Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, on aurait pu croire que les derniers développements de la crise économique auraient conduit le Gouvernement à réviser ses intentions pour ce qui est du projet de loi de finances pour 2009 et à opérer, dès ce budget, des choix proches de ceux qui ont été annoncés avec éclat au terme de la réunion du G 20 à Washington.
Mais, au moment même où ces belles intentions sont affichées, les actes accomplis continuent à labourer le même sillon ultralibéral.
Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les principes qui guident la préparation du budget pour 2009 en France. La tendance lourde aux allégements fiscaux en faveur des entreprises, du capital et de la fortune demeure.
L’heure est encore à la réduction des prélèvements sociaux sur la richesse créée, et ce en faveur des revenus financiers. L’heure est toujours à plus de rationnement de la dépense publique. Quelles sont, en effet, les caractéristiques principales des mesures fiscales du projet de loi de finances pour 2009 ?
Première décision : le bouclier fiscal perdure, au taux de 50 %, au motif qu’il serait « anormal que certains de nos concitoyens travaillent plus d’un jour sur deux pour l’État ». Encore faudrait-il que les revenus en question soient issus du travail. Or, à l’examen des données relatives au bouclier fiscal, il s’avère bel et bien que l’imposition du patrimoine, en l’espèce l’ISF, est à l’origine de l’essentiel des remboursements accordés.
Deuxième décision : l’imposition forfaitaire annuelle, qui est d’ailleurs adossée à l’impôt sur les sociétés, est supprimée. Étalée sur trois ans, par tranches de chiffre d’affaires, cette disparition représentera au final un nouveau cadeau de 1, 2 milliard d’euros accordé aux entreprises. Cette mesure entraînera en 2009 une perte de recettes de 336 millions d’euros. Cette somme est à la fois réduite au regard des besoins de financement des entreprises – elle représente 0, 02 % du montant de leurs emprunts bancaires –, et importante au regard du déficit de l’État, qui est déjà considérable. Il s’agit donc d’une mesure « gadget », sans réelle portée.
Troisième décision que nous avons choisi de mettre en exergue : feignant de s’attaquer aux niches fiscales, notamment à la réduction d’impôt particulièrement scandaleuse pour les investissements outre-mer, le Gouvernement prend soin de plafonner cette dernière à 40 000 euros par an ou, en cas de montants supérieurs, à 15 % du revenu d’un foyer fiscal.
S’agissant de la limitation de la portée du dispositif dit Malraux relatif aux dépenses de réhabilitation en secteur sauvegardé, les réductions fiscales seront bien plafonnées, mais à 140 000 euros par an.
Enfin, le régime des loueurs en meublés sera réformé, sauf pour les professionnels.
Et comment ne pas noter que, pour quelques mesures de plafonnement à caractère quasi symbolique, de nouvelles niches fiscales apparaissent, comme le prouve l’adoption de l’amendement Lefebvre-Bolloré sur les investissements des particuliers dans les pays en voie de développement !
Quatrième décision : des dispositions comme les prêts à taux zéro ou les réductions d’impôt pour économies d’énergie risquent, au motif d’intégrer le respect des nouvelles normes énergétiques découlant du Grenelle de l’environnement, d’être au final limitées dans leur portée pour les foyers les moins aisés.
Par la grâce de l’instruction sur l’application du crédit d’impôt au titre de l’habitation principale, ce seront ainsi 550 millions d’euros qui ne seront pas remboursés à certains propriétaires modestes !
Certes, la taxe kilométrique due par les poids lourds est généralisée, mais la taxe à l’essieu, en revanche, sera ramenée aux seuils correspondant aux minima communautaires.
Enfin, une évolution de la législation fiscale concernant plus particulièrement l’exercice du contrôle fiscal externe, c'est-à-dire la vérification dans les entreprises, pourrait rapidement se révéler dangereuse pour cette mission. Tirée du rapport de M. Fouquet, rendu le 23 juin 2008 et portant sur la sécurité juridique en matière fiscale, cette proposition participe pleinement du dogme inspirant la révision générale des politiques publiques. Il s’agit de développer la pratique du rescrit fiscal, alors même que le contrôle sur place est le fondement de l’action des services fiscaux et de la qualité de leur travail de contrôle des déclarations.
Évidemment, avec la crise, de nouveaux cadeaux fiscaux apparaissent. Mme Parisot semble avoir donné le la, en rejetant par avance toute mesure de relance du pouvoir d’achat et de la consommation, préférant, une fois encore, les réductions d’impôt. Ce message a été immédiatement entendu puisqu’une nouvelle réduction de la taxe professionnelle a été annoncée par le Président de la République pour tous les investissements réalisés par les entreprises d’octobre 2008 à la fin de l’année 2009.
Cette proposition s’inscrit dans un cadre plus général qui vise à faire disparaître la taxe professionnelle. Il s’agit également de replacer la proposition présidentielle dans la perspective de la réforme des échelons de collectivités locales prévue pour 2010.
Vouloir faire disparaître la taxe professionnelle, essentielle au financement des collectivités locales, engendrerait soit la banqueroute de certaines collectivités, soit la disparition de nombreux services à la population, ce que recèle d’ailleurs le projet de refonte des échelons de collectivités locales, soit des hausses importantes des autres impôts locaux qui sont supportés pour une large part par les ménages, la taxe d’habitation ou la taxe foncière.
