Les transporteurs routiers eux-mêmes en sont conscients, et souhaitent que nous puissions freiner cette évolution qui les place en situation de monopole pour le transport de marchandises, dans des conditions économiques gravement dégradées en raison du coût croissant de l'énergie, que révèlent les dépêches de l'Agence France-Presse relatives au prix du pétrole constaté aujourd'hui à New York.
Dans cette recherche de l'équilibre intermodal, le fer reste bien l'un des plus puissants moyens d'action. Sur ce marché désormais ouvert à la concurrence - et sans doute, de ce fait, aux partenariats -, les entreprises ferroviaires européennes ont dorénavant accès aux sillons du réseau français de RFF, dans des conditions parfaitement définies de sécurité, sous le contrôle de l'Agence ferroviaire européenne, la sécurité étant un élément primordial.
De nombreuses demandes d'accès au réseau ont déjà été enregistrées. La concurrence est désormais un fait, et nul ne peut s'y soustraire. C'est donc très sagement et très judicieusement que, en fonction de cette concurrence, RFF a cru devoir, avec l'appui du Gouvernement, relever ses péages.
Parlementaires en mission, Hubert Haenel et moi-même avons, en 2003, pendant six mois, mené une vaste investigation, à la demande du Premier ministre, et « passé au scanner » le problème du fret ferroviaire à la SNCF.
C'était le temps où l'on nous signalait que, n'ayant pas, ou rarement, la priorité, de nombreux trains de marchandises étaient quotidiennement arrêtés, calés, retardés ou même égarés. De ce fait, nous aurions pu, à la manière proustienne, intituler notre investigation « A la recherche du train perdu »...
Notre mission était d'analyser la stratégie de développement du fret ferroviaire, de dresser une synthèse des attentes des clients, d'évaluer l'organisation des outils de production et d'adapter les capacités d'infrastructures. Nous avions donné à notre rapport un titre symbolique : Fret ferroviaire français : la nouvelle bataille du rail.
Ce rapport comportait constats et propositions : constat d'une activité en péril, avec un trafic en baisse et des résultats économiques et financiers affligeants, qui « plombent », nous l'avons dit, la SNCF ; constat que le fret était le parent pauvre de l'activité de la SNCF, loin de la priorité donnée au transport de voyageurs ; constat de la méfiance des clients qui, soumis à l'exigence des flux tendus, nous ont dit et redit qu'ils ne trouvaient pas, dans le service qu'on leur offrait, la ponctualité, la flexibilité, la régularité - le taux en est tombé à 77 % - et la fiabilité dont ils ont besoin, et qu'ils redoutaient de surcroît les conséquences préjudiciables des arrêts de travail nationaux ou locaux venant trop souvent perturber et paralyser le trafic.
A cet égard, l'alarme sociale, qui, à la SNCF, semble substituer désormais la concertation préalable à la culture du conflit, peut, nous le souhaitons, aider à dissiper ces craintes, pour peu bien sûr que cette alarme sociale concerne autant le fret que le transport de voyageurs.
Forts de ces constats et conscients des enjeux stratégiques, nous avons fait des propositions en vue d'élaborer une véritable politique du fret ferroviaire, d'inviter la SNCF à reconsidérer sa place dans cette activité, d'appeler au développement concerté d'une véritable complémentarité rail-route, en souhaitant en particulier une accentuation des efforts en faveur du transport combiné, de solliciter la mobilisation de tous les partenaires - Etat, collectivités territoriales, entreprises ferroviaires, chargeurs...
« Rapport dur, mais juste ! », a commenté le président Gallois. Si, lors de sa publication, ce rapport a suscité quelque intérêt, c'est qu'il répondait sans doute à des attentes exprimées ou retenues. Cependant, comme beaucoup d'autres rapports, il risque, au-delà d'une notoriété momentanée, de connaître bientôt l'honneur de devenir une référence classée.
Quoi qu'il en soit, restent les questions qu'il soulève, à commencer par celle-ci : où en sommes-nous aujourd'hui, monsieur le ministre ?
Dans le cadre de son projet industriel, la SNCF a entrepris le redressement de son activité fret. Pour le réussir, il faut des clients, des moyens, des sillons, une stratégie et, surtout, une volonté. Ce projet est bien accueilli, de bons résultats sont attendus, devant mettre un terme à la dépression, annoncer une remontée en 2006 et, au-delà, la montée en puissance espérée, avec un gain de 20 % d'efficacité en trois ans et un accroissement de la compétitivité. Succédant de nombreux autres plans, c'est le plan de la dernière chance. Je tiens à le souligner ici.
Cela étant, ce dispositif est-il suffisant ? La structure qui l'encadre est-elle adaptée, peut-elle et doit-elle évoluer ? Peut-on, pour plus de transparence, d'efficacité, d'étanchéité comptable, de productivité, envisager une plus large autonomie de l'activité fret au sein de la SNCF et, dans cette perspective, convaincre la Commission européenne, méfiante, que les efforts financiers de l'entreprise et de l'Etat, à hauteur respectivement de 700 millions et de 800 millions d'euros, seront bien consacrés au redressement de l'activité fret et aux investissements matériels qui lui sont indispensables, sans être détournés au profit d'autres activités ?
Au-delà de cette évolution de l'organisation, reste posé le problème, que M. Haenel et moi-même avons évoqué, de la possibilité d'une filialisation de l'activité fret, souhaitée par Bruxelles, qui risque d'en faire une condition.
Des perspectives nouvelles doivent être envisagées. Disant cela, je pense, en particulier - et la France est en première ligne sur ce plan -, aux dessertes ferroviaires des ports, points de départ et d'arrivée d'un important trafic. A cet égard, je voudrais, monsieur le ministre, que l'on puisse prendre en considération les conclusions de l'excellent rapport de notre collègue Henri de Richemont, qui a déjà ouvert des pistes de réflexion dans ce domaine.