Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quand on considère le nombre et la variété des possibilités offertes aux partenaires publics et privés de nouer des liens contractuels, des plus anciens, banals et balisés, comme les marchés publics, les délégations de service public, les sociétés d'économie mixte, les baux emphytéotiques - et j'en passe - aux plus acrobatiques, telle « l'autorisation d'occupation temporaire du domaine public assortie d'une convention de location » qui vient, comme l'a rappelé Jean-Pierre Sueur, d'avoir les honneurs du rapport de la Cour des comptes ; quand on parcourt la liste des opérations en cours ayant fait l'objet d'un contrat de partenariat au sens de l'ordonnance de 2004, qui vont de la construction de collèges, de réseaux d'éclairage public ou de fourniture d'énergie à un hôpital - opérations routinières s'il en est - à des projets aussi complexes que le grand stade de Lille, pour des montants qui s'échelonnent de 2 à 765 millions d'euros, on peut se demander s'il est nécessaire d'étendre à d'autres situations que celles caractérisées par l'urgence et la complexité l'usage de ce type de partenariat !
La réponse à cette question est suggérée dans le projet de loi : pourquoi se priver de recourir à une telle formule quand elle présente « un bilan entre les avantages et les inconvénients plus favorable que ceux d'autres contrats de la commande publique » ? Imparable ! Vive donc la modernisation et l'innovation juridique !
À cela près que, comme l'a dit Jean-Pierre Sueur, un tel bilan comparatif est illusoire. Tout au plus, une fois prise la décision politique de recourir à un contrat de partenariat plutôt qu'à une autre formule, pour des raisons sur lesquelles je reviendrai, peut-on tenter d'établir le coût final du montage pour la collectivité, sans possibilité sérieuse d'y parvenir lorsque les situations sont très complexes et les engagements de très longue durée.
Le biais rédhibitoire de ces études, c'est qu'elles comparent, dans un environnement dont on ne sait comment il va évoluer, l'option du PPP à une autre solution hypothétique, pour laquelle on ne dispose d'aucune donnée. Et puis, que compare-t-on ? Par exemple, s'agissant de la construction et de l'exploitation d'un hôpital, les seuls prix de journée, ou ceux-ci eu égard à la qualité des soins et à la qualification du personnel employé ?
De tels bilans sont aussi sérieux que ceux qui montraient, voilà une vingtaine d'années, la supériorité de la gestion déléguée du service public de l'eau sur sa gestion en régie. Avec le recul, on sait à quoi s'en tenir sur ce point, mais le but a été atteint : le marché français de l'eau est à 72 % confié à des opérateurs privés, ce qui est, paraît-il, l'un des taux les plus élevés au monde.
Ces bilans sont aussi sérieux que l'étaient la certification des comptes d'Enron par le cabinet Andersen, la certification de ceux de L&H par le cabinet KPMG ou la notation des « paquets » de titres par les agences internationales les plus prestigieuses, comme vient de le montrer la crise des subprimes.
Avant d'inventer de nouvelles formes de partenariat public-privé, la logique voudrait que l'on procède à une évaluation des formules existantes.
En France, le recul est insuffisant pour que l'on puisse le faire sérieusement. Là où les partenariats public-privé « new look » sont utilisés depuis longtemps, au Royaume-Uni notamment, les jugements sont pour le moins partagés. La littérature et les sites officiels - du gouvernement et des grands groupes privés - vantent évidemment les mérites des partenariats public-privé ; ailleurs on les tient pour des opérations risquées, onéreuses, rendant aux usagers un service de moindre qualité.
Si l'on ajoute à cela que la France, comme l'a rappelé tout à l'heure Charles Guené, ne souffre pas d'un manque d'investissements publics, il devient clair que la volonté d'étendre le champ d'application des PPP ne procède pas d'une démarche technique. La modernisation a bon dos ! Beaucoup de formules éprouvées existent déjà, et les nouvelles représentent encore un pari. La raison de cette volonté d'extension des PPP est non pas technique mais idéologique, pour ne pas dire quasiment théologique. Je m'explique.
Certains orateurs l'ont déjà souligné, les PPP ont d'abord le pouvoir incomparable de transformer la mauvaise dette publique en inoffensive dette privée - inoffensive tant que l'édifice tient debout, évidemment, mais qu'en sera-t-il à l'issue de la crise actuelle ? En l'absence d'urgence ou de complexité du projet, la vertu essentielle des PPP est et demeure de permettre d'améliorer le ratio national d'endettement et de calmer Bruxelles, ce qui n'est tout de même pas un mince avantage. Cela représente 10 milliards d'euros de gagnés à cet égard, nous a dit M. Charles Guené.
Pour les collectivités territoriales aussi, le PPP est un moyen de limiter la dégradation de leur ratio d'endettement et de réduire les inconvénients correspondants, notamment en période d'élections. Si remplacer des charges de remboursement d'emprunt par des frais de fonctionnement ne change rien à la situation financière réelle des collectivités territoriales ou de l'État, le « look » est bien meilleur, et surtout la vulgate idéologique est honorée.
Selon les « tables de la loi », en effet, les acteurs privés font forcément mieux que les acteurs publics. Cela nous a été encore affirmé tout à l'heure. La gestion privée est, par essence, plus efficace que la gestion publique. Il faut donc réduire au minimum le champ d'action de cette dernière, et les PPP constituent un instrument adapté à cette fin.
Les incroyants, dont je suis, ont certes du mal à comprendre comment des opérateurs qui empruntent à des taux plus élevés que les personnes publiques, qui supportent des frais de structure importants, qui doivent distribuer des dividendes à des actionnaires de plus en plus gourmands et des rémunérations à la hauteur des compétences hors normes de leurs dirigeants, qui, dans le cas des PPP, se font payer au prix fort pour les risques qu'ils acceptent de prendre peuvent, au final, obtenir des coûts de gestion inférieurs à ceux des opérateurs publics. S'ils ne comprennent pas, c'est précisément parce que ce sont des incroyants. S'ils ne l'étaient pas, ils « sauraient », ce qui les dispenserait de comprendre et de s'épuiser à interroger les faits. Ce n'est pas aux faits de justifier la doctrine, c'est à la doctrine de dire le fait.
Ainsi, en juillet 2001, Andrew Smith, alors Chief Secretary to the Treasury au pays des merveilles des PPP, déclarait devant la Chambre des communes que, selon un rapport du National Audit Office intitulé PFI and value for money, c'est-à-dire PPP et compétitivité, les partenariats public-privé, objet de tous les soins du Gouvernement, permettaient de faire une économie de 20 % par rapport aux autres formules de gestion du service public. Fâcheusement, il apparut qu'un tel rapport comparatif de synthèse n'existait pas ; le ministre l'avait tout simplement inventé et s'était contenté de citer deux rapports favorables aux PPP, dont l'un avait été rédigé par le cabinet Arthur Andersen, avant qu'il ne ferme boutique, en ignorant les études qui leur étaient défavorables.
La vérité, dira un député de l'opposition, est que les PPP n'apportent pas plus d'avantages au service public, sont souvent plus coûteux et aboutissent à la fourniture d'un service de moindre qualité.
J'ai donc tendance à douter qu'ils auraient eu jadis la faveur de Colbert, dont vous avez invoqué les mânes, madame la ministre. Vous aurez d'ailleurs noté que, derrière moi, il est resté de marbre !