Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « beaucoup de bruit pour rien » ou pour pas grand-chose : tel est, en substance, l'avis que nos collègues du groupe UDF de l'Assemblée nationale ont émis au sujet de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
C'est également mon opinion sur ce texte, qui illustre une fois encore, mais inopportunément, « la prétentieuse exception française », exception sur la forme et exception sur le fond.
Sur la forme, je voudrais simplement vous rappeler, mes chers collègues, qu'à la différence de la France les autres Etats membres de l'Union européenne ne sont généralement pas intervenus par voie législative pour définir l'organisation du temps de travail dans leur pays : ils ont fixé des principes généraux, laissant le soin aux organisations syndicales de compléter le dispositif par voie de convention collective.
Chez nous, la logique incitative prônée par la loi du 11 juin 1996, dite loi « de Robien », a laissé place aux rigidités des lois « Aubry I et II » de juin 1998 et janvier 2000, imposant une réduction du temps de travail à 35 heures. Démarche idéologique au détriment d'une approche pragmatique !
Depuis, le Parlement ne cesse d'apporter des assouplissements à ce dispositif. Le texte que nous examinons en est une énième illustration.
Permettez-moi d'émettre des réserves sur la pertinence de légiférer ainsi par petites touches successives, sans mettre à plat l'ensemble des problèmes. Cela m'amène à formuler quelques réflexions sur le fond de la proposition de loi, notamment sur l'absence de certains sujets préoccupants.
Le texte comprend trois mesures.
Premièrement, il assouplit légèrement le compte épargne-temps, le CET. Très bien ! Mais nul ne doute que cet outil, encore assez peu utilisé pour l'heure, permettra, à l'avenir, à des salariés d'avancer leur départ de l'entreprise. Or c'est en pleine contradiction avec la question de l'emploi des quinquagénaires, qui sera l'un des enjeux majeurs du marché du travail dans les prochaines années.
Contrairement à nos partenaires européens qui, depuis les années quatre-vingt-dix, ont mené des réformes visant à reculer l'âge de cessation d'activité afin de prendre en compte le vieillissement démographique et, parfois, le déficit de main-d'oeuvre qualifiée, nous en sommes encore à mettre en oeuvre des mesures qui permettront le départ anticipé de certains salariés.
En 2000, le sommet européen de Lisbonne avait fixé l'objectif d'un taux d'emploi de 50 % pour les 55-64 ans. En France, ce taux est aujourd'hui de 37 %, contre 69 % en Suède.
Je crains que l'assouplissement du dispositif du CET n'aille pas dans le sens du nécessaire « changement culturel » de la société française tendant à travailler plus longtemps.
Deuxièmement, le texte prévoit la création des « heures choisies ». En théorie, c'est également une bonne chose, mais à quoi un tel dispositif pourra-t-il bien servir si l'on continue d'indemniser les heures supplémentaires comme on le fait actuellement ?
Le principe qui guide les auteurs de la proposition de loi est de « travailler plus pour gagner plus ». Comment ne pas être séduit a priori par ce principe simple, logique et basé sur le volontariat ? Les salariés pourront demander à effectuer des heures supplémentaires au-delà du contingent légal. Mais le dispositif ne restera-t-il pas une faculté théorique dans la mesure où le contingent est déjà rarement épuisé, parce qu'en dépit de besoins évidents les heures supplémentaires coûtent trop cher à la plupart des entreprises ?
Cette remarque me conduit bien évidemment à me réjouir de la troisième mesure de la proposition de loi tendant à proroger le dispositif dérogatoire applicable aux entreprises de moins de vingt salariés.
Il est faux de considérer que tout est égal à tout et que tout le monde se trouve dans la même situation. Les très petites entreprises doivent faire face à des charges et à des pressions particulières, notamment quand leur activité connaît un rythme saisonnier. Ne pas les soutenir particulièrement reviendrait à faire peser sur elles des risques inconsidérés, à mettre en péril leur activité et, par conséquent, leurs emplois. Or gardons bien à l'esprit que l'on compte près de 2, 3 millions de très petites entreprises en France, ce qui représente 4 millions de salariés.
