Intervention de Jean-Jacques Jégou

Réunion du 20 novembre 2008 à 15h00
Loi de finances pour 2009 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jean-Jacques JégouJean-Jacques Jégou :

Il faut dépasser le stade des incantations, des louanges, même si elles sont nombreuses. Certes, la LOLF est devenue notre Constitution financière, mais elle n’en reste pas moins un texte qui n’a que les effets que l’on veut bien lui donner ! Et notre volonté politique est loin encore d’avoir fait ses preuves !

En effet, depuis trente ans, la dette publique ne cesse de s’alourdir et les déficits publics de croître. Ce phénomène est profondément injuste à l’égard des générations à venir. C’est une rupture intergénérationnelle que nous creusons, en faisant peser sur nos enfants et nos petits-enfants nos inconséquences actuelles. Vont-ils d’ailleurs se laisser faire ?

Il faut dire en outre que la dette que nous accumulons n’est pas destinée, loin s’en faut, à des investissements d’avenir, tels que l’éducation, l’enseignement supérieur ou la recherche.

Ainsi, en France, sur la période 2002-2007, pour un effort moyen à hauteur de 3, 5 % du PIB en faveur de la recherche et développement et de l’enseignement supérieur, nous obtenons un taux de croissance de moins de 1, 6 %, alors que, sur la même période, un effort massif à hauteur de 5, 3 % du PIB entraîne, en Suède, une croissance de 3, 1 %. Comment expliquer le fait que, avec des dépenses publiques à hauteur de 52, 5 % de son PIB, la France ne consacre aux politiques d’avenir que 3, 5 %, investissements publics et privés confondus ?

L’état de nos finances publiques constitue une situation des plus dangereuses tant les marges de manœuvre et la liberté d’action sont contraintes. On le constate très précisément avec le budget qui nous est présenté.

Avec une marge d’évolution un peu inférieure à 7 milliards d’euros, la totalité de la somme – et même un peu plus – est absorbée par l’aggravation de la charge de la dette de l’État, par l’augmentation des charges des pensions et par l’évolution des prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne ou des collectivités locales. Autant dire que quasiment aucune politique économique préparant l’avenir n’est envisageable. Cette impuissance nous conduit à constater plus qu’à agir, à colmater plus qu’à créer.

Dans ces conditions, que faire d’autre, sinon augmenter les recettes ou diminuer les dépenses ?

La première solution consistant à augmenter les recettes semble inenvisageable tant la pression pesant sur les citoyens et sur les entreprises est déjà importante. Il n’est pas possible d’augmenter nos recettes, sauf à attendre un retour de la croissance économique.

Vous avez décidé, madame la ministre, de ne pas augmenter le taux des prélèvements obligatoires. Je vous comprends, car il est déjà largement trop élevé eu égard à l’histoire de nos finances publiques et comparé à nos partenaires, notamment allemands ou britanniques.

Pour 2007, ce taux s’élève à 43, 3 % du PIB, en baisse par rapport à 2006. Les prévisions pour les années à venir laissent à penser qu’il se stabilisera, voire sera en légère diminution suivant les scenari économiques envisagés. Cette stabilisation, qui me semble tout à fait opportune entre, pour le coup, dans le cadre des normes fixées par le projet de loi de programmation.

Outre leur niveau, le second constat que nous pouvons faire sur les prélèvements obligatoires concerne leur structure.

Nous devons souligner, une fois encore, dans l’évolution de ce taux, un phénomène, dont on a d’ailleurs souvent parlé ici, à savoir la combinaison de moins en moins lisible des financements sociaux et fiscaux. Je citerai un exemple chiffré : sur une hausse de près de 7 % du taux de prélèvements obligatoires depuis la fin des années soixante-dix, 6, 2 % proviennent de la sécurité sociale. Nous assistons donc à une forte socialisation des besoins de nos concitoyens.

Dans ce contexte, nous ne pouvons que nous féliciter du tassement des taux de prélèvements obligatoires, car les charges croissantes qui résulteront du vieillissement de la population nous obligeront bientôt à dégager encore de nouvelles marges de manœuvre.