Dans une période comme celle que nous traversons, marquée par la crise majeure d’un système totalement tourné vers la rentabilité du capital, il y a sans doute mieux à faire que de supprimer la taxe professionnelle, qui représente, certes à un stade embryonnaire, le fondement d’un impôt sur le capital. L’heure est plutôt à renforcer ce type d’imposition.
L’ensemble de ces mesures fiscales participe de l’économie générale du projet de loi de finances pour 2009, qui, au-delà de la formule consacrée du retour à l’équilibre des finances publiques, poursuit une aggravation du rationnement de la dépense publique, que ce soit au niveau de l’État ou à celui des collectivités locales.
La suppression de 30 000 emplois et une augmentation nulle en volume des dépenses de fonctionnement de l’État, tout comme la limitation de l’augmentation des dotations des collectivités territoriales à 1, 1 milliard d’euros, préfigurent des difficultés majeures pour l’ensemble des budgets publics, donc pour les services publics et les administrations.
Le dispositif fiscal retenu va constituer, avec l’ensemble des autres évolutions contenues dans le projet de loi de finances pour 2009, un nouvel encouragement à la dérive financière et, donc, à un enfoncement dans la crise, au lieu de répondre aux exigences de lutte contre les prélèvements financiers.
Quand sont dégagés 360 milliards d’euros pour aider les banques, on ne peut comprendre qu’on ne trouve rien de mieux que les allégements fiscaux de la loi de finances pour 2009, lesquels ne feront qu’aggraver une économie en récession ! Où va-t-on trouver cet argent, sinon en continuant à pressurer les salaires, précariser l’emploi, privatiser la protection sociale et poursuivre l’assèchement de la dépense publique ?
Une véritable réforme de la fiscalité viserait à renforcer les voies et moyens d’un redressement des comptes publics allant de pair avec la relance de l’activité économique.
Depuis bientôt trente ans, avec une accélération au moment de la mise en place de l’Acte unique européen, toutes les réformes conduites en matière de fiscalité et de législation économique ont tendu à réduire les moyens de connaissance, de contrôle et d’imposition dont disposaient les administrations financières.
Deux statistiques suffisent pour s’en convaincre. D’une part, la moitié des échanges internationaux transite par des paradis fiscaux, qui n’engendrent pourtant que 3 % du PIB mondial. D’autre part, les actifs des sociétés offshores représentent quelque 11 000 milliards de dollars, soit 30 % du PIB mondial.
Pour trouver des paradis fiscaux, il n’est pas besoin d’aller très loin, puisque plus d’un tiers d’entre eux sont installés sur le territoire européen.
Prix de transfert, fraude fiscale et sociale, pour lesquels les sociétés de conseils mettent à disposition tout un arsenal de produits de défiscalisation, sont des pratiques courantes qui prennent appui sur les économies des pays en développement et que, en aucun cas, les élites fiscales et économiques de l’establishment, MEDEF en tête, ne souhaitent contrarier.
Suivant le même mouvement, le poids des prélèvements fiscaux sur les entreprises a été considérablement allégé. Je pense notamment à la réduction du taux de l’impôt sur les sociétés ainsi qu’au plafonnement de la taxe professionnelle et à la suppression de sa part salaire. Je pense aussi aux mesures minorant l’imposition des contribuables les plus riches et la fiscalité du capital et de la fortune. Aujourd’hui, plus de 70 % des revenus du capital échappent à toute imposition. L’ISF, après les coups successifs qui lui ont été portés, tout dernièrement par le bouclier fiscal, est réduit à peau de chagrin.
Dans le même temps, la fiscalité locale, particulièrement celle qui pèse sur les ménages – taxe d’habitation, taxe foncière et taxe d’enlèvement des ordures ménagères – et dont le caractère injuste n’est plus à souligner, a tendance à croître de façon exponentielle.
C’est à une mise à plat générale de la structure de la fiscalité et de l’impôt qu’il faut s’atteler, pour reconstruire une cohérence fiscale d’ensemble permettant, certes, de rétablir de la justice, mais aussi d’agir comme levier en jouant un rôle incitatif fort en faveur de la production de richesses réelles et utiles.
Une fiscalité moderne et efficace doit se fixer un double objectif : d’une part, redistribuer les richesses par une nouvelle répartition de la pression fiscale, afin de rééquilibrer le rapport entre la part des prélèvements indirects et proportionnels et celle des prélèvements directs et progressifs, qui prendraient la forme d’un impôt sur le revenu de type universel englobant les revenus du travail, financiers et de la fortune ; d’autre part, mettre en cause les procédés d’évasion fiscale, au titre desquels on trouve un certain nombre de niches fiscales.
Enfin, il faudrait instituer des incitations à la création de richesses utiles, par exemple en modulant le taux de l’impôt sur les sociétés ou en élargissant l’assiette de la taxe professionnelle aux actifs financiers.
Tout cela, mes chers collègues, ne figure aucunement dans le projet de loi de finances pour 2009.
Parce que ce texte ne fera qu’accentuer la crise, nous ne pouvons évidemment que le combattre.