Intervention de Christine Lagarde

Réunion du 20 novembre 2008 à 15h00
Loi de finances pour 2009 — Discussion d'un projet de loi

Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà exactement deux semaines, le jeudi 6 novembre, j’ai eu l’honneur de présenter à la Haute Assemblée les raisons qui m’ont conduite à réviser les prévisions macroéconomiques du Gouvernement, prévisions qui permettent de déterminer ensuite les contours du projet de loi de finances pour 2009.

Comme vous le savez, à partir de la mi-septembre, des événements économiques d’une gravité exceptionnelle nous ont amenés à revoir nos prévisions budgétaires et un certain nombre des paramètres dans lesquels s’inscrit le budget, ainsi que les hypothèses concernant le prix de la ressource pétrolière, le prix des matières premières en général, l’écart entre l’euro et l’ensemble des autres valeurs, puis à réduire notre prévision de croissance du produit intérieur brut, qui est ainsi passée de 1 % à une fourchette de 0, 2 % à 0, 5 %.

Nous avons également revu à la baisse notre prévision d’inflation pour 2009, qui est passée de 2 % à 1, 5 %, ce qui nous paraît raisonnable compte tenu de la diminution du prix de l’ensemble des matières premières, notamment énergétiques. Dans la foulée, nous avons ramené notre prévision de croissance pour 2010 de 2, 5 % à 2 %.

Je ne reviendrai pas sur les raisons de ces révisions. Le Gouvernement vous a transmis un document où sont détaillés les ajustements apportés au cadre macroéconomique du projet de loi de finances.

Avant d’en venir aux dispositions proprement fiscales du projet de loi de finances, je voudrais profiter de ce moment rare et précieux où je suis devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour évoquer deux éléments particuliers : le rôle moteur joué par la France sur la scène européenne et quelques-uns des résultats de la réunion du G20 qui s’est tenue le week-end dernier à Washington.

C’est bien au niveau de l’Union européenne qu’un certain nombre de réponses peuvent et doivent être fournies. Or la France y joue aujourd’hui un rôle moteur sous l’égide du Président de la République, qui exerce aussi jusqu’à la fin de l’année la présidence de l’Union Européenne.

Comme vous vous en souvenez, dès le 12 octobre dernier, les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro avaient mis en place un cadre commun destiné à coordonner l’action des États membres. Ce cadre commun avait été endossé par le Conseil européen des 15 et 16 octobre. Les principes essentiels en étaient les suivants : assurer des liquidités adéquates aux institutions financières, apporter à celles-ci des ressources en capital pour qu’elles continuent à financer correctement l’économie, qu’il s’agisse des entreprises, des ménages ou des collectivités locales, et, enfin, lorsque cela s’avérait nécessaire, recapitaliser de manière efficace, c'est-à-dire au plus haut niveau du bilan, les banques en difficulté ; c’est ce que nous avons dû faire, aux côtés des Belges et des Luxembourgeois, pour Dexia.

Lors de nos débats du 6 novembre, je vous avais présenté en détail les mesures prises en France. Elles sont en cours d’exécution. Je n’y reviens donc pas.

Les autres pays de la zone euro et de l’Union européenne ont eux-mêmes mis en œuvre ces principes. Les Etats membres se sont ainsi engagés à recapitaliser le système financier jusqu’à plus de 200 milliards d’euros et à garantir jusqu’à près de 1 300 milliards d’euros de financements bancaires.

Le sommet du G20 est, lui aussi, déterminant pour la manière dont nous rééquilibrons les forces financières sur la scène internationale, dont nous reconstruisons l’architecture financière et dont nous relançons l’économie.

Lors de sa dernière visite aux États-Unis, le Président de la République avait réussi à convaincre le président George Bush d’organiser ce sommet. Il a eu lieu le 15 novembre et a repris les objectifs communs définis par les Européens, qui, grâce à la présidence française, ont présenté un front uni.

Les pays du G20, malgré leurs différences extrêmes, qu’il s’agisse de leur niveau de développement, de leur orientation politique, de leur mode de gouvernance, se sont accordés sur quatre principes.

Le premier est celui d’une relance solide, rapide et probablement temporaire.

Le deuxième est celui de la réorganisation de l’architecture financière pour favoriser la transparence, la responsabilité et la supervision.

Le troisième est celui de la réorganisation de la gouvernance mondiale en matière financière, pour faire plus de place aux pays émergents ou en développement au sein des instances internationales et pour donner un rôle prépondérant au Fonds monétaire international.

Enfin, le quatrième principe, auquel se sont ralliés tous les États appartenant au G20, est celui du refus des mesures de protectionnisme.

Comme vous le savez, les finances de l’État sont étroitement dépendantes de la situation internationale – nous aurons l’occasion de nous en rendre compte en 2009 –, d’où l’importance de cet accord international, que je qualifierai d’historique, pour la réussite de l’exercice de révision de nos prévisions et d’un éventuel soutien à notre économie.

