Intervention de Philippe Nogrix

Réunion du 1er avril 2008 à 16h00
Situation en afghanistan — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Philippe NogrixPhilippe Nogrix :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, c'est d'un sujet, bien sûr, extrêmement important dont nous débattons aujourd'hui : la présence française en Afghanistan.

Il n'est pas anodin de rappeler que, si cette opération est menée dans le cadre de l'OTAN, c'est sur mandat de l'ONU. De plus, depuis le début de l'opération, en 2001, la France a choisi de n'apporter qu'une participation très inférieure à celle de pays européens comparables tels que la Grande-Bretagne ou l'Allemagne - environ 2 000 hommes sur 60 000.

Aujourd'hui, ce n'est plus un secret pour personne, la France a décidé de renforcer sa présence militaire en Afghanistan.

Alors que, au départ, le Président de la République semblait souhaiter réserver la primeur de sa décision à nos partenaires de l'OTAN à l'occasion du sommet qui se tiendra à partir de demain à Bucarest, il a changé d'avis, l'annonçant à Londres au cours de son intervention devant le Parlement britannique. Demain, cette décision sera confirmée à Bucarest. L'effet d'annonce imaginé, d'abord, en direction des nos 25 partenaires de l'Alliance atlantique est donc tombé à plat et nous autres, parlementaires français, sommes placés devant le fait accompli !

C'est donc « plié », la décision est prise : la France va envoyer 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan. Elle possède actuellement sur ce théâtre 1 600 hommes, si l'on inclut ceux qui sont basés au Tadjikistan, et 2 200, si l'on comptabilise les forces embarquées sur les navires français dans le cadre du volet maritime de l'opération « Liberté immuable », que les Américains dirigent.

Mille hommes sur un contingent total déjà existant de 1 600 ou 2 200, ce n'est pas négligeable. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : cela fait 60 % d'hommes en plus ! C'est même une inflexion très substantielle, si substantielle que le Gouvernement a jugé bon d'en informer officiellement la représentation nationale et de lui permettre de s'exprimer sur le sujet. Nous ne pouvons que le saluer.

Mais, après avoir salué, notre premier mouvement est de nous interroger.

Je le disais en introduction de cette intervention, le sujet dont nous débattons est très important. Certes, mais deux questions s'imposent d'emblée à nous, qui sont les suivantes : pourquoi débattons-nous ? Et, de quoi, au juste, débattons-nous ?

À ces deux questions, nous ne voyons aujourd'hui aucune réponse claire se profiler.

La première question - « pourquoi débattons-nous ? » - pose un problème, certes formel, mais qui touche au coeur de l'équilibre de nos institutions. Je l'ai dit, les parlementaires sont placés devant le fait accompli, la décision est prise. Nous le savons, la présente déclaration gouvernementale ne sera suivie d'aucun vote.

Cela, nous pouvons le comprendre, puisque c'est la Constitution qui le veut ainsi. En effet, en vertu de son article 15, « Le Président de la République est le chef des armées » et, selon son article 35, seule « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». La Constitution est appliquée, rien que la Constitution. Dans ces conditions, nous ne pouvons que nous réjouir que ce débat ait été inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Quand on décide d'appliquer la Constitution à la lettre, une telle application ne doit pas être à géométrie variable.

Nous ne voterons donc pas. Cependant, l'association du Parlement à la décision présidentielle étant purement politique, n'aurait-il pas été possible, toujours de façon purement politique, de voter tout de même ? La légitimité de la décision présidentielle ne s'en serait-elle pas trouvé grandement renforcée ? À ces deux questions, je crois que l'on peut aisément répondre par l'affirmative.

Contrairement à ce qui a pu parfois être dit au cours des derniers jours, le Parlement français a déjà voté lors de l'envoi de troupes à l'extérieur. C'était en 1991, pour la participation de notre pays à la première guerre du Golfe.

