Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d'abord remercier M. Soulage d'avoir engagé ce débat et la conférence des présidents d'avoir accepté d'inscrire à l'ordre du jour cette question qui porte sur un sujet important.
Les fruits et légumes représentent en effet, on l'a dit, 12, 5 % de l'activité agricole dans notre pays et, surtout, le contexte est aujourd'hui particulièrement difficile. A cet égard, je souscris au diagnostic très objectif de la situation que vient d'établir M. Soulage et je m'associe, bien sûr, à un certain nombre de ses préconisations.
Je m'inscris pour ma part dans une problématique un peu plus douloureuse en tant qu'élu d'une région dont une grande partie est spécialisée dans les légumes et qui, pour certaines activités, assure près des trois quarts de la production française. Je parle évidemment de la Bretagne, où la filière compte 4 000 producteurs et 10 000 emplois salariés. La production de légumes contribue donc fortement à la structuration du tissu socioéconomique dans les 200 communes au moins de la zone légumière.
Le fait est que, depuis six ou sept ans, l'activité légumière connaît une crise devenue structurelle - et non pas conjoncturelle -, et c'est par rapport à cette réalité que nous devons réfléchir aux mesures à mettre en oeuvre.
Je citerai un seul chiffre pour l'année 2004 : dans la région Bretagne, le chiffre d'affaires des activités légumières est passé de 450 millions d'euros en 2003 à 350 millions d'euros en 2004, soit, en un an, une perte de près du quart du chiffre d'affaires, perte qui, évidemment, se ressent au niveau des revenus tant des producteurs que de l'ensemble des personnes qui travaillent dans la filière.
Jusque-là, en période de crise, les dispositifs existants, dits « plans de campagne », permettaient, pour un budget limité, de réguler correctement les conjonctures difficiles grâce à la promotion de l'export, à la transformation et aux retraits. Malheureusement, monsieur le ministre, ces dispositifs ne sont plus appliqués - ils ne sont d'ailleurs plus applicables au regard des règles européennes - et la crise du chou-fleur des années 2003 et 2004 a cruellement révélé l'absence de mécanisme de substitution approprié.
M. Soulage l'a rappelé, l'opération pilote de gestion de crise qui avait été envisagée en France par le Gouvernement a en effet été rejetée, voilà quelques mois, par Bruxelles, et les mesures ponctuelles adoptées par le Gouvernement s'inscrivent dans un contexte financier rempli d'incertitudes. Dès lors, dans quelles directions faut-il orienter les efforts de régulation et de soutien aux producteurs ?
Trois options qui donnent à la profession l'espoir que des actions des pouvoirs publics seront développées au cours des prochains mois sont aujourd'hui en débat.
La première de ces options est la lutte contre les distorsions de concurrence. M. Soulage a longuement évoqué tout à l'heure ces distorsions, notamment en ce qui concerne les charges salariales, du fait notamment de la concurrence de pays tels que la Pologne, qui utilise abondamment la main-d'oeuvre de certains pays proches. C'est un problème particulièrement délicat, et je me satisfais de savoir que le Gouvernement a engagé un travail de réflexion sur le sujet et pourra sans doute nous soumettre des propositions dans les prochains mois.
La deuxième option en débat est le rééquilibrage du rapport de force entre production et distribution. S'agissant de la maîtrise et de la transparence des marges ainsi que de l'amélioration de la répartition du surplus, un certain nombre de propositions nous sont faites, et le Gouvernement a d'ailleurs suggéré des amendements au projet de loi relatif au développement des territoires ruraux. On peut espérer que certaines de ces propositions produiront un effet positif.
Je souhaiterais aussi voir évoquer à cet égard le nécessaire assainissement de certaines pratiques de la grande distribution. Je pense bien entendu aux marges arrière, qui ont conduit à de graves excès qu'il faut dénoncer, ainsi, monsieur le ministre, qu'au processus d'enchères inversées, qui produit aujourd'hui des effets catastrophiques dans divers secteurs d'activité agricole.
Je sais que M. Sarkozy avait essayé, voilà quelques mois, de prendre des mesures pour remédier à cette situation, mais j'ai cru comprendre que le projet avait été abandonné et que le Gouvernement ne proposait, dans l'immédiat, aucune solution. Quoi qu'il en soit, les enchères inversées continuent de produire des effets catastrophiques : c'est là un problème particulièrement important qu'il convient d'examiner.
La troisième option pour le court terme est celle des accords bilatéraux du commerce international qui s'avèrent, à certains égards, pénalisants pour la filière des fruits et légumes. Je pense tout particulièrement aux accords passés entre la France et le Maroc, et plus spécialement à l'accord concernant l'échange de céréales contre des tomates qui s'est révélé particulièrement préjudiciable aux producteurs français de tomates. Le Gouvernement devrait tout particulièrement veiller à ce que ces accords bilatéraux ne pénalisent pas, comme c'est actuellement le cas, l'activité fruits et légumes.
Au-delà de ces sujets d'interrogation et des leviers d'action qu'ils induisent à court terme, il nous faut réfléchir à long terme et examiner les conditions de la pérennisation du secteur de la production de légumes. Cette réflexion nous conduit, bien entendu, à nous tourner vers l'Europe et à nous interroger sur la façon dont vous allez pouvoir, monsieur le ministre, défendre dans les mois et les années qui viennent une position ambitieuse pour la France.
