Intervention de Martin Hirsch

Réunion du 26 mars 2008 à 15h00
Contrôle comptable du revenu minimum d'insertion — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté :

Monsieur Mercier, en introduction à la présentation de votre proposition de loi, vous avez indiqué que son objet était bien modeste. Permettez-moi de vous contredire, car elle cache, en réalité, une grande ambition : faire prendre conscience de la nécessité de réformer un dispositif qui existe depuis bientôt vingt ans, qui a rendu un certain nombre de services, mais qui se trouve aujourd'hui en butte à des interrogations légitimes de la part de ceux qui en bénéficient, de ceux qui le payent et de ceux qui l'animent.

Nous avons un devoir commun, celui de permettre une transformation profonde du dispositif du RMI. Et comme « le diable se cache dans les détails », c'est effectivement en examinant de manière extrêmement précise, mois par mois, les échanges d'informations, la nature des données et les cas individuels que nous pourrons prendre conscience des changements à opérer.

Monsieur le rapporteur, vous avez souligné la nécessité d'aller sur le terrain pour se rendre compte de la situation. Monsieur Mercier, puisque vous m'y avez invité, j'ai eu le plaisir de passer une grande partie de la journée de vendredi dernier avec vous, dans les locaux d'une CAF et des services du conseil général du Rhône, quelques jours après m'être rendu à la CAF de Paris et dans l'ensemble des CAF de la région Poitou-Charentes pour essayer de cerner les problèmes existants.

Votre proposition de loi, je le répète, est ambitieuse, car elle vise deux objectifs. Le premier est partagé par chaque président de conseil général : le payeur veut savoir à quoi sert l'argent qu'il verse, si ceux qui en ont besoin - et seulement eux - en sont bien les destinataires, et il est soucieux de la maîtrise des dépenses publiques.

Le second est de comprendre en quoi les textes actuels sont à l'origine des difficultés, des excès et des allers-retours que vous dénoncez. Il faut donc étudier ces deux points.

Je commencerai par le premier.

Vous avez, à juste titre, évoqué le « démon » que constituent les indus, dont vous avez rappelé l'importance : certaines personnes perçoivent indûment de l'argent, qu'elles doivent rembourser ensuite. S'agit-il de fraudes ? La réponse est non ; les indus sont, en effet, consubstantiels au système.

Je rappelle que le législateur - donc vous, monsieur Mercier - a souhaité que le RMI permette de faire face rapidement à une situation d'urgence. Une personne sans aucune ressource doit se voir octroyer très vite des moyens de subsistance élémentaires, sur présentation de premiers justificatifs. Sa situation est ensuite régularisée sur présentation de justificatifs plus précis.

Le système génère donc lui-même une partie des indus. On peut toutefois considérer qu'il s'agit là de la contrepartie normale de ce dispositif, que la France n'est d'ailleurs pas la seule à avoir mis en place ; d'autres pays européens l'ont également instauré. Je pense que, à terme, l'ensemble des pays européens disposeront d'un revenu minimum.

Il est vrai cependant qu'il arrive que, après examen du dossier de l'allocataire, en raison d'un changement de situation familiale, de la perception d'un salaire ou d'un avantage logement, le montant de l'allocation versé le premier mois doive être réajusté. La somme indûment perçue doit alors être remboursée.

Il me semble néanmoins capital que cet instrument social qu'est le RMI puisse à la fois permettre de faire face à l'urgence et être ajusté le plus précisément possible en fonction de la situation de l'allocataire. C'est une question d'équité.

Il existe une seconde catégorie d'indus, auxquels nous voulons mettre fin ; ils résultent d'une modification de la situation professionnelle de l'allocataire. Lorsqu'il reprend une activité professionnelle, ses ressources trimestrielles sont recalculées de façon rétroactive. Ainsi, le montant de l'allocation versé au titre des deux premiers mois d'un semestre peut-il être trop élevé en raison de la perception par l'allocataire d'un salaire le troisième mois.

Cette situation est totalement délétère. Alors que l'allocataire n'a ni fraudé ni négligé de renvoyer un quelconque papier, alors qu'il a fait exactement ce qu'on lui a demandé de faire, qu'il a repris un travail, parfois juste pour quelques heures, dans le cadre d'un contrat aidé ou de tout autre type de contrat, qu'il bénéficie de la règle de l'intéressement, il est contraint, au moment où lui est versé son premier salaire, de rembourser une somme d'un montant qui lui est parfois équivalent. Il a pourtant respecté toutes les règles !

Je suis persuadé, pour avoir rencontré ce cas de figure très fréquemment - j'ai entendu votre appel sur les contrôles -, que c'est ce qui explique que, un mois ou deux après avoir retrouvé du travail, les gens y renoncent souvent.

Si nous ne sommes pas capables de mettre fin à de telles situations, si nous ne considérons pas qu'il ne faut plus demander aux bénéficiaires des minima sociaux de rembourser, au moment même où ils retrouvent du travail, des sommes que, aux termes de la loi, ils ont indûment perçues, ce système pervers perdura. Le retour au travail ne se fera pas ou sera interrompu.

Vous avez également mis l'accent, monsieur Mercier, sur les différences entre les départements. Le Rhône fait partie de ceux - il y en a d'autres - où la baisse du nombre d'allocataires du RMI est supérieure à la moyenne nationale. Nous nous réjouissons tous que le nombre d'allocataires du RMI commence à diminuer après des années d'augmentation inquiétantes.

Vous vous inquiétez du fait que la baisse du nombre de bénéficiaires du RMI ne s'accompagne pas d'une baisse équivalente des dépenses. Il est normal de s'en émouvoir.

