nôtre. La réflexion doit alors porter plus particulièrement sur la possibilité de lignes dédiées et sur le coût du chargement des trains.

La France dispose de l'une des toutes premières flottes de wagons de marchandises en Europe, avec un parc de 110 000 unités, dont plus de 60 000 sont issues d'investissements privés. Leur âge moyen est certes élevé, puisqu'il est d'environ vingt-sept ans, mais leur état de marche est parfait et tout à fait adapté aux besoins des clients du fret ferroviaire.

Plusieurs directives européennes, transposées en droit français, permettent l'utilisation du réseau ferré national par les entreprises ferroviaires de l'Union européenne qui veulent offrir des services internationaux de fret ferroviaire. L'ouverture à la concurrence, dans ce domaine, s'amorce donc.

Face à cette situation, la SNCF a décidé, le 19 novembre 2003, un plan de redressement consistant en la mise en place d'une nouvelle organisation de la production, afin d'améliorer la qualité du service.

Pour accompagner ces changements, 800 millions d'euros d'aide publique pourraient être consacrés à la relance du fret. Les autorités communautaires accepteront-elles ce plan ? La question se pose. Elles sont à ce jour réservées. La direction générale de la concurrence de la Commission européenne demande la filialisation de l'activité fret. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des précisions sur ce sujet qui aura un impact décisif sur l'avenir du fret dans notre pays ?

La question orale de notre collègue Daniel Reiner nous permet de faire le point sur la mise en oeuvre du « plan fret » 2006, mais nous discutons de l'avenir de nos infrastructures et de leur financement depuis de nombreux mois déjà. J'en veux pour preuve le débat qui s'est tenu au Sénat en juin 2003. Par la suite, le Gouvernement a courageusement pris un certain nombre de décisions, notamment lors du CIADT et, en ce début d'année, avec l'installation de l'Agence de financement des infrastructures.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Mortemousque

Je saisis cette occasion pour vous alerter, monsieur le ministre, sur la situation des entreprises françaises de fabrication et de maintenance des wagons de transport de marchandises.

« Le mode ferroviaire ne transporte plus en France que 20 % du volume de marchandises », constataient, en 2003, nos collègues Hubert Haenel et François Gerbaud dans leur excellent rapport.

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

Excellent !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Mortemousque

Une des ambitions alors affichées était de ramener la part modale de la route dans le transport de fret terrestre de 75 % à 50 % du total transporté, en sachant que la croissance des trafics doit se confirmer. En effet, le transport de marchandises dépend de la croissance économique, mais aussi de l'internationalisation de l'économie et de l'ouverture des frontières liée aux élargissements successifs de l'Union européenne.

En cet instant, nous pouvons nous réjouir des ambitions retrouvées de la SNCF qui, à travers son budget, fait de 2005 une année charnière avant le début effectif de la libéralisation du fret ferroviaire. Elle prévoit des investissements élevés, soit 2, 2 milliards d'euros, destinés pour les deux tiers à des matériels neufs, dont trente-trois locomotives de fret.

Si le « plan fret » a recueilli l'assentiment des chargeurs, soulignant de manière crédible l'engagement de la SNCF dans une réforme de grande ampleur, il s'agit maintenant de le réussir.

Les conditions de la réussite me semblent se trouver d'abord dans la nécessaire concertation entre tous les acteurs, notamment quant aux décisions de fermeture de gares, de lignes ou de dessertes.

Le centre de suivi de la clientèle doit, quant à lui, améliorer son fonctionnement pour être le point de contact unique entre les clients et la SNCF.

Ensuite, la question de la tarification des retours à vide doit être résolue de manière acceptable pour toutes les parties.

A l'international, le suivi « origine-destination » des acheminements nécessite une organisation européenne de tracking et une convergence aussi rapide que possible des systèmes informatiques des principaux réseaux européens.

Par ailleurs, favoriser les modes alternatifs à la route pour le transport des marchandises suppose l'entretien et la modernisation des infrastructures existantes, mais aussi l'adaptation du transporteur, qui doit obtenir les gains de productivité qu'il s'est fixés pour être compétitif.

S'agissant de l'entretien du réseau, la faiblesse des crédits d'entretien des voies - le constat s'impose - a pour conséquence le ralentissement des trains sur les réseaux TER.

Enfin, la réussite du « plan fret » 2006 dépend des entreprises. N'oublions pas qu'en amont et en aval du transport de fret vivent des entreprises de fabrication et de maintenance des wagons, ce qui suppose un personnel nombreux ; cela représente environ 30 000 emplois en France.

L'année 2004 a été caractérisée, chez elles, par une réduction sensible du nombre d'heures travaillées dans la maintenance et par une baisse tout aussi sensible du nombre de wagons neufs. De 2002 à 2004, les heures produites ont diminué de 16 %.

Ces baisses de commandes interviennent dans un contexte de forte concurrence des sociétés d'Europe centrale et de l'Est.

Derrière ces enjeux, il est bien évidemment question d'un nombre conséquent d'emplois dans plusieurs secteurs géographiques de notre territoire. Entre 2002 et 2004, on note déjà une baisse de 5 % des effectifs.

Monsieur le ministre, tout en vous apportant notre total soutien dans l'action que vous menez pour conforter le fret ferroviaire, je vous serais reconnaissant de bien vouloir donner des réponses aux acteurs industriels et commerciaux ou propriétaires du fret ferroviaire. Ils attendent d'être confortés dans leurs choix d'investissement et dans leur stratégie de développement. §

Debut de section - PermalienPhoto de Yann Gaillard

Monsieur le ministre, je veux vous raconter une triste histoire : celle du transport du bois par la SNCF.

Avant les vacances de l'été 2004, certains de mes collègues s'étaient émus de la crise qui menaçait de s'ouvrir dans les relations entre la SNCF et les professionnels de la filière bois au sujet des mesures prévues par le plan de restructuration de l'activité fret de la SNCF.

Le chef du service du fret m'avait d'ailleurs proposé, en ma qualité de président de la Fédération nationale des communes forestières de France, d'engager une concertation. Elle a eu lieu, ce fut une erreur tactique, dans les locaux de la SNCF : tout l'establishment, tout l'état-major et tous les technico-commerciaux de la SNCF nous ont reçus et un certain nombre de réunions ont été organisées.

Je comprends bien les raisons, maintes fois évoquées par mes collègues au cours de cette très intéressante séance, qui ont amené la SNCF à mettre en place ce plan de redressement ; elles nous ont été exposées avec beaucoup de compétence et de gentillesse. Je dois dire qu'il m'a semblé que j'assistais à un cours du soir : l'économie de la SNCF, ses problèmes financiers nous ont été décrits. Mon impression a été la même que celle de M. Percheron ; pour une fois, bien que n'appartenant pas au même camp, nous nous sommes rencontrés, mais il est vrai qu'il ne s'agit pas d'une question politique !

Le président de la Fédération nationale des communes forestières de France que je suis n'a participé à cette concertation que comme observateur : il s'agissait d'une conférence entre le transporteur et les « transportés », à savoir avant tout la Fédération nationale du bois.

Toutefois, je n'ai pu m'empêcher d'être inquiet, car le secteur du transport du bois est tout particulièrement visé par le plan de la SNCF, même si le mode ferroviaire y est minoritaire, puisqu'il ne couvre que 5 % des parts de marché.

Forte dispersion des trafics et caractère déficitaire du secteur, telles sont les raisons qui ont conduit la SNCF à envisager la suppression de dessertes - 50% des « gares bois » - et une augmentation des tarifs de 18 %.

Les conséquences pour les marchés du bois en seront insupportables. Sachant que le transport représente en moyenne 40 % du prix du bois rendu usine, le bois français risque de devenir peu compétitif. D'autant qu'il n'est toujours pas possible de remplacer le rail par la route à un prix raisonnable, la hausse du prix pétrole n'arrangeant rien à l'affaire.

Il ne faut pas oublier non plus l'aspect environnemental d'un tel transfert, aspect longuement exposé par un certain nombre de mes collègues. Le transfert du rail vers la route de deux millions de tonnes par an de bois transportés entraîne déjà 100 000 mouvements supplémentaires de camions grumiers. Cela va à l'encontre de la politique de stabilisation des émissions de gaz à effet de serre.

Les professionnels de la filière bois entendaient bien réfléchir sur l'inévitable fermeture d'un certain nombre de « gares bois ». Toutefois, ils n'acceptaient pas d'être sous la menace d'une hausse tarifaire, alors même que n'aurait pas été mis en place un dispositif résultant d'une carte établie d'un commun accord.

Après une première réunion, le 22 juillet dernier, les deux parties, SNCF et filière bois, avaient donc décidé de travailler ensemble à la préparation d'un plan « gares bois ». Elles ont listé une centaine de gares à conserver, à court terme, contre 207 gares qui étaient ouvertes, la question des hausses tarifaires ne devant être évoquée qu'à l'occasion d'une réunion prévue en septembre 2004.

Or, une lettre de la direction du fret, adressée à la Fédération nationale des communes forestières de France, en date du 30 juillet 2004, avait une toute autre tonalité. Elle annonçait en effet que la hausse tarifaire de 18 % s'appliquerait le 1er septembre 2004 et était déjà accompagnée d'un projet de liste de 46 « gares bois » à fermer.

Après concertation, la profession décidait d'adopter la positions suivante : travailler avec la SNCF sur un plan « gares bois », mais ne pas l'entériner, ne pas prendre la moindre responsabilité. En effet, il s'agissait non pas d'un plan commun, mais de l'application du célèbre principe : je te propose un contrat que tu n'auras pas le pouvoir de refuser !

Une dernière réunion a prouvé que nous ne pouvions pas aboutir. Il n'y a pas eu de rupture, la SNCF ayant même affirmé son attachement au maintien d'un certain volume de fret bois. Cependant, il n'était pas question, pour elle, de revenir sur la hausse des tarifs.

La profession a éprouvé une sorte de résignation ; on a bien senti que le fret bois était pratiquement condamné. C'est un constat amer que de voir la carte des gares fermées par la SNCF se dessiner peu à peu !

Le 18 janvier, M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, a eu la bonne idée de réunir autour de lui tous les acteurs de la filière bois, initiative que n'avait pas eue son prédécesseur. Le problème du transport du bois a été l'une des premières questions évoquées à cette occasion, car c'est un sujet très important pour l'économie.

Le résultat, c'est vous, monsieur le ministre, qui devez le gérer maintenant. Evoquer le transport par voie routière nous conduit, en effet, à rappeler la loi d'orientation forestière de juillet 2001, laquelle ouvrait la possibilité d'augmenter les tonnages pour les transports de bois ronds sur des itinéraires dûment arrêtés par les autorité publiques compétentes dans le département, diminuant ainsi le nombre de camions sur la route.

La circulaire d'application relative aux itinéraires spécifiques a été publiée en juillet 2004. Ils sont définis par arrêté préfectoral, mais nous constatons que, d'un département à l'autre, les pratiques varient, qu'il n'existe pas de réelle coordination. Ce problème est certes le nôtre, monsieur le ministre, mais c'est aussi le vôtre ! Ce que vous gagnez du côté du transport ferroviaire, vous le perdez sur la route, et inversement.

Je suis donc très inquiet au sujet de cette affaire.

Monsieur le ministre, mon propos ne fait que s'ajouter à la liste des regrets entendus cet après-midi. J'attends votre réponse sans trop d'impatience ni trop d'illusion !

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie très sincèrement de vos interventions, toutes plus intéressantes et plus riches les unes que les autres. Cela témoigne que le « plan fret » était une préoccupation que la SNCF, les entreprises, les parlementaires et, bien souvent aussi, les élus locaux ont en partage. Il est également une préoccupation essentielle pour le Gouvernement.

Je remercie sincèrement M. Reiner, auteur de la question. Grâce à lui, certains ont pu exprimer leurs préoccupations, suggérer des pistes pour relancer le fret ferroviaire, et le Gouvernement s'est vu offrir l'occasion d'exposer ce qui est véritablement une nouvelle politique en la matière.

Oui, monsieur Gerbaud, vous avez eu le mot juste : il s'agit bien du plan de la dernière chance pour le fret ferroviaire ! Il doit en tout cas être pris comme tel, c'est-à-dire avec le sérieux qui convient, voire, parfois, avec les angoisses qui l'accompagnent.

Par ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, il ne faut pas jouer avec les mot ni faire peur. Ainsi, j'ai entendu dire que le Gouvernement souhaitait « filialiser » : vous savez bien que tel n'est pas le cas !

Plutôt que de jouer sur les peurs, voyons comment nous pouvons, ensemble, compte tenu de nos préoccupations, mais aussi avec nos propositions, faire en sorte que ce plan réussisse.

Certes, certains d'entre vous le jugent imparfait ; il n'en reste pas moins que j'y ai mis tout mon coeur pour le promouvoir, avec la SNCF, car - j'y insiste - c'est le plan de la dernière chance.

Je souhaite tout d'abord resituer le « plan fret » dans son contexte d'urgence - le mot est faible - pour vous montrer que les mesures prises s'imposaient de toute façon. Nous n'avions donc pas le choix.

Puis, je vous rappellerai brièvement le contenu de ce plan ainsi que les changements radicaux - certains les trouvent parfois trop radicaux, et je les comprends ! - par rapport à la gestion passée.

Je commenterai, enfin, rapidement l'état d'avancement de ce plan, après seulement une année de mise en oeuvre. Je dispose à cet égard de chiffres plus récents que ceux qui ont été cités tout à l'heure et vous pourrez constater, mesdames, messieurs les sénateurs, combien les choses ont tout de même progressé.

Pour autant, nous ne sommes que dans la première moitié du plan, et l'effort qui reste à fournir pour les années 2005 et 2006 est considérable. Cependant, je n'hésiterai pas, s'agissant du plan de la dernière chance.

Le « plan fret », tout d'abord, est une réponse responsable et, j'ose le dire, courageuse. Je ne m'attribue pas ce courage ; je l'attribue aux acteurs qui ont proposé ce plan et qui, aujourd'hui, le mettent en place.

Je rappelle que, avec 47 milliards de tonnes/kilomètre transportées, le transport de marchandises par le fer occupait une part modale de 13 %, contre environ 80 % pour le transport routier. Telle était la situation.

Cette part du chemin de fer était en complet déclin, vous l'avez souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez. Elle chutait régulièrement de 1 % par an depuis vingt ans. Entre 2000 et 2002, ce sont plus de 7 % de trafics qui ont été perdus !

L'accroissement indéfini des pertes de cette activité au sein de la SNCF, grande maison mais financièrement fragile, appelait des mesures d'un tout autre ordre, ne serait-ce que pour des raisons de logique financière rappelées avec insistance par les institutions de l'Union européenne.

En effet, il est impossible de réinjecter indéfiniment des fonds publics dans une entreprise qui est soumise à la concurrence, ou qui le sera à l'avenir. Or, en 2003, la perte courante de la SNCF a été égale au quart de son chiffre d'affaires au titre de son activité fret, soit 450 millions d'euros pour un chiffre d'affaires de 1, 8 milliard d'euros. J'insiste donc sur ce point : la SNCF n'avait pas le choix

Politique de volume tous azimuts et à n'importe quel prix, absence de stratégie de développement, perte de parts de marché, vieillissement considérable et mauvaise organisation de l'outil de production, mauvaise productivité, qualité de service dénoncée par presque tous les clients : à la veille de l'ouverture à la concurrence, l'état d'urgence était proclamé.

Le rapport rédigé en 2003 pour le Premier ministre par MM. Gerbaud et Haenel, rapport qualifié par tous d'excellent - qu'ils en soient ici tous deux chaleureusement remercié - a constitué une photographie claire de la situation. Selon eux, « le fret ferroviaire français n'est pas à la hauteur des enjeux »

Une véritable stratégie pour une politique du fret ferroviaire opérationnelle à court et à moyen terme en a donc résulté, impliquant une réorganisation complète et une mobilisation de tous les partenaires.

