Séance en hémicycle du 1er avril 2008 à 16h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • afghan
  • afghanistan
  • commande
  • militaire
  • partenariat
  • taliban
  • troupes

La séance

Source

La séance est ouverte à seize heures cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

M. le président du Sénat a le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Christian Bergelin, qui fut sénateur de la Haute-Saône en 2002.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

M. le président du Sénat a été saisi de deux demandes de constitution de missions d'information, l'une de M. Jean-Paul Émorine, président de la commission des affaires économiques, pour se rendre en Croatie, dans la perspective de l'adhésion de ce pays candidat à l'entrée dans l'Union européenne ; l'autre de M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, pour un déplacement à Mayotte dans la perspective d'une évolution possible de son statut.

Le Sénat sera appelé à statuer sur ces demandes dans les formes fixées par l'article 21 du règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :

- le rapport sur la sécurité des piscines enterrées non closes privatives à usage individuel ou collectif, établi en application de l'article 3 de la loi n° 2003-9 du 3 janvier 2003 relative à la sécurité des piscines ;

- le rapport dressant le bilan d'application de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social en matière de négociation collective établi en application de l'article 56 de ladite loi ;

- le rapport sur la mise en application de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, établi en application de l'article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit.

Acte est donné du dépôt de ces trois rapports.

Ils seront transmis respectivement à la commission des affaires économiques, à la commission des affaires sociales et à la commission des finances, et seront disponibles au bureau de la distribution.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Je rappelle au Sénat que l'Observatoire de la décentralisation est composé de vingt-cinq membres désignés par les groupes politiques de manière à assurer leur représentation proportionnelle.

Le groupe Union pour un mouvement populaire a fait connaître qu'il a désigné M. Pierre Bernard-Reymond pour siéger au sein de l'Observatoire de la décentralisation, en remplacement de M. Roger Karoutchi, devenu membre du Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

M. le président du Sénat a reçu de M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, l'ordre du jour prévisionnel jusqu'à la fin de la session ordinaire.

La conférence des présidents a pris acte ce matin de ce programme que M. le président du Sénat a immédiatement adressé à l'ensemble des sénatrices et des sénateurs.

Les huissiers distribuent actuellement ce document dans l'hémicycle afin que vous puissiez en prendre connaissance dès à présent.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

J'informe le Sénat que la question orale n° 166 de M. Adrien Gouteyron est retirée de l'ordre du jour de la séance du 15 avril 2008, à la demande de son auteur.

Acte donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Mes chers collègues, comme chacun le sait, nous aurons à 17 heures 30 un débat avec le Premier ministre sur la situation en Afghanistan.

La conférence des présidents qui s'est réunie ce matin a fixé les modalités d'organisation du débat qui ont été communiquées à chacun d'entre nous dès la fin de la réunion.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Borvo Cohen-Seat

Monsieur le président, mon rappel au règlement a justement trait à la conférence des présidents.

Vendredi dernier, j'ai saisi M. le Premier ministre d'une demande de vote sur la déclaration du Gouvernement relative au renforcement de la présence militaire de la France en Afghanistan. Cette question a été évoquée sans succès lors de la conférence des présidents de ce matin.

N'en déplaise à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, la Constitution autorise un vote à l'occasion de ce type de débat, à la fois à l'Assemblée nationale et au Sénat. D'ailleurs, en 1991, un vote était intervenu sur la participation de notre pays à la première intervention dans le Golfe. M. le Premier ministre semblait l'avoir oublié, il avait pourtant lui-même voté lors de cette consultation.

Sur quelle base ce vote était-il intervenu ? Au titre de la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale à l'Assemblée nationale et, au Sénat, de la mise en oeuvre de l'article 49, alinéa 4 de la Constitution, qui autorise l'organisation d'un vote en tout état de cause.

La gravité de la situation en Afghanistan et l'appréciation de l'opportunité d'engager un plus grand nombre de nos soldats après six ans de présence militaire française en Afghanistan légitiment la consultation et le vote du Parlement. Dois-je rappeler que le Gouvernement n'envisageait même pas, initialement, un échange de vues dans cet hémicycle ? Il n'avait proposé qu'un débat à l'Assemblée nationale !

Notre demande de vote est renforcée par l'annonce, ce matin, du dépôt d'une motion de censure par des députés à l'occasion de ce débat. En conséquence de quoi, l'Assemblée nationale sera amenée à voter, mais pas le Sénat !

Je terminerai, monsieur le président, madame la ministre, en soulignant la contradiction flagrante dans laquelle se trouve le Gouvernement puisqu'il affiche une volonté de renforcer les droits du Parlement, à l'occasion d'une révision prochaine de la Constitution, et refuse de faire voter le Parlement sur la participation militaire renforcée de la France en Afghanistan dans le cadre imposé et défini par les États-Unis, alors que les textes constitutionnels actuels permettent un vote du Parlement sur un tel sujet.

Je maintiens donc avec fermeté et solennité notre demande de vote du Sénat sur cette dangereuse évolution de notre politique extérieure.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Madame la présidente, vous avez déjà formulé cette demande ce matin lors de la conférence des présidents, ainsi que vous l'avez dit vous-même. Je ne puis que rappeler que le sujet que vous évoquez relève de la compétence exclusive du Gouvernement.

Je vous donne acte de votre déclaration.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif aux contrats de partenariat (nos 211, 239, 240 et 243).

Dans la discussion générale, la parole est Mme la ministre.

Debut de section - Permalien
Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi

Monsieur le président, messieurs les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de venir présenter devant votre Haute Assemblée le projet de loi relatif au contrat de partenariat.

On pourrait s'interroger sur le pléonasme consistant à affubler le mot « contrat » du terme « partenariat ». En tout cas, c'est clairement un instrument de modernisation que je vous convie à examiner dans le cadre de la discussion de ce projet de loi. Modernisation de notre économie, modernisation de nos infrastructures, tant en matière corporelle qu'incorporelle, tels sont les sujets que nous aurons l'occasion d'évoquer au cours de ce débat.

Avant d'entrer dans le vif de la discussion des articles et de vos amendements, je voudrais profiter de cette discussion générale pour vous parler, d'abord, de l'intérêt de ce que vous me permettrez d'appeler des partenariats public-privé ou PPP - c'est la seule abréviation que j'utiliserai dans cette discussion générale -, ensuite, des réalisations récentes qu'ils ont permises et, enfin, des lacunes qui existent encore et nous amènent à proposer un certain nombre de voies de recours complémentaires.

L'intérêt des partenariats public-privé réside dans la possibilité d'accélérer l'investissement au bénéfice de la collectivité, tout en partageant au mieux les risques entre la collectivité et les prestataires privés. L'intérêt de ce mode de commande publique est clair : une entreprise privée peut proposer une prestation globale, comprenant la construction et la gestion, et la réaliser à ses frais, en faisant ensuite payer à la personne publique une sorte de « loyer ». Mais, dans ce cas de figure, le « locataire » finit, au terme d'un certain nombre d'années, par devenir propriétaire de l'ouvrage.

Ce système incite les collectivités à penser plus globalement et à plus long terme.

M. Pierre-Yves Collombat s'exclame.

Debut de section - Permalien
Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi

Les partenariats public-privé offrent donc un grand nombre de possibilités nouvelles par rapport aux régimes de commande publique existants. C'est d'ailleurs le propre des vraies innovations juridiques. J'avais eu l'occasion de parler devant certains d'entre vous du canal du Midi, construit de 1666 à 1681, sous Colbert, pour irriguer une région française importante. Pierre-Paul Riquet avait pris cette initiative et c'est ainsi que le régime des concessions était apparu dans notre ordre juridique. Trois cents ans plus tard, en 1996, le canal du Midi fut classé par l'UNESCO au patrimoine mondial de l'humanité. Le régime de la concession avait fait son oeuvre et, de toute évidence, le temps l'avait béni.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

M. Pierre-Yves Collombat. Chacun le sait, Colbert était un grand libéral !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Christine Lagarde, ministre

Je voudrais également mentionner quelques réalisations récentes afin de donner plus de corps à mon propos. Plusieurs textes sectoriels sont intervenus dans le domaine de la sécurité intérieure - c'est la fameuse loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la LOPSI -, dans le domaine de la justice, avec la loi d'orientation et de programmation pour la justice et, enfin, dans le domaine de la santé. Dans ces trois domaines, des partenariats public-privé ont pu être conclus.

Différents instruments spécifiques ont aussi été créés : bail emphytéotique administratif, bail emphytéotique hospitalier, autorisation d'occupation temporaire accompagnée d'une location avec option d'achat, tous instruments juridiques qui concourent finalement au même objet, celui qui a été atteint au travers du contrat de partenariat, issu de l'ordonnance du 17 juin 2004 et qui constitue véritablement la forme générique du partenariat public-privé. Ouvert à tous les pouvoirs publics, il représente la clef de voûte des modes de partenariat public-privé.

Les domaines couverts par les projets en cours sont très variés, ce qui prouve la souplesse d'utilisation de ce nouvel outil de la commande publique. Je mentionnerai notamment les bâtiments publics, l'équipement urbain et les équipements culturels et sportifs, qui représentent respectivement 30 %, 25 % et 15 % des projets.

Parmi les projets emblématiques déjà arrêtés, on peut citer la rénovation de l'Institut national du sport et de l'éducation physique, sis dans le XIIe arrondissement de Paris, pour laquelle le contrat a été signé par l'État en décembre 2006, le centre de traitement des déchets d'Antibes, ayant fait l'objet d'une signature en août 2006, la billetterie électronique du château de Versailles et la couverture internet haut débit de la région Auvergne, décidées respectivement en janvier 2007 et en septembre 2007.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, il s'agit là d'ouvrages publics, ce terme s'écartant quelque peu de son sens traditionnel quand les investissements portent sur des équipements de nature incorporelle.

Nonobstant la variété des projets que peut recouvrir ce type de partenariat public-privé, le système présente, nous le savons, un certain nombre de lacunes.

Certes, les études sont bien avancées pour plus de 130 projets, mais on peut regretter que, pour l'heure, seulement un peu moins de 30 contrats aient été effectivement signés, pour les trois quarts d'entre eux par des collectivités territoriales. L'investissement cumulé est de l'ordre de 1 demi-milliard d'euros, chiffre très éloigné de ce que l'on peut observer chez un certain nombre de nos partenaires. En Grande-Bretagne, par exemple, le private finance initiative, le fameux PFI, représente environ 15 % de l'investissement public.

Comment expliquer cet engouement relativement faible pour ce nouveau mode de commande publique ? C'est que, tout simplement, les partenariats public-privé ayant été conçus comme une voie d'exception, il y a été recouru de manière exceptionnelle. Les conditions légales pour emprunter cette voie sont très restrictives : il convient de prouver l'urgence ou la complexité du projet. De plus, dans ces deux cas, le recours au contrat de partenariat est pénalisé, en l'état actuel des choses, par un régime juridique et fiscal plus contraignant que celui qui est en vigueur pour les modes de passation de la commande publique traditionnels. Par conséquent, dans la mesure où les partenariats public-privé sont plus difficiles à établir, plus coûteux sur le plan fiscal et plus restrictifs en matière de voies de recours, il n'est pas tout à fait surprenant qu'ils soient utilisés de manière exceptionnelle.

Il s'agit donc, par le présent projet de loi, de lever ces obstacles, sans rien céder quant à nos exigences en matière de qualité et de rigueur de la commande publique, sans rien abandonner de nos obligations en matière de sincérité budgétaire et comptable.

À cet égard, la procédure de passation des contrats de partenariat, qui, en droit communautaire, sont regardés comme des marchés publics, respecte en tous points les exigences de publicité et de mise en concurrence qu'imposent les directives communautaires relatives aux marchés publics. L'évaluation préalable, qui est obligatoire pour les contrats de partenariat, doit également conduire les décideurs publics à examiner de manière rigoureuse, sans biais, l'incidence financière prévisionnelle de leur projet.

C'est dans cet esprit d'innovation mais aussi de rigueur, en particulier budgétaire et comptable, que nous nous proposons, au travers de ce projet de loi, de faciliter le recours aux contrats de partenariat, cela en clarifiant la situation actuelle - j'y reviendrai -, en ajoutant deux nouvelles voies d'accès à celles qui existent déjà et en établissant une égalité de traitement fiscal et juridique entre contrats de partenariat et marchés publics.

L'examen de ce texte est d'abord l'occasion de clarifier un certain nombre de flous juridiques, afin de sécuriser les pratiques existantes.

Notre projet de loi vise ainsi, par ses articles 9 et 23, à confirmer la possibilité donnée au titulaire du contrat de partenariat de tirer des ressources complémentaires de l'exploitation du domaine privé que la personne publique lui confie et dont le champ est bien délimité. Les recettes ainsi perçues par le titulaire du contrat de partenariat, grâce par exemple à des baux commerciaux consentis sur le domaine privé, sont prises en compte pour réduire le montant des loyers dus par la puissance publique.

En outre, nous rappelons, aux articles 1er et 15, la faculté de transférer au titulaire du contrat de partenariat tout contrat précédemment conclu par la personne publique et pouvant concourir à l'exécution de la mission. Ainsi - et cela concerne essentiellement les architectes -, si la personne publique souhaite choisir le maître d'oeuvre avant de recourir à un contrat de partenariat, elle pourra stipuler dès le début de la procédure que la mission de maîtrise d'oeuvre sera ultérieurement exécutée dans le cadre du contrat de partenariat.

Venons-en à présent à une seconde série de modifications très importantes, qui ont trait à l'élargissement des voies de recours aux contrats de partenariat au-delà de l'urgence ou de la complexité du projet, voies prévues par l'ordonnance de 2004.

Debut de section - Permalien
Christine Lagarde, ministre

Nous proposons donc, aux articles 2 et 16, d'ajouter deux nouvelles voies juridiques de recours aux contrats de partenariat, dans le respect de la décision du Conseil constitutionnel.

La première voie nouvelle pourrait être qualifiée de voie de l'efficience : il convient de prouver l'intérêt économique et financier d'instituer un partenariat public-privé.

Les personnes publiques pourront recourir au contrat de partenariat si l'évaluation préalable, qui reste indispensable, démontre qu'il présente un bilan avantageux au regard des autres outils de la commande publique. Ce nouveau critère ouvre de manière significative la possibilité de recourir aux contrats de partenariat, dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel : celle-ci exige en effet, d'une part, que le recours au contrat de partenariat réponde à des motifs d'intérêt général et, d'autre part, qu'il soit encadré, afin de satisfaire aux exigences constitutionnelles, en matière notamment de protection des propriétés publiques et de bon usage des deniers publics. Ces conditions seront bien remplies, nous semble-t-il, dans l'hypothèse où l'indispensable évaluation préalable démontre l'intérêt économique supérieur du contrat de partenariat par rapport aux autres formules contractuelles.

La seconde voie nouvelle prévue par le texte comporte trois critères cumulés : pour un temps limité, dans des secteurs limités et sous réserve que les résultats de l'évaluation ne soient pas manifestement défavorables, le contrat de partenariat public-privé pourra être mis en oeuvre.

La limite dans le temps est fixée au 31 décembre 2012, les secteurs limités recouvrent ceux qui sont considérés comme prioritaires par le Gouvernement, par exemple les projets répondant aux besoins de l'enseignement supérieur et de la recherche, domaines dans lesquels nous avons beaucoup d'efforts à consentir pour mieux équiper le pays et le rendre plus compétitif, la mise en place de nouvelles technologies pour la police et la gendarmerie nationale, les infrastructures de transports s'inscrivant dans un projet de développement durable ou la rénovation urbaine. En ce qui concerne l'évaluation, elle devra ne pas être manifestement défavorable au contrat de partenariat public-privé, selon la formule proposée par le Conseil d'État, formule qui garantit la constitutionnalité de cette nouvelle voie d'accès.

Enfin, ce projet de loi vise à rendre plus attrayant le recours au contrat de partenariat.

J'ai parlé tout à l'heure de « dissonances » fiscales et juridiques entre les modes traditionnels de la commande publique et le contrat de partenariat public-privé. Le texte tend à rendre ce dernier plus simple et concurrentiel, ainsi qu'à instituer davantage d'équité.

En matière tout d'abord de simplification, nous allons mettre en place certains aménagements de la procédure de passation de la commande publique, pour les adapter aux spécificités du contrat de partenariat. Ainsi, aux articles 4 et 18 du projet de loi, il est ajouté aux procédures d'appel d'offres et de dialogue compétitif existant actuellement une procédure négociée, plus souple, pour les projets de petite taille, comme le permettent les directives communautaires relatives aux marchés publics.

S'agissant ensuite de la dimension concurrentielle, le projet de loi prévoit à ses articles 6 et 20, pour encourager l'émergence des candidatures et stimuler la concurrence, que la collectivité publique devra verser aux candidats une prime si les demandes formulées par la personne publique dans le cadre d'un dialogue compétitif ont appelé des investissements significatifs.

Enfin, nous voulons instaurer une véritable équité fiscale entre contrat de partenariat et marché public, équité qui n'existe pas aujourd'hui, principalement du fait que la personne publique n'a pas la qualité de maître d'ouvrage lorsqu'elle recourt à ce type de contrat. Les articles 26 et 27 ont ainsi pour objet de modifier deux taxes d'urbanisme : la taxe pour dépassement du plafond local de densité et la taxe sur les locaux à usage de bureaux en Île-de-France, qui peuvent parfois représenter à elles deux jusqu'à 10 % du coût de construction. De la même manière, l'article 28 du projet de loi tend à harmoniser le régime d'imposition applicable à l'État et aux collectivités territoriales pour la publicité foncière des actes portant autorisation d'occupation temporaire du domaine public.

Afin de réduire le coût des loyers dus par les collectivités publiques, le régime de cession de créances propre aux contrats de partenariat est rendu plus attrayant par les articles 9 et 23 du projet de loi, qui prévoient d'inclure dans l'assiette de la cession les frais financiers intercalaires jusque-là exclus et de conférer au cessionnaire une sécurité juridique analogue à celle qui est produite par le mécanisme de l'acceptation en « cession Dailly ».

L'article 31 du projet de loi prévoit en outre que les titulaires de contrat de partenariat ne seront plus tenus de souscrire une assurance dommages ouvrage. Ils bénéficieront ainsi de la dispense accordée aux collectivités publiques lorsqu'elles assurent elles-mêmes la maîtrise d'ouvrage, ce qui peut représenter une économie d'au moins 1, 5 % du coût du projet. Cela ne présente pas un caractère d'ordre public absolu : libre bien entendu aux collectivités publiques d'imposer une telle assurance, libre aux titulaires du contrat d'en souscrire une de leur propre fait.

Grâce à toutes ces dispositions, le partenariat public-privé sera donc plus clair dans le droit, plus simple à conclure pour les différentes parties prenantes, et certainement plus avantageux pour le portefeuille de l'État.

J'ai évoqué, au début de mon intervention, l'innovation qu'avait constituée le canal du Midi en matière juridique par le biais du mécanisme de la concession. Sans aller jusqu'à imaginer que, en 2320 ou en 2330, l'UNESCO, qui aura probablement été rebaptisée entre-temps, décide d'inscrire au patrimoine mondial de l'humanité le canal Seine-Nord, nous pouvons néanmoins peut-être prendre le pari, car il n'y a que dans les chansons que les canaux se perdent

Sourires

Debut de section - Permalien
Christine Lagarde, ministre

, que cet autre canal sera lui aussi emblématique d'une création juridique, celle à laquelle vous allez procéder en examinant ce projet de loi consacré aux partenariats public-privé.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat est donc saisi, en première lecture et en premier lieu, du présent projet de loi relatif aux contrats de partenariat.

Je rappelle qu'il s'agit de contrats par lesquels l'État, les collectivités territoriales ou leurs établissements publics confient à un tiers, pour une durée déterminée, une mission globale relative au financement d'ouvrages ou d'équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public, à leur construction, à leur maintenance, à leur exploitation et, le cas échéant, à d'autres prestations de services concourant à l'exercice, par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée.

Ce mode de dévolution de la commande publique a été utilisé avec succès depuis sa mise en place par le biais d'un certain nombre de textes, notamment l'ordonnance du 17 juin 2004. Pour autant, il n'a pas été employé dans une mesure importante. C'est pourquoi le Président de la République a souhaité que ce dispositif soit stimulé et qu'il trouve pleinement sa place dans la commande publique.

Sans remonter au canal du Midi, madame la ministre, je rappelle que des dispositifs analogues ont été créés en France dès 1987, avec la loi Chalandon, qui a autorisé la passation de contrats globaux pour la construction d'établissements pénitentiaires.

D'autres mécanismes ont été prévus : l'ordonnance du 4 septembre 2003 a ainsi permis la rénovation d'établissements hospitaliers et des textes adoptés en 2002 ont autorisé le recours à des marchés uniques pour la gestion d'établissements pénitentiaires et d'immeubles affectés à la police ou la gendarmerie nationales.

À l'étranger, un certain nombre de dispositifs ont eu beaucoup plus de succès que ceux qui ont été mis en oeuvre en France. Le private finance initiative britannique constitue un exemple assez remarquable. Représentant quelque 15 % de la commande publique au Royaume-Uni, il montre tout l'intérêt que peut avoir un tel dispositif dès lors qu'il n'est pas bridé.

C'est dans ce contexte qu'a été prise en France l'ordonnance du 17 juin 2004, dont l'objectif était de créer un outil qui puisse, dans certains cas, déroger aux règles habituelles des marchés publics : en permettant à une entreprise d'assurer à la fois la construction et l'exploitation d'un ouvrage, ce qui présente l'avantage de responsabiliser le constructeur par rapport à l'entretien ultérieur de la construction ; en transférant au partenaire privé la maîtrise d'ouvrage ; en prévoyant un versement au partenaire privé de loyers - ce terme n'est peut-être pas le meilleur - tout au long de l'exécution du contrat, alors que le code des marchés publics interdit, au contraire, toute clause de paiement différé.

L'ordonnance du 17 juin 2004 a été encadrée par une décision du Conseil constitutionnel qui a strictement défini les conditions de recours au contrat de partenariat. Le Conseil a considéré que cet outil, dérogatoire au droit commun de la commande publique, ne pouvait être mis en oeuvre que pour des motifs d'intérêt général tels que l'urgence ou la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d'un équipement ou d'un service déterminé. Aussi, l'ordonnance a prévu que les contrats de partenariat ne peuvent être conclus que dans deux cas seulement : l'urgence et la complexité.

Cette ordonnance de 2004 n'a pas rencontré le succès qu'on pouvait espérer. À ce jour, 29 contrats - 22 par des collectivités territoriales et 7 par l'État - ont été signés avec un partenaire privé. Ce chiffre est toutefois discutable, car il ne couvre que les contrats de partenariats prévus par l'ordonnance de 2004, alors que des dispositifs analogues ont permis de conclure d'autres types de PPP. Je citerai ainsi les baux emphytéotiques administratifs, les BEA, les baux emphytéotiques hospitaliers, les BEH, et les autorisations d'occupation temporaire-locations avec option d'achat, les AOT-LOA, qui ont été évoqués par Mme la ministre tout à l'heure.

Ce chiffre de 29 contrats est certes modeste. Pour autant, ces contrats de partenariat concernent des secteurs assez divers comme les établissements pénitentiaires, la fourniture d'énergie, l'éclairage public de communes - notamment de petites communes -, les déchets, la culture et l'informatisation. Les montants sont très variables, allant d'environ 2 millions d'euros pour l'éclairage public d'Auvers-sur-Oise à 765 millions d'euros pour le grand stade de Lille, dont le contrat a été conclu par la communauté urbaine de Lille.

On est en droit de s'interroger sur ce recours encore timide aux contrats de partenariat. En fait, il s'explique par des critères d'ouverture restrictifs et par un régime juridique et fiscal moins attractif que celui qui s'applique aux marchés publics

C'est pourquoi nous sommes amenés à examiner ce projet de loi relatif aux contrats de partenariat.

Premièrement, il élargit les conditions de recours à ces contrats. En effet, en dehors des cas de l'urgence et de la complexité, un contrat de partenariat pourrait désormais être conclu lorsque le bilan des avantages et des inconvénients apparaît plus favorable que celui d'autres contrats de la commande publique. Pourquoi se priver de la possibilité de conclure un contrat plus favorable ? Un tel contrat pourrait également conclu pour répondre aux nécessités de certains secteurs de l'action publique jugés prioritaires tels que l'enseignement supérieur, les implantations du ministère de la défense et les infrastructures de transport s'inscrivant dans un projet de développement durable ou la rénovation urbaine. Le projet de loi apporte toutefois un double tempérament, qui renforce le côté dérogatoire de ce type de contrat : cette voie d'accès n'est ouverte que jusqu'au 31 décembre 2012 et le rapport d'évaluation ne doit pas être « manifestement défavorable » au recours au contrat de partenariat.

Deuxièmement, le projet de loi cherche à établir une neutralité fiscale : conclure un contrat de partenariat ne doit pas conduire à se voir pénalisé par une fiscalité plus lourde que celle qui est applicable aux autres modes de commande publique.

Troisièmement, le projet de loi permet la dispense d'assurance dommages ouvrage.

Quatrièmement, il prévoit un certain nombre d'assouplissements du régime juridique des contrats de partenariat.

Il s'agit, d'abord, de la possibilité de conclure un contrat de partenariat sous la forme d'une procédure négociée, alors qu'actuellement il ne peut être lancé que sous la forme du dialogue compétitif, pour les projets complexes, et de l'appel d'offres, s'agissant des projets urgents. Cette troisième procédure offerte pour la conclusion de ces contrats est plus souple.

Il s'agit, ensuite, de l'instauration d'une prime de droit que percevront les candidats dès lors que, à raison de la complexité du projet, les demandes de la personne publique impliquent un « investissement significatif » de la part de ces candidats.

Cinquièmement, le projet de loi apporte un certain nombre de clarifications qui permettent d'améliorer la sécurité juridique.

Il s'agit, tout d'abord, de la possibilité d'exploiter le domaine de la personne publique. Le texte prévoit de prendre en compte les ressources complémentaires issues de l'exploitation du domaine pour répondre à d'autres besoins que ceux de la personne publique. Cette mesure vise à conférer une base légale à une pratique largement répandue et qui est l'un des principaux atouts de la formule du contrat de partenariat car elle permet au partenaire privé de rechercher des solutions d'optimisation de l'espace alloué par la personne publique.

Il s'agit, ensuite, de l'éligibilité aux subventions, qui constitue une avancée permettant de ne pas pénaliser ce type de commande publique.

Il s'agit, enfin, de la sécurisation du mécanisme de cession de créance.

Mes chers collègues, la commission des lois vous propose d'approuver les grandes orientations du projet de loi, dont la préparation a fait l'objet d'une consultation exemplaire des acteurs publics et privés de la commande publique. À cet égard, je salue la mission pour l'appui à la réalisation des contrats de partenariat, qui a été une instance de travail et d'écoute particulièrement efficace et féconde.

Il ne s'agit donc pas de remettre en cause l'équilibre du texte qui nous est soumis et ses dispositions qui nous paraissent extrêmement favorables. Pour autant, un certain nombre d'améliorations vous seront proposées, à la fois sur la forme, avec des amendements rédactionnels, de précision ou de coordination, et sur le fond.

La première piste d'amélioration consiste à préciser les conditions de recours aux contrats de partenariat. En premier lieu, la commission suggère de faire référence à une situation imprévisible, et non pas imprévue, pour définir le critère de l'urgence. En effet, une administration ne peut pas se prévaloir de ne pas avoir anticipé un problème pour arguer de l'urgence par la suite. En deuxième lieu, il est proposé d'encadrer davantage le recours sectoriel aux contrats de partenariat. En troisième lieu, la commission souhaite étendre à la réduction des émissions de gaz à effet de serre des bâtiments publics la liste des secteurs prioritaires.

La deuxième piste a trait aux possibilités d'exploiter le domaine privé de la personne publique, que nous avons déjà évoquées précédemment. Il s'agit d'élargir les opportunités de recettes complémentaires au-delà de la durée du contrat de partenariat.

La troisième piste revient à supprimer le dispositif de cession de créance spécifique aux contrats de partenariat et aux BEH. Comme j'ai pu le constater au cours des auditions auxquelles la commission a procédé, ce dispositif n'a pratiquement pas été utilisé, à une exception près. En effet, les partenaires publics et privés ont eu quasi systématiquement recours à la « cession Dailly », mécanisme bien connu et rôdé, qui a fait l'objet d'une jurisprudence désormais établie : il apporte, nous semble-t-il, une garantie juridique supérieure à celle du dispositif, certes intéressant, mais inutilement compliqué, prévu par le projet de loi.

C'est pourquoi la commission des lois a décidé de supprimer cette cession de créance spécifique, tout en reconnaissant l'intérêt que présente la possibilité de prévoir directement dans le contrat toutes les modalités de financement du projet, permettant ainsi à l'État de poser des conditions et garanties. Un dispositif inutilisé ne nous paraît pas devoir être maintenu.

De même, la commission des lois n'a pas été convaincue par l'instauration de la dispense d'assurance dommages ouvrage. Cette garantie peut parfois rendre service. Il convient de la maintenir. En outre, dans un certain nombre de cas, la dispense pourrait aboutir à des distorsions de concurrence.

Au-delà de ces dispositions juridiques, j'espère que ce contrat de partenariat pourra, à l'avenir, représenter une part significative de la commande publique, comme dans d'autres pays qui l'ont expérimenté avec succès. Mais il faut souligner qu'une politique ambitieuse de suivi et d'accompagnement sera nécessaire.

La capacité d'expertise des décideurs publics doit être renforcée, et cela vaut pour les contrats de partenariat, mais aussi pour toute forme de commande publique. Il faut insister, en particulier, sur la méthodologie des rapports d'évaluation, qui doivent faire apparaître les avantages attendus du recours à tel ou tel type de commande publique, qu'il s'agisse notamment du coût global du projet, des délais de réalisation prévisionnels ou de la qualité architecturale.

Il est également nécessaire d'évaluer les atouts du contrat de partenariat, sans complaisance, en mesurant bien ses effets, notamment en termes de réduction des délais. Ce contrat de partenariat peut permettre de réduire les délais de construction si on ne lui met pas trop de bâtons dans les roues. Il peut également permettre de réduire les coûts, à condition d'être attentifs à la méthodologie.

Ce type de commande publique permet d'obtenir de la part du constructeur qu'il ait une vision à long terme, et non pas immédiate, de la réalisation d'un ouvrage ou d'un équipement. D'habitude, le constructeur ne s'occupe pas de la manière dont l'ouvrage va vieillir au-delà d'une dizaine d'années. Effectuer l'entretien- dans certains cas, les bâtiments doivent même être chauffés et mis en état de fonctionnement - oblige à choisir les meilleures solutions, celles qui sont les plus innovantes et les plus performantes en matière de maintenance.

Enfin, un troisième point me semble devoir être travaillé, madame la ministre : il faudra que nous ayons un jour un véritable code de la commande publique, à la fois simplifié et rationalisé, de manière, d'une part, à clarifier le partage entre les dispositions législatives et réglementaires et, d'autre part, à harmoniser les procédures applicables entre les différentes formes de PPP elles-mêmes et entre ces dernières et les marchés publics.

Mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle vous soumettra, la commission des lois vous propose de voter le projet de loi relatif aux contrats de partenariat.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

La parole est à M. le président de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Pour la bonne organisation de nos débats, et pour permettre à chacun d'organiser son dossier, la commission des lois souhaite que soit examiné en priorité l'article 29, avant l'examen de l'article 9, afin que nous puissions nous prononcer sur la cession de créance avant d'en tirer les conséquences aux articles 9 et 23.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorité formulée par la commission des lois ?

Debut de section - Permalien
Christine Lagarde, ministre

Favorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Michel Houel, rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Houel

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, désireux d'être bref, je ne reviendrai pas sur le contenu du projet de loi qui vient de nous être présenté par Mme la ministre et par M. Béteille, rapporteur de la commission des lois.

En tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, je tiens tout d'abord à remercier notre collègue Laurent Béteille, qui nous a permis d'assister à ses auditions. Je me félicite de la collaboration fructueuse entre les différentes commissions qui ont travaillé sur ce projet de loi. J'en profite pour saluer notre collègue Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances.

Je tiens également à souligner la qualité du travail effectué par le Gouvernement, qui est parvenu à synthétiser les points de vue des différents acteurs en jeu, même si des améliorations du texte demeurent souhaitables.

Ma conviction profonde est qu'il faut absolument aborder la question du contrat de partenariat sans idéologie ni parti pris. Il convient d'éviter deux écueils : vouer aux gémonies ce nouvel outil de la commande publique, ou banaliser le recours à ce contrat et l'utiliser sans discernement.

Qui dispose aujourd'hui de suffisamment de recul pour asséner des vérités définitives sur ce sujet ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Houel

On peut bien sûr se référer aux expériences étrangères, mais elles doivent être analysées avec prudence et replacées dans leur contexte.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Houel

C'est pourquoi nous devons rester pragmatiques, vigilants et mesurés dans nos jugements.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Houel

Le contrat de partenariat est un contrat dérogatoire, puisque le Conseil constitutionnel en a décidé ainsi, mais il est également riche de promesses qui demandent à être validées ou infirmées par l'expérience.

Concrètement, madame la ministre, les réflexions de la commission des affaires économiques se sont articulées autour de trois grands axes : premièrement, faire de l'évaluation préalable la pierre angulaire de la commande publique ; deuxièmement, renforcer le rôle des petites et moyennes entreprises au sein des contrats de partenariat ; troisièmement, respecter, bien sûr, le droit communautaire et les décisions juridictionnelles.

Concernant le premier axe, il nous a semblé essentiel de faire de l'évaluation préalable la clef de voûte de la commande publique.

Tout d'abord, la commission des affaires économiques, saisie pour avis, appelle de ses voeux une refonte de la méthodologie servant de fondement à l'évaluation préalable, qui est d'ores et déjà une formalité obligatoire avant toute conclusion par l'État ou l'un de ses établissements publics d'un contrat de partenariat.

Cette méthodologie rénovée aurait notamment pour but de dissiper les équivoques sur le coût des contrats de partenariat en obligeant les autres contrats de la commande publique à révéler leurs « coûts cachés ». En effet, il est tout de même curieux que le contrat de partenariat soit obligé d'afficher en toute transparence ses « coûts complets », tandis que les autres contrats de la commande publique pourraient se dissimuler derrière un maquis d'approximations et de non-dits. Quels sont ces coûts cachés ? On peut citer par exemple les coûts indirects, les coûts à long terme et les coûts d'opportunité.

Je souhaite vivement que cette méthodologie soit élaborée par la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat - la MAPPP -, rattachée au ministère de l'économie, épaulée par la Cour des comptes, les ministères concernés et les professionnels du secteur. Ce n'est qu'avec un référentiel commun élaboré en toute transparence et avec tous les acteurs concernés que l'on pourra éviter certaines polémiques et juger le plus objectivement possible du bien-fondé du recours à un contrat de partenariat.

Ensuite, la commission des affaires économiques souhaite que l'État ait un comportement exemplaire en matière d'évaluation de ses grands projets d'investissement. C'est pourquoi elle vous proposera un amendement tendant à ce que tous les projets d'envergure d'autorisations d'occupation temporaire du domaine public de l'État soient passés au crible de l'évaluation préalable. Autrement dit, tous les projets de baux concernant des bâtiments à construire et conclus dans le cadre d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public devront être soumis à une évaluation préalable, comme les contrats de partenariat.

Il m'apparaît indispensable d'identifier, au cas par cas, le montage juridique et financier le plus approprié pour réaliser un projet grâce à cette réflexion préalable, gage - j'en suis persuadé - d'économies pour les finances publiques.

Cet amendement est donc la première étape, décisive, sur le chemin de la modernisation de la commande publique. L'objectif est que, à terme, tout projet de l'État relatif à un marché public complexe ou à une délégation de service public, dépassant un seuil financier élevé, fasse l'objet d'une évaluation préalable.

Le deuxième axe de notre réflexion vise naturellement à renforcer le rôle des PME au sein des contrats de partenariat.

D'une part, la commission des affaires économiques vous proposera de permettre la conclusion de contrats de partenariat pour les besoins en infrastructures de transport au sens large et pour réduire les émissions de gaz à effet de serre des bâtiments publics. Bien souvent, dans ces deux cas de figure, les PME peuvent en effet jouer un rôle non négligeable.

D'autre part, nous préconiserons de consacrer l'existence des groupements d'entreprises pour soumissionner aux contrats de partenariat, car trop peu de PME ont aujourd'hui été retenues comme titulaires. En effet, seuls trois contrats de partenariat sur les vingt-sept conclus depuis 2004 ont été remportés par des groupements de PME. Or, vous le savez, madame la ministre, les PME sont la richesse de la France.

Les PME ne doivent pas être cantonnées au rôle de prestataires. Elles doivent pouvoir remporter certains contrats de partenariat de taille moyenne. C'est un chantier long, ambitieux et difficile, mais les personnes publiques doivent, là encore, donner l'exemple et favoriser l'accès des PME aux contrats de la commande publique, sans bien évidemment rompre le principe d'égalité entre les entreprises.

Enfin, le troisième axe de nos travaux porte sur le respect des normes communautaires et des décisions juridictionnelles. La commission des affaires économiques vous soumettra un amendement relatif au dialogue compétitif afin de mettre le droit national en conformité avec le droit communautaire. Nous avons surtout eu le souci de respecter l'esprit et la lettre des décisions du Conseil constitutionnel. À cet effet, nous vous proposerons plusieurs aménagements du projet de loi afin de satisfaire à ces exigences, sans pour autant bouleverser l'équilibre du texte. Tel est le cas, par exemple, d'un amendement visant à modifier la définition de l'urgence justifiant le recours à un contrat de partenariat ou d'un autre amendement tendant à rendre plus strictes les conditions d'accès à la voie sectorielle transitoire créée par les articles 2 et 16 du projet de loi.

Tels sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, brièvement résumés, les principaux axes des réflexions de la commission des affaires économiques sur ce projet de loi. La commission l'ayant jugé globalement équilibré et mesuré, elle est favorable à son adoption, sous réserve du vote des vingt-sept amendements qu'elle présentera.

Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Georges Mouly applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

La parole est à M. Charles Guené, rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des finances s'est saisie pour avis d'un nombre limité d'articles du projet de loi en discussion aujourd'hui. Elle a jugé nécessaire d'apporter son éclairage sur les dispositions qui déterminent les conditions de recours aux contrats de partenariat, sur celles qui tendent à la neutralité fiscale, ainsi que sur l'article relatif aux cessions de créances. Elle a également souhaité mesurer toutes les conséquences budgétaires et comptables du nouveau train de PPP annoncé par le Gouvernement, dont je me félicite à titre personnel, car il m'apparaît porteur d'une modernisation de l'investissement public.

Quels sont les traits dominants de l'investissement public en France aujourd'hui ?

Contrairement à certaines idées reçues, l'investissement public est stable en pourcentage du PIB depuis trente ans. Il a même progressé de 0, 5 point de PIB au cours des quatre dernières années. De manière globale, notre pays ne souffre donc pas d'un manque d'investissement public, dont le niveau est d'ailleurs bien supérieur à celui qu'atteignent nos principaux partenaires, qu'il s'agisse de l'Allemagne ou du Royaume-Uni.

En revanche, la part de l'investissement public réalisé en partenariats public-privé reste beaucoup plus faible en France que chez certains de nos partenaires, comme au Royaume-Uni, où il représente, selon les années, entre 10 % et 15 % de la formation brute de capital fixe publique. Les investissements réalisés en PPP dans ce pays depuis 1997 représentent aujourd'hui près de 60 milliards d'euros. En outre, un nouveau train de PPP est attendu dans les cinq prochaines années, pour un montant d'environ 33 milliards d'euros.

En France, malgré l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat, le phénomène des PPP reste extrêmement limité. Selon les chiffres obtenus - ils ont déjà été évoqués - auprès du ministère du budget, on atteint en contrats signés, tous PPP et toutes administrations confondus, un montant de seulement 1, 6 milliard d'euros, soit 3, 3 milliards d'euros en valeur actuelle nette.

Or certains des travaux de contrôle de la commission des finances, en particulier dans le domaine immobilier, ont souligné les défaillances de la maîtrise d'ouvrage de l'État en ce qui concerne le respect des délais et des coûts. C'est dans ce domaine que nous pouvons attendre des améliorations des PPP.

Naturellement, ces progrès qualitatifs dans l'investissement public seront au rendez-vous si un certain nombre de conditions, que je me suis permis de baptiser « règles d'or », sont respectées. Rassurez-vous, il n'y en a que cinq !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La première règle est de profiter de l'expérience des PPP au Royaume-Uni.

Que nous apprend-elle ?

D'abord, seule l'efficacité économique, c'est-à-dire le value for money, doit être prise en compte avant de recourir à ces contrats innovants. On peut ainsi considérer qu'un écart d'efficience de 5 % - c'est une marge d'erreur technique -, après neutralisation de la fiscalité, entre un investissement classique et un contrat public-privé permet de légitimer économiquement un PPP.

Ensuite, certaines opérations n'enregistrent pas de gains substantiels. Le Trésor britannique considère que les opérations inférieures à 20 millions de livres, comme celles qui concernent les systèmes d'information, ne présentent pas, en général, un bilan coût-avantage suffisant. S'agissant des investissements d'un montant limité, je pense que l'on peut préférer aux contrats de partenariat des outils plus légers en termes de procédures, comme les baux emphytéotiques administratifs, les BEA, bien adaptés aux petites collectivités locales.

Deuxième règle, il importe de bâtir des indicateurs de performance de l'investissement public. Il faut, en particulier, que l'État soit capable de mesurer le respect des délais et des coûts figurant dans les cahiers des charges et d'en rendre compte au Parlement. En outre, de tels indicateurs permettraient d'établir des comparaisons utiles entre PPP et maîtrise d'ouvrage classique.

