Intervention de Dominique Bussereau

Réunion du 26 janvier 2005 à 15h00
Aide aux producteurs de fruits et légumes — Discussion d'une question orale avec débat

Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons eu, grâce à Daniel Soulage, un débat de grande qualité. Je le remercie donc d'avoir posé cette question orale.

Vous avez les uns et les autres évoqué les préoccupations d'une filière qui jouit par ailleurs auprès de nos concitoyens d'une image forte et sympathique, ce qui constitue indéniablement un atout. J'apporterai donc, mesdames, messieurs les sénateurs, des éléments de réponse à vos interrogations et propositions en distinguant trois orientations : d'abord, les dispositions adoptées pour faire face à la crise de 2004 ; ensuite, au-delà de cette action conjoncturelle, le développement de dispositifs communautaires pérennes - beaucoup d'entre vous ont en effet évoqué les politiques européennes - ; enfin, l'amélioration des perspectives économiques de la filière.

La crise étendue de la filière en 2004 a nécessité des réponses d'urgence. Les mesures adoptées recouvrent des dispositions de nature financière, répondent à la volonté d'établir un dialogue entre l'amont et l'aval de la filière et, enfin, permettent de relancer une consommation atone.

D'abord, en ce qui concerne les mesures ciblées de nature financière, mon prédécesseur, Hervé Gaymard, a annoncé le 7 octobre dernier une série d'actions ciblées : 10 millions d'euros consacrés à des aides directes de trésorerie ; une enveloppe exceptionnelle de 50 millions d'euros de prêts de consolidation permettant d'étaler sur cinq ans, à coût réduit, les échéances bancaires des producteurs de fruits et légumes en difficulté financière ; l'échelonnement, voire la prise en charge partielle, de leurs cotisations à la Mutualité sociale agricole.

Je vous remercie d'avoir souligné que ces mesures ont été mises en place dans des délais très brefs. Vous savez, pour bien connaître le terrain, que les premiers paiements sont d'ores et déjà intervenus.

Par ailleurs, la déduction pour aléas, la DPA, a été aménagée de manière pérenne. En outre, je m'emploie à accélérer la finalisation de la mise en oeuvre des remboursements partiels en faveur des exploitants de la taxe intérieure sur les produits pétroliers et de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel, mesures destinées à atténuer le poids de la hausse des prix de l'énergie qui avaient été annoncées par Nicolas Sarkozy et moi-même.

Ensuite, des mesures destinées à apporter une réponse partenariale associant l'amont et l'aval de la filière ont été prises. Chacun d'entre vous sait que le marché des fruits et légumes dépend très largement de ces relations. Sous l'égide des ministres de l'agriculture et du commerce, l'ensemble des partenaires de la filière est parvenu à un accord qui a été signé durant l'été 2004 et qui précise les pratiques commerciales régissant les relations distributeurs-producteurs, notamment en cas de crise, comme celle qui est survenue l'an dernier.

Enfin, des mesures visant à promouvoir la consommation des fruits et légumes ont été prises. C'est fondamental ! Les moyens du ministère de l'agriculture ont été mobilisés dès le début du mois d'août dernier par Hervé Gaymard, associés à ceux de l'interprofession et de la Commission européenne, pour lancer une opération de promotion radiophonique des fruits et légumes. Le ministère s'est également investi auprès des producteurs, en particulier les producteurs de tomates, pour relancer le marché.

Des moyens budgétaires supplémentaires étaient naturellement nécessaires.

Au-delà de ces mesures conjoncturelles, je souhaite accélérer la définition, par les différents partenaires de la filière, d'un plan de 10 millions d'euros mis en place par l'Office interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture, l'ONIFLHOR, afin d'engager des actions structurantes.

La loi de finances pour 2005 que vous avez votée récemment prévoit, dans le budget du ministère de l'agriculture, une augmentation de l'enveloppe de l'ONIFLHOR, qui s'élève à 59 millions d'euros en 2005. Cette disposition montre également le soutien déterminé de mon ministère en faveur de la filière fruits et légumes.

Deux chantiers restent à traiter à l'échelon communautaire. Au-delà de ces mesures d'urgence pour 2004, une réponse aux difficultés rémanentes doit être élaborée, pour partie, dans un cadre européen. C'est pourquoi je porterai devant les instances européennes deux dossiers, et j'ai d'ailleurs commencé à le faire lors du conseil des ministres de l'agriculture et de la pêche qui s'est tenu lundi dernier à Bruxelles : le dossier des mécanismes de gestion de crise et celui de l'adaptation de l'Organisation commune de marché.

J'attire votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur l'importance du dossier de la gestion des crises et des risques. Vous vous souvenez que, lors de l'accord de Luxembourg de juin 2003, la Commission s'était engagée à déposer avant la fin de l'année 2004 un rapport suggérant des mesures relatives à la gestion des risques, crises et catastrophes naturelles lorsqu'elles surviennent à l'échelle nationale.

J'ai évoqué ce sujet à l'occasion des deux conseils des ministres de l'agriculture et de la pêche auxquels j'ai participé depuis ma nomination comme lors d'autres entretiens avec la nouvelle commissaire européenne, l'ancienne ministre danoise de l'agriculture, Mme Fischer Boel. J'ai senti des réserves de sa part, comme de la part de certains Etats membres. J'ai naturellement cherché à engager le dialogue avec mes collègues européens, en particulier à trouver une position commune avec l'Espagne, dont les préoccupations sont proches des nôtres. L'Italie pourrait s'associer à cette démarche. L'Allemagne, même si elle n'est pas demandeuse, adoptera, je l'espère, une position de neutralité.

Je dois dire devant la Haute Assemblée que la position de la Commission européenne n'est pas encore connue, Mme Fischer Boel ne m'ayant pas donné d'informations précises lundi dernier. Elle ne le sera qu'avec la présentation de son rapport devant le prochain conseil des ministres de l'agriculture et de la pêche, le 28 février prochain à Bruxelles, c'est-à-dire, vous le voyez, avec un certain retard malheureusement.

Par ailleurs, nous sommes confortés dans notre position par le fait que le cadre fixé par la présidence pour la réforme de l'Organisation commune de marché réaffirme notamment la nécessité de déterminer de nouvelles options en matière de gestion des crises et de simplifier l'utilisation des fonds opérationnels.

Ce dossier de gestion des crises et des risques est très important, et nous en avons besoin. En effet, dans le cadre de la réforme de la PAC, il n'existe plus d'instruments nationaux ou européens. Il nous faut donc un instrument autorisé par l'Europe dans ce domaine.

Parallèlement à ce traitement communautaire, le Gouvernement - Daniel Soulage en a parlé, et vous l'avez rappelé les uns et les autres -, a entrepris d'apporter une réponse aux risques naturels à travers le mécanisme de l'assurance-récolte, Daniel Soulage en a parlé. Ce mécanisme sera amplifié, conformément aux préconisations de M. Christian Ménard, député du Finistère. Le Gouvernement a décidé la mise en oeuvre progressive de ce dispositif, entre 2005 et 2007, en y consacrant spécifiquement, dès cette année, 10 millions d'euros. Un comité de suivi accompagnera sa mise en oeuvre et préfigurera l'Agence de gestion des risques dont le Président de la République a annoncé la création à Murat et que je souhaite inscrire dans le futur projet de loi d'orientation agricole.

Il faut également redessiner l'Organisation commune de marché afin qu'elle prévoie des outils spécifiques de gestion de crise pour ce secteur. Elle pourrait être articulée autour de deux orientations : d'une part, le soutien aux associations ou aux regroupements d'organisations de producteurs ; d'autre part, l'inscription dans son règlement des dispositions de gestion ou d'anticipation des crises spécifiques au secteur.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le calendrier actuellement prévu par la Commission fixe une première échéance pour les fruits frais en septembre prochain, et pour les fruits transformés à la fin de l'année 2005.

Je tiens aussi à rassurer les producteurs qui ont connu des modifications de la réglementation communautaire en 1999, en 2001 et en 2003. J'ai à l'esprit le besoin de sécuriser sur le plan réglementaire les organisations de producteurs dans cet environnement particulièrement complexe. Comme l'a souligné Daniel Soulage, nous travaillons avec les professionnels pour encourager les investissements des exploitations dans le futur plan de développement rural national, le PDRN.

Le développement de la filière fruits et légumes est étroitement lié à trois questions : l'organisation économique de la filière et du marché des fruits et légumes ; la compétitivité économique, qui dépend notamment du coût du travail ; la valorisation de la production.

