Intervention de Christine Lagarde

Réunion du 1er avril 2008 à 21h45
Contrats de partenariat — Suite de la discussion d'un projet de loi

Christine Lagarde, ministre :

Nous ne revenons pas sur ce point, mais il peut se trouver que, pour des périodes limitées ou pour répondre à certains critères, l'exception tende à être prolongée ou étendue, au-delà en tout cas de ce que permettrait la condition d'exceptionnalité entendue trop strictement, c'est-à-dire de manière excessivement rigoriste.

Pour ceux d'entre vous qui s'en soucieraient, il s'agit donc non pas d'une privatisation du service public sous quelque forme que ce soit, mais bien plutôt d'une utilisation des compétences privées dans un cadre juridique moderne au service du public.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais à présent répondre à vos questions de la manière la plus précise possible, vos commentaires et vos interrogations ayant été particulièrement exhaustifs et de qualité.

Le partenariat entre le public et le privé vise un objectif : celui de favoriser l'investissement public qui, comme l'a relevé M. Guené, est un facteur d'attractivité pour notre pays. Lorsque l'on interroge les investisseurs directs étrangers - ils classent toujours la France comme troisième destination au monde -, l'un des critères fréquemment évoqués pour justifier l'attractivité de la France est la qualité des infrastructures publiques et le contexte dans lequel elles se trouvent. Or un mécanisme qui est intelligent à la fois sur le plan juridique et sur celui du financement contribue grandement à la qualité de ces infrastructures.

Monsieur Billout, je relève que vous partagez le souci du Gouvernement de favoriser l'investissement public. Je vous indique que, loin de constituer l'importation en France d'un concept britannique, il s'agit simplement, avec le PPP, de généraliser sur notre territoire un système juridique qui existe actuellement dans des pays aussi peu anglo-saxons sur le plan de l'application du droit que l'Espagne, le Portugal ou même l'Allemagne. On cite souvent le private finance initiative, ou PFI, parce qu'il est le mécanisme le mieux connu et le plus ancien, mais le PPP est également utilisé dans des pays de droit continental.

Monsieur Houel, vous avez évoqué la nécessité d'aborder les PPP avec pragmatisme et vigilance. Je ne peux qu'être d'accord avec votre approche. Je suis ainsi sensible à vos propositions qui visent à développer l'évaluation préalable des grands projets. L'État doit en effet être exemplaire en la matière. L'extension de la pratique de l'évaluation favorisera, d'une part, la réflexion en amont et donc la maîtrise ou, en tout cas, la bonne appréciation des risques et, d'autre part, des économies en aval, en tout cas nous l'espérons !

Je crois également souhaitable, comme l'a proposé M. Béteille, de préciser davantage encore les conditions dans lesquelles l'urgence peut être regardée comme établie. Nous y reviendrons dans le courant de la discussion.

La méthodologie des organismes-expert doit également être affinée. Ce projet de loi sera l'occasion d'une mise à jour du guide des bonnes pratiques - certains d'entre vous y ont fait référence - rédigé par les services de mon ministère. La mission d'appui aux PPP assurera ainsi la diffusion de la méthodologie qu'elle a pu développer, en particulier en matière d'analyse des risques.

Plusieurs d'entre vous, dont M. Girod, ont mentionné le fait qu'il était bien agréable de pouvoir se reposer sur la compétence et l'expertise de partenaires privés, dont le métier est de mettre en place des solutions complètes comportant à la fois le financement, les propositions de réalisation, la mise en oeuvre et la gestion.

Il est aussi important de disposer en parallèle d'un centre d'expertise et de comparaison des meilleures pratiques. À cet égard, la mission d'appui aux PPP peut être une ressource tout à fait utile au service de toutes les collectivités locales. En tout cas, j'y veillerai lors de la mise en oeuvre de ce texte, s'il est adopté.

J'ai également été interrogée sur les moyens susceptibles de favoriser le caractère attractif du régime juridique du contrat de partenariat.

La question du régime spécifique de la cession de créance propre aux contrats de partenariat a ainsi été évoquée, notamment en comparaison avec le système de cession Dailly. Le projet de loi vise à accroître l'intérêt de ce régime pour les collectivités publiques comme pour les partenaires privés, en incluant dans son assiette certains des frais financiers jusque-là exclus et en prévoyant une sécurisation analogue à celle produite par le mécanisme de l'acceptation en cession Dailly. J'entends bien prendre en compte les remarques qui m'ont été adressées ; nous en reparlerons donc plus en détail lors de l'examen des amendements portant sur ce sujet.

Certains d'entre vous - notamment M. Houel - ont évoqué la question du rôle que peut jouer le PPP à l'égard des PME et de la manière d'encourager ces dernières à y participer.

Le Gouvernement est particulièrement soucieux dans toute son action du sort des PME, en l'espèce en leur permettant d'être parties prenantes du développement souhaité des PPP. J'aurai bientôt l'occasion de soumettre un certain nombre de dispositions à votre assemblée dans le cadre du projet de loi de modernisation de l'économie. Le Sénat pourra ainsi constater que le Gouvernement prévoit de nombreuses dispositions pour encourager les PME.

En matière de PPP, cet encouragement se traduit de deux façons. Les PME ont d'abord la possibilité de participer aux PPP en premier rang pour les opérations de taille petite ou moyenne. J'en profite pour indiquer à cet égard qu'il ne me paraît pas souhaitable d'exclure le PPP des petites opérations : c'est précisément là que les PME peuvent intervenir. Les PME peuvent aussi contribuer à l'exécution des contrats en tant que prestataires du groupement choisi pour des opérations plus importantes en volume et en gestion de risques.

Pour la participation en tant que titulaires du contrat, une forte proportion des projets en contrat de partenariat ont été développés par des collectivités locales. Cela a été souligné à plusieurs reprises lors de la discussion : plus des trois quarts d'entre eux sont passés par ces collectivités, pour des projets qui sont, en général, de taille limitée, c'est-à-dire de moins de 30 millions d'euros d'investissement. Ces contrats sont à la portée des PME, soit seules quand elles sont moyennes, soit à plusieurs quand elles sont petites. En outre, l'ordonnance ne prévoit aucun seuil minimum d'engagement pour recourir à un contrat de partenariat.

Par ailleurs, vous vous êtes interrogés sur la situation des architectes, la question étant de savoir si les PPP les pénalisent. L'architecture est évidemment d'intérêt public. Ainsi les bâtiments publics, qui participent à l'identité de la ville, ont-ils besoin de l'intervention d'architectes de qualité. Fort heureusement, il en est de nombreux en France.

C'est pour ces raisons que les responsables des collectivités publiques, lorsqu'ils ont recours à des partenariats pour la construction, puis, ultérieurement, l'exploitation de leurs équipements, conservent, je l'ai déjà rappelé, la liberté de désignation du concepteur et de choix du projet architectural. Le mécanisme prévu dans le projet de loi permet bien entendu de reprendre l'ensemble des contrats qui ont été passés pour retenir tel ou tel concepteur d'ouvrage. Les responsables des collectivités publiques pourront donc déterminer le meilleur projet architectural puis, dans un second temps, consulter en contrat de partenariat, garantissant la qualité du projet et favorisant la transparence de la consultation.

Aussi a-t-il été expressément prévu dans l'ordonnance que la personne publique, préalablement à la procédure de choix d'un partenaire privé, puisse garder tout ou partie de la conception des ouvrages et la confier au concepteur, en particulier à l'architecte, qu'elle aura choisi en pleine responsabilité.

Cette clause a déjà été mise en oeuvre. Nous disposons donc d'un retour d'expérience. Sur la vingtaine d'avis relatifs à des projets à caractère « bâtimentaire » rendus par la mission d'appui à la réalisation des partenariats public-privé depuis l'origine, trois concernent des projets pour lesquels la conception a été dissociée de la réalisation, confiée à un partenaire privé. Pour votre information, il s'agit de la rénovation du zoo de Vincennes, dans une première version, et des théâtres de Perpignan et de Rambouillet, dont M. Gérard Larcher nous a parlé lors de la réunion de la commission.

Certains d'entre vous, en particulier M. Dubois, ont suggéré que, compte tenu de la complexité et de la multiplicité des modes de passation de la commande publique, on envisage un véritable code de la commande publique, à des fins de simplification. Cela me paraît être une excellente initiative, à condition qu'un tel code soit non pas simplement l'accumulation de tous les textes existants, mais le résultat d'un travail d'harmonisation et de consolidation. Dans ces conditions, un tel code serait opportun.

Je vous signale à cet égard qu'Éric Besson a été chargé par le Premier ministre d'une mission sur l'articulation entre eux des différents instruments de la commande publique. Il doit remettre son rapport au Premier ministre très prochainement. Un code de la commande publique pourrait ensuite parfaitement être envisagé.

Je répondrai maintenant très précisément à M. Guené concernant les cinq règles d'or de la commission des finances du Sénat pour la réussite financière des PPP.

La première règle d'or que vous avez fixée, je la rappelle, est de limiter les possibilités de recours aux PPP, à la lumière en particulier de l'expérience du Royaume-Uni.

