Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 12 septembre 2001, la Commission européenne a publié son Livre blanc sur « La politique européenne des transports à l'horizon 2010 » dans lequel elle place, pour la première fois, le développement durable au coeur de sa stratégie en matière de transport.
La première de ces mesures tend à rééquilibrer les modes de transport en faveur du rail d'ici à 2010, afin de mieux respecter l'environnement. Par ailleurs, la Commission européenne a affirmé très clairement sa volonté de mettre en oeuvre l'intermodalité.
Tout en constatant le manque d'infrastructures adaptées au transport moderne et l'absence d'interopérabilité entre les réseaux, la Commission européenne propose la « création d'un espace ferroviaire intégré, performant, compétitif et sûr, ainsi que la mise en place d'un réseau dédié au fret ».
Même si je partage le constat et la volonté de la Commission européenne, je pense que les remèdes qu'elle propose risquent d'être pires que le mal.
En effet, elle a entériné la libéralisation du fret international à l'horizon de 2006 et du fret national en 2007, par l'adoption des deux premiers « paquets » ferroviaires.
Le troisième « paquet » concernant les voyageurs devrait venir en lecture devant le Parlement européen le 8 mars prochain, alors même qu'aucun bilan économique et social n'a été effectué sur les premières directives.
C'est l'une des raisons qui a incité le groupe CRC à déposer une proposition de résolution demandant le retrait de ces directives qui font peser de graves menaces sur nos services publics de transport en ouvrant à la concurrence les lignes transversales, ce qui constitue le premier pas vers la privatisation du transport ferroviaire sur les grands axes.
Les sénateurs communistes républicains et citoyens soulignent, enfin, la concordance entre la libéralisation des services publics de transport - comme ceux de La Poste ou de l'énergie - et le traité constitutionnel européen, qui inscrit dans le marbre une évolution contraire aux objectifs de solidarité, d'égalité et de sécurité.
Cette logique, qui livre aux appétits financiers les outils de la puissance publique, se révèle très néfaste.
II devient vraiment urgent de réaffirmer la notion fondamentale de services publics pour les garantir et les moderniser au niveau tant européen que national.
Comme mon collègue Yves Krattinger, j'aimerais croire Louis Gallois, président de la SNCF, lorsqu'il déclare que le « plan fret » 2006 permettra de se placer « clairement dans une perspective de développement du fret ». Avec la réussite de ce plan, dit-il « la SNCF pourra mieux répondre à la demande de ses clients en France et en Europe, et aux attentes de la société tout entière pour davantage de fret ferroviaire ».
Pourtant, concrètement, le « plan fret » est totalement subordonné aux directives européennes et se traduira, au nom de la rationalisation et de la compétitivité, selon les organisations syndicales, par la suppression de 3 505 emplois, la fermeture de 4 centres de triages, de 16 gares principales de fret et de 100 gares ouvertes au fret.
Ces données sont confirmées par le budget pour 2005 de la SNCF, qui entérine des pertes importantes de personnels. Ainsi, 1 526 emplois seraient supprimés dans l'activité fret elle-même, 377 dans le matériel et 763 dans les tractions.
De septembre 2002 à la fin de 2005, ce sont 11 765 emplois qui auront ainsi disparu sous l'effet conjoint de la politique du Gouvernement et de celle de la direction de la SNCF. Ce sont donc les cheminots et les usagers qui payent pour une certaine conception de l'équilibre de l'entreprise.
Dans ces conditions, on comprend bien les raisons de la mobilisation des cheminots avec l'ensemble de leurs organisations syndicales, et le succès de la grève qui a eu lieu la semaine dernière et qui s'est accompagnée d'un très large soutien de la population.
Le « plan fret » est un plan de repli et de casse de l'outil de production. A contrario des enjeux de développement durable, il déstructure durablement la production et la commercialisation du fret ferroviaire à la SNCF.
En témoignent quelques chiffres : à la fin du mois d'août 2004, le trafic a diminué de 2, 8 % par rapport aux objectifs, mais le transport conventionnel a régressé de 3, 5 % et le transport combiné a enregistré une baisse de 6, 2 %.
Sur les huit premiers mois de l'année, on observe 22 157 circulations de trains fret en moins par rapport à la même période en 2003.
Actuellement, sur la totalité du territoire, 100 kilomètres de voies sont utilisés pour le stationnement de wagons, faute de marchandises à acheminer.
La mise en oeuvre de ce plan entraîne les entreprises régionales à faire le choix de la route. A la suite des augmentations de tarifs de 50 %, voire plus, qu'elle a pratiquées, la SNCF a perdu de nombreux clients et non des moindres, comme Pechiney et ICF, Intercontainer-Interfrigo, le grand opérateur européen de transport combiné, sans parler de l'abandon pur et simple de la filière bois.
Autant de mesures, de choix contraires à l'intérêt collectif, qui n'améliorent ni la qualité, ni la régularité de la production.
D'ailleurs, comment pourrait-il en être autrement quand on constate que, pour la livraison de trois locomotives neuves en moyenne par mois, on observe une radiation de 250 engins par an ?
Les restructurations, les réorganisations, les réformes, les études, l'externalisation ou la création de filiales ont successivement affaibli le service public.
En réduisant les capacités de la production et l'emploi statutaire, la direction de la SNCF et l'Etat organisent le déclin de la part modale du fret SNCF, menaçant ainsi le statut d'entreprise intégrée de service public de transport. Il s'agit bien, finalement, de la programmation de la filialisation de l'activité du fret et de l'organisation de la concurrence intramodale sur ce secteur d'activité.
En abandonnant certains trafics, la SNCF va permettre à des opérateurs privés de se positionner. Ainsi, 22 000 sillons ont été supprimés, le 12 décembre 2004, dans le cadre du changement de service roulant. Réseau ferré de France, RFF, va pouvoir offrir ces sillons aux nouveaux entrants.
La direction de la SNCF fait le choix d'une logique purement marchande en se repliant sur les créneaux les plus rentables. Ce qui compte pour elle, ce sont les plus gros chargeurs, qui représentent les 20 % du trafic non déficitaires. Il suffira de supprimer les 80 % restants ou de pratiquer des tarifs dissuasifs. N'est-ce pas ce que vous souhaitez, monsieur le ministre, lorsque vous enjoignez à la SNCF de « se concentrer sur les lignes qui peuvent garantir l'équilibre » ?
Ce plan présente un caractère d'irréversibilité par la perte évidente de capacité d'exploitation du réseau. Ces infrastructures présentent pourtant un vrai potentiel pour préparer l'avenir, si l'on en croit les déclarations du Premier ministre qui prévoit que le fret devrait encore progresser de 40 % d'ici à 2020.
Pour résumer, ce plan n'identifie aucun vecteur de progrès ; aucun projet n'est mis en avant et aucun moyen n'est prévu pour asseoir un quelconque développement.
Dans une perspective où la demande de transport devrait augmenter, le train pourrait, au contraire, voir sa part revalorisée dans le transport de marchandises, à condition qu'une orientation publique soit clairement définie en sa faveur, ce qui n'est évidemment pas le cas aujourd'hui.
En effet, depuis 1999, si le fret ferroviaire a enregistré une progression de 17 %, le transport routier a, lui, fait un bond de 40 %.
Une évolution notable s'est produite en faveur de la route, notamment sur la base du dumping social, cause principale de terribles accidents ; nous venons d'ailleurs de le voir à nouveau ces derniers jours.
L'attractivité de la route réside dans le fait qu'une grande partie des coûts est externalisée vers les collectivités territoriales. Cependant, ce mode de transport est le plus polluant : il représente à lui seul 84 % des émissions de gaz à effet de serre.
La facture énergétique ne plaide pas non plus en faveur de la route. La quantité d'énergie nécessaire pour transporter une tonne de fret par la route est trois fois supérieure au rail.
Que l'on se place du point de vue de l'emploi, de l'aménagement du territoire, du développement local, de la préservation de l'environnement ou de la santé, le développement du transport du fret ferroviaire est indispensable. Il faut donc se donner les moyens de réorganiser la complémentarité entre la route et le rail.
Afin que l'intermodalité fonctionne, il faut que le fret bénéficie d'investissements importants et que l'Etat respecte son engagement de désendetter RFF et la SNCF, dette qui s'élève aujourd'hui à 40 milliards d'euros.
A ce propos, il faut rappeler que les frais financiers liés à la dette se situent aux environs de 380 millions d'euros pour la SNCF et de 1, 3 milliard d'euros pour RFF. Pour la SNCF, par exemple, cela représente l'équivalent de 8 800 emplois statutaires, de 30 rames de TGV et de plus de 200 locomotives de fret.
Pourtant, la Commission européenne exige encore davantage de la SNCF pour autoriser une aide de l'Etat français de 800 millions d'euros. Elle demande que les comptes du fret tendent à l'équilibre, ce qui suppose une amélioration des gains de productivité, l'abandon de segments de marché et, à terme, sa filialisation.
Dans cette optique, la SNCF procédera à une recapitalisation de l'activité fret à hauteur de 700 millions d'euros. Celle-ci se fera essentiellement par la cession d'actifs, ce qui renforcera le caractère irréversible du déclin du fret en tant que service public.
Cette pression de la Commission européenne n'a pas été observée à l'encontre de la décision gouvernementale qui vise à opérer un doublement du dégrèvement de la taxe professionnelle sur les véhicules de plus de 7, 5 tonnes. Qu'en est-il, alors, de sa volonté de rééquilibrage entre la route et le rail évoquée par le Livre blanc ?
Ces mesures attestent également de la supercherie du programme du Gouvernement, qui indiquait, lui aussi, vouloir encourager le rééquilibrage des modes de transport en réorientant les camions vers le rail et les voies navigables.
Entre la volonté affichée d'engager de telles actions et leur contenu, force est de constater que les mesures prises favorisent les intérêts financiers des futurs opérateurs, en s'opposant à la satisfaction des besoins des salariés, de la population, et à la protection de l'environnement.
La loi de finances pour 2005 en est un bon exemple : les subventions octroyées au transport combiné - cela a déjà été dit, mais j'y reviens - ont encore baissé, n'avoisinant plus que les 16 millions d'euros.
En l'absence d'un engagement concret des pouvoirs publics à promouvoir le transport combiné comme mode alternatif à la route, les opérateurs traditionnels seront incités à resserrer leurs maillages sur les relations les plus rentables, et le rééquilibrage nécessaire entre les différents modes de transport ne pourra voir le jour.
Les sénateurs communistes républicains et citoyens considèrent que le transport ferroviaire doit jouer un rôle économique, social et de progrès, ce qui induit une responsabilité de l'Etat quant à la définition des besoins de transport et pour le financement du service public, afin de permettre son développement et son efficacité.
Notre choix n'est pas celui de la mise en concurrence et du désengagement de l'Etat, c'est celui d'une politique ambitieuse en faveur du rail.
En ce sens, le groupe CRC propose l'organisation d'un véritable débat sur les transports sur le plan tant national qu'européen. II demande qu'une étude préalable mesurant l'impact de la libéralisation du fret ferroviaire sur l'emploi, la sécurité et le niveau de développement des réseaux soit réalisée. II considère nécessaire, afin que la concurrence ne se traduise pas par des pratiques de dumping social, une harmonisation vers le haut des normes sociales.
Le groupe CRC juge indispensable de mettre en place une véritable politique commune de développement des réseaux transeuropéens de fret ferroviaire intégrant les objectifs du développement durable, de protection de l'environnement, d'aménagement du territoire et de développement de l'emploi. Pour cela, il estime fondamental que soient élaborés à l'échelle européenne de véritables plans de financement s'appuyant sur la création de pôles publics financiers et permettant aux Etats d'entreprendre les investissements nécessaires en matière d'infrastructures nouvelles, de modernisation des réseaux actuels et de nouveaux réseaux dédiés.