En ce qui concerne l'organisation économique, et Gérard Le Cam l'a rappelé, l'extrême diversité des producteurs parallèlement à la forte concentration des distributeurs pèse sur le revenu des producteurs et suscite leur exaspération en raison d'un rapport de force déséquilibré sur les marchés. C'est pourquoi il convient de stimuler une nouvelle organisation économique et commerciale plus efficace, qui pourrait prendre cinq directions.

Premièrement, il faut favoriser l'émergence de structures commerciales puissantes. Je suis convaincu que, tout en laissant vivre la diversité des circuits, qui est inhérente à ce secteur, il faut encourager la concentration de l'offre sur un plan commercial, conformément aux préconisations du rapport de M. Mordant. Tout cela est d'ailleurs un gage d'efficacité.

Deuxièmement, il faut rééquilibrer les relations avec la distribution. S'appuyant sur certaines recommandations du rapport Canivet, une réflexion est menée par Luc-Marie Chatel, député de la Haute-Marne, sur l'initiative de Christian Jacob, pour définir les modalités d'une relation plus équilibrée entre producteurs agricoles et distributeurs.

A cet effet, la Haute Assemblée a voté, la semaine dernière, un éventail d'outils et de mécanismes. Le Gouvernement souhaitait une telle adoption, dans un souci d'efficacité et avant que ne surgissent de nouvelles difficultés. Plusieurs d'entre vous l'ont rappelé, le Gouvernement a proposé un dispositif complet et cohérent de quatre articles, préparés en concertation avec les professionnels. Ce dispositif répond d'ores et déjà à un certain nombre de leurs préoccupations en proposant un encadrement des marges par un mécanisme de cliquet.

Ce dispositif est proche, monsieur Soulage, dans sa finalité, du mécanisme du coefficient multiplicateur, qui était au coeur de votre amendement. Le Gouvernement n'a pas été favorable à votre proposition lors de sa présentation dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux - je parle sous le contrôle du président de la commission des affaires économiques, M. Jean-Paul Emorine - en raison de son rejet par le rapport Canivet et de la contrainte communautaire.

J'ajoute que la proposition du sénateur Thierry Repentin visant à lier le prix de vente au prix de revient souffre des mêmes inconvénients.

Christian Jacob et moi-même serons très attentifs au bon fonctionnement du dispositif que vous avez voté, et qui respecte nos engagements communautaires. J'ai bien noté l'attente forte de tous ceux qui se sont exprimés sur ce point.

Troisièmement, la loi d'orientation agricole qui sera présentée au Parlement cette année pourra à mon avis être utilement mise à profit pour actualiser les missions des comités de bassin.

Quatrièmement, il convient d'associer les producteurs indépendants à l'organisation économique.

Les services du ministère de l'agriculture et l'ONIFLHOR ont, en association avec les professionnels, commencé à intégrer cette ouverture dans les différentes circulaires. En ce qui concerne les aides cofinancées par l'Europe, la Commission a d'ores et déjà été informée de cette évolution.

Par ailleurs, le soutien de la filière par l'Office connaît un nouvel élan. Ainsi, la rénovation du verger, à l'instar de l'aide aux serres, pourra bénéficier, non seulement de l'augmentation du budget de l'ONIFLHOR - j'ai rappelé les chiffres tout à l'heure - mais également d'un financement du plan de développement rural national à hauteur de 25 % de l'aide, conformément à l'accord obtenu par la France auprès de la Commission européenne.

Cinquièmement, il faut fortifier les interprofessions. J'ai bien noté la détermination de M. Dominique Mortemousque sur ce point.

Le rôle des interprofessions est au centre des débats relatifs à l'évolution de la législation actuelle et - je vous l'indique d'ores et déjà - sera abordé lors de la discussion du projet de loi d'orientation agricole, car le renforcement de ces interprofessions est indispensable. Il devra bien évidemment se faire après un dialogue préalable avec ces dernières.

Sur un plan un peu plus pragmatique, je souhaite la simplification de la procédure d'extension des accords interprofessionnels et la réduction, dans la mesure du possible, des délais de leur mise en oeuvre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous abordé le sujet de la compétitivité et de l'emploi.

La question de l'organisation professionnelle a déjà été évoquée. L'amélioration de la compétitivité de ce secteur passe par des dispositions fiscales portant à la fois sur la gestion des aléas et le coût du travail.

S'agissant du traitement des aléas, des dispositions relatives à la déduction pour aléas, la DPA, ont été adoptées : allongement du délai de réintégration fiscale des sommes épargnées au titre de la déduction pour aléas et aménagement de la DPA en faveur des secteurs fortement utilisateurs de main-d'oeuvre.

En ce qui concerne les coûts du travail - vous avez, les uns et les autres, en particulier M. Bernard Murat, cité des exemples intéressants, dont certains posent de réelles difficultés -, le Gouvernement a pris des mesures visant principalement à alléger les cotisations sociales dues par les producteurs de fruits et légumes.

Par ailleurs, s'agissant des distorsions de concurrence entre les coûts de main-d'oeuvre dans les différents pays, que ces derniers appartiennent ou non à l'Union européenne, M. Jacques Le Guen, député du Finistère, missionné par le Premier ministre, doit remettre un rapport d'évaluation et de proposition avant la fin du premier semestre. Cette mission permettra également d'examiner les conditions dans lesquelles une extension du contrat de vendanges à d'autres travaux de cueillette et de récolte pourrait être réalisée, notamment à partir d'un bilan dudit contrat. Je m'adresse là plus particulièrement à Mme Gisèle Gautier.

D'ores et déjà, j'ai, en collaboration avec mon collègue M. Gérard Larcher, donné des instructions claires et nettes sur l'introduction de la main-d'oeuvre saisonnière étrangère. Elles seront applicables pour la campagne 2005.

J'indique également à Mme Gautier qu'un employeur dont le salarié perdrait le bénéfice de l'allégement accordé aux travailleurs occasionnels se verrait appliquer automatiquement l'allégement général, dit « allégement Fillon ». Je veillerai, madame le sénateur, à ce que la MSA informe les employeurs de cette règle de non-cumul.

Enfin - vous l'avez rappelé, les uns et les autres -, la valorisation de la production des fruits et légumes est indispensable et doit structurer notre action.

Elle doit prendre deux orientations essentielles : d'une part, la recherche et l'affichage de la qualité des produits français, non seulement pour répondre à la contrainte de la compétition internationale, mais aussi pour attirer les consommateurs ; d'autre part, l'affirmation du rôle des fruits et légumes dans une alimentation équilibrée - M. Daniel Soulage l'a indiqué à juste titre - et donc la promotion de leur consommation et de leurs bienfaits pour la santé, notamment dans l'optique de la lutte contre l'obésité, au moment où ce problème est posé de manière publique.

S'agissant de la recherche et de l'information sur la qualité, le secteur des fruits et légumes dispose encore de potentialités pour faire reconnaître la qualité de certains de ses produits. A ce jour, seules quinze dénominations géographiques concernent les fruits et légumes, et moins de 2 % des surfaces sont concernées, par exemple, par la mention « agriculture biologique ».

C'est pourquoi j'ai demandé que le plan national relatif à l'agriculture biologique soit l'occasion de relancer la production biologique et de rapprocher les cahiers des charges français et communautaires, pour éviter d'éventuelles distorsions de concurrence. Ce point a été soulevé par M. Thierry Repentin.

Dans la promotion des bienfaits d'une alimentation équilibrée, donc comportant des fruits et légumes, l'éducation joue un rôle primordial qui doit être renforcé : tel est l'un des axes du programme national nutrition-santé mobilisant les ministères de l'agriculture et de la santé.

Sur un plan pragmatique, des propositions ont été formulées pour encourager et rendre plus régulière la consommation de fruits et légumes.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en conclusion, je retiendrai de ce débat quatre axes d'action pour le ministère de l'agriculture, axes qui devront trouver une traduction concrète et précise dans la loi d'orientation agricole : la gestion des aléas traitée sur le plan européen avec, notamment, la perspective de l'assurance récolte, l'amélioration de l'organisation économique du secteur, le renforcement de la compétitivité de ce dernier, en particulier à travers le coût du travail, la gestion de la qualité et la valorisation de la production.

Cette question des fruits et légumes nous mobilisera certainement à nouveau au cours des mois à venir, que ce soit lors de débats conjoncturels, de débats européens, ou à l'occasion de la préparation de la loi d'orientation agricole. Je vous remercie en tout cas, mesdames, messieurs les sénateurs, de l'avoir abordée aujourd'hui de façon concrète. Nous allons, si vous le voulez bien, travailler ensemble à apporter les réponses attendues.

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