Pour conclure ce propos sur le fond de la proposition de loi, je voudrais évoquer l'un des vrais problèmes soulevés par l'organisation du temps de travail, mais qui n'est pas abordé dans ce texte : la difficulté d'application des 35 heures dans le secteur médical et médicosocial.
La mise en place de la réduction du temps de travail dans les hôpitaux s'avère d'autant plus délicate que la pénurie de personnel est criante dans ce secteur. De plus, elle repose sur le mensonge consistant à dire qu'une telle réduction peut s'accompagner de gains de productivité. Mais quels gains de productivité devions-nous attendre dans ce secteur où le dialogue et l'écoute des malades sont souvent aussi importants que les soins eux-mêmes ? Va-t-on faire des piqûres plus rapidement, donner à manger en moins de temps ?
Dans de nombreux hôpitaux, la situation est critique - plusieurs faits divers l'ont tristement démontré ces dernières semaines - et le moral des personnels hospitaliers n'est pas au beau fixe.
Plus grave peut-être encore : les lois sur la réduction du temps de travail ont permis à un certain nombre d'associations en charge d'activités sociales et médicosociales de passer non pas aux 35 heures, mais aux 32 heures et demie hebdomadaires et d'embaucher neuf mille salariés, dont la rémunération a été financée, d'une part, par les allègements de charges sociales et, d'autre part, par le gel des salaires de personnel. Or les allègements de charges vont être supprimés et les personnels demandent la remise à niveau de leur salaire.
Par conséquent, faute de trouver de nouvelles sources de financement, ce sont près de neuf mille salariés qui pourraient se trouver menacés de licenciement et c'est le maintien de la pluralité de l'offre de prestations sociales qui est en péril.
Il est peut-être temps de se pencher sur cette question, car, si l'Etat tarde, les départements, eux, n'ont pas d'autre choix que de le faire. Comme trop souvent, au final, ce seront eux les payeurs ! Les réductions des aides de l'Etat aux associations en question accroîtront leurs charges, ce qui peut les conduire à licencier. Outre la dimension sociale et humaine, l'absurdité du système veut qu'en plus, en cas de licenciement, l'association rembourse les aides qu'elle a reçues au titre des 35 heures pour chaque salarié licencié.
Les conseils généraux sont tous les jours confrontés à de telles situations. Quelle est la solution ? Soit l'association licencie et accroît le tarif des prestations qu'elle facture au département, soit le département compense directement la suppression des aides étatiques. Dans les deux cas, il y aura un transfert de charges, non compensé, de l'Etat en direction des départements.
Telle est l'une des vraies questions soulevées par l'organisation du temps de travail, question que la présente proposition de loi n'aborde pas.
Vous l'avez compris : mon sentiment est que la présente proposition de loi ne traite que très partiellement les vrais problèmes posés par l'organisation du temps de travail dans notre pays. Comme l'a très bien dit Jean-Marie Vanlerenberghe, le texte qui nous est soumis aménage à la marge un système catastrophique sur le long terme pour l'économie de notre pays.
Le gouvernement socialiste a, en son temps, privilégié le dirigisme au dialogue social en la matière, et ce au détriment à la fois des salariés et des entrepreneurs, sans créer le nombre d'emplois tant attendu.
Je ne crois pas que le travail soit un stock défini, un gros gâteau à partager. Cette image correspond à une perception malthusienne, figée, de notre économie, qui ne prend pas en compte un contexte de concurrence internationale accrue par l'émergence de pays tels que la Chine et l'Inde.
Plutôt que de partager l'emploi, nos politiques doivent s'évertuer à le créer. Pour ce faire, une organisation du travail flexible est indispensable pour augmenter notre taux d'emploi et celui de la productivité. La proposition de loi va dans ce sens. C'est pourquoi, malgré ses insuffisances et en dépit de certains regrets, je voterai ce texte.