Il est évidemment un peu tôt pour se fonder simplement sur le bilan de l'expérience française. L'expérience britannique est bien sûr précieuse, et nous devons nous en inspirer. Compte tenu des enseignements britanniques, il faut renforcer l'exigence de vigilance. Ils ne doivent toutefois pas nous conduire à fixer hâtivement des règles générales dont l'application au cas français, et au droit continental, ne serait pas nécessairement adaptée. Je précise que, dans le cadre de la mission que lui a confiée le Premier ministre, Éric Besson a également examiné en Grande-Bretagne la manière dont fonctionnent les, les fameux PFI, et vérifié si les collectivités publiques britanniques sont ou non satisfaites des résultats de l'expérience.

Votre deuxième règle d'or, monsieur le rapporteur pour avis, est de mesurer la performance de l'investissement public grâce à des indicateurs spécifiques mesurant eux-mêmes le respect des délais et des budgets initiaux. Les résultats seraient ensuite présentés au Parlement dans le projet de loi de finances.

Vous avez raison : il est effectivement impératif de se doter d'instruments de mesure de l'efficacité économique de l'investissement public, notamment dans le cadre de contrats complexes. Mais ces indicateurs ne seront pas adaptés s'ils sont génériques : ils doivent être, me semble-t-il, construits par secteurs, par exemple l'immobilier ou les technologies de l'information et de la communication. Les indicateurs de performance pourraient également différer selon qu'ils s'appliquent à du corporel ou à de l'incorporel. Certains indicateurs mentionnés existent déjà dans le cadre de la procédure dite de « justification au premier euro ». Cette démarche doit être poursuivie, car elle me semble aller dans le sens de la deuxième règle d'or proposée par la commission des finances.

J'en viens à la troisième règle d'or : la construction d'un référentiel d'évaluation commun aux administrations publiques et à la Cour des comptes. Une telle démarche me paraît en effet tout à fait souhaitable à moyen terme.

La quatrième règle d'or est d'étoffer les équipes de maîtrise d'ouvrage des différents ministères.

Le Gouvernement est parfaitement conscient de la nécessité de doter les différents ministères des compétences permettant de professionnaliser l'acheteur public et d'ouvrir l'accès à une expertise indépendante. On peut à cet égard noter que le projet en cours de réforme des achats de l'État vise précisément à créer au sein de chaque ministère un pôle « achats », avec un niveau accru de compétence. Ce pôle pourrait également servir pour les opérations de maîtrise d'ouvrage publique.

La direction des affaires juridiques du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, et la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat public-privé remplissent déjà une mission interministérielle d'expertise publique et de conseil. Le fait de conférer la maîtrise d'ouvrage à des partenaires privés ne doit pas conduire - c'est crucial - à une perte de compétences au sein de l'administration. Au contraire, l'expertise des financements de projets doit être renforcée.

Le plan de stimulation des contrats de partenariat dont le présent projet de loi constitue le volet législatif comporte également un programme de formation intensive d'une sorte de corps d'élite spécialisé dans les partenariats public-privé, auquel viendront s'ajouter dans chacun des ministères un certain nombre de spécialistes, formés par la mission d'appui et l'ensemble des corps spécialisés dans ces matières.

Votre cinquième règle d'or, monsieur le rapporteur pour avis, est que les contrats de partenariat ne doivent pas être utilisés comme un outil d'optimisation de la dette budgétaire. Je ne peux que souscrire à cette exigence.

Vous avez rappelé que si 15 % des investissements publics étaient réalisés en partenariats public-privé et déconsolidés, on parviendrait à diminuer de 0, 6 point de PIB par an la dette publique au sens de Maastricht.

M. Girod a évoqué la distinction établie par la norme Eurostat, dont la clarté, j'en conviens, peut parfois échapper aux plus aguerris d'entre nous. Il me paraît tout à fait légitime d'établir la liste des engagements hors bilan qui seraient conformes aux critères d'Eurostat et néanmoins extraits de la dette de l'État. En outre, une telle mesure serait conforme à la sincérité budgétaire que j'appelais de mes voeux au début de la discussion générale.

Je ne rappellerai pas les critères de distinction d'Eurostat, vous l'avez fait, monsieur Girod. Il est vrai qu'ils présentent un degré d'incertitude parfois bien délicat lorsqu'il s'agit de classer telle ou telle opération de tel ou tel côté. En l'espèce, la grande vigilance dont fait généralement preuve l'INSEE est de nature à nous rassurer. L'INSEE a en effet toujours plutôt tendance à classer un engagement dans la dette, au sens maastrichtien, plutôt que hors la dette.

Je répondrai maintenant à M. Sueur, qui a évoqué le pari de Pascal. À défaut de vous convertir, monsieur Sueur, permettez-moi au moins de tenter de vous convaincre de la constitutionnalité des dispositions que nous vous soumettons.

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