En effet, le mode de transport ferroviaire présente de nombreux avantages - quelles que soient les travées sur lesquelles vous vous trouvez, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez été unanimes sur ce point -, notamment environnementaux. Oui, madame Gourault, vous avez mille fois raison : en matière d'environnement et de sécurité, qu'y a-t-il de mieux que le fret ferroviaire ?

Le Gouvernement est sensible à ces avantages. C'est la raison pour laquelle il a décidé et mis en place le « plan fret » 2006. Ce plan obéit à une stratégie claire : il a pour objet un retour à l'équilibre du compte de l'activité, soit - je le confirme - un gain en résultat net de 450 millions d'euros, au terme de la troisième année.

Ce plan vise également à accroître la qualité et la compétitivité, et constitue un programme de développement des trafics, à partir de 2007 au plus tard.

L'objectif de ce plan est de doter la branche fret de la SNCF d'une structure financière et d'un modèle d'organisation sains afin de retrouver une croissance durable et pérenne de 3 % par an à partir de 2007. L'objectif est fixé.

Ce plan se compose de quatre mesures clés.

Premièrement, ce plan prévoit de revoir entièrement l'outil de production, avec une relocalisation des établissements de traction - quinze au lieu de vingt-sept -, la mise en place de grands axes gérés par un système d'information centralisé, une gestion efficace des wagons et une organisation modernisée des acheminements.

Deuxièmement, ce plan tend à améliorer la productivité. Globalement, l'objectif fixé est de faire un effort de productivité de 360 millions d'euros sur les 450 millions d'euros à regagner en résultat brut. Les ateliers de maintenance ont ainsi été restructurés et des investissements à hauteur de plus d'un milliard d'euros sur cinq ans, dont la moitié résultera d'ailleurs du plan Fret 2006, seront consentis pour moderniser le matériel roulant et les systèmes d'information. La moyenne d'âge du matériel roulant sera ainsi ramenée de trente à vingt ans en 2010, grâce aux 210 locomotives électriques en cours de livraison et aux 400 locomotives Diesel qui seront livrées à partir de 2007.

Troisièmement, ce plan vise à reconquérir la confiance des clients. Ceux-ci se gagnent avec des prix, avec un produit, mais également avec la confiance, comme M. Haenel le sait bien. Il faut donc revenir à une qualité de service garantie : toute la chaîne logistique est réorganisée avec chaque client afin d'assurer un service « de bout en bout ». Dans une logique commune d'approvisionnements plus massifs, de chargements plus efficaces et de prévisions plus fines des volumes, le service rendu est alors fiabilisé et la qualité du service accrue.

Quatrièmement, enfin, ce plan prévoit l'adoption d'une nouvelle politique commerciale, fondée sur les marges plutôt que sur le volume. Comment, en effet, faire du transport si l'on ne dégage pas de marges ? Il a été estimé que certains tarifs de fret de la SNCF étaient deux fois inférieurs à ceux de la concurrence. Cela ne peut plus durer. Or la SNCF n'a pas, dans le domaine du fret, d'obligation spécifique de service public. Il est donc impératif de se dégager de ces trafics complètement minoritaires et sous-tarifaires qui pénalisent le reste de l'activité.

Si l'on se recentre sur les transports pour lesquels le mode est vraiment compétitif parce que pertinent, les flux à distance moyenne ou longue peuvent être massifiés, directs et prévisibles. Les tarifs proposés sont alors fondés sur la réalité des coûts et la comparaison des prestations et des prix des concurrents, tout cela grâce à une négociation poussée avec les clients.

Conformément au rapport Haenel-Gerbaud, nous concentrons le trafic non pas sur les clients ou les marchés rentables, mais sur les flux pertinents. Il s'agit là, à mon avis, de la clé du succès : il faut concentrer le trafic sur les flux pertinents !

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

Si l'on choisit des flux qui ne sont pas pertinents, on pourra toujours casser les prix, rien n'y fera ! Les wagons ne se rempliront plus, il n'y aura plus de recettes, les lignes seront déficitaires, la SNCF l'étant à son tour et risquant sa pérennité.

Convaincu de la réussite de ce plan, mais également de son caractère inéluctable pour faire renaître le fret à la SNCF et lui donner toutes les chances de se développer, l'Etat a décidé d'y consacrer les moyens nécessaires. Il le financera à hauteur de 800 millions d'euros - aussitôt, bien sûr, après la décision de la Commission qui, je l'espère, sera rendue au début du mois de février -, tandis que la SNCF, en vendant des actifs, apportera 700 millions d'euros.

S'agissant de l'aide et de la décision de Bruxelles, messieurs Reiner et Mortemousque, je vous confirme que c'est bien une autonomisation financière, et non juridique, de l'activité qui nous est demandée. Il n'est donc en aucun cas question de remettre en cause le statut d'EPIC de la SNCF ou celui des cheminots, comme je l'ai d'ailleurs directement confirmé à ces derniers.

Il ne convient pas de parler de « filialisation », monsieur Krattinger. Vous avez indiqué que nous éludions ce terme ; mais pourquoi l'employer alors qu'il n'est absolument pas question de filialisation ? Ne faisons pas peur aux cheminots, qui ont le courage de se retrousser les manches pour que le plan Fret 2006 réussisse.

Un véritable plan de retour à la compétitivité, une amélioration des prestations des cheminots et de la qualité du service rendu, des moyens financiers consacrés à ce plan : vous le voyez, les convictions de ce gouvernement se traduisent dans les faits ! Il a beaucoup été question de discours. Monsieur Reiner, pour ce gouvernement, les discours, les convictions et les faits, qui se mesurent d'ailleurs en espèces sonnantes et trébuchantes - 800 millions d'euros, et imaginez ce que cela fait en francs ! -, se rejoignent.

Avez-vous, au cours de votre brillante carrière, monsieur le sénateur, connu pareil effort de la part des pouvoirs publics en faveur du fret ?

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

Il s'agit d'un effort considérable et sans précédent au cours des dernières décennies.

Madame Gourault, vous avez à juste titre évoqué les schémas de services collectifs de transport, qui ont sept ans. Ils n'ont jamais été mis en application, et je m'exprime devant des experts. Si le gouvernement précédent y avait prévu un volume d'activité de 100 milliards de tonnes kilométriques, il n'y avait en revanche affecté aucun moyen.

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

Nous ne sommes ni au théâtre ni au cinéma ! Le fret ferroviaire, c'est très concret. Monsieur Reiner, je vais le dire à votre place : à peine la moitié de ce volume d'activité a été atteinte en 2002. Telle est la situation que nous avons trouvée.

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

Nous le constatons tous.

Alors que certains ont crié, un peu trop fort à mon sens, leur volonté de doubler le trafic du fret en dix ans - on peut toujours le dire -, leurs voeux pieux n'ont jamais été traduits dans les faits, bien au contraire. Ce laisser-aller a conduit à la situation que je viens de vous décrire et que vous venez de confirmer, monsieur Reiner, en soulignant la perte des parts de marché au cours des dernières décennies.

La première année d'application, en cours, ...

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

Elle n'est pas mal, vous avez raison, monsieur Haenel, mais ne vendons pas la peau de l'ours, ce plan n'est pas encore terminé.

Cette première année démontre l'efficacité du plan Fret 2006. Les efforts sont perceptibles dans les résultats obtenus un an après sa mise en place. Vous l'avez d'ailleurs également souligné, monsieur Reiner, ce dont je vous remercie.

En termes de trafics et de recettes, les résultats à la fin de l'année 2004 - monsieur Billout, vos chiffres datent du mois d'août, permettez-moi de vous en donner de plus récents, de plus précis et donc de plus réalistes - sont conformes au plan, avec plus de 45 milliards de tonnes kilométriques. A la fin de l'année dernière, 3, 5 millions de tonnes de nouveaux trafics ont été gagnés, ce qui représente, selon les charges transportées, quelque 100 000 camions en moins sur les routes, les trafics abandonnés dans toute la France en 2004 équivalant également à ce chiffre, soit ce qui passe sur une seule de nos routes départementales. C'est relativement peu, et il faut savoir relativiser les choses.

Les marchés qui sont au coeur de la cible du transport ferroviaire sont stables, voire en croissance, comme l'automobile ou le charbon. A l'opposé, trop coûteux en moyens, les flux supprimés ne dépassent pas la proportion de 2 % du trafic global du fret de la SNCF. Environ 100 prestations de transport ont ainsi été arrêtées en 2004. Il reste que 1 500 gares ne sont encore desservies que par deux ou trois wagons par semaine et que 80 % des dessertes sont encore déficitaires.

L'augmentation moyenne des prix n'a pas dépassé 5 % en 2004 - il ne s'agit donc pas du tout de progressions de 30 ou 40 %, comme je l'ai entendu dire ! -, mais les recettes sont supérieures aux objectifs.

La productivité a connu une forte augmentation : le nombre de wagons est passé de 38 000 à la fin de l'année 2003 à 32 000 à la fin de l'année 2004, et le remplissage des trains a progressé de 7 % ; 10 % de matériels roulants et 5 % de moyens de conduite ont été économisés alors que le trafic est demeuré inchangé. Ainsi le parc des locomotives utilisées pour le fret est-il passé de 1 900 unités en janvier 2004 à 1 630 en janvier 2005. Ce sont 30 % des engins les plus âgés qui ont été retirés du service, ce qui a amélioré la disponibilité.

La priorité a réellement été donnée à la qualité et au service aux clients : la ponctualité des acheminements a été améliorée de 7 %. Or, la ponctualité est importante pour un client. Le nombre de trains calés, c'est-à-dire de trains qui ne démarrent pas, a été considérablement réduit depuis un an et s'établit aujourd'hui à moins de 2 %.

La concertation s'est également bien déroulée, après un début d'année difficile - je l'admets volontiers, monsieur Reiner - lié bien entendu à la mise en place du plan. La concertation a été active, en particulier avec les clients.

Monsieur Fortassin, un accord a été conclu dans le secteur des granulats, avec l'objectif de tripler le volume du trafic et d'augmenter les tarifs de 5 % en moyenne à partir de 2005.

Dans le secteur du bois, la concertation a souvent été longue du fait d'une organisation peu lisible des interlocuteurs. Les responsables régionaux et nationaux de la SNCF ont toutefois rencontré 400 chargeurs, monsieur Gaillard.

Tous les acteurs des secteurs d'activité concernés ont été invités à de telles réunions afin de trouver des solutions aux questions tarifaires et d'organisation des flux. Si la hausse tarifaire a été de 5 % en moyenne en 2004, des augmentations différenciées ont néanmoins pu être appliquées selon les types de trafics pour assurer le rattrapage qui s'imposait dans les secteurs manifestement considérablement sous-tarifés.

La concertation a également eu lieu avec les élus, dans chaque région, pour présenter le plan Fret 2006 ou évoquer la situation de certaines filières. J'ai également missionné M. Jacques Chauvineau pour faciliter les contacts entre la SNCF, les régions et les services de l'Etat.

Oui, monsieur Mortemousque, ces contacts doivent faciliter le dialogue entre les entreprises d'une région, les conseils économiques et sociaux et la SNCF. De nouvelles organisations logistiques pourront en découler, afin de densifier les flux et de ne pas interrompre la desserte par le ferroviaire d'entreprises ou de gares.

Vous le voyez, avec une réduction des journées de service de traction, une qualité de service accrue, le tout avec un niveau de trafic constant, les bases d'un véritable retour à la compétitivité du fret ferroviaire sont enfin perceptibles.

Je tiens à en féliciter ici les agents de la SNCF, ...

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

...et je m'associe pleinement aux hommages que vous leur avez rendus, monsieur Krattinger, qu'ils appartiennent à la branche fret ou qu'ils travaillent pour elle, à la maintenance ou à la traction. Le dernier accord signé avec la traction illustre bien la polyvalence accrue des agents. C'est très important. (MM. François Gerbaud et Hubert Haenel acquiescent.) Les efforts des agents de la SNCF commencent à payer, il faut maintenant les poursuivre et saluer la capacité d'acceptation sociale du changement en matière de fret.

Comme vous l'avez souligné, monsieur Gerbaud, la qualité de la concertation au sein de la SNCF s'améliore. J'ajouterai, si vous me le permettez, qu'il en est de même s'agissant de la responsabilisation. En effet, la semaine dernière, lors de la grève, la SNCF avait deux priorités en termes de continuité du service : le Transilien et le fret, comme les usagers l'ont, me semble-t-il, eux-mêmes constaté.

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

Cette continuité, nous la devons à l'ensemble des agents de la SNCF.

Il faut saluer l'accord du 28 octobre 2004 sur l'amélioration du dialogue social et la prévention des conflits, prometteur pour d'autres accords à venir. Il constitue un véritable progrès. Qui peut nier en effet avoir lu dans tous les quotidiens les horaires de tous les trains qui circuleraient le jour de la grève ? Ces horaires se sont révélés justes pour la plupart, pour ne pas dire tous.

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

C'est la première fois que les usagers sont respectés et qu'ils ne se retrouvent pas piégés en arrivant à la gare le jour d'une grève.

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

Comme je l'ai déjà indiqué, mesdames, messieurs les sénateurs, l'effort qui devra être fourni en 2005 et en 2006 reste considérable.

La qualité, la productivité, la prévisibilité des trafics, mais aussi la concertation doivent encore être améliorées, pour abaisser le coût de vente de la prestation et rendre le fret plus compétitif. J'encourage donc tous les agents de la SNCF à poursuivre ces efforts.

Le président Gallois...

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

... en est bien conscient, puisqu'il a retenu la réussite du plan fret dans ses priorités de 2005.

Vous savez aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, que le plan sur lequel vous vous posez des questions et à propos duquel vous m'interrogez, fort légitimement d'ailleurs, a été conçu et mis en place par M. Véron, auteur, je vous le rappelle, du plan de redressement d'Air France. Remarquez la prospérité de cette grande compagnie aérienne et l'esprit de conquête qui l'anime pour devenir la première sur le plan mondial !

L'ouverture du fret international à la concurrence depuis le mois de mars 2003 marque une importante étape et ouvre un potentiel majeur de développement.

Fret SNCF doit pouvoir assurer une qualité de service aux industriels européens de bout en bout et renforcer son positionnement. Ce dernier est primordial à la veille de l'ouverture du cabotage sur le territoire national, qui devra être réalisée avant le 1er janvier 2007. Monsieur Krattinger, c'est inéluctable.

Monsieur Gerbaud, l'Agence ferroviaire européenne est en place. Elle a deux priorités, à savoir les interconnexions entre réseaux et la sécurité.

L'objectif du Gouvernement est bien de faire de la SNCF l'un des tout premiers opérateurs européens. Pour ce qui concerne les voyageurs, le chemin parcouru est long et le positionnement de la SNCF reconnu. Quant aux marchandises, nous sommes sur la bonne voie, et le Gouvernement s'est pleinement engagé à l'égard de cette réussite.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez été nombreux à évoquer l'aménagement du territoire, ce qui est logique. Vous avez mentionné les conséquences de ce plan en la matière, notamment les fermetures de gares.

Je vous donnerai quelques chiffres, que vous avez d'ailleurs cités, monsieur Billout : en 2004, certes, 5 gares de triage ont perdu cette qualité, mais elles conservent des fonctions locales ou seront maintenues en état dans l'éventualité d'une reprise de leur fonction. Par ailleurs, seules 16 gares principales fret sur les 205 existantes ont perdu cette qualification. Enfin, il faut relever l'arrêt partiel ou complet de la desserte dans les petites gares fret. Dans les autres gares, il faut souligner et avoir à l'esprit que les trains complets sont toujours les bienvenus.