De plus, dans un avenir proche, la Constitution pourrait rendre de tels votes systématiques. L'avant-projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Vème République dont nous disposons ajoute un alinéa à l'article 35 de la loi fondamentale, en vertu duquel « lorsque la durée d'une intervention excède six mois, sa prolongation est autorisée par le Parlement ». Cet alinéa, pour l'heure encore bien énigmatique à nos yeux, signifie-t-il que, pour la question qui nous occupe, un vote du Parlement aurait été requis ? Cela ne nous semble pas à exclure. Donc, dans l'affirmative, et puisque nous sommes dans « le purement politique », n'aurait-il pas été plus « politique » d'anticiper l'application de la réforme des institutions sur ce chapitre en nous faisant voter ? La question se pose.

La question, « pourquoi débattons-nous ? », pose le problème de l'équilibre, ou plutôt du déséquilibre général de nos institutions. En l'occurrence, quelle image va donner le Parlement ? Pas même celle d'une chambre d'enregistrement, mais bien celle d'une chambre stérile. Une fois de plus, nous le répétons, nos institutions doivent être rééquilibrées en faveur de la représentation nationale. Ce n'est qu'à ce prix que nous parviendrons à redynamiser notre démocratie parlementaire.

Voilà pour la première des questions que nous nous posions : « pourquoi débattons-nous ? ». Reste maintenant la question de fond : « de quoi débattons-nous ? »

Nous débattons d'une question dont les implications et les enjeux sont majeurs.

Le premier enjeu, évidemment le plus important, est celui des vies humaines, de la vie de nos soldats. C'est à une vraie guerre qu'ils sont confrontés là-bas ; ils subissent des pertes réelles. D'où le problème de leur exposition plus ou moins grande en fonction de leur zone de déploiement. Pensons aussi à la vie des civils afghans. C'est donc de la paix ou de la guerre dont il est question ; les guerres « propres » auxquelles on essaye de nous faire croire n'existent pas.

Peut-être est-il aussi question de la vie des victimes de futures attaques terroristes, où qu'elles aient lieu dans le monde.

Le deuxième enjeu, qui, bien sûr, n'est pas du même ordre, mais qui n'est pas négligeable pour autant, est l'enjeu budgétaire. Mille hommes de plus en Afghanistan, cela a un coût, mes chers collègues.

Le troisième enjeu, plus global, est l'enjeu géopolitique et géostratégique. La décision de renforcer nos troupes en Afghanistan n'entre-t-elle pas dans le cadre d'une inflexion majeure du positionnement géostratégique de la France sur la scène internationale ? Une telle inflexion, si elle se confirmait, pourrait avoir des incidences très importantes. Ne serait-il pas utile de revoir nos engagements européens dans le cadre d'une Europe cohérente et organisée militairement ?

Face à ces enjeux, la question que nous nous posons - « de quoi débattons-nous » - prend toute son ampleur. Examinons-la à leur aune.

Pour ce qui est de l'enjeu vital, celui du passage de la guerre à la paix, la question reste entière : pourquoi envoyons-nous 1 000 hommes supplémentaires en Afghanistan ?

Le contingent canadien, qui tient le sud du pays et qui se trouve au feu face à la guérilla des talibans, avait réclamé des renforts. Les Canadiens avaient précisément demandé 1 000 hommes supplémentaires à leurs alliés, sous peine de retirer leur propre contingent.

Les 1 000 soldats français sont-ils envoyés pour aider nos alliés canadiens ? Il aurait été parfaitement légitime de venir en renfort de l'un de nos alliés dans le cadre d'une opération internationale approuvée par l'ONU à laquelle nous participons. Mais tel n'est pas le cas, puisque les 1 000 soldats français supplémentaires seront déployés dans l'est du pays. Les États-Unis ont, d'ailleurs, déjà déclaré redéployer 1 000 de leurs GI's dans le Sud, à l'appel des Canadiens.

Alors, pourquoi ces 1 000 hommes ? Pour pacifier et lutter contre le terrorisme, nous dit-on. Mais la question se pose : depuis sept ans que nous sommes là-bas, la situation s'est-elle vraiment améliorée ?

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