Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelques mois seulement après l'annonce de la volonté présidentielle de stimuler l'investissement privé dans le secteur public, le Parlement est saisi d'un projet de loi tendant à développer les contrats de partenariat, forme juridique spécifique des fameux partenariats public-privé.
Actuellement, ce type de contrat est régi par l'ordonnance du 17 juin 2004, dont l'utilisation est jugée bien décevante par le Gouvernement.
Cette loi vise donc à libérer les contraintes financières et juridiques, dont la mise en oeuvre est jugée trop lourde, et à en faire le droit commun de la commande publique, et ce malgré le caractère inconstitutionnel de ce nouveau texte, comme ma collègue Josiane Mathon-Poinat le démontrera en défendant la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Pour ma part, je m'attacherai à démontrer que ce texte est peu pertinent pour stimuler la croissance économique et que son opportunité politique n'a de sens qu'à l'aune des critères de rigueur imposés par la Commission européenne et le Gouvernement français.
En effet, nous nous trouvons dans une situation paradoxale.
Pour relancer l'économie, le Gouvernement doit obligatoirement stimuler l'investissement public, notamment dans les grands équipements. Aujourd'hui, cet investissement correspond à seulement 3, 8 % du PIB. Cela s'explique par les fameux critères de Maastricht, dont le seuil de 3 % de déficit public conduit l'État à limiter son action. Dans ce cadre, le recours à l'investissement privé apparaît donc nécessaire.
Parallèlement, les gouvernements successifs de droite, notamment depuis la loi de décentralisation de 2004, ont organisé le désengagement massif de l'État de ses fonctions régaliennes, en confiant de plus en plus de compétences aux collectivités territoriales. Celles-ci ont vu leurs compétences augmenter, sans pour autant que les moyens suffisants pour mettre en oeuvre leurs nouvelles missions leur soient concédés. Elles sont aujourd'hui asphyxiées et rencontrent beaucoup de difficultés à engager de nouveaux projets. Selon ce texte, les contrats de partenariats constitueraient donc une solution leur permettant de faire face au désengagement de l'État.
Ainsi, nous sommes dans un schéma où l'État se décharge sur les collectivités, qui se retourneront à leur tour sur le secteur privé pour effectuer les investissements financiers nécessaires à la réalisation des équipements publics et à leur gestion.
Dans le même temps, l'État privatise les services et les équipements publics pour financer le remboursement de la dette, comme ce fut le cas avec la privatisation des autoroutes. Il se prive donc des ressources pérennes lui permettant de financer les investissements nécessaires dans de nombreux domaines et de tous les leviers pour réaliser une programmation cohérente et nationale des investissements dans le secteur public. C'est une spirale du déclin, et ce alors que les besoins sont immenses.
Nous ne souscrivons pas à un tel projet. Selon nous, l'État doit au contraire se libérer des contraintes de rigueur budgétaire drastique imposées par la Commission de Bruxelles. Il s'agit non pas de réduire sa capacité d'action, mais, bien au contraire, de lui donner des moyens supplémentaires.
Cela devrait se traduire par une réforme de la fiscalité taxant plus justement la spéculation financière et les profits. La France est un pays riche qui dispose des ressources nécessaires pour mener à bien sa mission de cohésion nationale, d'aménagement du territoire et de service public.
De plus, ce texte est un miroir aux alouettes. En effet, si les collectivités seront dédouanées de l'investissement initial, elles devront s'acquitter d'une forme de loyer au profit du cocontractant privé.
Il s'agit donc de faire passer des dépenses d'investissement en dépenses de fonctionnement, procédé qui grèvera durablement le budget des collectivités et limitera, à terme, leur capacité d'intervention. C'est un système qui peut se révéler pernicieux.
Par ailleurs, comment ne pas reconnaître que ces fameux contrats de partenariats n'ont pas fait leur preuve, en France comme en Europe ?
C'est notamment le cas en Europe. Permettez-moi de revenir sur l'expérience britannique, puisqu'elle a été abordée, en prenant l'exemple du métro londonien, qui doit nous inciter à la plus grande prudence. Ainsi, que se passe-t-il quand l'opérateur privé est défaillant ? Le risque est sérieux que la structure privée soit purement et simplement mise en faillite si l'opération n'est pas jugée assez rentable par les actionnaires. Les pouvoirs publics et les contribuables devront alors payer la facture. Est-ce là une bonne conception du partage des risques ?
La Fédération européenne des services publics est également très critique sur la lourdeur administrative et financière de mise en oeuvre de ces PPP.
En France, le rapport de la Cour des comptes de cette année a pointé plusieurs exemples où la conclusion de contrats de partenariat s'est révélée plus coûteuse pour la collectivité qu'une autre solution. Je mentionnerai ainsi les cas du centre d'archives du ministère des affaires étrangères et du pôle de renseignement du ministère de l'intérieur.
Je me permettrai également de vous rappeler l'expérience des marchés d'entreprise et de travaux publics ont conduit à de graves dérives, comme l'affaire des lycées d'Île-de-France. Ils ont finalement été prohibés en 2001 par le code des marchés publics.
Dans le secteur spécifique des transports terrestres, selon le rapport de la mission d'information sur le fonctionnement et le financement des infrastructures de transports terrestres, « la voie des PPP ne saurait en aucun cas constituer une solution miracle au problème du financement des infrastructures de transport. En effet, ce secteur n'est sans doute pas le plus approprié à une large utilisation des partenariats avec le secteur privé. La preuve en est donnée non seulement par les difficultés rencontrées par certains projets français comme le tram-train de Mulhouse, mais aussi par l'exemple du Royaume-Uni où l'utilisation très fréquente de ce type de contrat n'a finalement laissé qu'une part très faible aux infrastructures de transport avec 8 % des projets, très loin derrière le secteur de la santé, des prisons ou de la défense. »
Afin d'inciter au développement des partenariats public-privé, vous souhaitez garantir une stricte neutralité fiscale entre les différentes formes de la commande publique. Ainsi, cette nouvelle loi offre aux contrats de partenariat les avantages fiscaux des marchés publics, notamment par l'octroi de subventions prévues par la loi MOP.
Pourquoi pas, mais le parallélisme n'est pas total. Ainsi, vous permettez, pour les contrats de partenariat, le recours à une procédure négociée. Cette possibilité est par ailleurs réclamée depuis longtemps par les collectivités pour l'ensemble des formes de marchés publics. Ne serait-il pas alors opportun de leur permettre également le recours à ce type de négociation ?
De plus, cette nouvelle forme juridique est assortie, contrairement aux marchés publics, non seulement d'une grande souplesse contractuelle, mais également d'un allégement de la législation pénale. Avec l'expérience des METP, nous connaissons pourtant les risques importants de dérives en termes d'ententes illicites ou de favoritisme.
Par ailleurs, comment les collectivités dont les moyens sont limités pourront-elles mettre en oeuvre un tel arsenal ? Elles devront souvent faire appel à la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat qui est rattachée au ministère, dont on connaît les objectifs. Le barreau des avocats de Paris avait dans ce cadre contesté, lors d'un recours, le caractère exorbitant des compétences confiées à une telle mission, notamment au niveau de la négociation. Tout cela conduit encore à une opacité des règles d'attribution dans la commande publique.
Ainsi, ce texte ne répondra pas aux difficultés rencontrées par les collectivités dans la commande publique.
En outre, si nous ne sommes pas opposés par principe au recours à l'investissement privé, cette forme particulière n'emporte pas notre agrément puisqu'elle vise à la systématisation de l'utilisation du contrat de partenariat par simple idéologie.
La faculté de l'État et de ses établissements publics, des collectivités locales de recourir aux contrats de partenariat est étendue par ce texte. En effet, jusqu'en 2012, peu de conditions seront requises pour recourir à ce type de contrat dans de nombreux secteurs comme les transports, la défense, les équipements de santé... Pour les autres secteurs, il suffira simplement de démontrer une évaluation positive et favorable aux autres formes de la commande publique. Il est alors plus qu'opportun, comme vous le faites dans ce texte, de doter ce nouveau contrat d'un régime fiscal particulièrement avantageux.
Cette généralisation soulève de nombreuses questions.
Il s'agit d'un contrat global qui porte à la fois sur l'architecture, sur tous les corps de métiers, toutes les formes de construction, toutes les entreprises de bâtiments, sur le choix du banquier et du gestionnaire, ainsi que de l'entreprise qui assumera l'entretien. Comment croire alors que d'autres entreprises que les géants du BTP pourront répondre à ces appels d'offres ?
Autrement dit, il en est fini de la reconnaissance d'intérêt général de l'architecture, et de l'indépendance des architectes puisque ceux-ci seront voués à être de simples sous-traitants des grands groupes ayant obtenu les marchés. Le principe de la dualité entre la maîtrise d'ouvrage public et la construction posé par la loi MOP n'est pourtant pas une vue de l'esprit ; il correspond à la reconnaissance de la spécificité de l'architecture et des enjeux liés à l'urbanisme.
De surcroît, ce projet pénalise grandement les PME, qui sont vouées à devenir de simples sous-traitantes des groupes monopolistiques privés. Cela comporte de lourds risques pour le développement économique local. Initialement, le texte prévoyait même de revoir à la hausse les seuils de résultat permettant de caractériser les PME.
Nous nous retrouvons finalement dans un schéma où le rapport de force est inversé. C'est l'offre qui fera la demande, comme le reconnaît expressément l'article 10 de l'ordonnance prévoyant que les cocontractants peuvent eux-mêmes solliciter auprès des collectivités la conclusion d'un contrat de partenariat « clés en main ».
Qu'en sera-t-il des projets non rentables qui n'intéresseront pas le secteur privé ? L'aménagement du territoire doit-il être décidé et guidé par les seuls intérêts financiers des grands groupes ? Autant de questions fondamentales déjà posées par l'ordonnance et qui s'expriment plus fortement encore dans votre projet de loi.
Il faut donc être clair sur les objectifs poursuivis. L'appel aux capitaux privés a un corollaire que vous ne pouvez passer sous silence : c'est la rémunération des fonds investis. Cette rémunération se traduit notamment par l'utilisation du domaine public à des fins commerciales, par la réalisation de baux commerciaux. Il s'agit là d'une atteinte possible à la vocation de service public.
Par ailleurs, ces baux privés pourront être conclus pour des durées longues, jusqu'à quatre-vingt-dix-neuf ans, et pourront se traduire par des autorisations de constructions. Une évaluation de la pertinence de l'occupation du domaine public sera donc impossible et les mauvais choix quasi irréversibles.
Au final, les infrastructures non rentables seront confiées au secteur public alors que celles qui seront jugées rentables seront réalisées par le secteur privé. Autrement dit, nous nous retrouvons dans un schéma où l'on privatise les gains et où l'on socialise les pertes. Cette piste ne nous paraît donc pas pertinente.
D'autant que, si la rémunération du cocontractant dans le contrat de partenariat passe par un loyer payé par la personne publique, rien n'empêche celui-ci de « tirer bénéfice de l'exploitation d'autres besoins que ceux de la personne publique du domaine, des ouvrages ou des équipements dont il a la charge ».
Autre question qui nous semble fondamentale et particulièrement inquiétante, l'article 1er dispose que le partenaire pourra recevoir mandat « pour encaisser, au nom et pour le compte de la personne publique, le paiement par l'usager final de prestations revenant à cette dernière », ce qui semble signifier qu'il pourra exécuter le service public avec son propre personnel. Cela pose tout de même question quant à l'avenir de la fonction publique.
On peut également s'interroger sur l'augmentation attendue dans la qualité de la gestion et le service rendu par une société privée. En effet, l'État ou la collectivité devra payer un loyer pendant vingt, trente ou quarante ans. Comment pourra-t-on démontrer, à partir des éléments dont on disposera au moment de l'évaluation, que le partenariat public-privé est préférable à la délégation de service public ou à l'appel au marché classique ?
La meilleure productivité du secteur privé est une affirmation non fondée. Bien au contraire, pour ne prendre qu'un seul exemple, partout en France, des collectivités s'interrogent sur la pertinence d'une véritable gestion publique de l'eau au regard des dérives tarifaires des grands groupes privés, qui ont réalisé des profits records dans ce domaine.
En outre, le développement tant espéré de ce type de contrat ne permettra pas de répondre aux immenses besoins de financement dans les secteurs clefs de l'économie.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment que la réalisation d'infrastructures d'intérêt général doit être prévue sur le long terme et dégagée des aléas des marchés financiers. Nous soutenons donc que le Gouvernement, notamment par la loi de finances, doit faire le choix d'une action forte pour répondre aux besoins d'équipements publics.
Si nous pouvons comprendre dans certains cas l'intérêt des délégations de service public ou des marchés publics, nous jugeons négativement le fait que le privé soit, en fait, à l'initiative de la prise de décision d'investissement public.
L'aménagement du territoire et l'existence de services publics sont des missions qui reviennent à la puissance publique, qui incarne l'intérêt général. Nous ne pourrons donc voter ce texte en l'état. §