J’en viens maintenant aux mesures fiscales du projet de loi de finances.

Elles s’articulent autour de trois axes : un budget d’aide à l’investissement, un budget « vert » et un budget plus juste.

Je rappelle que c’est sous le signe de la stabilité du taux de prélèvements obligatoires – fixé à 43, 2 % du PIB jusqu’en 2012 – que s’inscrit notre politique fiscale. Le poids global des impôts, même si les recettes publiques venaient à fléchir du fait de la situation économique, n’augmentera donc pas. Cela résulte également des stabilisateurs automatiques à l’échelle européenne.

Le rapport sur les prélèvements obligatoires, annexé au projet de loi de finances en application de la LOLF, fournit l’ensemble des données nécessaires quant à leur évolution, du passé récent aux prochaines années. Nous en avons débattu le 6 novembre dernier. Je n’y reviendrai pas.

Si un certain nombre de baisses d’impôt sont envisagées, quelques hausses sont également prévues, sans qu’il soit pour autant porté atteinte au principe de stabilité des prélèvements obligatoires. Les mesures que nous vous proposons d’adopter se traduiront par une baisse nette de plus de 10 milliards d’euros des prélèvements sur l’ensemble de la législature.

Les baisses d’impôts sont ciblées sur nos priorités politiques, à savoir le soutien au travail, à l’innovation et à la participation des salariés aux résultats de l’entreprise. En annexe du rapport sur les prélèvements obligatoires, vous trouverez le détail précis de l’ensemble de ces baisses, agrégées pour l’ensemble de la période 2009-2012.

Les hausses décidées en parallèle, orientées vers le financement d’un certain nombre de projets spécifiques, sont, elles aussi, le reflet de notre politique économique. Je pense notamment au revenu de solidarité active, au financement de l’audiovisuel public, à la fiscalité environnementale ou encore aux mesures de redressement de la sécurité sociale.

Je veux à présent entrer un peu plus dans le détail des caractéristiques fiscales de ce projet de loi de finances pour 2009.

La première est qu’il s’agit donc d’un budget de soutien à l’investissement : à nos yeux, la fiscalité est non pas seulement un outil permettant de lever de la ressource, mais également un instrument de politique économique.

Dans la période actuelle, où l’économie a véritablement besoin d’être stimulée, nous souhaitons tout particulièrement favoriser l’investissement.

À cet égard, le triplement du crédit d’impôt recherche et sa simplification, adoptés dans le cadre de la loi de finances pour 2008, aura permis aux entreprises françaises investissant en matière de recherche et développement de bénéficier d’un effet d’entraînement, qui devrait être directement, chaque année, à l’origine de 0, 05 % de croissance du produit intérieur brut en effet direct. Cette mesure est évidemment maintenue dans le projet de loi de finances pour 2009, et nous sommes particulièrement attachés à son efficacité et à son effectivité.

Vous vous en souvenez, dans la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, nous avons ouvert la possibilité d’affecter l’impôt de solidarité sur la fortune à l’investissement dans les PME, en nous appuyant sur les travaux de la commission des finances du Sénat et, notamment, de son rapporteur général, auquel je tiens à rendre hommage. Cette disposition a été particulièrement efficace puisqu’elle a permis, au cours de l’année 2008, de lever près d’un milliard d’euros soit en direct, soit par le biais de sociétés d’investissement. Nous maintenons également cette mesure pour 2009.

Par ailleurs, nous vous proposons de supprimer une charge importante pour les entreprises, en particulier les plus petites d’entre elles – notamment celles qui connaissent actuellement des difficultés passagères et auxquelles nous devrons être particulièrement attentifs au cours de l’année 2009 –, avec la disparition organisée en trois ans de l’imposition forfaitaire annuelle, la fameuse IFA, tant décriée par les entreprises.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le 23 octobre dernier, le Président de la République a annoncé sa volonté d’exonérer de taxe professionnelle les investissements nouveaux et de trouver – je sais que la Haute Assemblée y est particulièrement sensible – une ressource de substitution pour les collectivités locales, qui soit naturellement cohérente avec une réflexion à mener – et dont il a fait l’annonce – sur les compétences des niveaux d’administration territoriale.

Il ne s’agit pas de faire l’un sans l’autre. Il faut commencer par réfléchir sur les niveaux de compétence territoriale pour, ensuite, examiner à quelles conditions et dans quelles circonstances la taxe professionnelle pourra être profondément remaniée, notamment en ce qui concerne l’exonération portant sur les nouveaux investissements.

La deuxième caractéristique du volet fiscal de ce budget, c’est qu’il nous donne les moyens d’agir en faveur de la protection de l’environnement et, partant, de soutenir la croissance, tant les préoccupations écologiques et le développement durable recèlent de nouvelles opportunités en la matière.