Pour notre part, nous avons le sentiment que la France doit, au niveau de la discussion européenne, mettre en avant quatre objectifs ambitieux : premièrement, éviter la reconversion en fruits et légumes des surfaces de grandes cultures ; deuxièmement, améliorer l'Organisation commune des marchés des fruits et légumes ; troisièmement, préserver les bassins « historiques » par des mesures appropriées ; quatrièmement, inciter à la mise en place d'outils d'anticipation des crises.
Pour ce qui est du premier objectif, vous savez que les Etats membres sont censés éviter que les agriculteurs bénéficiant de primes ne se diversifient dans des productions sensibles comme celle des fruits et légumes. En réalité, aucun Etat membre n'a la volonté politique et la capacité matérielle de contrôler le respect de cette disposition.
Aucune mesure concrète n'a été prise par les Etats concernés pour faire appliquer cette interdiction qui, du reste, ne porte plus que sur les cultures de printemps, les cultures dérobées d'automne ayant été autorisées par le règlement du 29 avril 2004.
Face à ce manque évident de volonté politique, on ne peut que préconiser non pas des mesures coercitives, mais des dispositions permettant d'orienter les hectares potentiellement convertibles en fruits et légumes vers des productions de substitution, en particulier celles de biocarburants.
Je précise, mes chers collègues, que la reconversion en légumes de 1% de la surface agricole utile, la SAU, en France, équivaudrait à doubler la surface légumière de notre pays : on voit bien dans quel marasme une telle décision pourrait nous plonger !
Le deuxième objectif à privilégier est celui de l'amélioration de l'Organisation commune des marchés des fruits et légumes. Face à une demande sans cesse plus concentrée, le regroupement de l'offre au sein de ces organisations apparaît plus que jamais comme une nécessité économique pour renforcer la position des producteurs sur le marché.
Nous avons le sentiment que la réforme de 1996 de l'OCM a entraîné un certain nombre d'effets indésirables, voire pervers. Il est donc très important de pouvoir se pencher très rapidement sur leur correction.
L'adaptation des dispositifs d'aide communautaire devrait, à notre sens, permettre de répondre plus efficacement à ce deuxième objectif.
Le troisième objectif consiste à préserver les bassins « historiques » par des mesures appropriées. Les bassins « historiques » en légumes se sont développés grâce aux possibilités de leur sol et de leur climat qui leur permettent d'avoir des produits de haut niveau qualitatif toute l'année avec le minimum d'intrants, ce qui va dans le sens tant de la principale préoccupation actuelle des consommateurs européens que d'un développement durable harmonieux. Or, le développement actuel des nouveaux bassins se fait exclusivement à partir des distorsions créées par les politiques agricoles, par les législations sociales ou de protection des plantes. Pour s'imposer sur le marché, les nouveaux entrants pratiquent une politique commerciale agressive, avec des prix bas ou des systèmes de fixation de prix extrêmement favorables aux acheteurs, et cela sans que le consommateur en tire avantage au moment de l'achat.
Même si les législations européennes et les certifications commerciales sont censées s'imposer de la même manière à tous les pays de l'Europe, il existe des différences notables entre bassins A cet égard, je note que le développement rural prévoit un certain nombre de mesures structurelles de certification, de segmentation et que, dans ce cadre, il convient de rechercher la mise en place de soutiens spécifiques pour permettre aux bassins « historiques » de consolider leur position stratégique au sein du marché européen élargi.
Le quatrième objectif fondamental à nos yeux passe par la mise en place d'outils d'anticipation des crises et de maintien du tissu productif. Comme je l'ai souligné en préambule, le marché des fruits et légumes est régulièrement soumis à des crises conjoncturelles aiguës. Compte tenu du contexte concurrentiel précédemment décrit, deux politiques peuvent être envisagées.
La première est une politique de laisser-faire. Dans ce cas, la production se concentrera dans les zones disposant d'avantages « distorsifs » - grandes cultures primables, avantage en termes de main-d'oeuvre... - et dans certaines régions du sud de l'Europe pour les productions d'hiver - Pouilles, Campanie, Andalousie, plaine de Murcie... - au détriment de bassins « historiques », qui connaîtront une disparition plus ou moins rapide. Une telle évolution ne signifiera pas la fin des crises conjoncturelles ; au contraire, certaines crises deviendront structurelles, et j'en veux pour exemple la situation actuelle des marchés de l'oignon, de la pomme de terre ou de la carotte.
La seconde politique, qui est l'autre terme de l'alternative, est une politique volontariste de soutien aux organisations de producteurs par la mise en place d'outils d'anticipation des crises et de préservation du tissu productif. Ces outils doivent permettre non seulement de prévenir la crise, mais également de donner aux producteurs, en compensation des aides dont bénéficieront leurs concurrents, des soutiens pour les aider à se maintenir dans les situations difficiles qui ne manqueront pas de se produire.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il est superflu de souligner que c'est actuellement la politique du laisser-faire qui semble l'emporter au niveau européen, cette dernière s'accompagnant d'ailleurs d'une communication adaptée de la Commission visant à minimiser les distorsions engendrées par la nouvelle PAC
En conclusion, monsieur le ministre, le groupe socialiste revendique une démarche interventionniste forte de la France, une politique volontariste de soutien, susceptible de remettre en cause certaines des orientations de laisser-faire que semble aujourd'hui privilégier la Commission européenne. Nous souhaitons donc vivement que, au nom de notre pays, vous puissiez, à ce stade essentiel de la mise en oeuvre d'une politique agricole pour les fruits et légumes, défendre activement la stratégie la plus efficace pour préserver nos exploitations et donc le tissu socioéconomique de nombre de nos communes rurales où le légume reste l'une des valeurs sures de l'activité agricole.