Troisième règle, en matière d'évaluation préalable, comme en matière de contrôle ex-post, la constitution d'un référentiel d'analyse financière rigoureux est indispensable. Ce référentiel doit être commun entre les administrations publiques et la Cour des comptes, afin d'intégrer des éléments de coût identique dans les calculs.

Quatrième règle, il convient d'étoffer les équipes de maîtrise d'ouvrage des différents ministères, en leur permettant de recourir à un marché de bons de commande interministériels pour des expertises extérieures, qui deviennent cruciales dans la négociation avec les cocontractants privés.

La réussite des PPP, comme de tout investissement, tient autant à l'évaluation préalable qu'à la conduite du projet et à son suivi dans la durée. Or, si la mission d'appui aux partenariats public-privé du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi permet une évaluation préalable approfondie, les mêmes garanties ne sont pas toujours apportées dans l'exécution de l'investissement et dans le suivi du contrat. Pourtant, compte tenu de la complexité des projets en général, ces deux points sont déterminants pour assurer la réussite financière finale des PPP.

Cinquième règle, il faut faire de la consolidation des engagements financiers liés aux PPP dans la dette publique le principe, et de la déconsolidation l'exception. C'est, me semble-t-il, important.

Ne nous le cachons pas, dans un contexte de montée des tensions budgétaires, les risques d'optimisation budgétaire liés aux PPP existent. Si, comme le souhaite le Gouvernement, 15 % des investissements publics étaient réalisés en PPP et si la totalité n'était pas prise en compte dans la dette au sens « maastrichtien » du terme, 10 milliards d'euros supplémentaires annuels, soit 0, 6 point de PIB, n'apparaîtraient pas dans la dette publique, qui a atteint 64, 2 % en 2007.

La recherche par les gestionnaires de la déconsolidation - ce n'est pas un cas d'école, comme le montre le très récent contrat de partenariat sur les prisons - peut conduire à un transfert de risques excessif au partenaire privé, avec pour conséquences une augmentation des coûts et un rétrécissement des conditions de mise en concurrence. Dans ces conditions, les effets comptables, c'est-à-dire l'amélioration faciale de la dette, pourraient conduire à un « sous-optimum » économique des contrats conclus par la personne publique.

Au Royaume-Uni, 87 % des contrats public-privé, représentant 54 % des volumes investis, sont déconsolidés.

Madame la ministre, au sein de l'exécutif comme du Parlement, nous ne sommes pas encore suffisamment armés pour vérifier la soutenabilité des engagements budgétaires de long terme pris par les administrations. Or, au-delà du respect nominal des indicateurs de Maastricht, ce qui est fondamental pour les générations futures, c'est la soutenabilité de notre politique budgétaire à moyen et long terme.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

À cet égard, j'ai bien entendu tout à l'heure votre volonté de conserver une gestion rigoureuse, madame la ministre.

Compte tenu de ces cinq règles d'or, la commission des finances vous proposera quatorze amendements visant à assurer un lien entre son travail législatif et ses missions de contrôle, en faisant en sorte que le législateur évite des choix de gestion, sur la base, par exemple, d'évaluations allégées, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

...que le contrôleur budgétaire pourrait ensuite reprocher aux administrations.

La philosophie de ces amendements est simple et tient en trois points.

Premier point, assurer un caractère systématique et réel à l'évaluation financière préalable des PPP. Selon la commission des finances, malgré l'existence, pour le recours aux contrats de partenariats, de critères liés à la complexité, à l'urgence, ainsi qu'à l'existence de secteurs prioritaires, critères qui résultent d'un compromis laborieux avec les exigences du Conseil constitutionnel, les arbitrages doivent avant tout reposer sur une logique financière. Je propose d'ailleurs que ceux-ci s'effectuent hors taxes, afin que la prise en compte de la fiscalité ne fausse pas les arbitrages éventuels en faveur d'une externalisation des activités de l'État.

Quelles que soient les circonstances, cette démarche d'évaluation préalable impose des chiffrages rigoureux. On voit mal les cas concrets où les gestionnaires publics devraient se contenter d'une évaluation succincte pour justifier d'un PPP. Jusqu'à présent, une catastrophe naturelle n'a jamais empêché les administrations de fonctionner et d'évaluer correctement leurs investissements. Or une évaluation préalable est la meilleure garantie de succès d'un PPP et de respect des délais et des coûts.

On voit également mal comment une évaluation défavorable, même pour des secteurs considérés comme prioritaires, pourrait justifier le recours à un PPP, dont l'objectif est précisément d'optimiser les coûts d'investissement de la puissance publique.

Deuxième point, supprimer les frottements fiscaux, qui pourraient autrement conduire à des biais dans les arbitrages des responsables d'administration sur les modalités de leur investissement. Dans ce domaine, des progrès sont souhaitables par rapport au texte que vous nous proposez, madame la ministre.

Certains relèvent du domaine règlementaire, au moins formellement. Il en est ainsi de l'alignement des PPP sur le régime des investissements publics s'agissant du salaire du conservateur des hypothèques, de la taxe locale d'équipement et des taxes qui lui sont associées.

Toutefois, madame la ministre, comme l'assiette de l'impôt relève fondamentalement du domaine de la loi, conformément à l'article 34 de la Constitution, vous me permettrez de formuler un souhait : les textes que vos services rédigeront sur le sujet devront bien viser l'ensemble des PPP, et pas seulement les contrats de partenariat.

Pour ma part, je vous proposerai d'autres amendements concernant la même problématique, c'est-à-dire la neutralité fiscale. L'un d'entre eux concernera l'éligibilité des baux emphytéotiques administratifs au fonds de compensation pour la TVA, le FCTVA, dans les mêmes conditions que les contrats de partenariat.

Je le rappelle, ce fonds vise à neutraliser la TVA dans la réalisation des investissements locaux, quels que soient les montages juridiques utilisés. En effet, on imagine mal comment un investissement pourrait être discriminé au regard du FCTVA sur la base de son seul montage juridique.

En outre, les élus locaux comprendraient mal que l'État, par la voix du Gouvernement, leur propose un grand nombre d'exonérations d'impôts locaux pour les PPP - je pense notamment à la taxe de publicité foncière, au versement pour le dépassement du plafond légal de densité ou à la taxe locale d'équipement - et ne fasse pas le moindre effort à propos du FCTVA, alors qu'il s'agit non pas réellement d'une perte fiscale, mais plutôt de ce que je qualifierais de « perte d'opportunité ».

Troisième point, préférer un mécanisme de cession des créances issu des contrats de partenariat banalisé et connu des acteurs économiques financiers - cela s'appelle la « cession Dailly » -, plutôt qu'un dispositif spécifique, tel qu'il nous est proposé dans le projet de loi. À cet égard, nous avons eu, dernièrement, une modification qui mériterait discussion.

Sous réserve de l'adoption de ces amendements et sous le bénéfice des cinq règles d'or que j'ai énumérées, la commission des finances a émis un avis favorable sur le présent projet de loi.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Billout

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelques mois seulement après l'annonce de la volonté présidentielle de stimuler l'investissement privé dans le secteur public, le Parlement est saisi d'un projet de loi tendant à développer les contrats de partenariat, forme juridique spécifique des fameux partenariats public-privé.

Actuellement, ce type de contrat est régi par l'ordonnance du 17 juin 2004, dont l'utilisation est jugée bien décevante par le Gouvernement.

Cette loi vise donc à libérer les contraintes financières et juridiques, dont la mise en oeuvre est jugée trop lourde, et à en faire le droit commun de la commande publique, et ce malgré le caractère inconstitutionnel de ce nouveau texte, comme ma collègue Josiane Mathon-Poinat le démontrera en défendant la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Pour ma part, je m'attacherai à démontrer que ce texte est peu pertinent pour stimuler la croissance économique et que son opportunité politique n'a de sens qu'à l'aune des critères de rigueur imposés par la Commission européenne et le Gouvernement français.

En effet, nous nous trouvons dans une situation paradoxale.

Pour relancer l'économie, le Gouvernement doit obligatoirement stimuler l'investissement public, notamment dans les grands équipements. Aujourd'hui, cet investissement correspond à seulement 3, 8 % du PIB. Cela s'explique par les fameux critères de Maastricht, dont le seuil de 3 % de déficit public conduit l'État à limiter son action. Dans ce cadre, le recours à l'investissement privé apparaît donc nécessaire.

Parallèlement, les gouvernements successifs de droite, notamment depuis la loi de décentralisation de 2004, ont organisé le désengagement massif de l'État de ses fonctions régaliennes, en confiant de plus en plus de compétences aux collectivités territoriales. Celles-ci ont vu leurs compétences augmenter, sans pour autant que les moyens suffisants pour mettre en oeuvre leurs nouvelles missions leur soient concédés. Elles sont aujourd'hui asphyxiées et rencontrent beaucoup de difficultés à engager de nouveaux projets. Selon ce texte, les contrats de partenariats constitueraient donc une solution leur permettant de faire face au désengagement de l'État.

Ainsi, nous sommes dans un schéma où l'État se décharge sur les collectivités, qui se retourneront à leur tour sur le secteur privé pour effectuer les investissements financiers nécessaires à la réalisation des équipements publics et à leur gestion.

Dans le même temps, l'État privatise les services et les équipements publics pour financer le remboursement de la dette, comme ce fut le cas avec la privatisation des autoroutes. Il se prive donc des ressources pérennes lui permettant de financer les investissements nécessaires dans de nombreux domaines et de tous les leviers pour réaliser une programmation cohérente et nationale des investissements dans le secteur public. C'est une spirale du déclin, et ce alors que les besoins sont immenses.

Nous ne souscrivons pas à un tel projet. Selon nous, l'État doit au contraire se libérer des contraintes de rigueur budgétaire drastique imposées par la Commission de Bruxelles. Il s'agit non pas de réduire sa capacité d'action, mais, bien au contraire, de lui donner des moyens supplémentaires.

Cela devrait se traduire par une réforme de la fiscalité taxant plus justement la spéculation financière et les profits. La France est un pays riche qui dispose des ressources nécessaires pour mener à bien sa mission de cohésion nationale, d'aménagement du territoire et de service public.

De plus, ce texte est un miroir aux alouettes. En effet, si les collectivités seront dédouanées de l'investissement initial, elles devront s'acquitter d'une forme de loyer au profit du cocontractant privé.

Il s'agit donc de faire passer des dépenses d'investissement en dépenses de fonctionnement, procédé qui grèvera durablement le budget des collectivités et limitera, à terme, leur capacité d'intervention. C'est un système qui peut se révéler pernicieux.

Par ailleurs, comment ne pas reconnaître que ces fameux contrats de partenariats n'ont pas fait leur preuve, en France comme en Europe ?

C'est notamment le cas en Europe. Permettez-moi de revenir sur l'expérience britannique, puisqu'elle a été abordée, en prenant l'exemple du métro londonien, qui doit nous inciter à la plus grande prudence. Ainsi, que se passe-t-il quand l'opérateur privé est défaillant ? Le risque est sérieux que la structure privée soit purement et simplement mise en faillite si l'opération n'est pas jugée assez rentable par les actionnaires. Les pouvoirs publics et les contribuables devront alors payer la facture. Est-ce là une bonne conception du partage des risques ?

La Fédération européenne des services publics est également très critique sur la lourdeur administrative et financière de mise en oeuvre de ces PPP.

En France, le rapport de la Cour des comptes de cette année a pointé plusieurs exemples où la conclusion de contrats de partenariat s'est révélée plus coûteuse pour la collectivité qu'une autre solution. Je mentionnerai ainsi les cas du centre d'archives du ministère des affaires étrangères et du pôle de renseignement du ministère de l'intérieur.

Je me permettrai également de vous rappeler l'expérience des marchés d'entreprise et de travaux publics ont conduit à de graves dérives, comme l'affaire des lycées d'Île-de-France. Ils ont finalement été prohibés en 2001 par le code des marchés publics.

Dans le secteur spécifique des transports terrestres, selon le rapport de la mission d'information sur le fonctionnement et le financement des infrastructures de transports terrestres, « la voie des PPP ne saurait en aucun cas constituer une solution miracle au problème du financement des infrastructures de transport. En effet, ce secteur n'est sans doute pas le plus approprié à une large utilisation des partenariats avec le secteur privé. La preuve en est donnée non seulement par les difficultés rencontrées par certains projets français comme le tram-train de Mulhouse, mais aussi par l'exemple du Royaume-Uni où l'utilisation très fréquente de ce type de contrat n'a finalement laissé qu'une part très faible aux infrastructures de transport avec 8 % des projets, très loin derrière le secteur de la santé, des prisons ou de la défense. »

Afin d'inciter au développement des partenariats public-privé, vous souhaitez garantir une stricte neutralité fiscale entre les différentes formes de la commande publique. Ainsi, cette nouvelle loi offre aux contrats de partenariat les avantages fiscaux des marchés publics, notamment par l'octroi de subventions prévues par la loi MOP.

Pourquoi pas, mais le parallélisme n'est pas total. Ainsi, vous permettez, pour les contrats de partenariat, le recours à une procédure négociée. Cette possibilité est par ailleurs réclamée depuis longtemps par les collectivités pour l'ensemble des formes de marchés publics. Ne serait-il pas alors opportun de leur permettre également le recours à ce type de négociation ?

De plus, cette nouvelle forme juridique est assortie, contrairement aux marchés publics, non seulement d'une grande souplesse contractuelle, mais également d'un allégement de la législation pénale. Avec l'expérience des METP, nous connaissons pourtant les risques importants de dérives en termes d'ententes illicites ou de favoritisme.

Par ailleurs, comment les collectivités dont les moyens sont limités pourront-elles mettre en oeuvre un tel arsenal ? Elles devront souvent faire appel à la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat qui est rattachée au ministère, dont on connaît les objectifs. Le barreau des avocats de Paris avait dans ce cadre contesté, lors d'un recours, le caractère exorbitant des compétences confiées à une telle mission, notamment au niveau de la négociation. Tout cela conduit encore à une opacité des règles d'attribution dans la commande publique.

Ainsi, ce texte ne répondra pas aux difficultés rencontrées par les collectivités dans la commande publique.

En outre, si nous ne sommes pas opposés par principe au recours à l'investissement privé, cette forme particulière n'emporte pas notre agrément puisqu'elle vise à la systématisation de l'utilisation du contrat de partenariat par simple idéologie.

La faculté de l'État et de ses établissements publics, des collectivités locales de recourir aux contrats de partenariat est étendue par ce texte. En effet, jusqu'en 2012, peu de conditions seront requises pour recourir à ce type de contrat dans de nombreux secteurs comme les transports, la défense, les équipements de santé... Pour les autres secteurs, il suffira simplement de démontrer une évaluation positive et favorable aux autres formes de la commande publique. Il est alors plus qu'opportun, comme vous le faites dans ce texte, de doter ce nouveau contrat d'un régime fiscal particulièrement avantageux.

Cette généralisation soulève de nombreuses questions.

Il s'agit d'un contrat global qui porte à la fois sur l'architecture, sur tous les corps de métiers, toutes les formes de construction, toutes les entreprises de bâtiments, sur le choix du banquier et du gestionnaire, ainsi que de l'entreprise qui assumera l'entretien. Comment croire alors que d'autres entreprises que les géants du BTP pourront répondre à ces appels d'offres ?

Autrement dit, il en est fini de la reconnaissance d'intérêt général de l'architecture, et de l'indépendance des architectes puisque ceux-ci seront voués à être de simples sous-traitants des grands groupes ayant obtenu les marchés. Le principe de la dualité entre la maîtrise d'ouvrage public et la construction posé par la loi MOP n'est pourtant pas une vue de l'esprit ; il correspond à la reconnaissance de la spécificité de l'architecture et des enjeux liés à l'urbanisme.

De surcroît, ce projet pénalise grandement les PME, qui sont vouées à devenir de simples sous-traitantes des groupes monopolistiques privés. Cela comporte de lourds risques pour le développement économique local. Initialement, le texte prévoyait même de revoir à la hausse les seuils de résultat permettant de caractériser les PME.

Nous nous retrouvons finalement dans un schéma où le rapport de force est inversé. C'est l'offre qui fera la demande, comme le reconnaît expressément l'article 10 de l'ordonnance prévoyant que les cocontractants peuvent eux-mêmes solliciter auprès des collectivités la conclusion d'un contrat de partenariat « clés en main ».

Qu'en sera-t-il des projets non rentables qui n'intéresseront pas le secteur privé ? L'aménagement du territoire doit-il être décidé et guidé par les seuls intérêts financiers des grands groupes ? Autant de questions fondamentales déjà posées par l'ordonnance et qui s'expriment plus fortement encore dans votre projet de loi.

Il faut donc être clair sur les objectifs poursuivis. L'appel aux capitaux privés a un corollaire que vous ne pouvez passer sous silence : c'est la rémunération des fonds investis. Cette rémunération se traduit notamment par l'utilisation du domaine public à des fins commerciales, par la réalisation de baux commerciaux. Il s'agit là d'une atteinte possible à la vocation de service public.

Par ailleurs, ces baux privés pourront être conclus pour des durées longues, jusqu'à quatre-vingt-dix-neuf ans, et pourront se traduire par des autorisations de constructions. Une évaluation de la pertinence de l'occupation du domaine public sera donc impossible et les mauvais choix quasi irréversibles.

Au final, les infrastructures non rentables seront confiées au secteur public alors que celles qui seront jugées rentables seront réalisées par le secteur privé. Autrement dit, nous nous retrouvons dans un schéma où l'on privatise les gains et où l'on socialise les pertes. Cette piste ne nous paraît donc pas pertinente.

D'autant que, si la rémunération du cocontractant dans le contrat de partenariat passe par un loyer payé par la personne publique, rien n'empêche celui-ci de « tirer bénéfice de l'exploitation d'autres besoins que ceux de la personne publique du domaine, des ouvrages ou des équipements dont il a la charge ».

Autre question qui nous semble fondamentale et particulièrement inquiétante, l'article 1er dispose que le partenaire pourra recevoir mandat « pour encaisser, au nom et pour le compte de la personne publique, le paiement par l'usager final de prestations revenant à cette dernière », ce qui semble signifier qu'il pourra exécuter le service public avec son propre personnel. Cela pose tout de même question quant à l'avenir de la fonction publique.

On peut également s'interroger sur l'augmentation attendue dans la qualité de la gestion et le service rendu par une société privée. En effet, l'État ou la collectivité devra payer un loyer pendant vingt, trente ou quarante ans. Comment pourra-t-on démontrer, à partir des éléments dont on disposera au moment de l'évaluation, que le partenariat public-privé est préférable à la délégation de service public ou à l'appel au marché classique ?

La meilleure productivité du secteur privé est une affirmation non fondée. Bien au contraire, pour ne prendre qu'un seul exemple, partout en France, des collectivités s'interrogent sur la pertinence d'une véritable gestion publique de l'eau au regard des dérives tarifaires des grands groupes privés, qui ont réalisé des profits records dans ce domaine.

En outre, le développement tant espéré de ce type de contrat ne permettra pas de répondre aux immenses besoins de financement dans les secteurs clefs de l'économie.

Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment que la réalisation d'infrastructures d'intérêt général doit être prévue sur le long terme et dégagée des aléas des marchés financiers. Nous soutenons donc que le Gouvernement, notamment par la loi de finances, doit faire le choix d'une action forte pour répondre aux besoins d'équipements publics.

Si nous pouvons comprendre dans certains cas l'intérêt des délégations de service public ou des marchés publics, nous jugeons négativement le fait que le privé soit, en fait, à l'initiative de la prise de décision d'investissement public.

L'aménagement du territoire et l'existence de services publics sont des missions qui reviennent à la puissance publique, qui incarne l'intérêt général. Nous ne pourrons donc voter ce texte en l'état. §

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans mon département, nous avons engagé, voilà une dizaine d'années, et nous en sommes satisfaits, un système de marchés d'entreprise de travaux publics ; il s'agit, en quelque sorte, de l'ancêtre du partenariat public-privé. J'interviens donc ici sans hostilité de principe à l'égard de ce texte, ce qui ne m'empêche pas d'émettre quelques réserves.

Les collectivités représentent 73 % de l'investissement public. Il y a, certes, beaucoup de retard dans la réalisation des projets.

Les contrats de partenariat public-privé ont été créés par une ordonnance du 17 juin 2004 ; ils doivent permettre aux personnes publiques de rémunérer, sur la totalité de la durée du contrat, un partenaire privé chargé de financer, de réaliser, de gérer et d'exploiter un équipement ou une infrastructure nécessaire au service public. Leurs avantages sont incontestables, en particulier une souplesse accrue.

Ce type de contrat permet à la collectivité de réaliser rapidement des équipements, alors qu'elle manque souvent de services techniques performants. De plus, il peut générer des économies, dans la mesure où celle-ci n'a pas forcément recours à des bureaux d'études, qui coûtent très cher.

Les collectivités locales y ont un intérêt évident, les organismes bancaires également, lesquels ne prennent aucun risque, puisque le remboursement est assuré par la personne publique, peu susceptible de faire défaut.

Il reste des inconvénients, qui ne doivent pas être balayés d'un revers de main.

Tout d'abord, une réserve tient à la position du Conseil constitutionnel. La généralisation des partenariats public-privé est contraire à trois principes de nature constitutionnelle : l'égalité devant la commande publique, la protection des propriétés publiques et le bon usage des deniers publics.

Ensuite, cette forme de partenariat aboutit à une privatisation larvée. Je ne prendrai qu'un seul exemple, celui des TOS, qui ont été transférés aux départements et aux régions en vertu des lois de décentralisation. Ni les conseils généraux ni les conseils régionaux ne souhaitent s'en charger ; les TOS peuvent, demain, être supprimés progressivement, dès l'instant où l'on s'engagerait dans ce système de partenariat public-privé.

Du fait de l'inégalité d'accès à ces contrats entre les PME et les grands groupes, le risque est grand de voir disparaître de nombreuses PME, qui sont pourtant indispensables à notre économie locale.

Autre inconvénient, qui n'est pas mince pour la collectivité : qu'adviendrait-il si l'une de ces entreprises, durant la durée du contrat, venait à « fondre les plombs », si vous me permettez cette expression familière ? C'est incontestablement un problème, évoqué d'ailleurs par mes éminents collègues rapporteurs ; leur attitude prudente tranche légèrement, je dois le dire, avec l'enthousiasme de Mme la ministre.

Je voudrais également souligner un inconvénient beaucoup plus pernicieux : des collectivités qui n'auraient pas de crédits immédiatement disponibles pourraient s'engager à réaliser très rapidement des investissements. Ce serait une traite tirée sur l'avenir et les successeurs risqueraient de se trouver dans des situations extrêmement délicates. Au final, ces investissements généreraient un surcoût.

Vous me permettrez aussi, madame la ministre, d'évoquer la méfiance que suscite le modèle anglo-saxon qu'on voudrait nous présenter comme étant la panacée : celui-ci est radicalement opposé à la logique du service public français auquel un certain nombre d'entre nous sont particulièrement attachés.

J'ai évoqué la méfiance que pouvait susciter votre enthousiasme, madame la ministre, bien que celui-ci soit légèrement tempéré, je l'ai dit tout à l'heure, par l'attitude beaucoup plus prudente de mes collègues rapporteurs. Cette prudence me paraît de mise, de même qu'il me paraîtrait utile d'engager une simplification. Il faudrait en effet que ces contrats soient parfaitement compris par nos concitoyens, qui sont en même temps des contribuables !

Donc, pas de précipitation, pas de généralisation. N'oublions tout de même pas que de nombreux investissements réalisés par les collectivités ne sont absolument pas rentables et, dans ces cas-là, le privé ne sera pas au rendez-vous. Je constate qu'il y a peu de piscines privées, de stades privés dans notre pays ; c'est tout de même curieux !

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Il en existe, certes, quelques-uns ; ce ne sont d'ailleurs pas toujours des réussites. J'aimerais savoir, monsieur le maire de Marseille, combien de stades privés ont été édifiés dans des villes de 2 000 ou 3 000 habitants...

Enfin, je voudrais vous faire part de notre très grande méfiance au sujet d'une baisse des fonctionnaires qui ne dit pas son nom.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

M. François Fortassin. À l'évidence, vous êtes dans la logique que vous défendez, mais il faut aller au bout de la vérité, madame la ministre.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures trente-cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

Monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur la situation en Afghanistan.

Au nom du Sénat tout entier, je vous remercie, monsieur le Premier ministre, de venir devant nous aujourd'hui, car nous pouvons ainsi débattre, au même titre que l'Assemblée nationale et peu de temps après nos collègues députés, sur cette question si importante de l'envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan.

Après avoir consulté les groupes politiques, j'ai cru nécessaire de réunir en urgence la conférence des présidents afin d'organiser ce débat. Les modalités d'organisation ont été communiquées à chaque sénatrice et sénateur au sortir de la conférence des présidents.

Voici le déroulement de ce débat.

À la suite de l'intervention de M. le Premier ministre, nous entendrons le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui disposera ès qualités de dix minutes.

Ensuite, chaque groupe politique disposera d'un temps de parole de dix minutes et la Réunion des sénateurs non inscrits de cinq minutes.

Ainsi, chacun pourra faire part à notre assemblée de son sentiment.

Puis, le Gouvernement répondra aux orateurs par la voix du ministre des affaires étrangères et européennes et du ministre de la défense.

La parole est à M. le Premier ministre.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons tous encore en mémoire les attentats du 11 septembre 2001. Nous avons alors découvert avec effroi la violence du terrorisme de masse.

Ce jour-là, un défi sanglant et morbide était lancé à toute la communauté internationale. La source de cet attentat se situait en Afghanistan, avec le soutien du régime obscurantiste des talibans.

Dès l'automne 2001, six résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU sont venues préciser le cadre dans lequel devait s'exercer la réponse des nations. La résolution 1368 ouvrait le droit à la légitime défense, la résolution 1373 appelait à la collaboration de tous les États contre le terrorisme, la résolution 1378 définissait le cadre dans lequel devait s'inscrire l'avenir démocratique de l'Afghanistan, la résolution 1386 créait la Force internationale d'assistance à la sécurité, dont le mandat a été renouvelé chaque année et étendu progressivement à l'ensemble de l'Afghanistan.

Le 7 octobre 2001, les États-Unis engageaient les opérations militaires, épaulés notamment par la France, qui avait ouvert son espace aérien, noué une coopération navale et offert son appui en matière de renseignements.

Le 10 octobre 2001, Lionel Jospin, alors Premier ministre, venait exposer au Parlement la position française à la suite des attentats du 11 septembre. Puis, le 21 novembre, il venait préciser à l'Assemblée nationale les termes de l'engagement de la France en Afghanistan.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République a souhaité que la représentation nationale soit informée de la politique de la France en Afghanistan.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

II a voulu ce débat afin d'éclairer les décisions que prendra notre pays, décisions qui ne sont pas encore arrêtées.

Tout au long de la Ve République, et contrairement à ce qu'on laisse entendre, le Parlement a été régulièrement informé des opérations militaires.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Mais il est exact qu'il ne partage pas la responsabilité de l'engagement de nos forces.

Une raison l'explique : la Constitution de la Ve République ne le prescrit pas. Son article 35, selon lequel « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement », est aujourd'hui tombé en désuétude. Les formes modernes de la guerre nous ont heureusement éloignés de cet article. L'engagement des forces militaires est du ressort du pouvoir exécutif et notamment du Président de la République, chef des armées. Notre situation est, en cela, comparable à celle de la Grande-Bretagne. Cette prérogative du pouvoir exécutif n'exclut pas pour autant l'information et le débat, et je souhaite que celui-ci soit utilisé de manière plus systématique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

En informant un parlement étranger avant le parlement français ?

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Et cela d'autant plus que, depuis les années quatre-vingt, les grands engagements stratégiques et militaires de notre pays ont tous été conclus dans un esprit d'union nationale, ce dont nous devons nous féliciter.

L'implication du Parlement relève de l'information et du débat en fonction des situations.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

L'opération sur Kolwezi en 1978 avait donné lieu à une information de la représentation nationale, de même que notre intervention au Tchad en 1983, mais, je le note au passage, pas celle de 1984.

Notre intervention au Kosovo, en mars 1999, avait été l'occasion d'un débat sans vote, deux jours après le début des bombardements.

En 2006, un débat a eu lieu deux mois après le vote de la résolution créant la FINUL II.

Enfin, la participation de la France aux opérations militaires en Afghanistan à partir de décembre 2001 a donné lieu à un débat sans vote, après une intervention de Lionel Jospin.

Seul notre engagement militaire au cours de la première guerre du Golfe a fait l'objet d'un vote consécutif au débat, selon la procédure du premier alinéa de l'article 49, à l'Assemblée nationale, et du quatrième alinéa de l'article 49, au Sénat. II s'agissait d'une opération massive analogue à une entrée en guerre contre un État souverain qui avait envahi son voisin, et personne ici ne peut confondre cet événement avec celui qui nous occupe à présent.

Dois-je également rappeler que ce vote est intervenu quelques heures seulement avant le déclenchement des hostilités armées, et alors même que l'ensemble du dispositif Daguet de 12 000 hommes était déjà positionné depuis plusieurs mois ? Certains d'entre vous ont participé à ce débat et en conservent un souvenir aigu ; je reconnais que je l'avais oublié, car je me trouvais à cet instant auprès des forces françaises en Arabie saoudite ...

Aujourd'hui, une partie de l'opposition souhaite un vote. Je lui réponds en reprenant les propres termes de Lionel Jospin, le 9 octobre 2001, en réponse à une question d'actualité posée par Alain Bocquet, qui réclamait un débat avec vote à l'Assemblée nationale.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

M. François Fillon, Premier ministre. « Vous savez que nous ne pouvons pas faire appel à l'article 35 de la Constitution qui concerne la déclaration de guerre, car ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Vous savez que l'on peut toujours utiliser l'article 49-1, mais que celui-ci suppose un vote de confiance. [...] Ce n'est pas un article qui a été prévu pour l'engagement de la France dans ce genre d'opérations. » Voilà ce que disait Lionel Jospin en 2001 avant d'envoyer 1 700 soldats français en Afghanistan !

Eh oui ! sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Je ne puis être plus clair que mon prédécesseur, qui avait raison de considérer que la procédure du vote de confiance n'est pas adaptée à l'engagement de nos forces dans une opération de maintien de la paix - ou alors, il faudrait engager la responsabilité du Gouvernement à chaque fois que nous engageons des forces dans des opérations de maintien de la paix - ...

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

M. François Fillon, Premier ministre. ... comme nous en conduisons en Côte d'Ivoire, au Liban ou au Kosovo. Chacun comprendra que ce n'est pas une réponse adaptée à la situation.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Mesdames, messieurs les sénateurs, telle est la situation institutionnelle actuelle.

Cinquante ans après la création de la Ve République, il vous sera bientôt proposé de renforcer le rôle du Parlement en matière de politique étrangère et d'intervention militaire.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

L'avant-projet de loi constitutionnelle prévoit que le Parlement sera tenu informé dans les meilleurs délais de l'envoi de nos forces sur des théâtres d'opérations extérieures, ...

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

... et surtout - c'est l'innovation la plus importante - qu'il autorisera la prolongation éventuelle de ces opérations au-delà de six mois.

En outre, les deux assemblées auront le pouvoir de voter des résolutions, y compris en matière de politique étrangère. Je ne doute pas que ces dispositions feront l'unanimité sur vos travées !

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Nous sommes en Afghanistan depuis décembre 2001, et il s'agit de prolonger un effort engagé de longue date.

Aujourd'hui, avec un peu plus de 2 300 hommes, dont 1 700 dans la force internationale, sur près de 61 000, l'engagement militaire de la France la situe au septième rang des quarante nations contributrices de troupes. Nous nous plaçons ainsi entre les Pays-Bas et la Pologne, loin derrière les contributions de plusieurs de nos partenaires européens, qui sont presque tous présents sur le théâtre afghan : la Grande-Bretagne, avec près de 8 600 hommes ; l'Allemagne, avec près de 3 500 hommes ; l'Italie, avec plus de 2 400 hommes ; les Pays-Bas, avec environ 2 000 hommes ...

Installés autour de Kaboul, les soldats français remplissent des actions de sécurisation, ainsi que des missions d'encadrement des troupes afghanes en opération. Ils sont engagés dans des actions de combat.

Six Rafale et Mirage 2000 participent au dispositif allié de protection des troupes. Ces avions sont appuyés depuis les pays voisins par des moyens de transport et de ravitaillement en vol.

Enfin, vous le savez, une force navale française opère depuis l'océan Indien dans le cadre de l'opération « Liberté immuable ».

Depuis plus de six ans, nos soldats contribuent donc à la sécurisation de l'Afghanistan.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Je voudrais, à l'instant où j'ai l'honneur de m'exprimer devant le Sénat, avoir une pensée particulière, empreinte de gravité et de considération, pour ceux qui sont là-bas et qui risquent leur vie.

À ce jour, quatorze de nos soldats sont tombés en Afghanistan. Ils sont tombés pour une certaine idée de la dignité humaine à laquelle le peuple afghan aspire. Ils sont tombés pour qu'il n'y ait plus de 11 septembre. Ils sont tombés pour rendre ce monde plus sûr.

Je suis certain que votre assemblée soutient nos forces armées et qu'elle ne les oublie pas.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

L'Afghanistan ne doit plus jamais redevenir le foyer du terrorisme.

Ce pays, encore tellement vulnérable, est un carrefour stratégique sensible où voisinent une Asie centrale qui cherche sa voie, un Iran qui biaise avec les règles de la communauté internationale, une démocratie indienne qui lutte contre la menace des attentats et un Pakistan qui, possédant l'arme nucléaire, est sous la pression des fondamentalistes.

Quelle était, mesdames, messieurs les sénateurs, la situation de l'Afghanistan en 2001 ?

C'était une dictature médiévale, un foyer de violence, une base arrière du terrorisme international. Al-Qaïda y avait implanté ses camps d'entraînement. Des extrémistes, illuminés par une vision dévoyée de l'islam, y trouvaient accueil et soutien.

Sa population était soumise au joug de fer des talibans : abolition des droits les plus fondamentaux ; oppression de la femme ; intolérance érigée en doctrine de gouvernement ; interdiction de la musique, du théâtre, de la télévision ; ...

Debut de section - Permalien
Hervé Morin, ministre de la défense

Et des cerfs-volants !

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

... destruction des bouddhas de Bamiyan ; lapidation publique des condamnés.

L'Afghanistan d'avant 2001, mesdames, messieurs les sénateurs, c'étaient 15 millions de femmes sans visage, interdites d'école, privées de soins.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

C'étaient 30 millions d'Afghans ployant sous le régime du fanatisme et de la haine.

Debut de section - Permalien
Plusieurs sénateurs de l'Ump

Eh oui !

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Depuis 2001, les efforts de la communauté internationale, des autorités locales et du peuple afghan ont commencé à porter leurs fruits.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

L'Afghanistan possède désormais des institutions démocratiques.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

M. François Fillon, Premier ministre. Les femmes y jouissent de droits similaires à ceux des hommes.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

À Kaboul, il existe aujourd'hui cinq universités comprenant quatorze facultés et 10 000 étudiants.

En matière de santé, la mortalité infantile a baissé de 26 %. A l'heure actuelle, 80 % de la population a accès aux soins, contre 8 % seulement en 2001.

En matière d'infrastructures, 4 000 kilomètres de routes ont été construits.

Sur le plan économique, les pays de l'OTAN ont conduit plus de 1 000 projets de développement. La croissance de l'économie afghane atteint aujourd'hui un rythme de 13 %.

L'Union européenne a engagé une aide de 3, 7 milliards d'euros pour la période 2002-2006. Par ailleurs, 600 millions d'euros ont été annoncés par la Commission entre 2007 et 2010. Ces fonds sont principalement réservés à l'amélioration de l'état de droit, à la réforme des services publics et aux infrastructures.

À la demande du président Karzaï, la France organisera à Paris, au mois de juin prochain, une grande conférence, propre à entraîner une mobilisation accrue de la communauté internationale.

Dans le domaine sécuritaire, l'armée afghane atteint désormais 50 000 hommes, et bientôt 80 000. La France prend une part très active à la formation de cette armée. L'Union européenne et les États-Unis travaillent à la mise en place d'une police moderne, déjà dotée de 75 000 hommes. Aujourd'hui, 70% des incidents sécuritaires sont cantonnés à 10 % du territoire.

Tous ces résultats, mesdames, messieurs les sénateurs, sont encore insuffisants et, évidemment, très fragiles.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Ils réclament de notre part de la persévérance et un renouvellement de la stratégie commune, un renouvellement pour amplifier la sécurisation du pays, approfondir son développement économique et social, accélérer le plein exercice de la souveraineté nationale par les autorités afghanes.

Ce sont ces objectifs que le Président de la République défendra demain, à Bucarest.

Comme il l'a indiqué « La France a proposé à ses alliés de l'Alliance atlantique une stratégie pour permettre au peuple afghan et à son gouvernement légitime de construire un avenir de paix. Si ces propositions sont acceptées, la France proposera, lors du sommet de Bucarest, de renforcer sa présence militaire ».

Voilà ce qui a été précisément dit, et voilà pourquoi je vous indique que les modalités de cet effort ne sont pas encore arrêtées. Elles ne le seront pas tant que nous n'aurons pas satisfaction sur les demandes que nous avons effectuées.

Le 26 février, le chef de l'État, dans une lettre qui a été rendue publique, et qui est donc connue de tous, a écrit à ses homologues de l'OTAN pour leur indiquer ces conditions.

Il a demandé la confirmation par tous les alliés de leur détermination à maintenir leur effort dans la durée ; il n'est évidemment pas question que la France s'engage si les autres pays européens ne s'engagent pas.

Il leur a demandé l'adoption d'une stratégie politique partagée. Il s'agit de faire plus pour la reconstruction, pour le soutien aux populations afghanes.

Il leur a demandé une meilleure coordination des efforts civils et militaires sur le terrain.

Enfin, il leur a demandé l'accroissement de l'effort de formation au profit des forces de sécurité afghanes. Cet effort de formation, dans lequel nous sommes particulièrement engagés, doit permettre une véritable « afghanisation » de la sécurité du pays, c'est-à-dire la prise en charge par les Afghans de leur propre sécurité. Rien ne nous paraît plus important que cette « afghanisation », qui dessine, à moyen terme, l'autonomie de l'État afghan, et donc notre retrait.

Ces conditions seront débattues demain, et le Président de la République précisera, au regard de vos analyses et au vu des conclusions du sommet, notre engagement. Cet engagement devra tenir compte de notre dispositif sur place, des réalités du terrain et des réponses de nos partenaires à nos questions.

Nos forces armées engagées en Afghanistan peuvent être amenées à s'investir davantage dans les échelons de commandement, en particulier à Kaboul, dans la formation de l'armée afghane et dans les unités qui assurent la sécurité des populations et garantissent les progrès de la reconstruction. Car il est clair qu'aucune reconstruction ne peut intervenir dans des zones où la sécurité n'est pas assurée.

Les effectifs pourraient être de l'ordre de quelques centaines de soldats supplémentaires.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, derrière notre débat, trois voies se dessinent.

Ou bien nous retirons nos troupes : ce serait alors le signe que nous n'assumons plus nos responsabilités à l'égard de l'ONU et que nous rompons la solidarité qui nous unit à nos plus fidèles alliés, dont plusieurs s'apprêtent à accroître leurs effectifs. En quelque sorte, cela signifierait que le sort de l'Afghanistan nous deviendrait indifférent.

Ou bien nous choisissons le statu quo : ce serait l'enlisement de nos objectifs et l'impuissance de la France à peser sur la stratégie de la communauté internationale.

Ou bien nous accentuons nos efforts dans le cadre des conditions que nous avons posées : nous pourrons ainsi amplifier, ensemble, les chances de la paix.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette paix pour l'Afghanistan conditionne largement une part de notre sécurité, donc de notre liberté.

C'est un combat difficile, mais c'est un combat qui est juste et auquel je vous demande d'apporter votre soutien.

Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Poncelet

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord me féliciter de ce que, par anticipation de la réforme constitutionnelle que nous aurons prochainement à étudier, le Gouvernement ait proposé au Sénat un débat qui lui avait été refusé en 2001 lorsque nos troupes ont été envoyées en Afghanistan.

Applaudissementssur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

La permanence de notre engagement et son renforcement avaient été clairement annoncés par le Président de la République dans son allocution à la conférence des ambassadeurs le 27 août 2007. Il y avait affirmé : « Notre devoir, celui de l'Alliance atlantique, est aussi d'accentuer nos efforts en Afghanistan ».

En répondant à l'appel de nos alliés canadiens et américains, notamment, nous poursuivons l'action que nous menons depuis plusieurs années pour combattre un terrorisme fanatique, qui menace nos intérêts vitaux, et pour permettre au peuple afghan et à son gouvernement légitime d'établir une paix durable sur son territoire et de construire un État capable d'assurer la sécurité et le développement de ses habitants.

Nous entendons, depuis quelques jours, d'assez étranges déclarations.

Pour d'aucuns, les forces de l'OTAN seraient une armée d'occupation. C'est oublier qu'elles sont présentes sur le sol afghan en vertu d'un mandat des Nations unies et qu'elles n'ont d'autre but que de lutter pour rendre à l'Afghanistan sa stabilité, sa souveraineté et son intégrité, en aucun cas pour y instaurer un protectorat !

Pour d'autres, il ne s'agirait pas moins que de rechercher les bonnes grâces des États-Unis et de s'aligner sur leur politique. Nous sommes librement en Afghanistan. Nous pouvons retirer nos troupes à tout moment.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

C'est d'ailleurs ce que nous avons fait pour nos forces spéciales.

La situation exige aujourd'hui que nous renforcions notre dispositif, mais nous n'envoyons pas dans ce pays un corps expéditionnaire, ni une division, comme en 1991 en Irak ; nous y envoyons des renforts.

Sur le terrain, nos soldats, auxquels je veux rendre hommage, exercent leur mission avec un courage et un professionnalisme reconnus de tous. Ils ont droit à notre soutien et à notre reconnaissance.

Debut de section - Permalien
Hervé Morin, ministre de la défense

Tout à fait !

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Pour autant, la situation en Afghanistan nous conduit à nous interroger sur un certain nombre de points.

Nous nous interrogeons tout d'abord sur la capacité du gouvernement de M. Karzaï à assumer ses responsabilités et à affirmer son autorité.

La corruption en Afghanistan demeure encore endémique.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

... est souvent rendue inefficace par l'implication directe d'un certain nombre de responsables administratifs ou politiques, parfois au plus haut niveau.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

La réforme de l'État, en particulier du secteur de la justice, reste à faire.

Nous souhaitons que soit maintenu l'engagement d'un certain nombre de nos alliés, qui doivent continuer à nos côtés à participer à l'effort commun.

Nous mettons en doute, parfois, la capacité de l'OTAN à assurer la sécurité de l'État et des populations alors que l'insurrection des talibans paraît progresser et que l'autorité du gouvernement ne s'étend que de manière imparfaite aux régions dominées par les seigneurs de la guerre.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Bret

Le Premier ministre nous a dit que tout allait bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Si le gouvernement central est affaibli par la corruption, le népotisme ou le favoritisme ethnique, nous connaîtrons des échecs en matière de réconciliation, de reconstruction et de développement économique.

De quoi l'avenir sera-t-il fait alors que les élections générales et présidentielles doivent se tenir en 2009 et que la politique intérieure afghane doit assurer la recomposition des équilibres entre forces politiques ? Quelle est l'efficacité de l'aide à la reconstruction de ce pays ?

La prochaine Conférence de Paris devra examiner le problème de l'aide liée, qui représente 57 % du total, le coût des intermédiaires, qui absorbent plus de la moitié de l'aide, les moyens d'augmenter les aides budgétaires et de lancer le débat sur les PRT, Provincial reconstruction team, mais elle devra aussi poser la question de la capacité des autorités et de la disponibilité des élites afghanes à participer à la reconstruction et au développement de leur pays.

Ces interrogations et ces incertitudes sont celles de toute la communauté internationale, comme en témoigne le texte de la résolution 1806 adoptée le 20 mars dernier par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Elles ne doivent cependant pas masquer d'indéniables succès, dont le premier est sans discussion la chute du régime des talibans en 2001 qui a privé Al-Qaïda de sa base territoriale sanctuarisée. L'action internationale a permis le retour de 7 millions de réfugiés, la scolarisation de 6 millions d'enfants et la mise en place d'un certain nombre d'institutions nationales prévues par la Constitution, telles les deux chambres du parlement afghan, dont nous sommes les partenaires clés depuis 2006.

De plus, comme l'a souligné le Secrétaire général de l'OTAN et en dépit d'une certaine controverse, notons que 72 % des incidents ont lieu sur 10 % du territoire, habité seulement par 6 % de la population.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Pour autant, il reste beaucoup de chemin à parcourir pour obtenir une normalisation de la situation.

Le retour à la sécurité sur le territoire implique la poursuite, voire le renforcement de l'engagement militaire dans la mesure où des bandes armées, souvent encouragées de l'extérieur, veulent imposer par la violence leur loi. Tant que l'armée afghane ne sera pas en mesure d'assumer seule la tâche du maintien de l'ordre, la présence des forces de la coalition sera indispensable.

Nous le savons, la paix ne peut être acquise par le seul recours aux armes et la réduction des problèmes afghans à leurs seules composantes militaires. C'est la raison qui a conduit le Président de la République à annoncer quatre préalables au renforcement de nos effectifs.

Le premier est l'affirmation d'une commune détermination de tous les alliés à rester engagés dans la durée : il semble désormais qu'un consensus existe sur ce point.

Le deuxième préalable est la mise en oeuvre d'une politique globale et coordonnée qui permettrait à l'effort militaire de s'inscrire dans une perspective de développement sous l'égide du nouveau représentant spécial des Nations unies, M. Kai Eide, qui sera chargé de coordonner les tâches de l'ONU, de l'OTAN et de l'Union européenne. La nomination de M. Eide et le soutien qu'il a reçu du gouvernement afghan permettent un certain optimisme.

Le troisième préalable est la perspective claire de transfert progressif des responsabilités aux Afghans à tous les niveaux et dans tous les projets : cette « afghanisation », qui suppose une implication plus forte des autorités et des structures locales à tous les niveaux, devrait permettre aux alliés de se concentrer sur les zones les plus difficiles, à commencer par le Sud.

Enfin, le quatrième préalable est l'adoption d'une stratégie politique partagée pour l'Afghanistan qui traite également de la question des relations avec ses voisins et avec l'ensemble de la région. En effet, la sécurité passe également par le soutien de la politique de réconciliation nationale du président Karzaï et par une politique de voisinage active.

En particulier, un très important effort diplomatique doit être effectué pour réduire les tensions et les antagonismes entre l'Afghanistan et le Pakistan. De ce point de vue, la constitution du nouveau gouvernement pakistanais devrait permettre d'espérer une ouverture et un rapprochement. Auparavant, le Pakistan doit renoncer aussi à sa politique ambiguë qui consiste à la fois à lutter contre certaines tribus islamistes et à ménager le sanctuaire dans lequel se sont réfugiés les responsables d'Al-Qaïda.

Je constate que le projet de déclaration publique des chefs d'État et de gouvernement sur la stratégie politico-militaire de l'Alliance en Afghanistan, qui doit être adoptée à Bucarest prochainement, reprend, dans les titres de ses différentes parties, les quatre critères proposés par le Président de la République française.

À ceux qui nous annoncent un nouveau Vietnam, qui s'opposent, non sans véhémence, à l'envoi d'un contingent français en Afghanistan ou qui préconisent - sans trop oser le dire - le retrait de toutes les forces alliées de ce pays, nous demandons s'ils ont réfléchi aux conséquences d'un retour au pouvoir des talibans en Afghanistan.

Se souviennent-ils de l'oppression que les talibans ont fait régner dans ce pays, qu'il s'agisse, comme vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le Premier ministre, de la défense faite aux habitants d'entendre de la musique, d'assister à la projection de films, de lire des ouvrages profanes, de professer des opinions politiques hétérodoxes, de jouir des libertés publiques élémentaires ?

Nous avons encore en mémoire le spectacle de ces femmes lapidées dans le principal stade de Kaboul parce qu'elles étaient soupçonnées d'adultère.

Trois d'entre nous - Didier Boulaud, Gisèle Gautier et moi-même - ont constaté le vandalisme culturel qui avait donné lieu à la destruction des admirables bouddhas de Bamiyan. Nous avons en mémoire aussi l'affreuse régression économique, culturelle et sociale, sans précédent, imposée au peuple afghan.

Ceux qui réclament le retrait sont-ils disposés à laisser les sinistres et sanglants assassins d'Al-Qaïda retrouver les repaires où ils préparaient leurs attentats ?

Sont-ils insensibles au sacrifice de ceux qui, tel l'héroïque Massoud, ont libéré leur peuple, avec un acharnement et un courage dignes de tous les éloges, de l'envahisseur soviétique puis des tyrans talibans ?

Parce que nous voulons que les Afghans demeurent libres, eux qui, au cours des siècles, n'ont jamais été domptés, parce qu'un Afghanistan indépendant et pacifié est indispensable à l'équilibre de l'Asie, nous approuvons la présence des troupes françaises aux côtés de nos alliés et nous souhaitons que tout soit mis en oeuvre pour trouver une solution politique durable à un conflit qui n'a que trop longtemps duré.

Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, en premier lieu, il y a la forme : le Gouvernement avait d'abord refusé le débat ; or l'isolement de l'exécutif n'est pas un bon signe quand il s'agit de l'engagement de nos militaires.

Le Président Sarkozy lui-même semble avoir changé de position, puisque, pendant la campagne électorale présidentielle, il avait évoqué l'idée d'un retrait des 1 100 militaires français engagés en Afghanistan : « Il était certainement utile qu'on les envoie dans la mesure où il y avait un combat contre le terrorisme. Mais la présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. »

Aujourd'hui, il fait volte-face, en annonçant un renforcement de nos troupes en Afghanistan, annonce qui, faite à l'étranger, est en outre une faute politique.

Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Nous arrivons ainsi à deux petites heures de débat, avec seulement vingt minutes pour l'opposition, et sans vote ; une litanie de discours sans véritable débat puisque nous ne pouvons même pas répondre à vos arguments.

Debut de section - Permalien
Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement

Il ne fallait pas le demander !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Lionel Jospin, malgré vos affirmations, était certes venu devant le Parlement avec une déclaration solennelle, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

M. Didier Boulaud. ... mais c'est seulement la cohabitation qui avait alors fait obstacle au vote.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.- Vives protestations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

C'est faux !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

M. Didier Boulaud. La vérité dérange, bien sûr !

Nouvelles protestations sur les mêmes travées.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

C'est un énorme mensonge !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

En Afghanistan, il y a une guerre ; si le Président de la République en avait la volonté, il pourrait, comme François Mitterrand en 1991, demander un vote du Parlement.

Nous aurions pu éviter les polémiques inutiles si le Parlement avait été respecté dans sa fonction de contrôle de l'exécutif.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Ainsi, le 25 mars dernier, le ministre des affaires étrangères avait indiqué aux parlementaires que « la nature du renforcement [des troupes françaises] n'était pas encore décidée, mais qu'elle serait très certainement précisée lors du prochain sommet de l'OTAN, qui se tiendra du 2 au 4 avril à Bucarest, et de la conférence des donateurs le 12 juin prochain ».

Or, le lendemain, 26 mars, le président Sarkozy faisait son désormais célèbre discours de Westminster, en annonçant au parlement britannique ce que vous avez caché au parlement français.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

C'est faux !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

M. Didier Boulaud. La méthode est détestable !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Un débat de quelques dizaines de minutes pour traiter une telle question, dont la gravité, la dangerosité et la lourdeur des conséquences n'échappent à personne, est une gageure.

Mais c'est surtout un manque de respect à l'égard des hommes et des femmes qui pourraient aller, au péril de leur vie, défier les dangers d'une situation afghane complexe et dangereuse.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Comment peut-on tenir de tels propos ? C'est honteux !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

En second lieu, il y a le fond : pourquoi une telle décision et pourquoi maintenant ? Quelle stratégie sous-tend cette évolution ?

À plusieurs reprises, les États-Unis et l'OTAN ont souhaité, depuis 2005, un accroissement de la présence militaire française. Sans avouer un rejet frontal de ces demandes, les gouvernements successifs de la droite ont tergiversé, concédé un peu, sans toutefois accorder ce qui leur était demandé. Pourquoi dire oui aujourd'hui et avoir dit non hier et avant-hier ? Qu'est-ce qui a changé ? Pourquoi vouloir transformer ainsi la position de la France ? Y-a-t-il un lien entre cette décision et la tentation de réintégration de notre pays dans la structure militaire de l'OTAN ?

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Cette décision découle-t-elle de la situation militaire et du rapport des forces sur place ? Ou alors, s'agit-il d'une évolution qui dépasse le dossier afghan pour se situer dans une rupture de la stratégie de notre pays, allant dans le sens d'un alignement croissant avec la politique unilatéraliste du président Bush ? Si tel est le cas, nous vous le disons tout net : vous faites fausse route !

Avant tout envoi de troupes supplémentaires, nous avons droit à un bilan précis, approfondi et complet de la situation en Afghanistan depuis 2005.

La situation militaire en Afghanistan nous incite à redoubler de prudence et à ne pas poursuivre des stratégies qui ont montré leurs limites depuis 2002. Le simple débat d'aujourd'hui ne peut pas tenir lieu de réflexion sur la stratégie à conduire dans ce pays et notamment sur les modalités d'une implication croissante des Afghans eux-mêmes dans le processus politique et militaire.

Si l'on en croit les ministres, cette réflexion aurait lieu à Bucarest, début avril, et lors de la Conférence des donateurs. Cela s'appelle mettre la charrue avant les boeufs, puisque le Président a déjà annoncé que la France renforcerait sa présence militaire.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

C'est faux !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Le ministre de la défense a expliqué que des « préalables » avaient été fixés par le président Sarkozy. De quoi s'agit-il ? De notre place au sein de l'Alliance atlantique ? De la réintégration au sein de la structure militaire de l'OTAN ? De la place et du rôle de la défense européenne ? S'agit-il de « préalables ou de « conditions » ? Ou est-ce un simple habillage destiné à faire « passer » un alignement croissant derrière le leadership nord-américain ?

Le récent voyage du Président de la République en Grande-Bretagne éveille déjà les soupçons de la mise en oeuvre d'une « nouvelle politique étrangère » : plus atlantiste, avec une priorité affichée aux relations avec la Grande-Bretagne, au détriment de notre partenariat historique avec l'Allemagne.

Doit-on conclure que la vision de l'avenir de l'Union européenne, exprimée par la majorité, tend à épouser désormais les thèses britanniques ?

Allons-nous dorénavant taire nos différences, dissimuler nos jugements sur des stratégies qui sont en train de faillir ?

Certes, la communauté internationale doit encore honorer ses engagements envers la sécurité et la stabilité futures de l'Afghanistan. La situation en Afghanistan n'incite pas à l'optimisme. C'est toute la stratégie de « guerre au terrorisme » conçue par George Bush qui est en échec puisque, malgré la présence de 20 000 GI's et d'environ 50 000 hommes de la Force internationale d'assistance à la sécurité, la FIAS, les militaires ne parviennent pas à contenir l'insurrection islamiste qui contrôle de nouveau une bonne partie du pays que tente de gouverner Hamid Karzaï. Les objectifs de novembre 2001 sont loin d'être atteints.

D'autres conflits se sont aggravés, en Irak par exemple ; la paix au Proche-Orient et la création d'un État palestinien sont ajournées sine die ; la seule préoccupation du gouvernement français serait-elle de répondre aux exigences du président Bush ?

L'engagement doit avoir une cohérence européenne. Avant de poursuivre sur la voie de l'escalade annoncée, une concertation urgente doit avoir lieu au sein de l'Union européenne. La France doit s'inscrire résolument dans une démarche européenne et non unilatérale en matière d'action extérieure, y compris militaire.

Bien entendu, nous exprimons notre plein soutien aux forces européennes engagées dans la FIAS placée sous commandement de l'OTAN, et déployées en Afghanistan.

Dans la lutte contre le terrorisme la France, depuis 2001, a montré sa disponibilité et sa volonté de mener à bien un combat sans faille contre ce fléau.

Ce combat doit avoir lieu en analysant, chaque fois que nécessaire, l'évolution de la situation et en tirant les leçons des erreurs commises. Notre autonomie de décision est à ce prix et doit être garantie.

La France a déployé 1 600 soldats sur le sol afghan et 2 200 au total sur ce théâtre d'opérations, avec les unités présentes dans les pays voisins et l'océan Indien. Au stade actuel de la discussion, toute présence supplémentaire de forces françaises en Afghanistan serait une erreur.

La politique menée dans ce pays, sous la forte influence de la puissance nord-américaine, est un échec. En conséquence, nous réclamons, au moment même où l'enlisement dans le bourbier afghan est une réalité, le maximum de garanties pour nos soldats, auxquels il convient de rendre hommage pour le courage dont ils font preuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

En étroite concertation avec les forces de la communauté internationale, mais sans soumission, sans alignement sur des politiques qui ont failli, nous devons reconsidérer l'action menée en Afghanistan. C'est toute la stratégie politique et militaire en Afghanistan qu'il faut revoir.

Quelle est la situation actuelle en Afghanistan après plus de six années de guerre ? Parce que c'est d'une guerre qu'il faut parler et non pas d'une opération de sécurité, comme je l'ai entendu encore ce matin ! Une information récente parue dans la presse internationale indique que « le président Hamid Karzaï va faire appel aux milices pour rétablir la sécurité en Afghanistan. L'armée nationale afghane ne compte en effet que 30 000 hommes, au lieu des 86 000 prévus fin 2007 ».

Quel aveu d'échec alors que ces milices avaient été officiellement démantelées en 2003 !

C'est l'impuissance de l'armée afghane à bloquer l'accroissement de la violence sur place et notamment les attentats contre les populations civiles. Le terrorisme taliban ne cesse d'augmenter depuis 2005.

Cette situation extrêmement complexe a un coût énorme en vies humaines, et aussi un coût économique. Ces engagements, civils et militaires, sont onéreux ; les États-Unis, qui s'escriment à garder, directement ou via l'OTAN, la maîtrise politique et stratégique du processus afghan, veulent, en revanche, partager le fardeau économique avec les alliés, avec la communauté internationale.

Il s'agit d'une guerre asymétrique, et, pour l'occasion, les stratégies militaires sont à revoir. Les meilleurs matériels du monde, les techniques les plus sophistiquées et les budgets colossaux sont face à des combattants décidés, fanatisés, certes, mais à l'armement plus rudimentaire, aux techniques parfois artisanales et, en tout état de cause, aux performances technologiques largement inferieures à celles qui sont déployées par les alliés.

On doit donc se poser des questions sur la manière de mener ce conflit, sur les conditions dans lesquelles il se déroule, ainsi que sur la confusion existant parfois, dans le sud et l'est de ce pays, entre les missions et les actions de la FIAS-OTAN et celles de la coalition « Liberté immuable ».

Quant à la drogue, aux plantations d'opium, à la production d'héroïne, elles règlent l'économie du pays : va-t-on les combattre avec des avions, des drones et des missiles ?

Et le Pakistan ? Il est, d'une part, l'allié majeur des États-Unis et, d'autre part, doté de la force nucléaire. Peut-on envisager d'apporter des réponses et des solutions aux problèmes dont il souffre sans aborder la complexe réalité pakistanaise ?

La résolution des problèmes de sécurité de l'Afghanistan nécessite en conséquence un engagement politique ouvert et franc avec les voisins géographiques de cet État, notamment l'Inde et le Pakistan.

Nous savons que la crédibilité de l'action de l'OTAN en Afghanistan dépend non seulement des capacités militaires, mais aussi des progrès rapides de la reconstruction économique et sociale.

La croissance de l'insurrection trahit un échec collectif à s'attaquer aux racines de la violence. Six ans après l'éviction du régime taliban, la communauté internationale peine à se mettre d'accord sur ce qu'il faut faire pour stabiliser le pays et à fixer un ensemble d'objectifs communs.

Les États-Unis, qui exigent un plus grand engagement de la part des alliés, doivent prendre conscience de ce que leurs actions unilatérales affaiblissent la volonté des autres.

À côté de la lutte contre le terrorisme, le développement social et économique ne serait-il pas la clé du début d'une solution ? La misère est le terreau où prolifère le terrorisme. L'amélioration de la gouvernance en Afghanistan, la meilleure coordination de l'ensemble des moyens mis en oeuvre par les institutions internationales et un plan global et efficace de lutte contre le narcotrafic sont des tâches auxquelles la communauté internationale ne peut pas se soustraire.

La France doit apporter sa contribution et favoriser, à l'occasion de sa présidence de l'Union européenne, la prise de conscience de cette dernière en ce sens.

En conclusion, monsieur le Premier ministre, faut-il combattre les talibans ? Oui !

Ah ! sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Faut-il contribuer à lutter contre l'extrémisme religieux, politique, en Afghanistan ? Oui !

Ah ! sur les mêmes travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Faut-il soutenir l'essor, fragile et limité, de la démocratie en Afghanistan ?

Oui ! sur les mêmes travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

La résolution de la situation en Afghanistan est d'abord une affaire de sécurité collective, à l'échelle mondiale. S'impliquer davantage ne doit pas être un tabou, mais nous savons aussi que la présence internationale en Afghanistan ne saurait durer indéfiniment. La nature de l'engagement de nos troupes doit répondre à des perspectives politiques de sortie et de résolution du conflit. Il faut élaborer une politique globale de rechange.

Il faut remettre l'ONU au centre de l'intervention politique en Afghanistan, tout d'abord en lui donnant la responsabilité de la coordination des efforts internationaux dans les domaines de la justice et de la gouvernance régionale en soutien des pouvoirs locaux légitimes et dans le respect des prérogatives de l'État afghan souverain. La lutte contre l'économie de la drogue pourrait aussi relever de l'ONU et de ses agences.

Certes, nous devons travailler à assurer la stabilité et la sécurité du peuple afghan et veiller à ce que la présence militaire internationale ne soit pas la seule solution ; nous devons également définir des stratégies politiques, économiques et sociales d'assistance au développement de l'Afghanistan crédibles et concluantes à court terme.

Avant de finir cette courte intervention, permettez-moi de vous citer une analyse très pertinente, parue dans un blog le 25 mai 2006 : « Laurent Zecchini signe dans Le Monde du 25 mai un article très intéressant sur ?l'irakisation? de l'Afghanistan. Après l'attaque qui a fait deux victimes parmi les forces spéciales françaises, l'inquiétude grandit chez les militaires français, qui constatent que les talibans agissent désormais sur deux registres : celui du terrorisme mais aussi celui de la guérilla avec des méthodes de combat sophistiquées. Ils se sont endurcis au contact des forces occidentales et, loin de baisser les bras, ils redoublent d'activité. Les opérations massives de l'ISAF pour éradiquer la culture du pavot font basculer les paysans dans le camp des talibans. La corruption du gouvernement afghan et de son administration, le jeu trouble des services de renseignements pakistanais contribuent à aggraver la situation militaire.

« L'Histoire nous a enseigné que l'Afghanistan ne peut être soumis. Comment donc obtenir l'adhésion des peuples auxquels nous sommes venus prêter assistance ? Cette question est fondamentale, car elle conditionne toute notre réflexion sur l'organisation de notre défense et sur l'architecture d'une défense européenne. »

Monsieur le Premier ministre, puisqu'il s'agit de votre blog et de votre plume

Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

, avant d'envoyer d'autres soldats dans le bourbier afghan, pouvez-vous tenter de répondre à cette question ? Votre question pourrait, une fois n'est pas coutume, être aussi la nôtre.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de André Dulait

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Président de la République a souhaité envoyer des troupes françaises supplémentaires en Afghanistan. Il a estimé que ce pays constituait un défi stratégique et que la France était déterminée à rester aux côtés de ses alliés aussi longtemps que nécessaire pour assurer la stabilité de ce pays.

Nous, sénateurs de I'UMP, partageons l'opportunité et la légitimité de cet objectif et de cette initiative. Cette dernière doit être envisagée non pas comme une rupture, mais comme une évolution des moyens mis à la disposition du gouvernement afghan en vue de lui permettre de faire face au durcissement de l'insurrection talibane et au développement d'une économie fondée sur le narcotrafic.

Cette décision fait suite à celle qui avait été prise en 2001, sous le gouvernement de Lionel Jospin, après un débat au Parlement.

Vu l'enjeu de cette décision pour notre pays, le Président de la République a clairement souhaité qu'un débat ouvert sur ce sujet se déroule au Parlement et nous ne pouvons que nous en féliciter. À l'heure où un renforcement du rôle du Parlement est envisagé par la prochaine révision constitutionnelle, il est à nos yeux indispensable d'informer la représentation nationale sur ce renforcement de la présence militaire française en Afghanistan, qui devrait être officiellement annoncé au prochain sommet de l'OTAN, dès demain, à Bucarest.

Le présent débat est d'autant plus opportun que ce sommet portera essentiellement sur une révision de l'approche alliée en Afghanistan avec la fixation des nouvelles priorités pour la reconstruction tant économique que démocratique indispensable au développement du pays.

II apparaît en effet qu'une meilleure coordination entre les acteurs sur le terrain est indispensable, notamment sous l'égide de l'ONU et de son nouvel envoyé spécial, tout en respectant la souveraineté du gouvernement afghan. Malgré les réels progrès constatés sur le terrain, davantage de contributions des alliés sont encore nécessaires.

C'est dans ce cadre que la France doit continuer, à notre avis, d'inscrire son action. Nous devons maintenir le lien entre un effort supplémentaire et une approche globale de la situation de l'Afghanistan, notamment en termes de développement.

Nous sommes conscients que la communauté internationale doit faire un effort considérable pour éviter un enlisement. La France doit prendre toute sa part à cet effort. Il s'agit de l'une des tâches les plus délicates que notre pays et l'OTAN aient jamais eu à entreprendre, mais c'est une contribution essentielle à la sécurité internationale. Tout échec entraînerait une déstabilisation générale de la région.

Ce qui se passe dans ce pays est, n'en doutons pas, d'une importance quasi mondiale. En effet, la fermentation mafieuse et islamiste, malgré la distance qui sépare la France de l'Afghanistan, constitue un élément de préoccupation. Car malgré les moyens employés par les différents pays occidentaux, il semble difficile d'ignorer que ces éléments pathogènes ne cessent de se renforcer.

La gravité des tensions interethniques et interconfessionnelles en Afghanistan dépasse largement le cadre de cet État et de la région. L'Afghanistan est devenu un épicentre terroriste et criminel par la propagation tant des idéaux islamistes que d'une économie criminalisée fondée sur le trafic de drogue : ces deux faits rendent nécessaire une coopération sous l'égide de l'OTAN ainsi que lors des opérations menées directement sous autorité américaine.

Nous savons quelles sont les conditions historiques et politiques qui ont amené l'Afghanistan à connaître le sort qui est aujourd'hui le sien.

Créée par le Conseil de sécurité des Nations unies, la Force internationale d'assistance à la sécurité est forte de quelque 43 000 hommes. Elle n'est pas une force des Nations unies ; elle est plutôt une coalition de pays volontaires avec un chef de file qui assume la responsabilité du commandement. Son extension au sud et à l'est a été complétée en octobre 2006, mais elle se heurte aux violences qui affectent particulièrement ces secteurs.

L'Alliance a pour objet de contribuer à créer les conditions qui permettront à l'Afghanistan, après des décennies de conflit, de destruction et de pauvreté, de disposer d'un gouvernement représentatif et de jouir d'un climat durable de paix et de stabilité.

L'OTAN joue un rôle clé dans le Pacte pour l'Afghanistan - plan quinquennal conclu entre le gouvernement afghan et la communauté internationale - qui fixe des objectifs relatifs à la sécurité, à la gouvernance et au développement économique du pays.

Depuis le début de l'opération, les objectifs sont donc clairs : éradiquer les talibans, l'extrémisme religieux, et mener une politique de développement social.

C'est dans ce contexte qu'il faut apprécier la décision du Président de la République. Il s'agit d'une décision politique forte qui répond à une réalité et à un besoin rencontrés sur le terrain. D'ailleurs, les talibans n'en sont pas dupes : dans un communiqué diffusé sur Internet, ils s'engagent « à chasser les forces étrangères en leur infligeant des coups douloureux » dès ce printemps.

Ces renforts étaient donc attendus pour mener à bien la mission de l'OTAN en Afghanistan, mission qui - je le rappelle à ceux qui l'oublient parfois un peu vite - s'effectue sous mandat de l'ONU.

Nous soutenons cette initiative, parce que nous sommes résolus à faire en sorte que la mission de la FIAS connaisse un succès sous tous ses aspects, civil et militaire.

Tout ce processus de sécurisation du pays a donc une légitimité et une légalité internationales. Il demande, avant d'être rejeté d'un revers de main, une juste et objective appréciation.

La FIAS n'est pas une force d'occupation ou d'oppression et elle ne le deviendra pas. Elle agit, au nom des Nations unies, pour la paix et la sécurité internationales. La France ne peut pas être absente de cette action, au risque de voir les talibans reprendre l'avantage, avec les conséquences que l'on imagine sur toute la région.

Mes chers collègues, je vous rappelle que la présence de la France en Afghanistan est de première ampleur. Nous comptons actuellement plus de 1 500 soldats sur place, dont près des deux tiers sont stationnés à Kaboul ; 300 instructeurs français forment l'armée afghane, alors que près de 200 militaires opèrent au sein d'unités afghanes et les accompagnent au combat. Nous sommes également présents à Kandahar, où sont basés nos Rafale et nos Mirage, qui apportent un soutien aérien aux forces de la coalition internationale.

Notre présence n'est donc pas anecdotique et mérite notre plus profond respect.

Je tiens, à ce propos, au nom du groupe UMP du Sénat, à rendre hommage au dévouement et au courage de nos troupes présentes sur le terrain.

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de André Dulait

Depuis leur renversement à la fin de 2001 par une coalition internationale dirigée par les États-Unis, les talibans mènent une insurrection sanglante, en particulier dans le sud et l'est du pays, qui a fait plus de 8 000 morts en 2007, selon les Nations unies. Dans un certain nombre de zones, ils empêchent la FIAS et l'armée afghane d'assurer pleinement leur mission de sécurité. La hardiesse et la fréquence des attaques suicides à la bombe, des embuscades et des tirs directs ont augmenté.

Le maintien de la sécurité dépend des forces nationales afghanes, en particulier de la police, qui doivent être à la hauteur de la tâche ; or, ces forces n'ont actuellement ni les effectifs ni les compétences professionnelles requis.

L'Afghanistan a donc besoin de la communauté internationale pour assurer sa sécurité, sa stabilité et son développement. Qui pourrait nier sérieusement un tel état de fait ?

La transition en Afghanistan se trouvant soumise à des pressions croissantes sous l'effet de l'insurrection, de la faiblesse de la gouvernance et de l'importance de l'économie de la drogue, le gouvernement afghan, avec l'appui de la communauté internationale, doit faire preuve de volonté politique en prenant les mesures audacieuses nécessaires dans chacun des domaines de sa compétence et regagner la confiance de la population par des moyens tangibles et concrets. Ainsi, les relations avec le Pakistan me paraissent être un élément fondamental et un facteur déterminant pour contribuer à la sécurité et à la prospérité régionales.

Selon nous, la priorité la plus urgente doit être de mettre au point, pour l'Afghanistan, une stratégie et des plans de sécurité civils et militaires intégrés et efficaces. Une réponse militaire coordonnée demeure indispensable aujourd'hui pour vaincre les groupes d'insurgés et de terroristes, mais, à moyen terme, le succès dépendra de la participation des communautés locales et de l'instauration d'un climat de sécurité durable, propice au développement.

Car, mes chers collègues, n'en doutons pas : seuls, nous ne battrons pas les talibans. La bataille pour la démocratie et le progrès ne sera définitivement et durablement gagnée que par le peuple afghan. La formation de l'armée et de la police afghanes ainsi que le développement civil de ce pays sont donc les priorités. La France peut et doit jouer un rôle majeur dans la mise en oeuvre de telles actions.

Notre conviction est faite : le renforcement du contingent français en Afghanistan reçoit notre approbation. Il ne faut pas reculer et nous n'avons pas le droit d'échouer, même si tout conflit comporte une part d'incertitude.

Nous attendons donc, monsieur le ministre, quelques précisions sur les modalités, les affectations et, enfin, le coût d'une telle opération.

Applaudissements sur les travées de l'UMP ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et du RDSE. -Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la décision, annoncée la semaine dernière par le Président de la République devant le Parlement britannique, de renforcer de mille hommes le contingent militaire français en Afghanistan, ...

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Ce n'est pas ce qu'il a dit !

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

...a suscité de très nombreuses réactions et une vive émotion dans notre pays.

Un récent sondage indique que 68 % de nos compatriotes désapprouvent une telle décision.

Face à cette situation, Nicolas Sarkozy et votre gouvernement ont été contraints d'accepter, à la demande de l'ensemble des groupes parlementaires, ce débat devant la représentation nationale.

Cette annonce, désinvolte à l'égard du Parlement et du peuple français, est choquante sur la forme et plus encore sur le fond.

En cédant ainsi de façon complaisante aux pressantes sollicitations des États-Unis, elle porte atteinte à la dignité et à l'autonomie de décision de notre pays.

En outre, en dehors du fait qu'elle ait été annoncée à l'étranger, avant même que le Parlement en soit informé, les raisons qui la motivent et les conséquences qu'elle entraînera n'ont pas été clairement exposées par le Président de la République.

Ainsi, une fois de plus, le pays et ses représentants apprennent par la presse qu'une nouvelle phase de notre engagement dans un pays lointain est en cours, sans aucune précision sur le cadre général, les missions et le calendrier de l'opération.

C'est manifestement un revirement de la part de celui qui, candidat à l'élection présidentielle, affirmait : « La présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. » Il avait, d'ailleurs, promis de poursuivre la politique de désengagement progressif initiée par son prédécesseur...

Non ! les Françaises et les Français n'admettent plus aujourd'hui que des décisions concernant de façon si symbolique la nation tout entière soient prises sans que leurs représentants aient été au moins informés et consultés. Puisque nos troupes vont, une nouvelle fois, être dangereusement exposées dans un conflit incertain et ambigu, qui risque d'avoir des conséquences sur la sécurité même de notre territoire, il n'était pas acceptable que nous ne débattions pas de l'opportunité de cette intervention.

En acceptant ce débat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, c'est bien ce que vous avez été obligés de reconnaître. Mais ayez maintenant le courage d'accepter un vote parlementaire, à l'instar de ce qui se pratique dans les autres grandes démocraties et comme l'avait fait François Mitterrand lors de la première guerre du Golfe, contrairement, d'ailleurs, à ce que vous avez prétendu dimanche. En effet, pourquoi débattre si la décision est irrévocable ?

Chacun sera alors face à ses responsabilités, car, en Afghanistan, c'est bien aussi d'une guerre qu'il s'agit, dans laquelle quatorze de nos soldats ont déjà perdu la vie.

Je m'interroge sur les raisons d'envoyer là-bas des troupes supplémentaires, car je doute que cela permette de répondre aux problèmes posés.

En définitive, pour quelles raisons sommes-nous en Afghanistan ?

Il faut se rappeler que cette opération trouve son origine dans les attentats du 11 septembre 2001 à New York et dans la décision unilatérale de l'administration Bush de lutter contre quelques groupes combattants dans les montagnes afghanes.

Les États-Unis ont d'abord constitué une coalition à géométrie variable pour renverser le régime des talibans à Kaboul. L'Alliance atlantique n'a été sollicitée qu'après, pour prendre le commandement de la Force internationale d'assistance à la sécurité, la FIAS, mise en place avec la bénédiction des Nations unies après la chute des talibans.

C'est dans ce contexte que nous avons rapidement rallié la FIAS, mais sans avoir été associés à la définition des objectifs, qui étaient de lutter contre le terrorisme et de reconstruire un État en faillite.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Vous étiez alors au gouvernement !

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Où en sommes-nous, sept ans après ?

Les talibans sont de retour dans l'Est et dans le Sud, les troupes de l'OTAN s'épuisent à les poursuivre dans les montagnes, la culture de l'opium est plus florissante que jamais et l'État afghan est corrompu jusqu'au plus haut niveau.

À l'évidence, la stratégie essentiellement militaire mise en oeuvre est totalement inadaptée, voire contre-productive. Elle contribue à accroître les tensions et mène tout droit à l'enlisement, car elle n'offre aucune perspective de règlement politique et diplomatique de la situation.

Je prétends même que, comme en Irak, cette stratégie, en raison des frustrations et des réactions qu'elle suscite auprès des populations, est le terreau sur lequel prospèrent tous ceux qui jouent la politique du pire et spéculent sur l'impuissance de la communauté internationale.

Cet échec militaire annoncé met aussi en évidence un profond déséquilibre entre le niveau des dépenses militaires et celui de l'aide à la reconstruction et au développement. Les chiffres en témoignent : les États-Unis dépensent 100 millions de dollars par jour pour la guerre, quand le total de l'aide internationale à la reconstruction est, lui, estimé à 7 millions de dollars par jour.

Cet état de fait ne peut que nous inciter à douter de la pertinence de la stratégie des forces de l'OTAN et à nous interroger sur les objectifs qu'elles veulent réellement atteindre dans ce pays.

Le récent rapport d'une agence regroupant la centaine d'ONG qui travaillent sur place révèle aussi l'ampleur des promesses non tenues en matière d'aide internationale, laquelle est gaspillée, inefficace et mal coordonnée. Sur les 25 milliards de dollars promis, seuls 15 milliards de dollars ont été effectivement versés.

Notre pays a lui-même une grande part de responsabilité dans cette situation et n'est pas exempt de reproches.

Nous allons accueillir une nouvelle conférence des donateurs à la mi-juin, mais le montant de notre aide à la reconstruction arrive loin derrière celui de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne, de l'Espagne, des Pays-Bas, du Danemark, de la Suède ou bien encore de la Finlande.

Nous nous apprêtons à renforcer notre dispositif militaire, mais le Président de la République ne semble pas pour autant décidé à augmenter notre aide bilatérale.

Un tel déséquilibre est à comparer avec les 100 millions à 200 millions d'euros supplémentaires nécessaires à cette intervention qui pèseront sur le budget des opérations extérieures, lequel avoisine déjà un milliard d'euros après le lancement de la mission EUFOR au Tchad. À cet égard, monsieur le Premier ministre, on peut légitimement s'inquiéter de la façon dont vous financerez ces surcoûts. Quels crédits militaires en feront les frais ?

Enfin, nous n'avons pris en charge aucune des vingt-six équipes provinciales de reconstruction, les EPR, ces équipes « civilo-militaires » qui atténuent quelque peu les ravages causés par le conflit.

Pour quelles raisons inavouables annoncer maintenant la décision d'envoyer combattre quelque mille soldats français supplémentaires, vraisemblablement dans une province sous commandement américain et dangereusement exposée, alors que la stratégie menée conduit à l'enlisement militaire, que l'ensemble de nos alliés ne sont pas tous d'accord sur la stratégie à suivre et que la France n'a, pour l'instant, obtenu aucune garantie sur une éventuelle modification de cette stratégie ?

Certes, monsieur le Premier ministre, vous avez précisé hier que le Président de la République avait l'intention, demain à Bucarest, de poser trois conditions à l'envoi de nos renforts. Je reste tout de même convaincue que le fait d'annoncer une décision, car c'est bien ce qui s'est passé devant le Parlement anglais, ...

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

C'est faux !

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

...avant même d'obtenir des garanties de nos partenaires, n'est pas une façon de procéder digne de notre pays.

Bien que l'OTAN s'embourbe en Afghanistan, le Président de la République accepte donc de suivre sans sourciller une stratégie belliqueuse, inefficace et inadaptée. En cédant ainsi aux demandes répétées du commandement militaire de l'OTAN et aux pressions des États-Unis, il concrétise son alignement atlantiste. Comment, dès lors, ne pas s'indigner devant une telle complaisance dangereuse à l'égard de l'administration finissante du président Bush, alors même que la politique étrangère américaine pourrait changer dans quelques mois ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Dans ces conditions, renforcer notre dispositif militaire dans ce pays apparaît clairement comme un gage d'allégeance donné aux États-Unis.

C'est aussi, à n'en pas douter, la contrepartie à la réintégration annoncée de notre pays dans les structures de commandement militaire d'une Alliance atlantique encore largement soumise aux États-Unis.

Admettez-le, c'est une position qui rompt brutalement avec la politique d'indépendance de la France. À la veille du sommet de Bucarest, cette position est malheureusement conforme à la volonté des États-Unis de transformer l'OTAN en une « Alliance globale », une alliance du monde occidental opposée aux pays émergents, agissant hors du cadre des Nations unies et se comportant en gendarme du monde, au service de la politique américaine.

Nous présiderons bientôt l'Union européenne, et cette réintégration laisse peu de crédibilité à une Europe de la défense réellement autonome. Tout cela éclaire d'un jour nouveau ce que nous avions dénoncé lors de la ratification du traité de Lisbonne, quand nous vous interpellions, ici même, mes chers collègues, sur le risque de subordination de la politique européenne de défense à l'OTAN.

Il faut en être conscient : en procédant de la sorte, c'est-à-dire en ramenant notre pays à un rang de supplétif des États-Unis, le capital de sympathie que la France a acquis dans le monde depuis une cinquantaine d'année serait rapidement dilapidé.

Monsieur le président, mes chers collègues, l'attitude du Président de la République, avec ses annonces répétées qui anticipent sur la réflexion engagée dans le cadre de la rédaction d'un nouveau livre blanc sur la défense et la sécurité, traduit une crainte du débat démocratique. Il n'est plus acceptable que des changements d'orientation aussi fondamentaux en matière de politique étrangère et de défense puissent s'opérer à la suite d'un simple débat concédé sous la pression des parlementaires, sans qu'il soit arbitré par le vote du Parlement.

Monsieur le Premier ministre, vous ne pouvez être, en paroles, favorable aux propositions de la commission Balladur tendant à revaloriser le rôle du Parlement en matière de politique étrangère et de défense, et refuser aujourd'hui un vote du Parlement. Accepter ce vote donnerait plus de crédibilité à vos bonnes intentions.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

En conclusion, pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, vous comprendrez que nous condamnions fermement le projet de renforcer nos effectifs militaires en Afghanistan.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Cette décision, qui irait à l'encontre des objectifs affichés, ne permettra pas de trouver une solution politique et économique à la crise que connaît ce pays. Elle aurait, au contraire, pour effet d'aggraver les tensions dans la région.

Refusons désormais de participer à des interventions extérieures sans un mandat explicite de l'ONU ! De telles opérations portent atteinte aux valeurs de la Charte des Nations unies et au multilatéralisme, qui est aujourd'hui, plus que jamais, une condition impérative pour contribuer à régler les conflits.

En Afghanistan comme ailleurs, ce n'est qu'au niveau de cette unique institution multilatérale, l'Organisation des Nations unies, que peut être mis en oeuvre et garanti par les grandes puissances membres du Conseil de sécurité un véritable processus de reconstruction et de démocratisation de ce pays.

Plutôt que d'annoncer directement l'augmentation de notre contingent, le Président de la République aurait donc été mieux inspiré de proposer d'abord à nos alliés de l'OTAN une réorientation de leur stratégie donnant la priorité à un processus politique de résolution de cette crise.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Mme Michelle Demessine. Il n'y a pas d'autre alternative si nous voulons véritablement aboutir à une solution conforme aux intérêts de nos peuples.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord souligner l'initiative de Mme Goulet et de mon groupe, le RDSE, en faveur de ce débat.

Le 11 septembre 2001, le monde fasciné, effaré, consterné, assistait au plus effroyable attentat jamais fomenté et concrétisé : les États-Unis avaient été frappés au coeur !

Deux jours auparavant, le Commandant Massoud, chef de l'Alliance du Nord, avait été assassiné à Khodja Bahouddin, au nord de l'Afghanistan, par deux tueurs commandités par Al-Qaïda.

La communauté internationale réalisait enfin le danger que représentait le fondamentalisme islamiste, jusqu'alors ignoré avec une surprenante insouciance, peut-être parce que les Américains avaient, pendant la guerre froide, considéré que l'Islam fondamentaliste constituait la meilleure barrière contre le communisme et que cette politique a continué sur son aire comme un lourd tanker, ou parce que, des stratégies économiques étant en jeu, les sociétés américaines Unocal et Delta espéraient acheminer les hydrocarbures d'Asie centrale vers le Pakistan.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Ou encore parce que, l'Afghanistan étant loin, la France prônait alors une neutralité active, aphorisme étonnant.

Les États-Unis ne pouvaient laisser l'agression impunie et la communauté internationale prenait enfin en compte la menace de cet islamisme fanatique. La corrélation entre les attentats contre le World Trade Center et les talibans apparaissait évidente. L'ONU décidait d'éradiquer un mal devenu planétaire, exporté par lesdits talibans.

Le 13 novembre, les troupes américaines, en coordination avec l'Alliance du Nord, balayaient les talibans et occupaient Kaboul. Les Allemands, les Français, les Britanniques et les Néerlandais renforçaient les troupes américaines. Les soldats alliés furent accueillis comme des libérateurs.

Six ans après, la situation s'est considérablement dégradée. Les attentats se multiplient. Les talibans évoluent impunément dans certaines villes. Pourtant, les troupes de la coalition sont passées de 20 000 à 58 000 soldats. Peut-être n'avons-nous pas pris en compte le fait qu'il s'agissait d'une guerre asymétrique ?

Peut-on attendre de l'envoi de 1 000 soldats supplémentaires une inversion de cette tendance à la détérioration ?

La guerre constitue toujours la pire des solutions et on ne doit y avoir recours qu'en dernière extrémité.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

A-t-on tout tenté ? Sans doute pas.

Les 5 milliards de dollars promis ont-ils entièrement bénéficié à la population ? Non !

Ne faut-il pas totalement réorganiser et, surtout, contrôler l'utilisation de ces crédits ? Certainement !

A-t-on tout fait pour éradiquer la culture du pavot, qui finance en grande partie les talibans ?

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Bien évidemment, non !

Il est inconcevable, étant donné les moyens d'observation satellitaires dont on dispose, que l'on ne défolie pas ces champs de pavots et que l'on ne détruise pas les laboratoires. Hélas ! c'est pourtant le cas.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

A-t-on mis en place une coopération coordonnée avec le Tadjikistan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan et l'Iran pour poser un garrot sur les flux de drogues qui, à travers l'Asie centrale et la Turquie, parviennent jusqu'en Europe, dont ils constituent plus des trois quarts de la consommation ? Non !

Pourquoi a-t-on laissé la charia servir de socle à la Constitution afghane, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

... alors que nous aurions pu l'éviter, non pas en faisant acte d'ingérence, mais en soulignant qu'il fallait à tout prix marquer une rupture constitutionnelle avec le régime des talibans et donner un plus grand sentiment de liberté à la population, en particulier aux femmes, tout en affirmant qu'il n'y avait pas opposition entre démocratie et religion ? Là non plus, nous n'avons pas de raison à opposer.

Je me suis rendu à plusieurs reprises en Afghanistan. J'ai vécu quinze jours chez le Commandant Massoud. Il me rappelait que, dans ce pays, toutes les troupes étrangères avaient été vaincues. Nous gardons en mémoire qu'une armée britannique de 12 000 hommes y a été anéantie, à l'exception d'un médecin épargné pour témoigner, et que les Soviétiques y furent saignés alors qu'ils avaient engagé la première armée du monde.

L'Afghanistan est constitué de peuples différents. Mais toute présence militaire étrangère les rassemble, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

... génère un sentiment national très fort et, plus encore, un nationalisme virulent.

Tous les chefs de guerre représentant les diverses provinces afghanes partageaient cette affirmation : ils désiraient être aidés par des envois d'armes et d'argent, mais soulignaient l'allergie des Afghans à toute présence armée étrangère. Cela dit, lorsque les forces de la coalition ont mis en déroute les talibans, elles ont été accueillies, je le répète, en libératrices. Les années sombres pendant lesquelles les femmes avaient replongé dans une servitude moyenâgeuse, la musique avait été interdite, les Bouddhas de Bamyian détruits et les petites filles condamnées à l'analphabétisme, étaient rejetées par la population.

Comme ces guerriers, grands patriotes afghans, me l'avaient prédit, aujourd'hui, les soldats de l'OTAN sont considérés non plus comme des libérateurs, mais comme des occupants par une grande partie de la population qui affirme que la situation économique ne s'est pas améliorée et que, dans de nombreuses régions, l'insécurité et la peur règnent.

Certains regrettent même la paix de l'époque des talibans. En 2003, je m'étais entretenu avec des militaires afghans. Ils me déclaraient qu'au moins, du temps des talibans, ils étaient payés !

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. C'était le bon temps !

Souriressur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Les troupes de la coalition ressentent cette atmosphère hostile. Elles ne sortent qu'armées et en groupes de leurs camps retranchés, et ne fraternisent guère avec une population réticente.

Augmenter le nombre de soldats, est-ce la bonne réponse à l'aggravation de l'insécurité ? Les effectifs n'ont pas cessé de croître, l'insécurité aussi. Faut-il, alors, envoyer 1 000 hommes supplémentaires ?

Au-delà de toute stratégie, le coût de ce contingent supplémentaire sera d'environ 150 millions d'euros, pour un budget militaire total de la coalition de 35 milliards. Cette dépense sera-t-elle décisive ? On peut en douter.

Bien sûr, la menace islamiste est réelle et nous devons faire preuve de solidarité vis-à-vis des alliés qui luttent contre elle. Mais n'oublions pas que tous les présidents de la VeRépublique ont maintenu notre pays, dans le concert des nations, à une place supérieure à son poids économique.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Vous en connaissez la raison, monsieur le Premier ministre, vous qui vous réclamez très justement du général de Gaulle : si notre pays est toujours resté fidèle à ses alliances, il s'est aussi toujours montré indépendant dans ses analyses et dans ses choix.

Si le coût de cet effort de guerre est évalué à 150 millions d'euros, ne peut-on réfléchir à l'alternative que représenterait un effort de paix financé à cette hauteur ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Ne peut-on consacrer ces 150 millions aux infrastructures électriques du pays, afin que chaque village ait la conviction d'être relié et d'appartenir à un État, l'État afghan ?

Ne peut-on consacrer ces 150 millions d'euros à l'alphabétisation du pays, de ses petits garçons et de ses petites filles, afin de lutter contre l'obscurantisme taliban ?

Ne peut-on consacrer ces 150 millions à l'Internet, afin que ce pays puisse s'intégrer dans la communauté internationale et ne nourrisse pas le sentiment d'en être exclu ?

En conclusion, ne peut-on privilégier notre effort de paix, plutôt qu'un effort de guerre dont l'incidence sera très faible sur l'issue de cette confrontation vitale pour la stabilité de cette région stratégique, alors qu'un effort pour le développement économique et social du pays aurait une incidence majeure ?

Ne doit-on pas prendre en considération la spécificité géographique, culturelle et historique du monde indo-persan ? L'Afghanistan, l'Asie centrale, l'Iran, le Pakistan, et même l'Inde, appartiennent, depuis Alexandre de Macédoine, à ce monde : tous sont concernés par ce conflit.

Les pays d'Asie centrale représentaient, et représentent toujours, une cible pour les talibans. Je m'étais entretenu avec des responsables talibans, qui m'avaient affirmé vouloir transformer le Turkménistan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan en émirats. Prenons en compte cet élément essentiel ! Les Turkmènes, les Ouzbeks et les Tadjiks sont des minorités importantes en Afghanistan.

Les talibans ont massacré des Hazaras, minorité perse, et des diplomates iraniens ; l'Iran a accueilli plus de 2 millions de réfugiés afghans ; le farsi et le dari sont des langues quasiment identiques. Par conséquent, impliquer l'Iran dans une dynamique de paix, ne serait-ce pas la meilleure façon de réintégrer ce pays dans le débat international ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Ces applaudissements sont quelque peu inattendus, mais tout à fait satisfaisants !

Sourires sur les mêmes travées.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Pas si inattendus !

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Le Pakistan et l'Afghanistan partagent, selon le pays, des minorités baloutches, pathanes ou pachtounes. Les talibans utilisent le sanctuaire des zones tribales comme refuge. Il faut arrimer le Pakistan, pays difficile, à un ensemble régional et international afin qu'il s'autocontrôle. Pour cela, il convient de lui garantir la sécurité sur sa frontière avec l'Inde.

Ce sont tous ces pays du monde indo-persan, premiers concernés par le fondamentalisme islamiste, qui doivent être coordonnés par la communauté internationale pour stabiliser la région.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Notre effort doit être orienté vers cette coordination et le développement économique de l'Afghanistan.

Nous devons impliquer ces pays beaucoup plus fortement dans la paix en mettant en place une initiative régionale comparable à l'Organisation de coopération économique, l'OCE, qui existe mais reste à l'état de veille. La diplomatie française s'honorerait si elle prenait cette initiative de paix innovante, qui n'a pas encore été tentée.

La misère constitue partout le meilleur humus pour le terrorisme. Les Afghans savent que 5 milliards de dollars leur ont été promis et qu'ils ont sans doute été affectés. Ils savent aussi que ce n'est pas la population qui en a profité. Cela attise leur ressentiment contre leurs dirigeants, et donc contre l'Occident.

Les Afghans constatent la progression de la culture du pavot. Ils en profitent un peu, beaucoup moins que de nombreux notables. L'impuissance de la coalition ou, peut-être, son indifférence sont assimilées à son incapacité de lutter contre les talibans.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Avant de conclure, je privilégierai trois points.

Les alliés doivent s'engager à rester en Afghanistan tous pour la même durée. En effet, aujourd'hui, nous sommes incapables de donner un calendrier de fin de conflit.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

C'est ce qu'on leur a demandé !

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Pour qu'il y ait sécurité, il faut développement économique, et réciproquement.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Nous sommes condamnés à lutter sans concession contre le fondamentalisme islamiste. Il faut frapper fort, mais cet effort sera totalement inutile s'il n'est pas précédé, accompagné, suivi par un effort économique et social très important.

Soyons solidaires et fidèles à nos alliés dans l'effort de guerre, mais il faut que la France se tienne aux avant-postes pour l'effort de paix.

Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Nogrix

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, c'est d'un sujet, bien sûr, extrêmement important dont nous débattons aujourd'hui : la présence française en Afghanistan.

Il n'est pas anodin de rappeler que, si cette opération est menée dans le cadre de l'OTAN, c'est sur mandat de l'ONU. De plus, depuis le début de l'opération, en 2001, la France a choisi de n'apporter qu'une participation très inférieure à celle de pays européens comparables tels que la Grande-Bretagne ou l'Allemagne - environ 2 000 hommes sur 60 000.

Aujourd'hui, ce n'est plus un secret pour personne, la France a décidé de renforcer sa présence militaire en Afghanistan.

Alors que, au départ, le Président de la République semblait souhaiter réserver la primeur de sa décision à nos partenaires de l'OTAN à l'occasion du sommet qui se tiendra à partir de demain à Bucarest, il a changé d'avis, l'annonçant à Londres au cours de son intervention devant le Parlement britannique. Demain, cette décision sera confirmée à Bucarest. L'effet d'annonce imaginé, d'abord, en direction des nos 25 partenaires de l'Alliance atlantique est donc tombé à plat et nous autres, parlementaires français, sommes placés devant le fait accompli !

C'est donc « plié », la décision est prise : la France va envoyer 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan. Elle possède actuellement sur ce théâtre 1 600 hommes, si l'on inclut ceux qui sont basés au Tadjikistan, et 2 200, si l'on comptabilise les forces embarquées sur les navires français dans le cadre du volet maritime de l'opération « Liberté immuable », que les Américains dirigent.

Mille hommes sur un contingent total déjà existant de 1 600 ou 2 200, ce n'est pas négligeable. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : cela fait 60 % d'hommes en plus ! C'est même une inflexion très substantielle, si substantielle que le Gouvernement a jugé bon d'en informer officiellement la représentation nationale et de lui permettre de s'exprimer sur le sujet. Nous ne pouvons que le saluer.

Mais, après avoir salué, notre premier mouvement est de nous interroger.

Je le disais en introduction de cette intervention, le sujet dont nous débattons est très important. Certes, mais deux questions s'imposent d'emblée à nous, qui sont les suivantes : pourquoi débattons-nous ? Et, de quoi, au juste, débattons-nous ?

À ces deux questions, nous ne voyons aujourd'hui aucune réponse claire se profiler.

La première question - « pourquoi débattons-nous ? » - pose un problème, certes formel, mais qui touche au coeur de l'équilibre de nos institutions. Je l'ai dit, les parlementaires sont placés devant le fait accompli, la décision est prise. Nous le savons, la présente déclaration gouvernementale ne sera suivie d'aucun vote.

Cela, nous pouvons le comprendre, puisque c'est la Constitution qui le veut ainsi. En effet, en vertu de son article 15, « Le Président de la République est le chef des armées » et, selon son article 35, seule « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». La Constitution est appliquée, rien que la Constitution. Dans ces conditions, nous ne pouvons que nous réjouir que ce débat ait été inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Quand on décide d'appliquer la Constitution à la lettre, une telle application ne doit pas être à géométrie variable.

Nous ne voterons donc pas. Cependant, l'association du Parlement à la décision présidentielle étant purement politique, n'aurait-il pas été possible, toujours de façon purement politique, de voter tout de même ? La légitimité de la décision présidentielle ne s'en serait-elle pas trouvé grandement renforcée ? À ces deux questions, je crois que l'on peut aisément répondre par l'affirmative.

Contrairement à ce qui a pu parfois être dit au cours des derniers jours, le Parlement français a déjà voté lors de l'envoi de troupes à l'extérieur. C'était en 1991, pour la participation de notre pays à la première guerre du Golfe.

De plus, dans un avenir proche, la Constitution pourrait rendre de tels votes systématiques. L'avant-projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Vème République dont nous disposons ajoute un alinéa à l'article 35 de la loi fondamentale, en vertu duquel « lorsque la durée d'une intervention excède six mois, sa prolongation est autorisée par le Parlement ». Cet alinéa, pour l'heure encore bien énigmatique à nos yeux, signifie-t-il que, pour la question qui nous occupe, un vote du Parlement aurait été requis ? Cela ne nous semble pas à exclure. Donc, dans l'affirmative, et puisque nous sommes dans « le purement politique », n'aurait-il pas été plus « politique » d'anticiper l'application de la réforme des institutions sur ce chapitre en nous faisant voter ? La question se pose.

La question, « pourquoi débattons-nous ? », pose le problème de l'équilibre, ou plutôt du déséquilibre général de nos institutions. En l'occurrence, quelle image va donner le Parlement ? Pas même celle d'une chambre d'enregistrement, mais bien celle d'une chambre stérile. Une fois de plus, nous le répétons, nos institutions doivent être rééquilibrées en faveur de la représentation nationale. Ce n'est qu'à ce prix que nous parviendrons à redynamiser notre démocratie parlementaire.

Voilà pour la première des questions que nous nous posions : « pourquoi débattons-nous ? ». Reste maintenant la question de fond : « de quoi débattons-nous ? »

Nous débattons d'une question dont les implications et les enjeux sont majeurs.

Le premier enjeu, évidemment le plus important, est celui des vies humaines, de la vie de nos soldats. C'est à une vraie guerre qu'ils sont confrontés là-bas ; ils subissent des pertes réelles. D'où le problème de leur exposition plus ou moins grande en fonction de leur zone de déploiement. Pensons aussi à la vie des civils afghans. C'est donc de la paix ou de la guerre dont il est question ; les guerres « propres » auxquelles on essaye de nous faire croire n'existent pas.

Peut-être est-il aussi question de la vie des victimes de futures attaques terroristes, où qu'elles aient lieu dans le monde.

Le deuxième enjeu, qui, bien sûr, n'est pas du même ordre, mais qui n'est pas négligeable pour autant, est l'enjeu budgétaire. Mille hommes de plus en Afghanistan, cela a un coût, mes chers collègues.

Le troisième enjeu, plus global, est l'enjeu géopolitique et géostratégique. La décision de renforcer nos troupes en Afghanistan n'entre-t-elle pas dans le cadre d'une inflexion majeure du positionnement géostratégique de la France sur la scène internationale ? Une telle inflexion, si elle se confirmait, pourrait avoir des incidences très importantes. Ne serait-il pas utile de revoir nos engagements européens dans le cadre d'une Europe cohérente et organisée militairement ?

Face à ces enjeux, la question que nous nous posons - « de quoi débattons-nous » - prend toute son ampleur. Examinons-la à leur aune.

Pour ce qui est de l'enjeu vital, celui du passage de la guerre à la paix, la question reste entière : pourquoi envoyons-nous 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan ?

Le contingent canadien, qui tient le sud du pays et qui se trouve au feu face à la guérilla des talibans, avait réclamé des renforts. Les Canadiens avaient précisément demandé 1 000 hommes supplémentaires à leurs alliés, sous peine de retirer leur propre contingent.

Les 1 000 soldats français sont-ils envoyés pour aider nos alliés canadiens ? Il aurait été parfaitement légitime de venir en renfort de l'un de nos alliés dans le cadre d'une opération internationale approuvée par l'ONU à laquelle nous participons. Mais tel n'est pas le cas, puisque les 1 000 soldats français supplémentaires seront déployés dans l'est du pays. Les États-Unis ont, d'ailleurs, déjà déclaré redéployer 1 000 de leurs GI's dans le Sud, à l'appel des Canadiens.

Alors, pourquoi ces 1 000 hommes ? Pour pacifier et lutter contre le terrorisme, nous dit-on. Mais la question se pose : depuis sept ans que nous sommes là-bas, la situation s'est-elle vraiment améliorée ?

Debut de section - Permalien
Hervé Morin, ministre de la défense

Oui !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Nogrix

L'opération avait pour but de stabiliser le pays, d'éradiquer le terrorisme des talibans et celui d'Al-Qaïda. Mais n'y a-t-il pas enlisement ? N'assiste-t-on pas en Afghanistan à un Irak, un Vietnam, une Algérie bis ? C'est, en tous les cas, l'avis de James Jones, une personnalité qui sait de quoi elle parle puisqu'il n'est autre que le prédécesseur de John Craddock à la tête de l'OTAN !

Dans un rapport, il a souligné « l'impasse » où se trouvent les troupes alliées en Afghanistan. Et nous en envoyons encore d'autres ! Pour lui, « nos forces ne pourront éliminer les talibans par des moyens militaires aussi longtemps qu'ils pourront à tout moment se replier au Pakistan ». Les éliminer ici, c'est les voir réapparaître ailleurs.

La question de fond est celle de la position que nous allons réellement adopter pour gérer la sortie du conflit, la transition vers la paix. Sachant que, à ce sujet, des divergences importantes d'appréciation existent entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, les deux principaux protagonistes de la coalition, quel camp allons-nous choisir ?

Ce que nous pensons, nous, c'est que le futur de l'Afghanistan sera déterminé par les progrès ou les échecs dans le domaine civil. Dans ces conditions, la guerre que nous menons limite-t-elle vraiment l'essaimage du terrorisme ou, au contraire, ne l'alimente-t-elle pas ?

Dès lors, est-il prévu que nos troupes participent plus activement à des actions civiles, à la reconstruction, au développement ? C'est ce que peut laisser espérer la déclaration sur la stratégie politico-militaire qui devrait être adoptée au sommet de l'OTAN de Bucarest, déclaration qui plaide en faveur d'une prise de relais à terme du conflit par l'armée afghane et, surtout, d'une approche « globale » de la question associant action militaire et efforts de développement et de reconstruction.

Mais, pour reconstruire et développer, il faut, certes, des hommes, mais il faut surtout des moyens, donc, de l'argent. Or, plus du tiers de l'aide promise à l'Afghanistan par les pays occidentaux pour la période 2002-2008 n'a pas encore été fournie !

Nous envoyons 1 000 hommes supplémentaires, mais la part de l'aide internationale de la France - 80 millions de dollars - restera proportionnelle à son engagement militaire actuel. Elle est très inférieure à celle de la Grande Bretagne - 1, 2 milliard de dollars - et à celle de l'Allemagne - 768 millions de dollars. A-t-on l'intention de l'augmenter en proportion ?

Par ailleurs, quelle part de l'aide promise jusqu'ici avons-nous réellement versée ?

Alors, c'est vrai, tout cela a un coût. Parlons-en, justement de ce coût ! C'est le deuxième grand enjeu que nous voyons, l'enjeu budgétaire.

La part de l'aide française à l'Afghanistan est faible, comparée à celle de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne. Mais, dans le même temps, celui du budget de nos OPEX, nos opérations extérieures, s'envole.

Les OPEX sont systématiquement sous-financées en lois de finances, ce qui pose, une fois encore, la question du rôle du Parlement.

Même s'il est vrai que, ces dernières années, des efforts ont été entrepris pour limiter le gap entre ce qui est provisionné et ce qui est vraiment dépensé, le problème demeure. Vous le savez, monsieur le ministre, à la fin de 2007, il a fallu combler un trou de 273 millions d'euros. Et, contrairement à ce que vous avez dit, aucune rallonge n'est intervenue. Les millions manquants ont été ponctionnés sur les crédits d'équipement. C'est autant de moins pour la modernisation de nos armées !

Pour 2008, le problème revient, plus énorme que jamais, surtout avec la décision dont nous débattons. Les OPEX devraient représenter 850 millions d'euros, alors que le budget 2008 n'en avait provisionné que 460 millions ! Où trouvera-t-on la différence ?

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Nogrix

Et combien coûtera exactement le renforcement de notre présence en Afghanistan ? Le ministre de la défense avait chiffré entre 150 millions et 200 millions d'euros en année pleine les surcoûts liés aux 2 200 soldats déjà présents en Afghanistan.

Et les 1 000 hommes supplémentaires ? Sur le même ratio, on peut estimer ce coût à environ 70 millions d'euros.

Reste le troisième grand enjeu : l'enjeu géostratégique.

Est-il opportun, d'un point de vue strictement stratégique, d'envoyer 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan ? La réponse pourrait ne pas être positive si l'on considère que, aujourd'hui, le déséquilibre du déploiement de nos forces dans le monde ne nous garantit peut-être pas de pouvoir faire face à des menaces d'urgence. L'envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan posera des problèmes techniques, des problèmes très concrets : où trouverons-nous les hommes pour faire face à nos engagements ?

Cette question, nos états-majors se la posent avec d'autant plus d'acuité que cet envoi pourrait ne pas être compatible avec les engagements que nous avons pris par ailleurs avec nos alliés, afin de pouvoir répondre en urgence à toute menace, selon les critères de Petersberg.

Alors, posons toujours la même question, cette fois sous l'angle géostratégique : pourquoi ces 1 000 hommes ? Cela ne correspond pas à une demande de nos partenaires. Nous l'avons vu, les Canadiens avaient besoin de renforts, mais dans le Sud et non dans l'Est. Cela ne semble pas être non plus une demande de nos états-majors sur le terrain.

Les autres pays de la coalition ne modifient pas leurs engagements. Alors, pourquoi la France le fait-elle ainsi, unilatéralement ?

Seules des considérations géostratégiques plus globales peuvent l'expliquer.

Le renforcement des positions françaises en Afghanistan pourrait n'être qu'un des éléments du repositionnement de la France sur la scène internationale. Pour parler clairement, ce pourrait être l'un des éléments du glissement de la France vers l'atlantisme.

Le choix de déployer des troupes supplémentaires dans l'est du pays n'est pas indifférent au fait qu'elles y seront moins exposées que dans le sud. Certes, mais, surtout, le choix de l'est afghan conforte le rapprochement franco-américain. En effet, c'est de là qu'est menée la guerre contre les positions frontalières d'Al-Qaïda.

Dès lors, ces 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan ne constituent-ils pas un élément du glissement atlantiste de notre pays ? Il est permis de le croire.

Dans ces conditions, se pose la question de la pertinence de ce glissement. Ne risque-t-il pas d'entraver très fortement la politique européenne de sécurité et de défense, sachant que les signaux envoyés par la France en direction de la Grande-Bretagne et des États-Unis peuvent ne pas toujours être compris par notre partenaire privilégié au sein de l'Union, l'Allemagne ?

Cette inflexion n'exprime-t-elle pas de vives inquiétudes quant à la stabilité de l'ordre géopolitique international ? Jusqu'où ira le glissement atlantiste de la France ? La vision géostratégique que le général de Gaulle avait su imposer est-elle en train d'être remplacée par de nouveaux engagements auprès de nos alliés ?

Cela fait tout de même beaucoup de questions - et quelles questions ! - qui sont sans réponse !

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Heureusement pour le Gouvernement qu'il n'y a pas de vote !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, si j'avais eu connaissance de la teneur des propos de mon collègue Aymeri de Montesquiou, je ne serais pas intervenu en cet instant, tant il est vrai que je partage nombre de ses arguments.

N'étant pas un spécialiste des questions de politique étrangère, c'est en simple sénateur, voire en citoyen de base, que je souhaite exposer ici mes principales préoccupations.

Qu'est-ce qui sous-tend nos différentes indignations ?

Comment déterminons-nous nos choix d'intervention ? Pourquoi l'Afghanistan, plutôt que l'Iran, la Tchétchénie, le Tibet ou le Darfour ?

Comment apprécions-nous l'efficacité de notre intervention ? Faut-il envoyer plus de soldats ou donner plus de moyens aux Afghans pour qu'ils puissent décider eux-mêmes de leur propre avenir ?

Quel calendrier de désengagement avons-nous prévu ? Serons-nous condamnés à rester en permanence dans ce pays ?

Personnellement, si un vote avait eu lieu à l'issue de ce débat, j'aurais eu tendance à accorder à M. le Premier ministre la confiance qu'il nous aurait demandée, tout en l'assortissant d'un certain nombre de conditions, dont, en premier lieu, la tenue, comme l'a réclamé le président de la commission des affaires étrangères, d'un débat de politique étrangère servant de base à une intervention extérieure ou à notre devoir d'ingérence.

En second lieu, j'aurais insisté sur la priorité à donner à la prise en main par les Afghans eux-mêmes de leur avenir, ce qui implique l'affectation des moyens financiers nécessaires à leur évolution plutôt que l'envoi de soldats supplémentaires.

Enfin, j'aurais souligné la nécessité de prévoir un calendrier de retrait de manière que nous ne soyons pas enlisés dans un conflit sans fin.

Messieurs les ministres, en l'absence d'un vote, j'ai considéré qu'il était de mon devoir de faire état de mes interrogations et, en conclusion, je voudrais vous assurer de mon soutien, car j'ai confiance en votre appréciation de la situation.

J'espère simplement que nous pourrons sortir de ce conflit en ayant le sentiment du devoir accompli !

Applaudissements sur quelques travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

Monsieur le président, j'aurais aimé répondre à chacun d'entre vous, à MM. de Rohan, Boulaud, Dulait, à Mme Demessine, ainsi qu'à à MM. de Montesquiou, Nogrix et Adnot, mais je comprends bien que vous ne m'en laisserez pas le temps

Je vais donc être très synthétique, sans doute trop brutal et, sans aucun doute, partial.

J'ai entendu les interrogations des uns et des autres et, d'abord, je voudrais saluer les accents de sincérité de M. de Rohan, qui a décrit certaines situations avec une émotion que je ressens moi-même pour bien connaître les lieux qu'il a évoqués, qu'il s'agisse de la destruction des statues de Bamiyan, ou de l'humiliation permanente des femmes.

Je voudrais aussi vous dire combien j'ai apprécié les vérités et les encouragements de M. Dulait. Quant aux critiques de M. Boulaud, pour être vives, elles sont, hélas ! peu constructives. Mme Demessine a, elle aussi, été un peu partiale, même si mais elle nous a donné de quoi réfléchir.

Monsieur de Montesquiou, vous avez posé des questions très justes et proposé un certain nombre de solutions possibles, de même que M. Nogrix et M. Adnot.

Ce que nous souhaitons, c'est changer notre fusil d'épaule !

Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Je vous ai fait rire, c'était mon souhait !

En renforçant notre participation, comme nous l'ont demandé non pas seulement les Américains - serait-ce une honte ? - mais tout particulièrement les Canadiens, les Néerlandais ainsi que vingt pays européens, et ce même si notre effort n'est pas à la hauteur de celui que consentent un certain nombre de nos amis, nous essaierons - c'est notre souhait et c'est le sens de la lettre adressée par le Président de la République à ses partenaires - de ne pas nous consacrer seulement à la guerre, mais de promouvoir surtout la paix et le développement. Nous pensons, en effet, que c'est la seule voie pour qu'un certain nombre de nos suggestions puissent être acceptées.

L'afghanisation, cela signifie donner plus de responsabilités aux Afghans, et ce dans chacun des projets. Il ne s'agit donc pas uniquement pour nous de renforcer notre formation auprès des militaires - ils sont non pas 30 000 mais 50 000 - et des 35 000 policiers qui en ont, surtout les seconds, bien besoin.

Notre souhait est de faire en sorte que, dans chacun des projets de développement présentés par les organisations non gouvernementales et les agences des Nations unies, nous puissions impliquer les Afghans qui pourront alors assumer toutes leurs responsabilités.

Tel est le sens de la démarche de la France, et si nos partenaires ne partagent pas cet objectif, nous n'aurons pas alors à choisir entre rien du tout et l'augmentation des effectifs : notre réponse sera purement et simplement négative. À cet égard, je vous prie de suivre attentivement ce qui se passera demain à Bucarest : dans le déroulement des débats et, peut-être, dans ses conclusions, rien ne ressemblera à un alignement sur les Américains. Certes, le fait de s'aligner sur eux quand ils ont raison n'est pas un péché, mais, étant donné que nous souhaitons prendre la direction que j'ai indiquée concernant l'Afghanisation, vous verrez que nous serons très déterminés.

Qu'est-ce que cela signifie ? Cela veut dire, d'abord, établir une coordination à laquelle nous aspirons, ainsi que cela figure dans la lettre du Président de la République.

En effet, il est à noter qu'une telle coordination n'existe pas, ou, en tout cas, n'est pas suffisante, entre les trois grandes instances que sont l'opération Enduring Freedom, l'ISAF, et les agences civiles des Nations unies. Nous nous efforcerons donc de la renforcer, come il est de notre devoir de le faire.

C'est d'ailleurs dans cette attente, et sur la suggestion de la France, que M. Henry Hyde a été nommé représentant spécial du secrétaire général de l'ONU, afin de coordonner les missions des Nations unies, même s'il n'aura malheureusement pas les moyens de coordonner l'ensemble. Cela était tout à fait indispensable, et Henry Hyde fera, je le crois, un bon travail.

Certains orateurs ont évoqué la situation de l'agriculture en Afghanistan. Je rappellerai, à cet égard, que 2 % de l'aide publique sont consacrés à l'agriculture, ce qui, il est vrai, est grandement insuffisant. Mais pour que les paysans afghans, qui représentent la majorité de la population, puissent bénéficier de cette aide, il faut de la sécurité. De même, pour construire les lignes électriques, très beau projet s'il en est, il faut de la sécurité !

Certes, l'insécurité est cantonnée à une portion réduite du territoire, mais c'est surtout là que vivent les Afghans ! Or, le territoire de ce pays est immense et presque vide, et il n'est pas intéressant d'y construire uniquement des lignes électriques.

Ne croyez pas que nous obéissions à un réflexe en quelque sorte militariste - et quand je dis militariste, il ne s'agit pas du tout d'un terme péjoratif ! -, pour le seul plaisir d'envoyer 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan ! Ce chiffre reste, d'ailleurs, à confirmer. En effet, je vous rappelle, madame Demessine, que, avant-hier, à Buckingham, aucun chiffre n'a été prononcé ni aucune décision prise devant le Parlement anglais.

Nous avons répété, comme l'avait dit le Président de la République devant la conférence des ambassadeurs, que nous augmenterions notre effort si les conditions stipulées dans la lettre adressée aux chefs d'État étaient remplies. Cela me paraît non seulement raisonnable, mais absolument nécessaire.

Je crois avoir répondu, même si ce fut trop rapidement, à vos remarques tout à fait pertinentes.

Ce n'est pas la guerre que nous souhaitons, ce n'est pas pour un éternel combat que nous nous sommes engagés. Il est toujours plus facile d'envoyer des troupes dans un pays que de les en retirer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Alors, n'envoyons pas d'hommes supplémentaires !

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Je voudrais donner ici quelques indications quant à la longueur des missions de paix.

La durée d'une mission de paix couvre, en général, une génération, c'est-à-dire vingt ou vingt-cinq ans.

Je vous rappelle ainsi que nous sommes au Kosovo depuis neuf ans, en Bosnie depuis dix-sept ans, en République démocratique du Congo depuis quinze ans, sur le plateau du Golan depuis trente-cinq ans, en Côte-d'Ivoire depuis six ans, au Liban depuis trente ans et à Chypre depuis trente-cinq ans.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

M. Bernard Kouchner, ministre. Peut-être, mais ce n'était pas exactement la même organisation !

Sourires

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Nous sommes présents en Afghanistan depuis 2001, c'est-à-dire seulement depuis sept années, ce qui, je suis désolé de le dire, n'est suffisant ni pour changer ni les mentalités, ni pour promouvoir le développement.

Pourtant - je conclurai par là - je dois dire que nos efforts ont été couronnés de succès, même s'ils demeurent, et je le déplore, insuffisants.

De ce point de vue, je rappellerai que la croissance afghane est aujourd'hui de 8 %, c'est-à-dire beaucoup plus que lorsque nous sommes arrivés.

Protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Ce n'est pas vous qui avez construit les 4 000 kilomètres de routes ; ceux-ci ont pu être réalisés grâce à l'effort des soldats français ! Auparavant, ce chiffre était de 50 kilomètres pas an, et encore !

Je rappellerai, en outre, que les vaccinations qui, à l'heure actuelle, concernent environ 60 % à 70 % des enfants, n'existaient pas et que 80 % des Afghans...

Debut de section - Permalien
Hervé Morin, ministre de la défense

... ont accès à la santé !

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

... ont dorénavant accès à un dispensaire. Cela n'est pas si mal !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Cela justifie-t-il d'envoyer mille hommes supplémentaires ?

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Ce n'est pas en retirant nos troupes que nous pourrons poursuivre ce programme de vaccinations ! Si les vaccinateurs ne sont pas protégés - ce qui implique la présence de soldats -, la campagne s'arrêtera.

Quant aux femmes enceintes, elles sont, pour 35 % à 50 % d'entre elles, prises en charge, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Par ailleurs - ce chiffre a été mentionné deux fois, mais il n'est pas inutile de le rappeler - 6 millions d'écoliers, dont un tiers de petites filles, sont scolarisés, alors que, auparavant, aucune école n'existait dans les villages que je connais.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Je soulignerai aussi que pour la première fois, en 2004, les femmes ont voté en Afghanistan.

Enfin, je vous rappelle que Hamid Karzaï a été élu et qu'un Parlement représente désormais l'Afghanistan. Cela n'est déjà pas si mal !

Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Bernard Kouchner, ministre

Par conséquent, en proposant que nous retirions nos troupes d'Afghanistan, vous prendriez une responsabilité folle !

Dois-je vous rappeler qu'en 2001, alors que les socialistes étaient au pouvoir et que je faisais partie du gouvernement, je tenais exactement le même langage et que vous-mêmes le teniez aussi ?

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Hervé Morin, ministre de la défense

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l'a souligné. Bernard Kouchner, le combat que nous menons ne peut être seulement militaire : c'est une victoire globale que nous devons remporter. C'est pourquoi le Président de la République a souhaité, à l'occasion du sommet de l'OTAN de Bucarest et dans un courrier envoyé aux partenaires de la France, que nous définissions une approche globale à propos de l'Afghanistan.

Cette approche, je le rappelle, intégrerait une amélioration de la gouvernance et ce que l'on appelle « l'afghanisation », c'est-à-dire la possibilité pour les Afghans de progressivement prendre en mains leur destin et d'assurer eux-mêmes les conditions de leur sécurité ; dans certaines zones, ils pourraient exercer certains éléments de leur souveraineté.

Nous avons souhaité mettre en oeuvre une approche globale dans le domaine économique, avec un véritable projet de développement, et permettre une meilleure coordination entre les moyens civils et militaires.

Debut de section - Permalien
Hervé Morin, ministre

M. Hervé Morin, ministre. Nous avons souhaité également qu'une réflexion soit engagée au sujet de la lutte contre le narcotrafic, afin que nous puissions proposer aux paysans afghans une véritable politique de développement agricole.

Marques de scepticisme sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - Permalien
Hervé Morin, ministre

L'opium exporté dans le monde provient à 92 % d'Afghanistan. Nous avons donc demandé à tous nos partenaires de la FIAS, la Force internationale d'assistance à la sécurité, de demeurer engagés en Afghanistan, demain et après-demain. Ainsi, l'effort que la France sera éventuellement amenée à consentir ne servira pas à compenser les réductions d'effectifs décidées par d'autres pays de l'Alliance ; au contraire, les 49 pays qui participent à la reconstruction de l'Afghanistan doivent accomplir un effort global.

J'observe d'ailleurs que le mouvement que la France pourrait réaliser ne sera pas isolé : de nombreux pays européens envisagent un engagement complémentaire ; ils nous l'ont clairement indiqué au cours des conversations préalables que nous avons eues avec eux.

Debut de section - Permalien
Hervé Morin, ministre

La mission qu'y exercent nos soldats requiert un grand professionnalisme. Ils prennent des risques, et certains ont payé leur engagement de leur vie, puisque nous en avons perdu quatorze depuis que nos forces se trouvent en Afghanistan. Leur tâche est d'autant plus difficile qu'ils doivent affronter un ennemi sans visage, qui utilise le terrorisme comme mode d'action, avec, notamment, des engins explosifs improvisés.

Toutefois, nos soldats sont fiers de leur action, et je voudrais faire partager au Sénat leur sentiment : ils ont la conviction que la tâche qu'ils accomplissent dans les vallées d'Afghanistan est absolument décisive pour garantir la liberté et la dignité des hommes et des femmes, et permettre le développement de ce pays.

En effet, nous formons l'armée nationale afghane qui, partie de rien, compte aujourd'hui plus de 50 000 hommes et sera bientôt en mesure de prendre le contrôle d'un certain nombre de districts du pays - elle gère le nord de Kaboul et mène des missions de déminage et de protection des populations. Nous instruisons ses officiers, grâce à un cours pilote, ainsi que ses futures forces spéciales. Nous lui apportons une assistance permanente dans ses programmes de reconstruction.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que fait l'armée française ! Si vous interrogez les soldats qui se trouvent là-bas, vous constaterez qu'ils sont conscients de prendre des risques et de mettre chaque jour leur vie en jeu, mais qu'ils ont aussi le sentiment d'oeuvrer pour la dignité de l'homme, pour la souveraineté d'un pays, pour le progrès et la liberté, et qu'ils sont heureux de l'action qu'ils mènent !

Si vous avez l'occasion d'aller en Afghanistan, je vous garantis que vous y verrez des hommes et des femmes courageux, motivés et fiers de la mission que leur a confiée la France et des opérations qu'ils conduisent chaque jour.

J'en donnerai deux exemples récents. Tout d'abord, l'armée française s'est rendue dans la vallée de Shamally, où elle n'était jamais allée et où les forces de l'Alliance n'avaient pas pénétré depuis plusieurs années. Ensuite, nos troupes ont aidé l'armée nationale afghane à prendre le contrôle de la vallée de Kapissa et à y installer des policiers et les premiers éléments d'une administration.

Si nous ne poursuivons pas cet effort, l'Afghanistan n'a aucune chance de trouver les conditions de son développement et de sa stabilité.

Certes, la présence militaire ne suffit pas, mais l'action de notre pays va bien au-delà : nous contribuons à stabiliser cet arc de crise majeur qui s'étend de l'Atlantique à l'Asie du Sud. Si, par malheur, le retrait de nos forces ou l'insuffisance de notre engagement conduisait au retour au pouvoir des talibans, nous créerions les conditions de notre propre insécurité, car l'Afghanistan a constitué pendant longtemps un foyer de terrorisme.

Or notre présence en Afghanistan est conditionnée aux moyens que nous y engageons. Quelles autres solutions s'offrent à nous ? Si nous partons, nous scellons notre échec : tous les efforts que nous avons consentis jusqu'à présent n'auraient servi à rien, et nous laisserions au terrorisme une extraordinaire base arrière, qui lui permettrait de se développer. Si nous n'accentuons pas notre effort, nous risquons de rester très longtemps présents en Afghanistan, alors même que le Président de la République a souligné que nous n'avions pas vocation à y maintenir des troupes éternellement.

Debut de section - Permalien
Hervé Morin, ministre

C'est pourquoi tous les pays de l'Alliance atlantique doivent consentir des efforts considérables, et éventuellement les intensifier, me semble-t-il, en matière de développement, de gouvernance, d'administration et peut-être de présence militaire. Grâce à tous ces efforts, l'action entreprise depuis six ans ne sera pas vaine ...

Debut de section - Permalien
Hervé Morin, ministre

M. Hervé Morin, ministre. ... et l'Afghanistan pourra retrouver la stabilité et la sécurité à laquelle ce pays a droit, comme toutes les nations au XXIe siècle.

Applaudissementssur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n° 250 et distribuée.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt-et-une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Guy Fischer.