Mais ces mesures, certes difficiles, sont nécessaires compte tenu des efforts qui doivent être réalisés en ce qui concerne l'outil de production et la sélection des trafics.

Vous tous, élus locaux, êtes concernés par ces mesures territoriales, mais vous devez être pleinement conscients qu'il en va de la survie du fret ferroviaire.

Monsieur Seillier, pour ne prendre que l'exemple des gares bois, en 2003, parmi les 207 ouvertes, 18 ne connaissaient aucun trafic. Avec un nombre de wagons expédiés égal à 34 000, cela donne en moyenne un wagon expédié par jour et par gare ! Ces 207 gares bois ont donc été réduites à 180 au mois de juin dernier et à 114 au mois de décembre. Ces mesures n'auraient pas été nécessaires si les schémas de service annoncés précédemment avaient été suivis.

Les 104 gares bois ayant le moins de trafic, soit la moitié d'entre elles, ont donc été fermées. Cette disposition n'affecte néanmoins que 25 % du trafic du bois. En effet, seulement 6 % de ce transport passe par le chemin de fer.

Des restructurations des trafics sont en cours, notamment en Aquitaine et en Limousin. Des discussions régulières ont lieu avec la profession sur ces questions territoriales importantes.

Je précise maintenant que le plan Fret 2006 est un élément, parmi de nombreux autres, de la politique gouvernementale de soutien aux modes alternatifs à la route.

Vous le voyez, tous les efforts sont faits par l'Etat et par l'exploitant national pour redonner toute sa vigueur au fret ferroviaire, après l'avoir clairement sauvé de la disparition.

Cette politique de soutien aux modes alternatifs à la route se traduit également dans les décisions de recherche d'investissements. Sans vous rappeler toutes les mesures prises en ce sens, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous donnerai simplement quelques chiffres.

Comme tous les pays, la France aide à l'investissement et à l'exploitation. Ainsi, 32 millions d'euros ont été affectés aux exploitants en 2004, dont 85 % concernent le réseau ferré. En effet, l'un des deux opérateurs, la Compagnie nouvelle de conteneurs, la CNC, connaît des difficultés financières importantes. Il convient donc de modifier son organisation, sujet au coeur de nos préoccupations. Monsieur Reiner, je réponds ainsi à l'une de vos questions concernant le transport combiné.

En ce qui concerne maintenant la recherche sur le fret ferroviaire, aucun chiffre ne figure dans le plan fret, car les crédits se situent ailleurs. Mais le Gouvernement s'implique pleinement dans cette recherche partenariale associant les secteurs public et privé par le biais du PREDIT, le programme de recherche et de développement pour l'innovation et la technologie dans les transports terrestres. L'une des trois priorités de ce programme vise le transport de marchandises, en particulier le fret. La technologie Modalhor est, par exemple, un produit dudit programme.

Plusieurs intervenants m'ont interrogé sur le transport alternatif à la route. Tout d'abord, le CIADT du 18 décembre 2003 a décidé d'investissements multimodaux qui seront financés par la route ; 75 % d'entre eux sont alternatifs à la route. M. Masson a donc commis une erreur en transformant un problème très local - il s'agissait de se prononcer pour ou contre une autoroute - en un problème général.

Si, par la route, peuvent être financés les transports alternatifs, c'est grâce à l'Agence de financement des infrastructures de transport, l'AFIT, qui a été créée à la fin de l'année dernière. Cette instance dispose dorénavant d'un conseil d'administration et d'un président, présenté ce matin en conseil des ministres.

Madame Gourault, votre souhait est totalement exaucé : le ferroviaire est notamment le grand bénéficiaire, et le fret voit les grands axes massifs renforcés ou bien créés. Notons des projets tels que la réalisation de la ligne Perpignan-Figueras, dont les travaux ont commencé - je me rendrai d'ailleurs sur le chantier au mois de mars ou d'avril - ou celle de la ligne Lyon-Turin, ou encore les projets de lignes de voyageurs tels que la ligne Sud-Europe-Atlantique qui libérera ensuite autant de sillons pour le fret sur la ligne existante.

Le financement de 75 % de transports alternatifs à la route par la route, voilà ce qui a été qualifié par M. Billout de « supercherie ». Je vous laisse juges, mesdames, messieurs les sénateurs !

M. Percheron, avec talent, a mentionné l'association « Route roulante 2006 » et le développement des autoroutes ferroviaires depuis Dourges, notamment. Je lui confirme que j'apporte mon soutien à cette association.

Debut de section - Permalien
Gilles de Robien, ministre

Pour ce qui concerne la liaison entre Aiton et Orbassano, le bilan de l'année 2004 est très satisfaisant puisque ce sont quelque 7 000 camions en moins sur la route. Cette expérimentation doit être poursuivie et généralisée sur l'ensemble du territoire.

J'ai également apprécié l'intervention de M. Percheron à propos du port de Dunkerque qui est avant-gardiste en matière de desserte ferroviaire puisqu'il détient près de 50 % de parts de marché.

Pour ce qui concerne le barreau Saint-Georges, je confirme qu'il fait partie des priorités pour 2005 des contrats de plan ferroviaires. Il est considéré comme tel par mon ministère.

Enfin, les perspectives en termes de demande pour le fret ferroviaire renouent avec des chiffres de croissance positive, comme le souhaite M. Gerbaud. J'ai eu l'occasion de présenter à la presse au mois de décembre dernier cette inversion complète de la tendance : le fret ferroviaire, qui chutait annuellement de 1, 2 % ces dernières années, devrait, avec toutes ces mesures, croître de 1, 2 % par an dans les vingt prochaines années.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les premiers résultats indiquent que, après des années de bonnes intentions affichées en matière d'écologie, de développement durable, ce sera ce gouvernement qui réussira à inverser la situation. Il en est déjà ainsi pour ce qui concerne la SNCF.

Oui monsieur Reiner, nous sommes entrés dans l'ère de la reconquête du fret ferroviaire !

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 10 de M. Daniel Soulage à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité relative à l'aide aux producteurs de fruits et légumes.

M. Daniel Soulage interroge M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité sur les mesures que le Gouvernement envisage de prendre pour venir en aide au secteur des fruits et légumes. L'actualité la plus récente démontre pleinement l'urgence d'un soutien renforcé à cette filière : la baisse des prix provoquée depuis le début de l'année par l'augmentation des productions, l'atonie de la demande et le durcissement de la concurrence extérieure ont provoqué une baisse substantielle du volume des ventes, entraînant des manifestations de mécontentement parfois violentes de la part des professionnels les plus affectés. Les conséquences de ces difficultés conjoncturelles sont exacerbées par les handicaps traditionnels que connaît le secteur : importante vulnérabilité aux aléas climatiques, charges de main-d'oeuvre élevées, dispersion des producteurs face à la grande distribution... Malgré les mesures prises tant par le Gouvernement que par les producteurs et les opérateurs depuis plusieurs mois, les problèmes restent aigus et paraissent nécessiter, à terme, une réforme de l'organisation commune de marché et la mise en place d'un véritable dispositif de gestion de crise au niveau européen, comme s'y était d'ailleurs engagé le ministre sortant en charge de l'agriculture. Aussi il souhaiterait connaître l'analyse qu'il effectue de cette crise ainsi que ses intentions à court et moyen termes en vue d'y remédier.

La parole est à M. Daniel Soulage, auteur de la question.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Soulage

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord remercier le président du Sénat, M. Christian Poncelet, qui a bien voulu inscrire à l'ordre du jour réservé cette question orale avec débat.

Cette question est d'actualité puisque le Sénat examine ces jours-ci en deuxième lecture le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux. Les solutions qui doivent être apportées à la crise de la filière fruits et légumes ont d'ailleurs fait l'objet la semaine dernière de discussions vives et passionnées.

Par ailleurs, je veux également remercier le président de la commission des affaires économiques, M. Jean-Paul Emorine, et le président du groupe d'études sur l'économie agricole alimentaire, M. Gérard César, qui ont bien voulu soutenir la création d'une section, au sein de ce groupe d'études, consacrée à la filière fruits et légumes.

L'importance de ce secteur, d'un point de vue tant économique que social, doit tout d'abord être soulignée. Ce secteur représente en effet 12, 6 % de la valeur de la production agricole nationale ; il concerne environ 34 000 exploitations spécialisées, il emploie près de 650 000 actifs et fait de notre pays le troisième producteur de fruits et légumes de l'Union européenne, derrière l'Italie et l'Espagne.

Pourtant, ce secteur connaît aujourd'hui une grave crise qui alimente de forts mécontentements chez les professionnels, des actions sociales parfois spectaculaires et de grandes attentes de la part des producteurs.

Cette crise est tout d'abord conjoncturelle.

Après une année 2003 relativement satisfaisante en termes de revenus du fait d'une augmentation des prix due à la canicule et à la sécheresse, l'année 2004 a été particulièrement difficile pour le secteur : très forte baisse des prix due à des volumes de production en forte progression, difficultés d'écoulement en raison d'une faible demande intérieure, augmentation notable des coûts de production liée à la hausse du prix du fioul.

Mais cette crise a également, et c'est le plus inquiétant, des racines structurelles.

Naturellement fragiles et périssables, les fruits et légumes sont très vulnérables aux aléas climatiques. De plus, la main-d'oeuvre dans ce secteur souffre, en France, d'un coût élevé comparativement à d'autres pays, y compris certains pays de l'Union européenne, ainsi que d'une insuffisance de l'offre de travail. La pression concurrentielle, qu'elle provienne du marché mondial ou européen, est extrêmement agressive. La faiblesse de l'Organisation commune de marché, l'OCM, qui ne reçoit que 4 % des crédits du FEOGA-Garantie, ne permet pas de remédier à cette situation. Enfin, la production est trop dispersée par rapport à la transformation et, plus encore, par rapport à la distribution.

Tous ces éléments se trouvent d'ailleurs développés et approfondis dans le rapport pour avis sur le budget de l'agriculture, rédigé par mon collègue Gérard César, et dont une partie est consacrée à la crise que traverse actuellement le secteur des fruits et légumes.

Nombre de producteurs se trouvent donc cette année dans une situation difficile et hésitent à se lancer dans une nouvelle campagne de production. C'est pourquoi il est de notre devoir d'envoyer à ces acteurs économiques un signal fort destiné à leur redonner confiance quant à la volonté des pouvoirs publics de les aider à traverser cette crise et de conserver cette filière.

Certes, la prise de conscience de l'ensemble des acteurs a permis de mettre en place certaines mesures. Cependant, la poursuite de cette situation de crise montre que ces mesures sont aujourd'hui insuffisantes.

D'une part, le Gouvernement a engagé un vaste audit de la filière fruits et légumes, dont les conclusions ont été présentées au mois de juin dernier. Plusieurs recommandations sont formulées, qui se concentrent tout particulièrement sur la nécessité d'instaurer au niveau européen un véritable dispositif de gestion des crises.

D'autre part, après les aléas météorologiques connus en 2003 - gel de printemps, canicule estivale -, le Gouvernement a mis en place des mesures d'urgence. Monsieur le ministre, je tiens ici à saluer votre prédécesseur, M. Hervé Gaymard, pour la réactivité dont il a fait preuve. Ainsi, une aide directe de 10 millions d'euros pour soulager la trésorerie des agriculteurs a été débloquée ; l'ONIFLHOR, l'Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture, a aussi reçu 10 millions d'euros pour engager des actions structurantes ; 50 millions d'euros ont été débloqués pour des prêts de consolidation et 1 million d'euros pour une prise en charge de cotisations de la Mutualité sociale agricole. Ces aides étaient nécessaires et ont été reçues avec soulagement.

Hélas ! nous en sommes tous conscients, cela n'est pas suffisant. Je reprendrai l'exemple que j'avais évoqué à l'occasion de l'examen du budget pour 2005 : depuis septembre 2004, nous savons, monsieur le ministre, que la MSA aura besoin pour le Lot-et-Garonne de 500 000 euros de crédits, soit la moitié des crédits accordés par le ministère. Une enveloppe complémentaire est donc absolument nécessaire et, pour l'instant, nous ne disposons pas d'informations sur ce sujet.

Enfin, le Gouvernement a déposé une demande d'aide au niveau européen concernant plus spécialement le chou-fleur, dont le marché est particulièrement défavorable. Consistant à mettre en place un système de gestion de crise, cette tentative a malheureusement été bloquée au niveau de la Commission européenne.

Si le Gouvernement n'est pas, loin s'en faut, resté inactif devant la crise, les producteurs et les opérateurs ont également tenté d'apporter des solutions. Durant l'été dernier, et afin de redynamiser une consommation atone, ils ont mené des actions exceptionnelles, qu'il s'agisse d'initiatives promotionnelles fortement médiatisées ou d'une tentative expérimentale d'instaurer un prix minimum pour la tomate.

Ils ont également signé un accord interprofessionnel permettant la publicité sur le prix des fruits et des légumes hors des lieux de vente. Cet accord a ouvert la voie à une modification de la loi sur les nouvelles régulations économiques qui a consacré l'autorisation de ce type de publicité.

Enfin, par l'intermédiaire d'Interfel, l'Interprofession des fruits et légumes, et d'Aprifel, l'Agence fruits et légumes frais, la profession a demandé au Président de la République la reconnaissance du label « Grande cause nationale » au profit du secteur ainsi que la mise en place d'un plan national fruits et légumes pour la prévention des grandes pathologies.

Je le disais la semaine dernière dans ce même hémicycle, je sais, en tant qu'élu rural, combien il est difficile de créer des emplois dans des zones non urbaines. Le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux essaie de remédier à cette difficulté. Mais, avant de penser à créer des emplois, il nous faut lutter pour conserver les emplois existants.

Je voudrais aborder aujourd'hui les différents problèmes auxquels se heurte la filière fruits et légumes et envisager avec vous les actions possibles.

En matière de production, tout d'abord, il existe plusieurs leviers sur lesquels nous pourrions agir pour redonner de la compétitivité à cette filière : le coût du travail, l'amélioration de la productivité, les aléas climatiques, les distorsions de concurrence liées aux intrants, l'accompagnement des producteurs face à l'arrivée de dix nouveaux pays sur le marché.

La filière fruits et légumes n'est pas la seule en France où le coût du travail entraîne un manque de compétitivité. Ce secteur est de plus soumis à une très forte concurrence, intracommunautaire d'abord, mondiale ensuite. Il ne faut pas oublier que le coût de l'emploi représente 50 % du coût total de production.

Que le coût du travail et les charges sociales soient nettement plus faibles au Maroc ou en Tunisie qu'en France, nous ne pouvons pas y faire grand-chose ; mais que l'Allemagne réussisse à produire à un coût horaire saisonnier de 6, 15 euros contre 8, 52 euros pour la France est moins acceptable. Une harmonisation est nécessaire afin que ces distorsions cessent. Il nous faut donner aux exploitants les moyens de produire à des coûts plus faibles.

J'avais proposé, dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, que soient adoptées différentes mesures destinées à faciliter le recours à des travailleurs étrangers pour les récoltes, à étendre à tout type de récolte agricole les conditions avantageuses du contrat de vendanges qui permet des allégements de charges sociales, patronales et salariales, et à augmenter la durée pendant laquelle les producteurs paient des charges sociales à taux réduits pour les travailleurs occasionnels.

Ces propositions n'ont pas été adoptées et je le regrette, car je pense qu'elles auraient été de nature à encourager les producteurs à continuer leur activité, à employer plus de main-d'oeuvre et à produire de manière plus concurrentielle.