Ainsi, l’effet du bonus-malus écologique, appliqué aux seules ventes de véhicules, a été particulièrement sensible sur les neuf premiers mois de l’année 2008. D’après les statistiques dont nous disposons, ce sont près de 700 000 véhicules qui y ont été éligibles au cours de cette période. En comparant avec les chiffres de la production industrielle du secteur automobile de pays aussi différents que l’Espagne, l’Italie ou l’Allemagne, nous pouvons mesurer à quel point ce dispositif nous a permis de soutenir l’activité automobile, qui, chacun le sait, est particulièrement sensible à la conjoncture et connaît actuellement une situation difficile.

Le projet de loi de finances pour 2009 met en place d’autres mesures favorables à l’environnement et aux travaux de rénovation énergétiques, avec, en particulier, la création de l’éco-prêt à taux zéro.

Ce volet de « verdissement » de la fiscalité résulte d’un travail approfondi, animé par Jean-Louis Borloo et que nous menons ensemble depuis plusieurs mois. Chacun le sait, la recherche de la croissance durable, ce n’est pas seulement la défense de l’environnement, c’est aussi, bien sûr, un gisement très important d’opportunités de croissance dont nous devons naturellement tirer profit.

Il en est ainsi de la création du prêt à taux zéro pour les gros travaux ou bien encore du développement de la filière bois ou du recyclage des déchets ménagers ; ce sont là autant de mesures destinées à soutenir des activités à fort potentiel de croissance.

S’agissant du prêt à taux zéro pour les travaux, l’aide est en réalité tout à fait substantielle et représente environ 8 500 euros pour un emprunt de 28 500 euros sur dix ans qui aurait été contracté au taux de 5, 40 %. Le prêt peut être accordé dans la double limite de 30 000 euros et de 300 euros au mètre carré. S’écartant de la formule que nous proposions au départ, l’Assemblée nationale a décidé de moduler la durée du prêt en fonction des ressources de l’emprunteur. Il vous appartiendra de vous exprimer sur ce point.

Le crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt et le prêt à taux zéro pour l’accession seront majorés pour les logements neufs répondant à la norme « bâtiment basse consommation », ou BBC. Quant au crédit d’impôt développement durable, il est étendu aux propriétaires occupants et aux propriétaires bailleurs, ainsi qu’aux frais de main-d’œuvre pour les travaux d’isolation des parois opaques, soit tout ce qui concerne l’isolation. En contrepartie, certains produits, qui sont considérés comme insuffisamment performants sur le plan écologique ou largement dépassés au regard des nouvelles technologies, sortiront du champ du crédit d’impôt.

Ces mesures, « écologiquement » souhaitables, présentent l’intérêt supplémentaire de soutenir les secteurs du bâtiment, des travaux publics et de l’immobilier à un moment où ils ont clairement besoin d’être stimulés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi de finances pour 2009 comprend, en outre, des mesures d’orientation des comportements des entreprises et des collectivités. Il s’agit notamment des aides à l’agriculture biologique, qui sont accrues, avec le doublement du crédit d’impôt en sa faveur et la possibilité donnée aux collectivités locales d’exonérer ces exploitations de la taxe foncière. Il s’agit également des dispositifs d’incitation aux restructurations forestières et de la mise en place de contrats de gestion durable des forêts. Il s’agit encore d’une aide en trésorerie au bénéfice des industries de transformation du bois.

La taxe générale sur les activités polluantes est alourdie pour les déchets ménagers non recyclés, ce qui doit conduire à financer des investissements permettant de limiter le stockage ou l’incinération.

La discussion à l’Assemblée nationale a permis d’aboutir, à mon sens, à un équilibre satisfaisant, de nature à donner de la visibilité aux producteurs de biocarburants sur trois ans. Nous aurons sûrement l’occasion d’en débattre.

Nous généralisons à tout le territoire la taxe kilométrique sur les poids lourds, dont le principe a été voté pour la seule région Alsace. Cette taxe devra pouvoir être mise en place sur les principaux axes routiers en 2011. Par ailleurs, nous agissons, dès 2009, pour nos entreprises de transport routier en ramenant la taxe à l’essieu aux minima communautaires.

Troisième et dernière caractéristique du volet fiscal de ce projet de budget pour 2009 : il est plus juste.

Nous plafonnerons en effet les niches fiscales pour que chaque Français contribue, selon ses moyens, à la couverture des charges publiques et soit le moins possible en mesure de s’exonérer de l’obligation fiscale. C’est pour nous une question d’équité et de justice fiscales.

Nous nous attaquons donc aux niches qui permettent, malgré de très hauts revenus, de réduire son impôt sur le revenu sans limitation de montant. Je vise, à cet égard, les réductions d’impôts outre-mer, le régime dit «Malraux » et celui des loueurs en meublé professionnels.

L’Assemblée nationale a estimé qu’il convenait aussi, contrairement à la proposition du Gouvernement, de plafonner les effets du régime des monuments historiques ; nous aurons, je l’espère, l’occasion d’y revenir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion