Ce sont quasiment tous les champs des marchés publics habituellement utilisés par les administrations dans de tels domaines qui sont ici mentionnés. Or ces projets seront a priori à même de présenter un caractère d'urgence - on peut effectivement parler d'« urgence » en la matière - et pourront donc faire l'objet d'un contrat de partenariat.
En procédant de la sorte, le Gouvernement permet, voire impose, aux administrations concernées de ne signer que des contrats de partenariat pour les projets énumérés à l'article 2. De fait, il exclut a priori les autres outils de la commande publique pour ces projets. Ou comment faire encore progresser les contrats de partenariat dans le droit de la commande publique !
Ainsi, vous pensez discrètement parvenir à généraliser les contrats de partenariat, qui sont théoriquement cantonnés au rôle d'exceptions, à l'ensemble des projets qui auraient dû aboutir, pour les uns, à des marchés publics et, pour les autres, à des délégations de service public ou à des concessions.
Or le Conseil constitutionnel s'est précisément opposé à une telle généralisation et a justifié l'énoncé de sa réserve d'interprétation par les principes d'égalité devant la commande publique, de protection des propriétés publiques et de bon usage des deniers publics.
S'agissant de l'égal accès à la commande publique, le risque que les petites et moyennes entreprises ne disposent pas de la taille nécessaire pour se porter candidates à de tels contrats globaux a été soulevé en 2003.
Si l'article 6 de la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit prévoit « un accès équitable des architectes, des concepteurs, des petites et moyennes entreprises et des artisans aux contrats prévus » par cet article, une telle précaution n'atténue en rien l'atteinte portée au principe d'égal accès à la commande publique, tant elle relève d'un voeu pieux plus que d'une obligation.
Nous le savons parfaitement, les entreprises les mieux placées pour répondre aux critères de ces contrats globaux sont les grandes entreprises de travaux publics. Elles n'ont d'ailleurs pas démérité ces dernières années pour encourager le développement des partenariats public-privé.
La généralisation des contrats de partenariat, telle qu'elle est prévue par le projet de loi, prive les petites et moyennes entreprises, les artisans et les architectes d'accès direct à la commande publique.
Le risque d'atteinte au principe d'égal accès à la commande publique était déjà justifié en 2003 - c'est ce qui a motivé le Conseil constitutionnel à limiter le recours aux contrats de partenariat -, et il le sera encore plus avec cette loi. À n'en pas douter, une telle disposition encourt toujours la censure du Conseil constitutionnel.
Les contrats de partenariat présentent pour vous un autre intérêt, celui de masquer artificiellement l'endettement des personnes publiques. Pourtant, malgré tout ce que vous pouvez prétendre, leur coût est particulièrement élevé pour l'État et les collectivités locales.
Dans sa décision du 26 juin 2003, le Conseil constitutionnel a consacré pour la première fois le principe de « bon usage des deniers publics ». Si ce principe est bien présent dans le code des marchés publics, où il est fait référence à la « bonne utilisation des deniers publics », le Conseil constitutionnel semble l'avoir fait découler de l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui dispose ceci : « Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi ».
Or les partenariats public-privé représentent un coût élevé pour la collectivité en raison de leur mode de financement. Si ces contrats prévoient que le cocontractant assure le financement, ou plutôt le préfinancement, de l'ouvrage objet du contrat, il n'est pas envisagé de rémunération par l'usager. De fait, les deniers publics couvrent in fine la totalité des frais engagés par le contrat de partenariat.
En effet, c'est la personne publique qui rémunère le cocontractant privé par des loyers sur la durée du contrat. Or la phase de l'exécution du contrat la plus onéreuse étant évidemment non la maintenance, mais la construction même de l'ouvrage, le cocontractant privé devra, pour l'honorer, prendre en charge le préfinancement de l'ouvrage en faisant appel à des organismes bancaires. Cela revient donc à autoriser le paiement différé de tels contrats.
Le paiement différé a toujours été prohibé par le code des marchés publics. Cette formule contractuelle représente un endettement indirect qui pèsera sur les contribuables à plus ou moins long terme. Elle permet également de contourner les règles d'endettement maximum des collectivités locales.
Le rapport de la Cour des comptes pour l'année 2008 illustre parfaitement ces effets pervers. À propos du Centre des archives diplomatiques du ministère des affaires étrangères et européennes, qui a d'ailleurs été évoqué tout à l'heure, la Cour dresse le constat suivant : « De manière générale, cette opération pose la question des conséquences budgétaires et financières des opérations de partenariat public-privé, notamment dans le cas des autorisations d'occupation temporaire du domaine public. Cette formule apparaît inopportune s'agissant d'un service public non marchand puisqu'en l'absence de recettes elle fait entièrement reposer sur les finances de l'État une charge disproportionnée au regard de l'allégement de la charge budgétaire immédiate qu'elle permet sur le montant du déficit comme sur celui de la dette publique. »
En guise de conclusion, la Cour des comptes « invite à une réflexion approfondie sur l'intérêt réel de ces formules innovantes qui n'offrent d'avantages qu'à court terme et s'avèrent finalement onéreuses à moyen et long termes ».
La généralisation de la formule du partenariat public-privé entraînera donc d'importantes conséquences financières tant pour l'État que pour les collectivités territoriales. Ainsi, l'atteinte portée au principe de bon usage des deniers publics est ici incontestable.
Qu'est-ce qui pousse le Gouvernement à tenter vaille que vaille d'imposer les contrats de partenariat dans le paysage de la commande publique ? Certainement pas la valorisation du bien commun ! Le partenariat n'est pas un mode de cofinancement entre la personne publique et la personne privée, qui sera intégralement remboursée de ses frais.
L'idée de partenariat traduit surtout le mouvement croissant de sous-traitance au secteur privé de la définition des besoins de l'administration, de leur financement et de la gestion ultérieure des équipements, mouvement qui ira peut-être un jour jusqu'à la privatisation des services publics concernés !
Il n'y a pas d'autre explication. En effet, il n'existe ni insécurité ni vide juridiques justifiant le recours à ces contrats de partenariat. Avant la création de ces derniers, la jurisprudence a justement comblé le vide qui pouvait exister entre marché public et délégation de service public. Le champ des marchés publics s'est ainsi étendu, de telle sorte que les deux régimes juridiques du marché et de la délégation étaient bord à bord.
L'objectif est donc de modifier les relations entre l'administration et son cocontractant, et ce pour des raisons non pas juridiques, mais bien politiques. Il s'agit, d'une part, d'échapper aux règles du code des marchés publics et à la législation sur la maîtrise d'ouvrage publique et, d'autre part, de disposer de possibilités accrues de privatisation de certains services publics.
Le projet de loi élargit donc la voie, déjà ouverte par l'ordonnance de 2004, de contournement du code des marchés publics et de ses règles, qui sont certes contraignantes, mais qui garantissent l'égalité d'accès et l'équité de la mise en concurrence.
Théoriquement, le régime des partenariats ne peut être utilisé que dans les deux séries d'hypothèses exceptionnelles prévues par le Conseil constitutionnel. C'est pourquoi ce projet de loi contourne sciemment cette décision.
Par conséquent, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.