Si nous voulons, monsieur le ministre, maintenir notre production, nous serons fatalement amenés à faire des efforts en matière de coût de main-d'oeuvre et de recours à des travailleurs étrangers.

Pour ce qui concerne l'amélioration de la productivité, il serait sûrement souhaitable que les pouvoirs publics aident les exploitants à améliorer leurs structures de production et de commercialisation. Aujourd'hui, avec l'arrivée dans le marché européen des pays de l'Est, nos exploitations ont besoin d'un plan d'adaptation structurel prenant en compte l'économie, l'environnement et le social. Il s'agit de parvenir à un produit de qualité et d'être compétitif, tout en respectant les règles environnementales, en particulier en maîtrisant les intrants.

La profession travaille sur ce sujet en liaison avec le ministère pour que soient inclues des mesures dans le PDRN, le plan de développement rural national. Quelles sont les avancées sur ce sujet ?

L'entrée de l'Espagne et du Portugal dans le marché commun a été accompagnée par des mesures très importantes, notamment des financements européens au niveau du PIM, le programme intégré méditerranéen, mesures qui ont été complétées à l'échelon national en 1992 et en 1993. Il faudrait prendre exemple là-dessus.

Aujourd'hui, monsieur le ministre, ce sont non pas deux mais dix pays qui nous rejoignent et, à l'inverse de ce qui avait été fait en 1992 et en 1993, non seulement les producteurs déjà intégrés dans la politique agricole commune, la PAC, ne disposent pas de mesures d'accompagnement mais les producteurs des nouveaux pays européens vont de plus être prioritairement éligibles aux fonds structurels et seront de ce fait encore plus concurrentiels, notamment dans la filière fruits et légumes.

Aujourd'hui comme hier, nous avons besoin de mesures d'accompagnement pour les agriculteurs.

J'en viens aux aléas climatiques qui, dans la production légumière et fruitière, ne sont pas rares : citons le gel de 2003 ainsi que le terrible orage de juin 2004 qui a détruit les vergers de pruniers dans le Lot-et-Garonne et les départements voisins ; les exemples ne manquent pas. Depuis de nombreuses années, je me prononce en faveur de la mise en place d'un dispositif d'assurance récolte permettant de pallier les effets parfois dévastateurs du climat sur une production. J'ai donc été ravi de voir dans le budget pour 2005 l'amorce d'un tel dispositif.

Le système proposé par le Gouvernement, en pourcentage et en montant, me semble tout à fait correct. Je regrette cependant que seulement 10 millions d'euros soient prévus pour le financer et que les interventions soient plafonnées à 130 millions d'euros. Je rappelle que les Espagnols consacrent 230 millions d'euros à leur système d'assurance, ce qui est un montant considérable au vu de leur agriculture.

En outre, il me semble indispensable de prévoir une réassurance publique, et il est dommage que l'examen de cette question soit renvoyé à plus tard.

La mise en place d'une assurance récolte ne doit être, à mon avis, qu'une étape vers une assurance-revenu, à l'instar de ce que font les Espagnols. L'application de ce type d'assurance s'avérera vite nécessaire dans une Union européenne contrainte de supprimer les aides à l'exportation ou de baisser les aides internes considérées comme portant atteinte à la libre concurrence. Monsieur le ministre, comment comptez-vous aborder ce dossier et dans quelle direction, notamment lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole ?

Enfin, pour ce qui est des intrants, la filière fruits et légumes se heurte à de fortes distorsions de concurrence. En effet, la législation française est l'une des plus sévères en matière d'intrants, qu'ils soient chimiques ou non. Certains pays voisins peuvent autoriser l'utilisation de produits auxquels n'ont pas accès les producteurs français. Il faut absolument agir afin que la législation en la matière soit harmonisée à l'échelon européen. Dans un espace à vingt-cinq, il est absolument inconcevable que de telles distorsions de concurrence existent, et j'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez agir auprès de vos confrères européens.

De nombreux producteurs font d'ores et déjà de très gros efforts de maîtrise des intrants ; certains se sont engagés dans des démarches de production fruitière intégrée, de lutte intégrée dans les serres ou d'agriculture raisonnée. De plus, les problèmes de coût incitent à la modération.

J'en arrive aux difficultés liées à la commercialisation des produits.

Le principal point qui pose problème à la filière en matière de distribution et de commercialisation est la régulation du marché. De par la spécificité des produits, des produits périssables notamment, les producteurs sont en position de faiblesse dans leur relation avec les distributeurs, et ils apparaissent souvent divisés ou mal organisés pour faire face aux cinq grands distributeurs.

Premièrement, nous devons développer un outil efficace de connaissance de la production avant la mise sur le marché. La connaissance du volume et de la qualité du produit avant sa mise sur le marché peut permettre d'anticiper sur les phases sensibles qu'il va connaître et les problèmes qu'il va rencontrer lors de la saison. L'idéal serait bien entendu que cet outil soit développé au niveau communautaire afin d'anticiper également sur les flux d'importation et d'exportation.

Deuxièmement, afin que la première mise sur le marché se passe dans les meilleures conditions, il faut absolument aider les producteurs à s'organiser face aux distributeurs et aux grossistes, qui, je le rappelle, sont extrêmement concentrés. Il s'agit non pas de permettre une entente sur les prix, contraire au droit communautaire, mais, compte tenu des caractéristiques de la production, de permettre aux producteurs de se concerter sur leur offre.

Le deuxième point qui pose problème, s'agissant de la commercialisation des produits, concerne les mécanismes de gestion de la crise. S'il y a crise, comme cela a été le cas en 2004 pour un très grand nombre de fruits et de légumes, il nous faut pouvoir appliquer un dispositif ponctuel. A cet égard, je suis ravi que le Sénat ait adopté la semaine dernière la mise en place du mécanisme de coefficient multiplicateur. Ce dispositif, destiné à lier le prix d'achat au prix de vente d'un produit en période de crise, et dans ce cas seulement, c'est-à-dire de façon tout à fait ponctuelle, permet d'éviter l'installation d'une spirale de baisse des prix. Au contraire, il incite les distributeurs à acheter à un prix raisonnable afin de pouvoir dégager une marge.

J'espère que vous saurez entendre l'appel que les sénateurs ont voulu lancer en adoptant cet amendement qui correspond à la demande unanime de la profession. Je vous demande d'en tenir compte et de ne pas le rejeter en commission mixte paritaire. Nous avons certainement les moyens de négocier avec Bruxelles afin qu'un tel dispositif puisse être mis en place ; en effet, je le rappelle, il s'agit non pas de mettre en place des prix administrés, mais de réguler ponctuellement un marché difficile à appréhender.

Monsieur le ministre, vous avez vous-même proposé plusieurs amendements destinés à assainir les relations entre les producteurs et les distributeurs, notamment en période de crise.

Ces propositions correspondent également à une attente des professionnels.

Elles permettent d'engager la responsabilité de tout producteur, commerçant ou industriel, ou de toute personne immatriculée au répertoire des métiers qui pratique des prix abusivement bas en période de crise ; elle permet également de favoriser l'engagement volontaire des distributeurs à modérer leur marge en période de crise, de n'autoriser la pratique des remises, ristournes, rabais et autres frais de coopération commerciale que s'il y a un contrat écrit en ce sens entre le producteur et le distributeur, et, enfin, d'autoriser l'annonce des prix hors lieu de vente sur une période courte sans recours obligatoire à un accord de l'interprofession.

Monsieur le ministre, ces amendements sont tout à fait cohérents avec la proposition relative au coefficient multiplicateur votée par le Sénat.

Le coefficient multiplicateur est un mécanisme qui permet au Gouvernement de garder une grande marge de manoeuvre puisque c'est lui qui décide quand, sur quels produits et à quel taux il s'applique. Vous disposez désormais, monsieur le ministre, d'une arme pour combattre les crises.

En matière de financement des dispositifs de gestion des crises, il est également nécessaire de prévoir la mise en place d'une caisse professionnelle de péréquation.

En effet, il apparaît de plus en plus indispensable que les producteurs disposent d'un mécanisme de compensation financière. Nous avons tous encore en tête les retraits massifs de produits et les abus auxquels ils ont donné lieu voilà quelques années.

Cette procédure est encore utilisée, mais elle est très encadrée et limitée, et elle ne concerne que les producteurs membres de l'organisation économique.

Aujourd'hui, les producteurs proposent qu'un fonds de péréquation soit créé à l'échelon européen et mis en oeuvre à l'échelon régional.

Le financement pourrait être le suivant : il proviendrait pour un tiers de l'Union européenne, pour un tiers de l'Etat membre et/ou de la région concernée, pour un tiers des cotisations professionnelles, sachant que le financement européen est déjà prévu à partir du prélèvement du 1 % sur la modulation.

L'expérience des comités économiques pourrait à cette occasion être mise à profit : ces derniers seraient chargés de prélever les cotisations des producteurs ainsi que d'alerter et de déclencher le système de péréquation en cas de crise.

L'efficacité et l'équité du système seraient garanties par la participation financière directe de tous les producteurs, qui auront tout intérêt à utiliser les fonds de la caisse à bon escient.

Géré au niveau local, cet organisme aurait la souplesse et la réactivité voulues pour intervenir efficacement. Il pourrait le faire en matière de retrait de marchandises du marché ou de destruction de récoltes aux champs. Il pourrait également développer, si nécessaire, le soutien aux livraisons à la transformation ou conduire des actions promotionnelles dans l'espace européen et dans les pays tiers.

Parallèlement à ce dispositif, monsieur le ministre, il vous faudra veiller à ce qu'avancent à l'échelle européenne les dossiers de la réforme de l'Organisation commune de marché « fruits et légumes » et de la mise en place d'un véritable système de gestion de crise communautaire. Votre prédécesseur, Hervé Gaymard, s'est largement investi en ce sens ; nous ne doutons pas que vous aurez à coeur de poursuivre ses démarches.

J'en viens à la consommation et à la promotion.

Le premier de ces deux points est fondamental. La consommation de fruits et de légumes n'a cessé de diminuer au cours des quarante dernières années au profit de la consommation de produits manufacturés.

Des chiffres récents montrent que la part du budget alimentaire dans le budget des ménages est passée de 30, 7 % en 1959 à 14, 7 % en 2003, et que la part des fruits et légumes dans le budget alimentaire est passée dans le même temps de 13, 7 % à 9, 9 %, ce qui correspond à une baisse de 27 points en quarante-quatre ans ! Et ce problème ne découle pas seulement, idée devenue habituelle, de la cherté des fruits et légumes frais.

Cette situation est préoccupante en termes de débouchés pour les producteurs. L'exemple de la campagne 2004 est éloquent à cet égard : malgré la crise et les prix bas, les consommateurs ont continué de bouder les fruits et légumes.

Mais, au-delà du manque de débouchés pour les productions, nous devons être conscients du fait que nous allons au-devant de problèmes de santé publique : les fruits et légumes sont des produits nécessaires à un bon équilibre alimentaire et à une bonne santé.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : alors que 3 % des Français étaient touchés par l'obésité en 1970, il sont aujourd'hui 11 % à en souffrir, et 30 % de la population est en situation de surpoids. Ajoutons que 20 % des enfants devraient être concernés par ce fléau en 2020.

L'Organisation mondiale de la santé et l'Union européenne ont l'une et l'autre fait des recommandations pour que la consommation des fruits et des légumes soit vivement encouragée, et c'est un point que le Président de la République a abordé lors de la présentation du plan anticancer. De même, le programme national nutrition-santé, ou PNSS, lancé en 2001, avait pour but d'améliorer la nutrition des Français et, notamment, de favoriser la consommation de fruits et légumes.

Malgré ce programme, la consommation de fruits n'a jamais été aussi basse que lors de l'été 2004, et la consommation de légumes est également en recul, ce qui m'amène au second point : la promotion des produits.

Monsieur le ministre, il faut promouvoir activement la consommation des fruits et légumes.

L'interprofession doit être dotée de moyens importants en la matière, moyens qui peuvent être français mais également européens, car la France n'est pas le seul pays à être touché par une baisse de la consommation de ce type de produits frais.

Renforcer la communication sur l'importance de la consommation de fruits et légumes en direction des Français est indispensable. Si l'on compare les investissements publicitaires en matière alimentaire, on se rend vite compte que la lutte est inégale. Le rapport est de un à cinq entre la promotion des fruits et légumes et les publicités pour la confiserie et les bonbons. Il passe de un à quinze entre, d'une part, les fruits et légumes, et, d'autre part, tous les produits issus de la panification, et j'estime qu'il est de un à trente entre la filière fruits et légumes et la filière lait.

La filière fruits et légumes souffre donc d'un déficit de communication, ce qui est préoccupant au regard de la santé. Il serait souhaitable que la communication sur les fruits et légumes soit étendue et se voie attribuer à cette fin le label « Grande cause nationale », lequel permet de bénéficier des avantages tarifaires publicitaires existant dans le cadre des causes nationales. Contribuer à une meilleure information de nos citoyens en vue de les inciter à adopter une alimentation plus équilibrée relève, me semble-t-il, des objectifs de ce label.

Dans cet esprit, on ne peut qu'appuyer la demande de la profession de mettre en place un plan national « fruits et légumes » pour la prévention des grandes pathologies comme le cancer, les maladies cardiovasculaires ou l'obésité.

Enfin, pourquoi ne pas confier comme priorité une mission de valorisation des fruits et légumes à l'Agence française d'information et de communication agricole et rurale que le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux prévoit de créer ?

Une telle action permettrait de rappeler de façon très générale les bienfaits, la qualité et l'authenticité de ces produits. Ainsi, elle serait parfaitement complémentaire des initiatives prises à l'échelle de l'interprofession, lesquelles sont davantage ciblées sur la promotion commerciale de tel ou tel produit.

Monsieur le ministre, pour conclure mon propos, je souhaite vous remercier de consacrer deux heures de votre temps à ce débat. Je pense que ce n'est pas inutile et que tous les professionnels y seront très sensibles.

Je voudrais également saluer votre volonté de faire avancer le dossier, volonté qui s'est déjà concrétisée par le dépôt de quatre amendements dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux.

Reste à adopter définitivement ce texte et à faire appliquer au plus vite les différentes mesures qu'il contient.

A cet égard, vous aurez le soutien de la section d'études consacrée aux fruits et légumes que plusieurs de mes collègues et moi-même venons de créer au sein de la commission des affaires économiques.

Je souhaite remercier également Christian Jacob d'avoir pris en compte, dans le cadre de son groupe de travail sur les relations commerciales, les difficultés rencontrées par les agriculteurs et de s'être prononcé, voilà une quinzaine de jours, en faveur du coefficient multiplicateur.

Monsieur le ministre, maintenir le dispositif du coefficient multiplicateur dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux est une manière de lancer un signal fort en direction de toute la filière et de signifier à cette dernière que ses préoccupations ont été entendues.

Bien entendu, il faudra encore préciser le mécanisme et ses modalités d'application dans le cadre du projet de loi d'orientation agricole ou dans celui du projet de loi sur les entreprises que présentera Christian Jacob.

Nous sommes certains, monsieur le ministre, que vous saurez déterminer les mesures réglementaires les plus efficaces et les mieux adaptées à la diversité des situations. Cependant, il semble nécessaire de ne pas remettre en cause le principe de cette mesure dont il est important de préciser qu'elle a reçu l'assentiment de l'ensemble de la filière, comme celui des sénateurs.

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Dans la suite du débat, la parole est à M. François Marc.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d'abord remercier M. Soulage d'avoir engagé ce débat et la conférence des présidents d'avoir accepté d'inscrire à l'ordre du jour cette question qui porte sur un sujet important.

Les fruits et légumes représentent en effet, on l'a dit, 12, 5 % de l'activité agricole dans notre pays et, surtout, le contexte est aujourd'hui particulièrement difficile. A cet égard, je souscris au diagnostic très objectif de la situation que vient d'établir M. Soulage et je m'associe, bien sûr, à un certain nombre de ses préconisations.

Je m'inscris pour ma part dans une problématique un peu plus douloureuse en tant qu'élu d'une région dont une grande partie est spécialisée dans les légumes et qui, pour certaines activités, assure près des trois quarts de la production française. Je parle évidemment de la Bretagne, où la filière compte 4 000 producteurs et 10 000 emplois salariés. La production de légumes contribue donc fortement à la structuration du tissu socioéconomique dans les 200 communes au moins de la zone légumière.

Le fait est que, depuis six ou sept ans, l'activité légumière connaît une crise devenue structurelle - et non pas conjoncturelle -, et c'est par rapport à cette réalité que nous devons réfléchir aux mesures à mettre en oeuvre.

Je citerai un seul chiffre pour l'année 2004 : dans la région Bretagne, le chiffre d'affaires des activités légumières est passé de 450 millions d'euros en 2003 à 350 millions d'euros en 2004, soit, en un an, une perte de près du quart du chiffre d'affaires, perte qui, évidemment, se ressent au niveau des revenus tant des producteurs que de l'ensemble des personnes qui travaillent dans la filière.

Jusque-là, en période de crise, les dispositifs existants, dits « plans de campagne », permettaient, pour un budget limité, de réguler correctement les conjonctures difficiles grâce à la promotion de l'export, à la transformation et aux retraits. Malheureusement, monsieur le ministre, ces dispositifs ne sont plus appliqués - ils ne sont d'ailleurs plus applicables au regard des règles européennes - et la crise du chou-fleur des années 2003 et 2004 a cruellement révélé l'absence de mécanisme de substitution approprié.

M. Soulage l'a rappelé, l'opération pilote de gestion de crise qui avait été envisagée en France par le Gouvernement a en effet été rejetée, voilà quelques mois, par Bruxelles, et les mesures ponctuelles adoptées par le Gouvernement s'inscrivent dans un contexte financier rempli d'incertitudes. Dès lors, dans quelles directions faut-il orienter les efforts de régulation et de soutien aux producteurs ?

Trois options qui donnent à la profession l'espoir que des actions des pouvoirs publics seront développées au cours des prochains mois sont aujourd'hui en débat.

La première de ces options est la lutte contre les distorsions de concurrence. M. Soulage a longuement évoqué tout à l'heure ces distorsions, notamment en ce qui concerne les charges salariales, du fait notamment de la concurrence de pays tels que la Pologne, qui utilise abondamment la main-d'oeuvre de certains pays proches. C'est un problème particulièrement délicat, et je me satisfais de savoir que le Gouvernement a engagé un travail de réflexion sur le sujet et pourra sans doute nous soumettre des propositions dans les prochains mois.

La deuxième option en débat est le rééquilibrage du rapport de force entre production et distribution. S'agissant de la maîtrise et de la transparence des marges ainsi que de l'amélioration de la répartition du surplus, un certain nombre de propositions nous sont faites, et le Gouvernement a d'ailleurs suggéré des amendements au projet de loi relatif au développement des territoires ruraux. On peut espérer que certaines de ces propositions produiront un effet positif.

Je souhaiterais aussi voir évoquer à cet égard le nécessaire assainissement de certaines pratiques de la grande distribution. Je pense bien entendu aux marges arrière, qui ont conduit à de graves excès qu'il faut dénoncer, ainsi, monsieur le ministre, qu'au processus d'enchères inversées, qui produit aujourd'hui des effets catastrophiques dans divers secteurs d'activité agricole.

Je sais que M. Sarkozy avait essayé, voilà quelques mois, de prendre des mesures pour remédier à cette situation, mais j'ai cru comprendre que le projet avait été abandonné et que le Gouvernement ne proposait, dans l'immédiat, aucune solution. Quoi qu'il en soit, les enchères inversées continuent de produire des effets catastrophiques : c'est là un problème particulièrement important qu'il convient d'examiner.

La troisième option pour le court terme est celle des accords bilatéraux du commerce international qui s'avèrent, à certains égards, pénalisants pour la filière des fruits et légumes. Je pense tout particulièrement aux accords passés entre la France et le Maroc, et plus spécialement à l'accord concernant l'échange de céréales contre des tomates qui s'est révélé particulièrement préjudiciable aux producteurs français de tomates. Le Gouvernement devrait tout particulièrement veiller à ce que ces accords bilatéraux ne pénalisent pas, comme c'est actuellement le cas, l'activité fruits et légumes.

Au-delà de ces sujets d'interrogation et des leviers d'action qu'ils induisent à court terme, il nous faut réfléchir à long terme et examiner les conditions de la pérennisation du secteur de la production de légumes. Cette réflexion nous conduit, bien entendu, à nous tourner vers l'Europe et à nous interroger sur la façon dont vous allez pouvoir, monsieur le ministre, défendre dans les mois et les années qui viennent une position ambitieuse pour la France.

Pour notre part, nous avons le sentiment que la France doit, au niveau de la discussion européenne, mettre en avant quatre objectifs ambitieux : premièrement, éviter la reconversion en fruits et légumes des surfaces de grandes cultures ; deuxièmement, améliorer l'Organisation commune des marchés des fruits et légumes ; troisièmement, préserver les bassins « historiques » par des mesures appropriées ; quatrièmement, inciter à la mise en place d'outils d'anticipation des crises.

Pour ce qui est du premier objectif, vous savez que les Etats membres sont censés éviter que les agriculteurs bénéficiant de primes ne se diversifient dans des productions sensibles comme celle des fruits et légumes. En réalité, aucun Etat membre n'a la volonté politique et la capacité matérielle de contrôler le respect de cette disposition.

Aucune mesure concrète n'a été prise par les Etats concernés pour faire appliquer cette interdiction qui, du reste, ne porte plus que sur les cultures de printemps, les cultures dérobées d'automne ayant été autorisées par le règlement du 29 avril 2004.

Face à ce manque évident de volonté politique, on ne peut que préconiser non pas des mesures coercitives, mais des dispositions permettant d'orienter les hectares potentiellement convertibles en fruits et légumes vers des productions de substitution, en particulier celles de biocarburants.

Je précise, mes chers collègues, que la reconversion en légumes de 1% de la surface agricole utile, la SAU, en France, équivaudrait à doubler la surface légumière de notre pays : on voit bien dans quel marasme une telle décision pourrait nous plonger !

Le deuxième objectif à privilégier est celui de l'amélioration de l'Organisation commune des marchés des fruits et légumes. Face à une demande sans cesse plus concentrée, le regroupement de l'offre au sein de ces organisations apparaît plus que jamais comme une nécessité économique pour renforcer la position des producteurs sur le marché.

Nous avons le sentiment que la réforme de 1996 de l'OCM a entraîné un certain nombre d'effets indésirables, voire pervers. Il est donc très important de pouvoir se pencher très rapidement sur leur correction.

L'adaptation des dispositifs d'aide communautaire devrait, à notre sens, permettre de répondre plus efficacement à ce deuxième objectif.

Le troisième objectif consiste à préserver les bassins « historiques » par des mesures appropriées. Les bassins « historiques » en légumes se sont développés grâce aux possibilités de leur sol et de leur climat qui leur permettent d'avoir des produits de haut niveau qualitatif toute l'année avec le minimum d'intrants, ce qui va dans le sens tant de la principale préoccupation actuelle des consommateurs européens que d'un développement durable harmonieux. Or, le développement actuel des nouveaux bassins se fait exclusivement à partir des distorsions créées par les politiques agricoles, par les législations sociales ou de protection des plantes. Pour s'imposer sur le marché, les nouveaux entrants pratiquent une politique commerciale agressive, avec des prix bas ou des systèmes de fixation de prix extrêmement favorables aux acheteurs, et cela sans que le consommateur en tire avantage au moment de l'achat.

Même si les législations européennes et les certifications commerciales sont censées s'imposer de la même manière à tous les pays de l'Europe, il existe des différences notables entre bassins A cet égard, je note que le développement rural prévoit un certain nombre de mesures structurelles de certification, de segmentation et que, dans ce cadre, il convient de rechercher la mise en place de soutiens spécifiques pour permettre aux bassins « historiques » de consolider leur position stratégique au sein du marché européen élargi.

Le quatrième objectif fondamental à nos yeux passe par la mise en place d'outils d'anticipation des crises et de maintien du tissu productif. Comme je l'ai souligné en préambule, le marché des fruits et légumes est régulièrement soumis à des crises conjoncturelles aiguës. Compte tenu du contexte concurrentiel précédemment décrit, deux politiques peuvent être envisagées.

La première est une politique de laisser-faire. Dans ce cas, la production se concentrera dans les zones disposant d'avantages « distorsifs » - grandes cultures primables, avantage en termes de main-d'oeuvre... - et dans certaines régions du sud de l'Europe pour les productions d'hiver - Pouilles, Campanie, Andalousie, plaine de Murcie... - au détriment de bassins « historiques », qui connaîtront une disparition plus ou moins rapide. Une telle évolution ne signifiera pas la fin des crises conjoncturelles ; au contraire, certaines crises deviendront structurelles, et j'en veux pour exemple la situation actuelle des marchés de l'oignon, de la pomme de terre ou de la carotte.

La seconde politique, qui est l'autre terme de l'alternative, est une politique volontariste de soutien aux organisations de producteurs par la mise en place d'outils d'anticipation des crises et de préservation du tissu productif. Ces outils doivent permettre non seulement de prévenir la crise, mais également de donner aux producteurs, en compensation des aides dont bénéficieront leurs concurrents, des soutiens pour les aider à se maintenir dans les situations difficiles qui ne manqueront pas de se produire.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il est superflu de souligner que c'est actuellement la politique du laisser-faire qui semble l'emporter au niveau européen, cette dernière s'accompagnant d'ailleurs d'une communication adaptée de la Commission visant à minimiser les distorsions engendrées par la nouvelle PAC

En conclusion, monsieur le ministre, le groupe socialiste revendique une démarche interventionniste forte de la France, une politique volontariste de soutien, susceptible de remettre en cause certaines des orientations de laisser-faire que semble aujourd'hui privilégier la Commission européenne. Nous souhaitons donc vivement que, au nom de notre pays, vous puissiez, à ce stade essentiel de la mise en oeuvre d'une politique agricole pour les fruits et légumes, défendre activement la stratégie la plus efficace pour préserver nos exploitations et donc le tissu socioéconomique de nombre de nos communes rurales où le légume reste l'une des valeurs sures de l'activité agricole.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - Mme Gisèle Gautier applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Murat

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le secteur des fruits et légumes subit depuis plusieurs années des crises régulières, plus ou moins fortes, plus ou moins destructrices.

De fait, la situation des fruits et légumes de France est aujourd'hui sérieuse, je dirais même grave, voire désespérée, alors que les enjeux de ce secteur d'activité pour notre pays sont, en termes d'emplois, de territoires, de santé publique, clairement identifiés.

Cette situation de crise quasi permanente depuis plus de dix ans, qui touche, comme cela a été signalé, 12, 5 % de la production agricole et qui a été aggravée par l'été caniculaire 2003, est révélatrice, certes, d'un environnement international et communautaire en pleine mutation, générateur de concurrence, dans lequel nos producteurs « ne jouent pas à armes égales », mais aussi d'un certain nombre de handicaps de la filière dont la résolution dépend pour partie de l'action des producteurs, mais aussi de l'environnement économique et politique.

Je pense bien évidemment, à cet égard, aux relations avec les centrales d'achat de la grande distribution. Sur ce dossier, c'est au politique de prendre ses responsabilités, ce qu'il a fait dernièrement, afin d'assainir et de rationaliser ces relations.

Je me félicite donc, ce soir, que M. Soulage, M. le président du Sénat et le M. le président de la commission des affaires économiques aient pris l'initiative d'organiser ce débat qui nous permettra, je l'espère, de tirer les enseignements de ces années difficiles et d'offrir aux producteurs quelques perspectives d'avenir encourageantes.

En préambule, je voudrais attirer votre attention, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur l'importance que représente la filière des fruits et légumes pour les territoires ruraux dans leur ensemble, qu'ils appartiennent ou non aux grandes régions productrices.

En Corrèze, département naturellement tourné vers les productions bovines et plus particulièrement vers le veau élevé sous la mère, les productions de fruits et légumes jouent un effet de levier économique irremplaçable pour les exploitations Leur intérêt n'est plus à démontrer. Imaginez-vous, monsieur le ministre, le marché de Brive-la-Gaillarde...

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité

Il est superbe !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Murat

... privé de ses fruits et légumes de qualité, sans ses maraîchers écoulant chaque samedi leurs produits frais pour la plus grande joie et la santé de leurs acheteurs...

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ministre

C'est impensable !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Murat

Dans l'intérêt de nos territoires, et pour leur défense, la survie de cette filière est donc primordiale. Je tenais simplement à le rappeler et à insister sur le fait que nous sommes tous concernés par cette question, car la production des fruits et légumes, au-delà des productions intensives, est un élément incontestable d'équilibre financier pour les productions agricoles multiformes.

Dans un premier temps, je souhaiterais revenir sur les dispositions adoptées la semaine dernière dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, car elles répondent concrètement aux préoccupations des professionnels de la filière. Leur adoption va en effet permettre de donner suite rapidement aux réflexions menées en matière de relations commerciales dans le domaine agricole. Je sais, monsieur le ministre, combien vous avez oeuvré pour qu'il en soit ainsi, et nous vous en remercions.

Autoriser les annonces de prix pour les fruits et légumes frais intervenant dans une courte durée précédant la période de validité de l'annonce, conditionner les remises, ristournes et rabais à la signature d'un contrat écrit incluant des clauses sur le principe du « prix plancher », prévoir une responsabilité en cas de pratique de prix abusivement bas, organiser un encadrement des marges sont autant de mesures qui vont permettre une certaine régulation du marché des fruits et légumes. Nous ne pouvons que nous en féliciter !

Je voudrais aussi revenir sur l'adoption par le Sénat de l'amendement de mon collègue Daniel Soulage, que j'ai d'ailleurs cosigné, instaurant la mise en place du mécanisme du coefficient multiplicateur.

J'ai bien entendu les arguments du Gouvernement, en particulier ses arguments juridiques ; mais pour redonner confiance aux producteurs, il fallait une mesure forte, d'autant plus qu'elle était réclamée et attendue depuis longtemps.

Nous ignorons encore ce qu'il en adviendra, mais elle pourrait répondre aux situations de crise observées ces derniers temps en permettant de corriger les freins à la consommation liés à des prix excessifs au détail au regard du prix de production.

Je voudrais aussi saluer l'initiative du Gouvernement qui, face à l'ampleur sans précédent de la crise de cet été, a débloqué un certain nombre d'aides financières destinées à soutenir la filière durement touchée.

S'agissant des aides de l'ONIFLHOR, vous me permettrez de signaler que le taux de spécialisation imposé pour en bénéficier est toujours de 50 %. Cela élimine d'office les exploitants qui ont joué, souvent pour survivre et équilibrer leurs revenus, la carte de la diversification de leurs productions. Tel est le cas, si l'on exclut la pomiculture, de nombreuses exploitations corréziennes : seuls vingt dossiers sont actuellement éligibles, soit moins de 10 % des producteurs.

Afin d'élargir la base d'éligibilité des dossiers, un abaissement du taux de spécialisation à 30 % paraîtrait opportun. Cet abaissement avait été envisagé, semble-t-il, pour être ensuite abandonné. Peut-être pourrez-vous nous fournir quelques précisions sur cette question aujourd'hui, monsieur le ministre ?

Parer à la crise de ces derniers mois, telle était l'urgence. Mais gérer le présent ne suffit pas, car il faut aussi préparer l'avenir.

L'un des axes fondamentaux sur lesquels nous devons centrer notre action concerne les facteurs de compétitivité des entreprises de la filière.

Je me contenterai d'évoquer le problème des charges et du coût de la main-d'oeuvre de ces entreprises, ainsi que les difficultés rencontrées par ces dernières pour recruter des emplois saisonniers de ressortissants français.

Créateur de centaines de milliers d'emplois, le secteur des fruits et légumes se caractérise par un coût de main-d'oeuvre très élevé. Il constitue en réalité l'élément majeur des coûts de production du secteur. Le phénomène s'est d'ailleurs accentué ces dernières années du fait de la réduction du temps de travail, de l'augmentation du smic, des problèmes liés au recrutement et à la fidélisation de cette main-d'oeuvre.

Il est donc aujourd'hui nécessaire de trouver des solutions pour permettre aux coûts de main-d'oeuvre en France de s'aligner sur ceux de nos concurrents intracommunautaires ou extracommunautaires.

En effet, différentes études montrent combien les producteurs de fruits et légumes subissent de plein fouet les distorsions de concurrence des autres producteurs européens, puisque de forts écarts ont été constatés concernant la valeur des salaires minimaux, le taux des cotisations sociales, la durée du travail et les conditions d'accès à la main-d'oeuvre étrangère.

Ces graves distorsions de concurrence nuisent à la compétitivité et expliquent en partie la crise actuelle du secteur.

Très attentif aux attentes des professionnels sur ce volet, le Gouvernement a d'ores et déjà annoncé un certain nombre de mesures spécifiques. Des groupes de travail étudient encore cette problématique essentielle et d'une brûlante actualité. Puis-je me permettre, monsieur le ministre, de vous demander quel est l'état d'avancement de leurs travaux ?

Peut-être pourrait-on envisager une harmonisation sociale européenne ? Je n'entrerai pas dans le détail des dispositions qui pourraient être prises en la matière, car elles vont des allégements de charges pour les producteurs à la mise en place « d'un contrat cueillette » ou d'une période transitoire à la libre circulation des travailleurs. Mais il pourrait à mon avis s'agir là d'orientations fortes de nature à rassurer la filière.

Ce n'est d'ailleurs là qu'une d'une toute petite partie du plan à mettre en oeuvre afin de rendre cette filière compétitive. Ce plan devra être complet et doté de moyens financiers garantissant l'efficacité des mesures prises. Je sais que vous en avez conscience, monsieur le ministre, et votre présence parmi nous ce soir le prouve. Je crois que nous pouvons à l'évidence vous faire confiance à cet égard.

Puisque nous sommes encore dans la période des voeux, permettez-moi, à titre personnel, de formuler le souhait que les réponses que vous apporterez aux producteurs de fruits et légumes de France prennent toute la mesure des enjeux de cette filière, afin de favoriser le développement de stratégies gagnantes-gagnantes pour la société, pour les consommateurs, pour nos territoires ruraux et, bien sûr, pour la filière elle-même, créatrice d'emplois.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Gautier

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre collègue Daniel Soulage a évoqué les différents problèmes que connaît la filière des fruits et des légumes.

Je veux pour ma part attirer l'attention de M. le ministre sur une question qui nous préoccupe particulièrement. En effet, au même titre que les autres employeurs de la production agricole, les chefs d'entreprise de maraîchage bénéficient de taux réduits de cotisations patronales sur les salaires lors de l'emploi de travailleurs occasionnels et autres personnes visées par le décret n° 95-703 du 9 mai 1995 modifié : il s'agit notamment de tous ceux qui participent, par exemple, à la cueillette du muguet ou à la récolte de la mâche dans la région nantaise où je réside, ou à des récoltes de tomates ou de fruits dans d'autres régions françaises. Ces taux réduits sont appliqués dans la limite d'une durée de cent jours.

A la suite de cette période d'application de taux réduits, lorsque le salarié est encore présent dans l'entreprise - c'est souhaitable, pour éviter la précarité -, l'employeur, dans les conditions prévues par le décret en question, acquitte les cotisations en bénéficiant de la réduction générale des cotisations de sécurité sociale créée par la loi n° 2003-17 du 17 janvier 2003, communément appelée « allégement Fillon ».

Or, se fondant sur un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation, relatif à une association intermédiaire et ayant donc une autre nature qu'une exploitation agricole, la MSA, organisme collecteur des cotisations, a décidé que les exploitants n'avaient pas droit à l'allégement Fillon lorsqu'ils avaient bénéficié dans l'année des réductions de taux prévues par le décret du 9 mai 1995.

Pour nous tous, il s'agit là d'une interprétation du principe du non-cumul des allégements inscrit dans la loi que l'on peut qualifier d'« abusive », la notion de cumul intégrant celle de simultanéité des faits générateurs et n'interdisant pas leur succession.

De plus, ne se satisfaisant pas de l'application immédiate d'une décision préjudiciable, les caisses de la MSA ont décidé, au lieu d'appliquer l'allégement Fillon, de recalculer les charges des entreprises sur la base des taux pleins, rétroactivement sur l'année 2004 et sur une partie de l'année 2003.

Ces dispositions manquent de loyauté au regard des employeurs qui ont réglé leurs cotisations sur la base des appels de la MSA. Elles vont encore aggraver la situation des entreprises du maraîchage qui, fortement employeuses de main-d'oeuvre - cela a été dit à plusieurs reprises -, sont durement touchées par les distorsions sociales européennes.

Ce sont les travailleurs qui seront bien évidemment les victimes de ces mesures condamnant les employeurs à ne pas dépasser les cent jours de travail par salarié et à maintenir des emplois précaires !

Monsieur le ministre, J'aimerais connaître votre position à l'égard de cette « interprétation » de la MSA, laquelle me paraît quelque peu incohérente, en tout cas avec l'esprit du texte de la loi Fillon que je viens d'évoquer en matière d'allégement.

Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Le Cam

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question qui nous est posée aujourd'hui a trait à l'aide aux producteurs de fruits et légumes, particulièrement éprouvés en 2004 sur la quasi-totalité de leurs productions. Cette question interpelle naturellement le Gouvernement sur ses intentions en matière d'aide aux producteurs, les décisions précédentes n'ayant eu que très peu d'effets.

La question s'élargit ensuite à la nécessaire réforme de l'Organisation commune de marché et à la mise en place d'un véritable dispositif de gestion de crise à l'échelon européen.

Malgré l'urgence de décisions efficaces, cette question est un round de préparation aux lois à venir ayant trait à la modification de la loi Galland, dans le cadre de la loi Jacob, ainsi qu'à la future loi d'orientation agricole. Disons qu'au mieux nous pouvons espérer l'amorce de l'esquisse de propositions à la fin de l'année 2005 ou au début de l'année 2006.

C'est une question qui intervient à un moment privilégié, dans la mesure où nous débattons actuellement du développement des territoires ruraux et où la notion de coefficient multiplicateur vient d'être adoptée par le Sénat.

Espérons d'ailleurs que cet amendement relatif au coefficient multiplicateur en cas de crise survivra à la commission mixte paritaire. Nous y serons très attentifs, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, d'autant que M. le secrétaire d'Etat à l'agriculture, à l'alimentation, à la pêche et à la ruralité a affirmé que le dispositif du coefficient multiplicateur disparaîtrait de toute façon.

La crise que nous vivons touche toutes les régions de France, tout particulièrement les régions du sud de la France et du nord de la Bretagne - Côtes d'Armor, Finistère et Ille-et-Vilaine - où la récente crise du chou-fleur a montré, une fois de plus, les contradictions du système économique libéral en place.

Cette crise se distingue par son ampleur et sa durée. Selon l'INSEE, les prix des fruits et légumes en juillet 2004 étaient en recul de 26, 5 % par rapport à 2003. La perte pour les producteurs sur le plan national est estimée à 600 millions d'euros par an, et cette crise dure et s'accentue depuis plusieurs années.

Souvent mises en avant, les causes conjoncturelles des crises sont multiples et servent à cacher le vrai mal qui se situe dans les causes structurelles de l'organisation même du marché. L'abondance de l'offre, ou surproduction, et la faiblesse de la demande sont souvent évoquées pour masquer la réalité des importations abusives à bas prix et celle d'une France qui ne produit que 65 % de sa consommation.

La faiblesse de la demande a elle-même ses causes qui s'appellent baisse du pouvoir d'achat et défaut d'incitation des pouvoirs publics à la consommation de ces produits naturels.

Le défaut d'organisation des producteurs face à la grande distribution, lui aussi souvent évoqué, soulève le problème de la faiblesse des aides gouvernementales à l'Organisation commune de marché et son laxisme à l'égard des pratiques scandaleuses des grandes et moyennes surfaces, les GMS, et des centrales d'achat. Rappelons également que ces productions ne bénéficient pas des aides de la politique agricole commune.

A propos des aléas climatiques, les effets de ces derniers peuvent être contraires : à titre d'exemple, la douceur du climat breton a favorisé la production des choux-fleurs et avancé leur arrivée sur le marché ; le tout bien combiné avec des importations massives de choux-fleurs de Pologne, il en est résulté une belle crise !, le mauvais temps, le gel et la neige font parfois flamber les prix de produits difficiles à extraire du sol.

Cela pose en grand la nécessité d'avancer vite en matière d'assurance récolte et de calendriers d'importation, national, communautaire et extracommunautaire.

Les causes les plus profondes des crises sont purement structurelles.

Elles s'appellent : « Racket des GMS et pratiques mafieuses des marges arrière, rabais, ristournes, déréférencement ».

Elles s'appellent : « importations abusives et distorsions de concurrence intracommunautaire et extracommunautaire » en vue du dumping économique.

Elles s'appellent : « découplage des aides » dans la nouvelle PAC et permettent de produire autre chose que le produit pour lequel des primes sont perçues. Pourquoi ne pas produire des fruits et légumes en lieu et place des céréales ? C'est la « désorganisation organisée » du marché qui se met en place.

Parlons maintenant des effets dévastateurs de ces crises qui frappent avant tout des femmes, des hommes, des familles.

En région Provence-Alpes-Côte d'Azur, 250 producteurs sont au bord du dépôt de bilan, ce qui signifie la disparition de milliers d'exploitations sur le plan national et des dizaines de milliers de nouveaux chômeurs dont la reconversion est très compliquée. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, la spéculation foncière et immobilière s'en trouve stimulée.

La crise frappe durement les plus petits producteurs, mais elle n'épargne pas les entreprises maraîchères de taille respectable, plombées par leurs investissements.

La crise frappe aussi l'emploi des saisonniers dont le statut, déjà précaire, est peu enviable. Les emplois saisonniers sont également menacés à terme par la directive Bolkestein qui s'apprête à fournir légalement en France une main-d'oeuvre très bon marché, dépendant de la législation sociale de son pays d'origine.

La crise, ce sont aussi des économies régionales mises à mal, un affaiblissement de la biodiversité végétale par les standards imposés des GMS. Enfin, à terme, c'est l'indépendance alimentaire du pays qui est menacée.

Face à cette crise, le Gouvernement n'a pas eu grand-chose à mettre sur la table, préférant l'austérité budgétaire à toute autre considération qui serait pourtant vitale pour notre pays. Certes, 10 millions d'euros ont été dégagés, à la fin de l'été 2004, en aides directes de trésorerie, 50 millions d'euros en prêts de consolidation - à rembourser ultérieurement - et 10 millions d'euros à venir en direction de l' ONIFLHOR, le tout agrémenté par quelques mesures en faveur de la publicité hors des lieux de vente, l'utilisation des médias et des dispositions fiscales en direction des salariés.

Pour être objectif, il faut rapprocher ces dispositions des 600 millions d'euros de perte annuelle de la profession ou des 530 millions d'euros de cadeaux à la grande distribution et à la boucherie dans le cadre de la suppression de la taxe d'équarrissage.

Quant au grand coup de bluff de M. Sarkozy sur la baisse des prix à la consommation, les consommateurs ne l'ont pas ressentie. En revanche, les producteurs ont affiché une nette baisse de leurs prix. Il a été fréquemment constaté cet été que les fruits et légumes étaient nettement moins chers sur les marchés locaux que dans la grande distribution.

Les dispositions proposées et adoptées par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux ne suffiront pas si le dispositif du coefficient multiplicateur n'est pas validé. Je rappelle que ce dispositif présente un double avantage : d'un côté, en évitant les pratiques de marges abusives de la grande distribution, il tire vers le haut les prix à la production, ce qui permet aux producteurs, en particulier aux petits producteurs, d'afficher des prix rémunérateurs. De l'autre côté, il tire vers le bas les prix à la consommation en préservant ainsi le pouvoir d'achat des consommateurs.

Ce type d'indexation des prix d'achat aux producteurs et des prix aux consommateurs permet non seulement d'éviter les comportements prédateurs de la distribution, mais aussi de favoriser la transparence en matière de fixation des prix !

Nous savons bien que les prix à la consommation des fruits et légumes sont parfois trop élevés et créent des difficultés d'écoulement et des surproductions sur certains marchés. Mais, dans la majorité des cas, ce niveau trop élevé des prix est le résultat des ponctions opérées par la grande distribution, par le biais de marges abusives et par des importations à des prix bradés, véritables prix de dumping.

Dès lors, dans le contexte actuel de crise de la filière fruits et légumes, comment ne pas s'étonner de l'analyse menée par la commission Canivet, laquelle voit dans l'insuffisante baisse des prix des produits de grande consommation des obstacles à la libre concurrence ?

Ainsi, tout en prenant en compte la spécificité des produits agricoles, le rapport rejette les propositions du coefficient multiplicateur et des prix minima parce que contraires aux règles européennes.

Dans les cent trente pages du rapport, il n'y a pas un mot sur les conditions de travail et de rémunération des employés des grands magasins ni sur les milliers de petits paysans surexploités, qui n'arrivent pas à vivre de leur travail et qui sont de plus en plus acculés à la faillite. Faire abstraction de ces données et croire que l'on peut, grâce à la libre concurrence et donc à la suppression de la législation et de la réglementation actuelles, relancer la consommation au moyen de la baisse des prix est non seulement un leurre, mais également une grave erreur.

La remise en cause de la loi Galland, de la loi Raffarin et de la loi relative aux nouvelles régulations économiques mérite plus ample réflexion.

Certes, la loi Raffarin de 1996 n'a pas ralenti le rythme de disparition du petit commerce qu'elle était censée protéger et elle n'a pas freiné l'extension et la concentration des grandes enseignes. Entre autres facteurs explicatifs, la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat, la TACA, n'a-t-elle pas été détournée des objectifs pour lesquels elle avait été créée, à savoir l'aide au maintien du petit commerce ?

L'interdiction de revente à perte instituée par la loi Galland constitue, au final, un dispositif protecteur pour les fournisseurs, et c'est la raison pour laquelle les agriculteurs ont toujours protesté d'en être exclus.

Avec la suppression de ces lois, ce sont autant de dispositions comme les seuils de revente à perte, les obligations de transparence et de non-discrimination dans les relations entre fournisseurs et distributeurs, le gel administratif d'implantation de nouvelles surfaces de vente supérieure à 300 mètres carrés qui disparaîtraient.

Les propositions du Gouvernement qui ont été avancées dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux et celles qui sont notamment relatives aux dispositifs de sanction prévus en cas de pratique de prix abusivement bas ne sont-elles pas bien pâles et beaucoup moins protectrices face à l'interdiction de vente à perte qu'il aurait fallu étendre aux agriculteurs plutôt que la supprimer ?

Ce sont les centrales d'achat et les grandes et moyennes surfaces qui n'ont eu de cesse de contourner la législation, entraînant le développement des marges arrière qui représentent jusqu'à 30 % du prix officiel affiché sur les factures des fournisseurs, ce qui constitue au fond un véritable « racket organisé ».

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Le Cam

Or, la commission Canivet propose ni plus ni moins de légaliser ces pratiques de marges arrière, en les transformant progressivement en marges avant, et de fixer le seuil de revente à perte au prix dit « triple net », c'est-à-dire déduit des ristournes, remises, rabais et coopération commerciale.

Après ces constats et remarques, il convient d'avancer un certain nombre de propositions concrètes et efficaces dans un contexte où, depuis 1992, l'agroalimentaire et la grande distribution ont bénéficié d'un transfert de valeur ajoutée en provenance de l'agriculture à hauteur de 12 milliards d'euros par an.

La grande distribution est la première bénéficiaire des réformes de la politique agricole commune de 1992 et de l'Agenda 2000.

Les agriculteurs ont perdu 12 milliards d'euros par an sur la vente globale de leurs produits ; en retour, ils n'ont perçu que 2 milliards d'aides compensatoires. Ils ont donc été volés de 10 milliards d'euros par an.

Les consommateurs et contribuables n'ont pas bénéficié de la baisse des prix à la consommation ; ils ont déboursé, pour leur part, 2 milliards d'euros par an pour financer les aides compensatoires européennes.

Il est nécessaire de prendre des dispositions volontaristes : seuls des prix rémunérateurs sont à même de permettre une agriculture sereine et pérenne. Cela passe par de nombreuses mesures qui, comme l'indiquent nos ministres, sont souvent contraires à l'esprit communautaire, mais sont indispensables au nom de la subsidiarité et de l'intérêt national.

Le coefficient multiplicateur doit être gravé dans la loi française et appliqué, dans un premier temps, aux périodes de crise, puis, dans un second temps, d'une manière permanente.

La préférence communautaire, l'harmonisation des charges et l'unicité des prix, qui sont aujourd'hui absentes du projet de Constitution européenne, doivent y figurer. Il en va de même de l'encadrement des pratiques des GMS au moyen de l'interdiction des marges arrière et autres pratiques de rabais, remises et ristournes ainsi que de l'instauration, produit par produit, d'un prix minimum et d'un prix rémunérateur de référence.

D'autres mesures, telles que le calendrier d'importations - encadrement des productions par régime et par pays -, l'orientation vers les conserves et l'appertisation, devraient également permettre de réguler l'offre et de maintenir des prix rémunérateurs.

La consommation des fruits et légumes mérite également d'être resituée dans la société de consommation qui nous est imposée. Indispensables à notre santé, les fruits et légumes méritent d'être promus sur le plan médiatique, afin d'inciter nos concitoyens à les consommer, notamment en dehors des produits préparés à très forte valeur ajoutée.

En conclusion, ce sujet, qui a fait l'objet d'un débat aujourd'hui, appelle des mesures radicales et urgentes, qui sont certes souvent contraires à l'esprit communautaire. Cet esprit libéral qui fait tant de mal doit donner à réfléchir à chacune et à chacun d'entre nous avant d'aller nous perdre dans les choux ... de Bruxelles, bien sûr !

Sourires. - Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Repentin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos, qui complètera l'excellente intervention de notre collègue François Marc, portera sur deux points.

J'aborderai tout d'abord la question de la reconnaissance des difficultés de production des fruits et légumes en région de montagne, puis celle de la réglementation française en matière d'agriculture biologique, qui est beaucoup plus restrictive que la réglementation européenne.

S'agissant du premier point, et tout particulièrement de l'arboriculture, il paraît tout à fait légitime et équitable, compte tenu des fortes contraintes pesant sur les départements de montagne - altitude moyenne de ces départements, relief accidenté qui les caractérise généralement avec, le plus souvent, des plantations sur coteaux, structure même des exploitations avec de très petites parcelles et des faibles rendements liés à ces conditions particulières -, que l'indemnité compensatoire de handicap naturel, l'ICHN, soit appliquée sur le terrain avec une plus grande souplesse dans ces départements et sur l'ensemble des départements savoyards, et ce si possible sans distinction de zone.

Par ailleurs, pour que les arboriculteurs puissent vivre de leur production, dans un contexte économique national et international difficile, et au regard des moindres tonnages à l'hectare qui sont réalisés en montagne, la profession souhaite que le prix de vente soit calculé à partir du prix de revient, quitte à proposer une transparence totale des charges du producteur et du distributeur.

En ce qui concerne le maraîchage dans ces départements, là aussi les exploitations sont de petite taille. Eu égard au climat et au relief, les contraintes sont fortes, avec des exploitations faiblement mécanisables, ce qui entraîne forcément un coût de main-d'oeuvre élevé.

Ces éléments expliquent les forts écarts de prix de revient avec d'autres zones de production et justifieraient l'établissement d'une aide pour « zone difficile » dans les départements concernés.

De plus, pour pouvoir valoriser leur production, les maraîchers d'altitude se sont fortement tournés vers la vente directe, ce qui augmente de façon très sensible le temps de travail ; l'aide que je viens de proposer viendrait, pour partie, compenser ce surcroît de travail.

Par ailleurs, s'agissant des deux filières arboricole et maraîchère, j'attire votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que, d'une façon globale - ce n'est en effet pas exclusivement le cas dans les territoires où les emprises foncières sont faibles -, la pression foncière menace directement les exploitations. On touche là à la problématique du périurbain.

En effet, les meilleures terres sont en plaine ; les coteaux ensoleillés qui entourent nos agglomérations sont propices non seulement à l'agriculture, mais également au développement de l'habitat ; on privilégie une meilleure précocité en plaine pour les cultures qui sont là aussi menacées par le développement de l'urbanisation ; l'accessibilité à l'eau pour l'irrigation y est aussi plus facile ; enfin, l'importance de la proximité des bassins de consommation est un élément important qu'il ne faut pas négliger.

Il est donc indispensable de conserver une place aux maraîchers et aux arboriculteurs dans les aménagements des zones périurbaines pour éviter leur disparition pure et simple. Cela passe par une attention particulière et continue durant la phase d'élaboration des documents prospectifs en matière d'urbanisme, tel que le schéma de cohérence territoriale créé par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, de la part de tous les acteurs appelés à contribuer au contenu de ces schémas de référence, qu'il s'agisse des élus, des chambres consulaires, de l'Etat, ou des personnes qualifiées amenées à contribuer à cette élaboration.

Cela passe aussi par la mobilisation de moyens dont ne disposent pas toujours les collectivités territoriales pour la maîtrise foncière, laquelle conditionne le maintien de l'agriculture périurbaine. Comment l'Etat peut-il répondre à cet objectif ?

Par ailleurs, comment peut-on faire évoluer le rôle des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER, pour que celles-ci concourent à pérenniser les productions de proximité de fruits et légumes et à favoriser ainsi les circuits courts tout en ayant une activité qui ne se cantonne plus uniquement à une mission agricole ?

Au moment où se créent, sur le territoire national, des établissements publics fonciers locaux, comment pouvons-nous mutualiser les moyens pour favoriser une complémentarité de ces outils fonciers ?

Le second volet de mon intervention concerne la réglementation relative à l'agriculture biologique.

J'ai suggéré tout à l'heure que puissent être reconnus, dans les prix de vente, les produits de la filière fruits et légumes de montagne. A cet égard, je souhaite vous faire part de certaines interrogations des professionnels appartenant à ces deux filières en matière de réglementation française de la production agricole biologique, laquelle est aujourd'hui beaucoup plus restrictive que la réglementation européenne.

En effet, sur le marché, nombreux sont les produits agréés par le règlement CEE n° 2092/91 de l'agriculture biologique et non autorisés en France. Ces produits sont pourtant systématiquement utilisés dans les autres pays de l'Union européenne dans le domaine de l'arboriculture fruitière.

La non-homologation des produits que je viens de citer est très certainement liée au coût très élevé des homologations françaises au regard du marché que représente aujourd'hui, sur notre territoire, l'agriculture biologique. Cette absence d'homologation est certainement également due au fait que les produits utilisables dans l'agriculture biologique proviennent de procédés biologiques de production, telles les fermentations, qui ne peuvent garantir des teneurs toujours parfaitement identiques en « matières actives », condition incontournable pour obtenir une homologation en France.

De fait, cette situation crée une distorsion de concurrence évidente en matière de production, qui est doublée d'une distorsion de concurrence économique puisque les produits des autres pays de l'Union européenne, conformes au règlement européen, sont librement mis sur le marché en France. Il s'agit là d'un sujet tout particulièrement sensible dans les départements producteurs frontaliers.

Aussi me semble-t-il urgent, notamment après en avoir discuté avec des producteurs de fruits arboricoles, de mettre la réglementation française en adéquation avec le règlement européen en matière de production de l'agriculture biologique, tout en restant bien évidemment vigilant en termes de sécurité alimentaire.

En effet, je remets en cause la distorsion évidente de concurrence entre les pays de l'Union européenne, mais je n'ai pas les moyens d'apprécier les politiques de sécurité alimentaire des autres pays de l'Union européenne. Toutefois, je n'ai pas de raison de penser que nos voisins allemands, par exemple, prennent des risques inconsidérés dans ce domaine, eux qui plébiscitent une alimentation saine à partir de produits issus de l'agriculture biologique, à l'instar d'ailleurs d'un pays voisin qui ne fait pas partie de la Communauté économique européenne, la Suisse, pays pionnier en la matière.

Monsieur le ministre, j'attends que vous répondiez aux interrogations et aux craintes des producteurs maraîchers et des producteurs de la filière arboricole.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Mortemousque

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat a adopté plusieurs amendements tendant à instituer un mécanisme de régulation des prix des fruits et légumes. Je tiens tout particulièrement à vous remercier, monsieur le ministre, de la rapidité avec laquelle les recommandations formulées par la commission Canivet et régissant les rapports entre fournisseurs et distributeurs ont pu être appliquées.

De surcroît, je le sais, vous allez travailler en étroite collaboration avec Christian Jacob pour élaborer un certain nombre de mesures.

S'agissant des problèmes relatifs aux fruits et légumes, l'essentiel a été dit, mais j'aimerais toutefois attirer votre attention sur deux points.

Je parlerai tout d'abord de l'aspect commercial. Sincèrement, je crois que tout le monde doit apporter sa contribution. La profession doit mieux s'organiser pour avoir une meilleure approche de l'offre.

En tant qu'agriculteur, j'ai pu constater - et je l'ai aussi remarqué lorsque j'ai exercé des responsabilités au sein des chambres d'agriculture et ailleurs - que la situation s'est améliorée chaque fois que la profession a identifié ses produits. A cet égard, je prendrai plusieurs exemples.

S'agissant, par exemple, des choux-fleurs, filière qui a déjà été évoquée tout à l'heure, l'organisation n'est pas efficiente. Mais dans le secteur du lait, qui a connu avant 1984 d'importantes difficultés et qui en connaît certes encore, je constate que des progrès significatifs ont été enregistrés. Il en est de même pour la betterave sucrière et, dans ma région, pour les pruneaux d'Agen. Le simple fait de disposer d'une organisation interprofessionnelle permet d'engager les discussions, ce qui est une bonne solution. On peut encore le vérifier dans la filière du tabac, qui connaît aujourd'hui une situation particulièrement difficile.

Il faut réussir à remettre sur pied ce processus. Ce n'est pas simple, et il faut que vous nous aidiez, monsieur le ministre, à faire en sorte que les choses soient transparentes. La notion de marges arrière n'est vraiment pas concevable ; on ne peut imaginer des mécanismes aussi peu transparents. Il faut donc parvenir à faire cesser ces procédés pour que les opérations se pratiquent dans des conditions correctes et que les amendements qui ont été proposés, tel le coefficient multiplicateur par exemple, puissent trouver leur application.

Par ailleurs, je remercie Daniel Soulage d'avoir accepté de conduire le groupe fruits et légumes, créé au sein de la commission des affaires économiques du Sénat ; je travaille à ses côtés.

Je développerai maintenant le second volet de mon intervention, qui concerne la main-d'oeuvre.

Comme Daniel Soulage et d'autres collègues l'ont souligné, le coût de la main-d'oeuvre pose aujourd'hui problème. Mon collègue Gérard Le Cam a fait état d'une situation qui peut évoluer.

Mais les chiffres sont têtus. L'année dernière, l'heure de ramassage des fruits coûtait 6, 15 euros en Allemagne, contre 8, 30 euros en France. Comment expliquer ce décalage à un producteur en difficulté ?

En outre, et je le dis notamment à ceux qui sont peut-être moins investis dans ces productions sensibles, nous devons nous préoccuper dans cette assemblée des problèmes de souplesse en termes d'emplois.

Je prendrai un exemple typique dans mon département, celui de la fraise, qui est un produit extrêmement sensible. Sans doute ne savez-vous pas, mes chers collègues, que le revenu de la fraise se joue quelquefois en l'espace de trois ou quatre jours. La réactivité doit alors être extrêmement forte : il faut mobiliser des gens qui acceptent de ramasser ces produits. Imaginez qu'il faille, le soleil faisant son oeuvre, un vendredi soir ou un samedi, veille du week-end de la Pentecôte, trouver trente ramasseurs. Les procédures légales sont telles que je vous mets au défi de voir des cueilleurs dans les champs de fraises avant le mardi midi ou le mercredi ! Et les fraises sont perdues ! Là est tout le problème.

Il ne s'agit pas de faire de l'esclavagisme, mais il nous faut trouver une solution à la fois extrêmement souple et respectueuse des intérêts des cueilleurs. En effet, c'est ce manque de souplesse qui a fait passer la production de fraises dans mon département de 25 000 tonnes - voilà vingt ans, il était le premier département français producteur de fraises - à 6 000 tonnes aujourd'hui. Si vous visitez quelques fermes, vous verrez que les problèmes de main-d'oeuvre ne se posent plus : il n'y a plus d'activité !

Je déplore d'autant plus cette situation que je connais la valeur de ce fruit rouge, l'importance qu'il peut avoir et les frais qu'engagent la profession et l'Etat pour développer des recherches sur les variétés. Mais les producteurs ont perdu confiance et sont plongés dans une situation difficile.

J'espère que nous trouverons des voies meilleures. Cette situation dure depuis vingt ans. Je ne prends pas particulièrement le gouvernement actuel en défaut. Sur ce volet-là, tout le monde a échoué !

Monsieur le ministre, comment comptez-vous remédier à ces différents dysfonctionnements afin que les producteurs reprennent confiance et que d'autres perspectives soient offertes à notre pays ?

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons eu, grâce à Daniel Soulage, un débat de grande qualité. Je le remercie donc d'avoir posé cette question orale.

Vous avez les uns et les autres évoqué les préoccupations d'une filière qui jouit par ailleurs auprès de nos concitoyens d'une image forte et sympathique, ce qui constitue indéniablement un atout. J'apporterai donc, mesdames, messieurs les sénateurs, des éléments de réponse à vos interrogations et propositions en distinguant trois orientations : d'abord, les dispositions adoptées pour faire face à la crise de 2004 ; ensuite, au-delà de cette action conjoncturelle, le développement de dispositifs communautaires pérennes - beaucoup d'entre vous ont en effet évoqué les politiques européennes - ; enfin, l'amélioration des perspectives économiques de la filière.

La crise étendue de la filière en 2004 a nécessité des réponses d'urgence. Les mesures adoptées recouvrent des dispositions de nature financière, répondent à la volonté d'établir un dialogue entre l'amont et l'aval de la filière et, enfin, permettent de relancer une consommation atone.

D'abord, en ce qui concerne les mesures ciblées de nature financière, mon prédécesseur, Hervé Gaymard, a annoncé le 7 octobre dernier une série d'actions ciblées : 10 millions d'euros consacrés à des aides directes de trésorerie ; une enveloppe exceptionnelle de 50 millions d'euros de prêts de consolidation permettant d'étaler sur cinq ans, à coût réduit, les échéances bancaires des producteurs de fruits et légumes en difficulté financière ; l'échelonnement, voire la prise en charge partielle, de leurs cotisations à la Mutualité sociale agricole.

Je vous remercie d'avoir souligné que ces mesures ont été mises en place dans des délais très brefs. Vous savez, pour bien connaître le terrain, que les premiers paiements sont d'ores et déjà intervenus.

Par ailleurs, la déduction pour aléas, la DPA, a été aménagée de manière pérenne. En outre, je m'emploie à accélérer la finalisation de la mise en oeuvre des remboursements partiels en faveur des exploitants de la taxe intérieure sur les produits pétroliers et de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel, mesures destinées à atténuer le poids de la hausse des prix de l'énergie qui avaient été annoncées par Nicolas Sarkozy et moi-même.

Ensuite, des mesures destinées à apporter une réponse partenariale associant l'amont et l'aval de la filière ont été prises. Chacun d'entre vous sait que le marché des fruits et légumes dépend très largement de ces relations. Sous l'égide des ministres de l'agriculture et du commerce, l'ensemble des partenaires de la filière est parvenu à un accord qui a été signé durant l'été 2004 et qui précise les pratiques commerciales régissant les relations distributeurs-producteurs, notamment en cas de crise, comme celle qui est survenue l'an dernier.

Enfin, des mesures visant à promouvoir la consommation des fruits et légumes ont été prises. C'est fondamental ! Les moyens du ministère de l'agriculture ont été mobilisés dès le début du mois d'août dernier par Hervé Gaymard, associés à ceux de l'interprofession et de la Commission européenne, pour lancer une opération de promotion radiophonique des fruits et légumes. Le ministère s'est également investi auprès des producteurs, en particulier les producteurs de tomates, pour relancer le marché.

Des moyens budgétaires supplémentaires étaient naturellement nécessaires.

Au-delà de ces mesures conjoncturelles, je souhaite accélérer la définition, par les différents partenaires de la filière, d'un plan de 10 millions d'euros mis en place par l'Office interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture, l'ONIFLHOR, afin d'engager des actions structurantes.

La loi de finances pour 2005 que vous avez votée récemment prévoit, dans le budget du ministère de l'agriculture, une augmentation de l'enveloppe de l'ONIFLHOR, qui s'élève à 59 millions d'euros en 2005. Cette disposition montre également le soutien déterminé de mon ministère en faveur de la filière fruits et légumes.

Deux chantiers restent à traiter à l'échelon communautaire. Au-delà de ces mesures d'urgence pour 2004, une réponse aux difficultés rémanentes doit être élaborée, pour partie, dans un cadre européen. C'est pourquoi je porterai devant les instances européennes deux dossiers, et j'ai d'ailleurs commencé à le faire lors du conseil des ministres de l'agriculture et de la pêche qui s'est tenu lundi dernier à Bruxelles : le dossier des mécanismes de gestion de crise et celui de l'adaptation de l'Organisation commune de marché.

J'attire votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur l'importance du dossier de la gestion des crises et des risques. Vous vous souvenez que, lors de l'accord de Luxembourg de juin 2003, la Commission s'était engagée à déposer avant la fin de l'année 2004 un rapport suggérant des mesures relatives à la gestion des risques, crises et catastrophes naturelles lorsqu'elles surviennent à l'échelle nationale.

J'ai évoqué ce sujet à l'occasion des deux conseils des ministres de l'agriculture et de la pêche auxquels j'ai participé depuis ma nomination comme lors d'autres entretiens avec la nouvelle commissaire européenne, l'ancienne ministre danoise de l'agriculture, Mme Fischer Boel. J'ai senti des réserves de sa part, comme de la part de certains Etats membres. J'ai naturellement cherché à engager le dialogue avec mes collègues européens, en particulier à trouver une position commune avec l'Espagne, dont les préoccupations sont proches des nôtres. L'Italie pourrait s'associer à cette démarche. L'Allemagne, même si elle n'est pas demandeuse, adoptera, je l'espère, une position de neutralité.

Je dois dire devant la Haute Assemblée que la position de la Commission européenne n'est pas encore connue, Mme Fischer Boel ne m'ayant pas donné d'informations précises lundi dernier. Elle ne le sera qu'avec la présentation de son rapport devant le prochain conseil des ministres de l'agriculture et de la pêche, le 28 février prochain à Bruxelles, c'est-à-dire, vous le voyez, avec un certain retard malheureusement.

Par ailleurs, nous sommes confortés dans notre position par le fait que le cadre fixé par la présidence pour la réforme de l'Organisation commune de marché réaffirme notamment la nécessité de déterminer de nouvelles options en matière de gestion des crises et de simplifier l'utilisation des fonds opérationnels.

Ce dossier de gestion des crises et des risques est très important, et nous en avons besoin. En effet, dans le cadre de la réforme de la PAC, il n'existe plus d'instruments nationaux ou européens. Il nous faut donc un instrument autorisé par l'Europe dans ce domaine.

Parallèlement à ce traitement communautaire, le Gouvernement - Daniel Soulage en a parlé, et vous l'avez rappelé les uns et les autres -, a entrepris d'apporter une réponse aux risques naturels à travers le mécanisme de l'assurance-récolte, Daniel Soulage en a parlé. Ce mécanisme sera amplifié, conformément aux préconisations de M. Christian Ménard, député du Finistère. Le Gouvernement a décidé la mise en oeuvre progressive de ce dispositif, entre 2005 et 2007, en y consacrant spécifiquement, dès cette année, 10 millions d'euros. Un comité de suivi accompagnera sa mise en oeuvre et préfigurera l'Agence de gestion des risques dont le Président de la République a annoncé la création à Murat et que je souhaite inscrire dans le futur projet de loi d'orientation agricole.

Il faut également redessiner l'Organisation commune de marché afin qu'elle prévoie des outils spécifiques de gestion de crise pour ce secteur. Elle pourrait être articulée autour de deux orientations : d'une part, le soutien aux associations ou aux regroupements d'organisations de producteurs ; d'autre part, l'inscription dans son règlement des dispositions de gestion ou d'anticipation des crises spécifiques au secteur.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le calendrier actuellement prévu par la Commission fixe une première échéance pour les fruits frais en septembre prochain, et pour les fruits transformés à la fin de l'année 2005.

Je tiens aussi à rassurer les producteurs qui ont connu des modifications de la réglementation communautaire en 1999, en 2001 et en 2003. J'ai à l'esprit le besoin de sécuriser sur le plan réglementaire les organisations de producteurs dans cet environnement particulièrement complexe. Comme l'a souligné Daniel Soulage, nous travaillons avec les professionnels pour encourager les investissements des exploitations dans le futur plan de développement rural national, le PDRN.

Le développement de la filière fruits et légumes est étroitement lié à trois questions : l'organisation économique de la filière et du marché des fruits et légumes ; la compétitivité économique, qui dépend notamment du coût du travail ; la valorisation de la production.

En ce qui concerne l'organisation économique, et Gérard Le Cam l'a rappelé, l'extrême diversité des producteurs parallèlement à la forte concentration des distributeurs pèse sur le revenu des producteurs et suscite leur exaspération en raison d'un rapport de force déséquilibré sur les marchés. C'est pourquoi il convient de stimuler une nouvelle organisation économique et commerciale plus efficace, qui pourrait prendre cinq directions.

Premièrement, il faut favoriser l'émergence de structures commerciales puissantes. Je suis convaincu que, tout en laissant vivre la diversité des circuits, qui est inhérente à ce secteur, il faut encourager la concentration de l'offre sur un plan commercial, conformément aux préconisations du rapport de M. Mordant. Tout cela est d'ailleurs un gage d'efficacité.

Deuxièmement, il faut rééquilibrer les relations avec la distribution. S'appuyant sur certaines recommandations du rapport Canivet, une réflexion est menée par Luc-Marie Chatel, député de la Haute-Marne, sur l'initiative de Christian Jacob, pour définir les modalités d'une relation plus équilibrée entre producteurs agricoles et distributeurs.

A cet effet, la Haute Assemblée a voté, la semaine dernière, un éventail d'outils et de mécanismes. Le Gouvernement souhaitait une telle adoption, dans un souci d'efficacité et avant que ne surgissent de nouvelles difficultés. Plusieurs d'entre vous l'ont rappelé, le Gouvernement a proposé un dispositif complet et cohérent de quatre articles, préparés en concertation avec les professionnels. Ce dispositif répond d'ores et déjà à un certain nombre de leurs préoccupations en proposant un encadrement des marges par un mécanisme de cliquet.

Ce dispositif est proche, monsieur Soulage, dans sa finalité, du mécanisme du coefficient multiplicateur, qui était au coeur de votre amendement. Le Gouvernement n'a pas été favorable à votre proposition lors de sa présentation dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux - je parle sous le contrôle du président de la commission des affaires économiques, M. Jean-Paul Emorine - en raison de son rejet par le rapport Canivet et de la contrainte communautaire.

J'ajoute que la proposition du sénateur Thierry Repentin visant à lier le prix de vente au prix de revient souffre des mêmes inconvénients.

Christian Jacob et moi-même serons très attentifs au bon fonctionnement du dispositif que vous avez voté, et qui respecte nos engagements communautaires. J'ai bien noté l'attente forte de tous ceux qui se sont exprimés sur ce point.

Troisièmement, la loi d'orientation agricole qui sera présentée au Parlement cette année pourra à mon avis être utilement mise à profit pour actualiser les missions des comités de bassin.

Quatrièmement, il convient d'associer les producteurs indépendants à l'organisation économique.

Les services du ministère de l'agriculture et l'ONIFLHOR ont, en association avec les professionnels, commencé à intégrer cette ouverture dans les différentes circulaires. En ce qui concerne les aides cofinancées par l'Europe, la Commission a d'ores et déjà été informée de cette évolution.

Par ailleurs, le soutien de la filière par l'Office connaît un nouvel élan. Ainsi, la rénovation du verger, à l'instar de l'aide aux serres, pourra bénéficier, non seulement de l'augmentation du budget de l'ONIFLHOR - j'ai rappelé les chiffres tout à l'heure - mais également d'un financement du plan de développement rural national à hauteur de 25 % de l'aide, conformément à l'accord obtenu par la France auprès de la Commission européenne.

Cinquièmement, il faut fortifier les interprofessions. J'ai bien noté la détermination de M. Dominique Mortemousque sur ce point.

Le rôle des interprofessions est au centre des débats relatifs à l'évolution de la législation actuelle et - je vous l'indique d'ores et déjà - sera abordé lors de la discussion du projet de loi d'orientation agricole, car le renforcement de ces interprofessions est indispensable. Il devra bien évidemment se faire après un dialogue préalable avec ces dernières.

Sur un plan un peu plus pragmatique, je souhaite la simplification de la procédure d'extension des accords interprofessionnels et la réduction, dans la mesure du possible, des délais de leur mise en oeuvre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous abordé le sujet de la compétitivité et de l'emploi.

La question de l'organisation professionnelle a déjà été évoquée. L'amélioration de la compétitivité de ce secteur passe par des dispositions fiscales portant à la fois sur la gestion des aléas et le coût du travail.

S'agissant du traitement des aléas, des dispositions relatives à la déduction pour aléas, la DPA, ont été adoptées : allongement du délai de réintégration fiscale des sommes épargnées au titre de la déduction pour aléas et aménagement de la DPA en faveur des secteurs fortement utilisateurs de main-d'oeuvre.

En ce qui concerne les coûts du travail - vous avez, les uns et les autres, en particulier M. Bernard Murat, cité des exemples intéressants, dont certains posent de réelles difficultés -, le Gouvernement a pris des mesures visant principalement à alléger les cotisations sociales dues par les producteurs de fruits et légumes.

Par ailleurs, s'agissant des distorsions de concurrence entre les coûts de main-d'oeuvre dans les différents pays, que ces derniers appartiennent ou non à l'Union européenne, M. Jacques Le Guen, député du Finistère, missionné par le Premier ministre, doit remettre un rapport d'évaluation et de proposition avant la fin du premier semestre. Cette mission permettra également d'examiner les conditions dans lesquelles une extension du contrat de vendanges à d'autres travaux de cueillette et de récolte pourrait être réalisée, notamment à partir d'un bilan dudit contrat. Je m'adresse là plus particulièrement à Mme Gisèle Gautier.

D'ores et déjà, j'ai, en collaboration avec mon collègue M. Gérard Larcher, donné des instructions claires et nettes sur l'introduction de la main-d'oeuvre saisonnière étrangère. Elles seront applicables pour la campagne 2005.

J'indique également à Mme Gautier qu'un employeur dont le salarié perdrait le bénéfice de l'allégement accordé aux travailleurs occasionnels se verrait appliquer automatiquement l'allégement général, dit « allégement Fillon ». Je veillerai, madame le sénateur, à ce que la MSA informe les employeurs de cette règle de non-cumul.

Enfin - vous l'avez rappelé, les uns et les autres -, la valorisation de la production des fruits et légumes est indispensable et doit structurer notre action.

Elle doit prendre deux orientations essentielles : d'une part, la recherche et l'affichage de la qualité des produits français, non seulement pour répondre à la contrainte de la compétition internationale, mais aussi pour attirer les consommateurs ; d'autre part, l'affirmation du rôle des fruits et légumes dans une alimentation équilibrée - M. Daniel Soulage l'a indiqué à juste titre - et donc la promotion de leur consommation et de leurs bienfaits pour la santé, notamment dans l'optique de la lutte contre l'obésité, au moment où ce problème est posé de manière publique.

S'agissant de la recherche et de l'information sur la qualité, le secteur des fruits et légumes dispose encore de potentialités pour faire reconnaître la qualité de certains de ses produits. A ce jour, seules quinze dénominations géographiques concernent les fruits et légumes, et moins de 2 % des surfaces sont concernées, par exemple, par la mention « agriculture biologique ».

C'est pourquoi j'ai demandé que le plan national relatif à l'agriculture biologique soit l'occasion de relancer la production biologique et de rapprocher les cahiers des charges français et communautaires, pour éviter d'éventuelles distorsions de concurrence. Ce point a été soulevé par M. Thierry Repentin.

Dans la promotion des bienfaits d'une alimentation équilibrée, donc comportant des fruits et légumes, l'éducation joue un rôle primordial qui doit être renforcé : tel est l'un des axes du programme national nutrition-santé mobilisant les ministères de l'agriculture et de la santé.

Sur un plan pragmatique, des propositions ont été formulées pour encourager et rendre plus régulière la consommation de fruits et légumes.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en conclusion, je retiendrai de ce débat quatre axes d'action pour le ministère de l'agriculture, axes qui devront trouver une traduction concrète et précise dans la loi d'orientation agricole : la gestion des aléas traitée sur le plan européen avec, notamment, la perspective de l'assurance récolte, l'amélioration de l'organisation économique du secteur, le renforcement de la compétitivité de ce dernier, en particulier à travers le coût du travail, la gestion de la qualité et la valorisation de la production.

Cette question des fruits et légumes nous mobilisera certainement à nouveau au cours des mois à venir, que ce soit lors de débats conjoncturels, de débats européens, ou à l'occasion de la préparation de la loi d'orientation agricole. Je vous remercie en tout cas, mesdames, messieurs les sénateurs, de l'avoir abordée aujourd'hui de façon concrète. Nous allons, si vous le voulez bien, travailler ensemble à apporter les réponses attendues.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de la séance de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt-et-une heures cinquante.