La seconde solution consiste à diminuer la dépense publique et à la rendre plus efficace pour nous donner une certaine souplesse d’action.

J’inclus dans la baisse des dépenses les dépenses fiscales qui amputent nos recettes ; nous en débattrons à la fin de ce projet de budget. Je note que nombre d’intervenants, et non des moindres, le président de la commission et le rapporteur général, en ont parlé. Elles constituent, selon la Cour des comptes, 400 dépenses de transfert, dont le coût peut être estimé à 50 milliards d’euros. Que nous rapportent-elles réellement ? Il est grand temps d’en parler pour les évaluer, et sans doute les plafonner, comme vous avez commencé à le faire, madame la ministre, voire en faire disparaître.

Compte tenu de son ampleur, le redressement à effectuer ne peut être obtenu que par une action d’ensemble, pleinement cohérente.

Ce redressement doit engager l’ensemble des acteurs publics, de l’État à la sécurité sociale, en passant par les collectivités locales et les bénéficiaires des niches. Il est nécessaire que chacun se responsabilise et fasse preuve de solidarité. L’État doit être le moteur de cette cause. Lui seul est en effet capable d’assurer cette cohérence et d’avoir une visibilité forte en ce qui concerne la maîtrise des dépenses publiques.

C’est à lui de faire partager cette nécessité à tous ceux qui portent la responsabilité de la situation actuelle, qui met en danger l’avenir de notre pays.

Néanmoins, cet engagement de retour à l’équilibre devrait se faire de manière concertée, à défaut d’être spontané, comme il le serait dans un monde idéal. Il ne peut pas être décidé de façon unilatérale.

Avec un taux de dépenses publiques s’élevant à 52, 5 % du PIB et un taux d’emploi de la population en âge de travailler de 63 %seulement, la France dépense sans doute trop pour éviter qu’une partie de sa population ne s’enfonce dans la pauvreté, sans que, pour autant, le financement de l’innovation et la prise de risque soient au centre de notre projet pour l’ensemble du territoire.

Les progrès à réaliser pour faire baisser les dépenses sont énormes. La révision générale des politiques publiques, la fameuse RGPP, engagée en juin 2007 par le Gouvernement pour réaliser des économies budgétaires – priorité clairement affichée –, en est une illustration frappante. Sans vouloir exagérer, je vous le dis, madame la ministre, nous risquons de voir la montagne accoucher d’une souris ; en tout cas la réforme envisagée risque de ne pas être à la hauteur de l’enjeu.

Dans l’esprit de la LOLF, pour apprécier l’efficacité de l’action publique, il faut lui assigner des missions pouvant être évaluées sur la base de critères objectifs. C’est tout le problème des indicateurs de performance et de leurs limites. Les missions dont nous avons le contrôle sont souvent trop générales ou trop vagues pour être correctement évaluées.

Je ne reviendrai pas sur le rôle que pourrait jouer la Cour des comptes à nos côtés. Mais, dans le cadre de la revalorisation du rôle du Parlement, dont nous avons tant débattu, le chapitre du contrôle s’avère, plus que jamais, primordial.

Tout cela nécessite une volonté politique forte et totale. À la lumière de tout ce que je viens de dire et au regard de l’attitude que nous avons adoptée depuis plus de trente ans, on peut se demander si nous la revendiquons réellement.

Nous nous opposons souvent à nos amis allemands dans notre manière d’analyser et de gérer la dette. La puissance publique allemande gère le présent avec rigueur, tout en anticipant l’avenir avec détermination. Contrairement à eux, nous nous cachons toujours derrière de faux arguments pour justifier nos déficits. Or la comparaison des résultats des deux pays est implacable. Nous nous devons d’être transparents vis-à-vis des Français et de leur dire la réalité de la situation. Ils comprendront d’autant mieux le sens de notre action et les lourdes responsabilités qui sont les nôtres.

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