Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelles sont les raisons qui, en définitive, justifient le dépôt de ce projet de loi ? Je me souviens que, dans cet hémicycle même, on nous a d'abord expliqué que la loi d'habilitation qui constitue le fondement de l'ordonnance du 17 juin 2004 était fort bien faite, puis que cette ordonnance était elle-même de bonne qualité. La question - nous la connaissons tous et elle doit être examinée de manière très objective - est de savoir si les contrats de partenariat doivent être une formule à caractère dérogatoire ou s'il faut tendre à leur généralisation.
Les membres du groupe socialiste du Sénat s'étaient donné beaucoup de mal en saisissant, et à deux reprises, le Conseil constitutionnel pour obtenir, notamment, la décision du 26 juin 2003, que vous avez bien voulu qualifier en commission, madame la ministre, d'« admirable », ce dont je vous remercie. C'est une bonne appréciation.
Nous nous sommes aussi donné beaucoup de mal en saisissant le Conseil d'État, qui a rendu un arrêt très intéressant sur le sujet.
Pourquoi avons-nous agi ainsi ? Parce que les contrats de partenariat présentent la spécificité de permettre le choix entre des « paquets » de prestations très importantes et très diversifiées. Lorsque l'on désigne l'opérateur qui va être titulaire du contrat de partenariat, on choisit un groupe, lequel groupe va faire le choix non seulement de l'architecte et de toutes les entreprises représentant l'ensemble des corps de métiers nécessaires à la réalisation envisagée, mais aussi du banquier, qui assurera le financement, ainsi que des entreprises qui seront respectivement chargées de l'exploitation, de la maintenance et de l'entretien.
La première question que je veux poser est toute simple. Est-il raisonnable, est-il bénéfique, madame la ministre, d'effectuer tous ces choix en une seule fois ?
Concrètement, comment cela se passe-t-il ? Vous avez des « paquets » de prestations. Le major, puisque tel est le terme consacré, va présenter le premier « paquet » incluant tel architecte ; il a recours à telles entreprises représentant différents métiers, à tels exploitants, à telles sociétés assurant la maintenance et l'entretien. Toutes les prestations doivent être choisies « en bloc ». On ne peut pas soutenir que tel banquier est meilleur ou que le projet de tel architecte est plus adapté. On ne peut pas plus mettre en concurrence plusieurs entreprises du bâtiment pour chaque corps de métier.
Madame la ministre, pourquoi faut-il qu'il en soit ainsi ?
Dans toute notre tradition des marchés publics ou des délégations de service public, la concurrence est favorisée. Eh bien, mes chers collègues, je suis à cette tribune pour plaider en faveur de la concurrence.
Une fois retenu tel ou tel major, le major n° l, le major n° 2, le major n° 3, le choix est définitif, aucune mise en concurrence n'est plus possible. C'est le major qui choisit tout !
Nous avons tous connaissance des remarques qui ont été formulées par les différentes parties prenantes.
Relevons, tout d'abord, celles des architectes. Vous savez bien que la loi actuelle prévoit qu'à partir d'un certain seuil de travaux un concours d'architecture doit être organisé. En quoi est-ce néfaste ? D'aucuns rétorqueront que le major retenu est remarquablement intelligent et qu'il ne manque pas de choisir un bon architecte, de surcroît bien vu dans la région ou le département considéré. Soit, mais il n'en reste pas moins que c'est le choix du major, et de lui seul. Les autres architectes n'ont ni la liberté ni même la possibilité de présenter leur candidature.
Quant aux entreprises, c'est également le major qui, seul, va les choisir toutes. Bien sûr, il aura l'intelligence de retenir telle ou telle entreprise locale, peut-être même une, deux ou trois PME. Si un travail de gros oeuvre, de plomberie, de chauffage, d'éclairage doit être effectué, les différentes entreprises susceptibles d'être candidates ne pourront en aucun cas présenter leur candidature. Elles n'en ont pas le droit, elles n'en ont pas la possibilité. Le Syndicat national des entreprises de second oeuvre, le SNSO, qui lutte contre ce projet de loi, souhaite que les entreprises de second oeuvre puissent avoir accès aux différents marchés. Or, dans cette formule, c'est impossible.
De la même manière, nous avons reçu de nombreux représentants des PME. Mon cher collègue, vous avez indiqué, voilà quelques instants, que l'ordonnance, dans sa grande libéralité, prévoit un certain pourcentage accessible aux PME. Certes, mais qu'est-ce que cela signifie ? Le titulaire du contrat de partenariat choisira tout simplement de manière discrétionnaire la ou les PME, tandis que, avec les marchés que nous connaissons, toute entreprise peut faire acte de candidature et entrer en concurrence avec les autres. Voilà qui n'existe plus avec les contrats de partenariat.
Nous avons également reçu des représentants de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la CAPEB. Il ressort de leur expérience que, soit ils réussissent par hasard à être retenus par un groupe ou plutôt par le sous-traitant d'un sous-traitant de ce groupe, mais aux conditions par lui fixées, soit ils n'existent pas.
Je conçois qu'un tel système soit retenu, mais seulement lorsqu'une circonstance impose d'agir ainsi. Ainsi, dans sa grande sagesse, le Conseil constitutionnel a estimé qu'en cas d'urgence ou de complexité on peut admettre de recourir au contrat de partenariat.
Nous ne sommes pas par principe défavorables à ce type de contrat. Nous pensons que cet outil doit exister, mais - et tel fut l'objet de l'action que nous avons menée par deux fois auprès du Conseil constitutionnel et une fois auprès du Conseil d'État - à condition que le recours à un tel outil soit encadré par des conditions strictement précisées.
Madame la ministre, comme je le rappelais au début de mon propos, vous avez qualifié la décision du Conseil constitutionnel du 26 juin 2003 d'« admirable ». Or le Conseil a considéré que « la généralisation de telles dérogations au droit commun de la commande publique ou de la domanialité publique serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics ». Je suppose, madame la ministre, que vous êtes en accord avec le Conseil, et, d'ailleurs, il ne pourrait pas en être autrement, puisque, comme il a été indiqué dans une autre circonstance que je ne ferai qu'évoquer en cet instant, les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent à toutes les autorités publiques. Par conséquent, la décision précitée s'impose à vous comme à nous.
À cet égard, je suis quelque peu inquiet de certains des propos qui ont été tenus cet après-midi. Si l'on considère en effet que le projet de loi tend à expliciter les conditions fixées par le Conseil constitutionnel, on pourrait plaider, de manière purement formelle, que la décision du Conseil serait respectée. Mais un certain nombre d'orateurs, que vous avez entendus comme moi, madame la ministre, nous ont affirmé que cette décision du Conseil constitutionnel était trop restrictive et que d'autres critères devaient être fixés, d'autres circonstances prévues. Si telle est votre interprétation, madame la ministre, alors la décision du Conseil constitutionnel n'est pas respectée, ce qui vous place dans une situation assez problématique.
Encore une fois, on ne peut pas tout à la fois prétendre respecter la décision du Conseil et soutenir que d'autres circonstances doivent être ajoutées, puisque, selon le Conseil constitutionnel, le système n'est conforme à la Constitution que dans les deux cas d'urgence et de complexité.