Lorsque l'on examine la situation, comme nous l'avons fait ensemble, on s'aperçoit que si les personnes qui reprennent un travail tout en bénéficiant de l'intéressement - le cumul d'une partie d'une allocation et d'un revenu d'activité - ne sont plus comptabilisées comme bénéficiaires du RMI, l'allocation qu'elles perçoivent reste à la charge du conseil général. Il y a donc un temps de latence. La différence entre les départements s'explique par l'application des lois que vous avez votées. Il existe donc effectivement deux courbes, qui divergent.

Je pense que vous serez d'accord avec moi sur le fait qu'il vaut mieux que les dépenses à la charge du département baissent un peu moins vite et que le nombre de personnes dont une partie des revenus proviennent du travail augmente. Notre objectif commun est, en effet, d'accroître la proportion de celles qui reprennent un travail. On estime aujourd'hui que 15 % des allocataires reprennent un travail dans l'année. Notre but est de doubler ce taux le plus vite possible ; nous pourrons peut-être faire plus. Les premières expérimentations sont prometteuses.

Par ailleurs, on sait également - les statistiques le montrent bien - que le montant moyen du RMI versé par ménage a eu tendance à augmenter, pour des raisons à la fois démographiques, sociales et familiales.

À votre invitation, monsieur Mercier, nous avons regardé d'extrêmement près la différence entre les acomptes qui vous étaient demandés par la CAF et la réalité des dépenses. Je pense que la plus grande partie de cet écart est explicable. C'est la raison pour laquelle je me suis permis de conseiller amicalement que les conditions légales de versement entre le conseil général et la CAF soient honorées, afin que nous puissions avoir un débat de principe sur la transparence des échanges d'informations et sur les indus.

Nous pouvons apporter deux réponses à ces questions.

En premier lieu, nous devons profondément réformer le système pour qu'il soit mieux ajusté aux situations individuelles et qu'il tienne mieux compte des allers-retours entre travail et chômage. Il faut également que le système soit plus incitatif, que le retour au travail soit davantage favorisé et que ce moment soit celui où l'allocataire est le plus soutenu, afin que les revenus du travail soient le socle des ressources de la grande majorité de nos concitoyens.

Il convient que nous revenions aux nombres initiaux des bénéficiaires des différents minima sociaux, qu'il s'agisse du RMI - dont on compte aujourd'hui plus de 1, 1 million de bénéficiaires -, de l'allocation parent isolé, l'API, ou de l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS. Ces dispositifs ont été conçus pour des nombres de bénéficiaires deux à trois fois moins importants que ceux que nous connaissons aujourd'hui. Un pays comme la France ne peut pas avoir d'objectif moins ambitieux. Nous y consacrons toute notre énergie.

En second lieu, il faut assurer un suivi au plus près des allocataires.

J'ai suivi le parcours de l'allocataire du RMI, de l'agent de la CAF, de l'agent du conseil général et de l'agent de l'ANPE. J'ai étudié les relations entre ces différents services publics, entre ces différentes personnes. Il est possible d'aller plus vite, de faire mieux et d'être plus efficace.

Il n'est pas tolérable que, avant de connaître ses droits et ses devoirs, un allocataire du RMI doive passer par sept ou huit institutions différentes et que cela prenne deux ou trois mois. Ces délais peuvent être réduits.

Il n'est pas normal que les procédures administratives pour rapprocher les données soient extrêmement compliquées. Quand on a en face de soi un allocataire du RMI, on doit disposer de tous les outils permettant de répondre à ses besoins et de lui proposer des mesures positives.

Au-delà des réformes des incitations financières, sur lesquelles nous travaillons, nous devons résoudre le problème de la dispersion des guichets et des incompatibilités informatiques. De nombreux efforts ont déjà été faits dans ces domaines. On l'a vu, des croisements de fichiers sont désormais possibles. Ils se font à échéances régulières, avec les fichiers des ASSEDIC par exemple. De tels croisements permettent également de repérer un certain nombre d'indus.

Depuis la décentralisation, les rapprochements entre les CAF et les conseils généraux conduisent, le plus souvent, à des échanges d'informations. En outre, ils permettent des contacts entre les différents acteurs. À cet égard, permettez-moi d'ouvrir une parenthèse : lorsque, face à un allocataire du RMI, on réunit dans la même pièce le représentant du conseil général, ceux de la CAF, de la caisse primaire d'assurance maladie, du centre communal d'action sociale, de l'ANPE et celui de l'ASSEDIC, afin qu'ils puissent résoudre directement les problèmes de cette personne, ce que l'on observe n'est pas inintéressant du tout.

On observe ainsi qu'il est possible de porter de 50 % ou 60 % à 100 % le taux de contractualisation d'insertion. On observe qu'on peut passer de 25 % de personnes dont les droits ne sont pas ouverts à 100 % de bénéficiaires dont les droits sont ouverts. On observe qu'on peut abaisser le délai moyen de signature des contrats d'insertion de trois mois à quelques jours. On observe qu'on peut parler de droits et de devoirs immédiatement. On observe qu'on peut évoquer l'entrée dans le service public de l'emploi tout de suite et ainsi supprimer trois mois de désespoir. On observe que les agents des différents services publics sont beaucoup plus épanouis parce qu'il est bien plus intéressant pour eux de pouvoir apporter des réponses globales à des personnes que de les renvoyer à la caisse d'à côté. Tels sont les points sur lesquels nous devons travailler.

Au-delà de la question du revenu de solidarité active comme incitation financière, nous devons réfléchir à la manière de simplifier les procédures et les échanges de données.

C'est ce que nous nous sommes efforcés de faire dans le petit Livre vert

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