Intervention de Jean Louis Masson

Réunion du 26 janvier 2005 à 15h00
Avenir du fret ferroviaire — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jean Louis MassonJean Louis Masson :

Monsieur le ministre, depuis des années, si ce n'est des décennies, tous les gouvernements qui se sont succédé, de droite comme de gauche, formulent le voeu pieu de développer le transport ferroviaire et de réduire le transport routier de marchandises.

Malheureusement, personne ne s'en donne les moyens : chaque fois que des choix doivent être faits, on tranche en faveur du routier et ou de l'autoroutier, et l'on s'abstient de faire ce qui serait nécessaire au développement du transport ferroviaire.

En matière de fret ferroviaire - ce sera le premier point de mon intervention - je suis tout à fait conscient que l'on ne peut maintenir toutes les petites gares qui existent aujourd'hui, ni conserver la logique du transport ferroviaire de marchandises que l'on connaissait au xixe siècle. Un besoin de modernisation, d'évolution, se fait sentir et je considère donc que la SNCF a raison sur certains points.

En revanche, la contrepartie de cette logique de modernisation devrait être de miser de façon volontariste sur les nouvelles technologies du fret ferroviaire.

Si l'on veut transmettre l'idée que les trains de marchandises ne peuvent continuer, comme par le passé, à s'arrêter ici ou là pour déposer un petit paquet, il faut, corrélativement, que la France fasse le nécessaire pour que les nouvelles technologies de transport du fret ferroviaire se développent.

Le transport combiné rail-route ou de grands axes ferroviaires de fret lourd sur de grandes distances peuvent ainsi se substituer aux poids lourds, notamment dans le couloir rhodanien et sur l'axe nord - sud.

Or, sur ce point, je constate que rien n'est fait.

Il me semble donc non seulement que l'on perd l'héritage du passé, héritage qui devait inéluctablement être modernisé, mais encore que l'on ne gagne rien de ce pourraient apporter une vision moderne, tournée vers l'avenir, et une politique volontariste.

C'est ce qui me paraît le plus regrettable : en matière de transport combiné, de grands axes lourds, on se trouve face à une carence totale des pouvoirs publics.

Cette carence n'est d'ailleurs pas liée au gouvernement actuel ; elle existait déjà par le passé. Une sorte de lobby du transport routier empêche que ne se traduise par des faits ce voeu pieu que tous les élus, tous les gouvernements, ne cessent de répéter : renforcer le ferroviaire pour réduire le transport routier de marchandises. Or, on constate que c'est le contraire qui se produit.

J'en viens au deuxième point de mon propos : si l'on veut relancer le ferroviaire et faire en sorte que le transport routier cesse de croître de manière exponentielle, comme c'est le cas actuellement, il faut rééquilibrer les conditions de compétitivité.

Ce rééquilibrage doit être de deux ordres. Il doit tout d'abord se situer au niveau des coûts respectifs. Ainsi, par exemple, s'agissant des frais de personnel, on constate que le système ferroviaire dans lequel le personnel est surprotégé - on connaît les problèmes que posent les grèves, qui pénalisent considérablement le développement du transport ferroviaire - doit affronter un système routier dans lequel le personnel est sous-protégé : les règles sociales et le droit du travail y sont respectés de manière fort élastique, quand ils le sont.

Les pouvoirs publics ont là une responsabilité, de même qu'ils en ont une dans la prise en compte des coûts globaux, pour la collectivité, de chacun des modes de transport.

Le transport routier de marchandises a un coût qu'il ne supporte pas directement : il provoque des nuisances pour la collectivité dont il ne répond pas.

L'une des mesures pour parvenir au rééquilibrage de ces deux modes de transport consisterait à faire en sorte que les donneurs d'ordres aient économiquement intérêt à ne plus utiliser uniquement le transport routier.

Il faut donc que le transport routier paie son coût réel pour la société. L'Allemagne a mis en place un péage sur lequel nous devrions méditer en France où seules les autoroutes à péage représentent un coût pour les transporteurs. Dans notre pays, en effet, un grand nombre de voies rapides et d'autoroutes sont gratuites : il faudrait en faire payer l'usage aux transporteurs.

Dans les zones frontalières, le trafic de poids lourds allemands se reporte sur les autoroutes françaises qui sont gratuites. En tant que sénateur de la Moselle, je connais bien la question. Cette situation est logique : ils vont là où le coût est moindre.

Si le Gouvernement, qui prétend parfois ne pas avoir les moyens de financer le développement du ferroviaire, installait des péages pour les poids lourds sur ces autoroutes gratuites et sur ces voies rapides, à l'exemple de l'Allemagne, ces recettes pourraient alors être affectées au développement du transport de fret ferroviaire. Cela serait particulièrement utile au rééquilibrage des conditions de compétitivité.

Je voudrais enfin aborder la question des choix. Je constate que ce gouvernement, comme les gouvernements précédents, a tendance à faire des efforts nettement plus importants en faveur des investissements routiers et autoroutiers, donc du transport routier de marchandises, plutôt qu'en faveur du transport ferroviaire.

Je prendrai un exemple. Le réseau ferroviaire du sillon lorrain est absolument saturé. Or, que propose le Gouvernement ? En fait, peu de chose : une deuxième autoroute, dont personne ne veut.

Les partisans de cette autoroute ont connu une déroute lors des dernières élections régionales, et je m'en réjouis. Or, malgré le désaveu des Lorrains, vous vous obstinez, monsieur le ministre, à tout miser sur cette autoroute, au lieu de miser sur le ferroviaire. Pas un Lorrain ne se battrait contre des investissements dans le transport de fret ferroviaire alors que, au contraire, des manifestations et des réactions hostiles à cette autoroute se sont multipliées ; les Lorrains pourraient protester encore par leurs suffrages si vous poursuiviez dans cette voie.

Cet exemple vous montre qu'il serait préférable d'anticiper les aspirations du xxie siècle - nous ne nous situons plus dans la logique productiviste du xxe siècle -, pour améliorer la qualité de la vie, protéger l'environnement, et faire en sorte que le transport ferroviaire trouve sa juste place.

Il est actuellement scandaleux de voir de véritables trains de poids lourds qui attendent, à la frontière luxembourgeoise, pare-choc contre pare-choc, les heures où l'usage du réseau leur est gratuit. Pour aller à Marseille ou Barcelone, ils traversent la France du nord au sud, tout cela parce qu'aucune mesure n'a été prise pour développer le fret ferroviaire.

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