Quel est, dans le système proposé, le sens de la responsabilité du Gouvernement ? Les ministres « renversés » retrouveront-ils automatiquement leur siège de parlementaire ? À notre avis, la motion de censure perd également tout son sens. Elle perd son caractère de sanction d’une politique menée par un gouvernement issu d’une majorité.
Ainsi, les électeurs n’auront pas les moyens de contrôler et de sanctionner l’action du Gouvernement, ce qui est pourtant l’un des fondements de notre démocratie.
Votre réforme pose un autre problème. Elle revient, en fait, au cumul entre une fonction gouvernementale et un mandat parlementaire. Elle est ainsi en totale contradiction avec l’article 23 de la Constitution, qui prévoit précisément l’interdiction du cumul d’une fonction gouvernementale et d’un mandat parlementaire.
En effet, le suppléant, par définition éphémère, sera le représentant direct du parlementaire devenu ministre et appelé à revenir au Parlement dès lors qu’il ne sera plus ministre. Il continuera donc d’être parlementaire pendant qu’il occupera ses fonctions gouvernementales.
Bref, si le projet de loi organique présente l’avantage de l’efficacité, c’est uniquement en faveur de l’hégémonie présidentielle. Le Président de la République aura, à portée de main, des ministres collaborateurs, irresponsables devant le Parlement et les électeurs.
Le petit chassé-croisé de ministres et dirigeants de l’UMP auquel nous assistons aujourd’hui nous conforte dans notre critique. L’expérience nous a prouvé que la démocratie était certes difficile, mais indispensable.
J’ajoute que vouloir appliquer ces dispositions au suppléant devenu député ou sénateur à la faveur de la formation du gouvernement actuel, autrement dit en cours de mandat, n’est pas acceptable. Ils sont parlementaires à part entière en vertu des dispositions en vigueur jusqu’ici. Ils ne pourraient plus l’être que s’ils démissionnaient et si les ministres concernés retournaient devant les électeurs.
J’en viens maintenant au projet de loi ordinaire, qui prévoit la mise en place de la commission chargée de rendre un avis public sur les projets de textes délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs. Il prévoit également d’habiliter le Gouvernement à procéder au redécoupage des circonscriptions électorales par ordonnance.
En réalité, admettez-le, cette commission n’a d’autre raison d’exister que de servir de caution au prochain redécoupage des circonscriptions électorales qui, quoique vous en disiez et quel que soit l’avis de cette commission, sera fait sur mesure ! Peut-être ce redécoupage des circonscriptions interviendra-t-il à un moment où votre réforme des collectivités locales se mettra, elle aussi, en place. Auriez-vous un autre dessein, celui d’avoir des collectivités taillées sur mesure ?
Je trouve cavalier de la part du Gouvernement de nous présenter en même temps, dans le projet de loi ordinaire, un article 1er qui prévoit l’organisation et le fonctionnement de la commission théoriquement saisie des projets de loi et ordonnances relatifs aux circonscriptions électorales et, immédiatement après, un article 2 d’habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions de mise à jour de la délimitation des circonscriptions électorales.
C’est cette précipitation qui vous a sans aucun doute conduit, monsieur le secrétaire d'État, à prévoir que la commission devrait être saisie également des projets d’ordonnance. Cela révèle à quel point l’arbitrage sur le prochain découpage des circonscriptions électorales est déjà rendu !
Tout cela est bien hypocrite puisque, le 12 septembre, vous révéliez, monsieur le secrétaire d’État, dans un article paru dans Libération, qu’au total une dizaine de circonscriptions devraient disparaître, dont deux à Paris, deux dans le Nord et le Pas-de-Calais, une dans l’Allier, en Corrèze, la Seine-Maritime et dans le Tarn, entre autres...
Je n’insisterai pas plus sur cette commission, ma collègue Josiane Mathon-Poinat en ayant relevé tous les travers dans la discussion générale.
S’agissant du recours à l’article 38 de la Constitution, vous le savez, le groupe CRC-SPG est historiquement hostile à l’utilisation des ordonnances puisqu’elles permettent au Gouvernement de dessaisir le Parlement de son pouvoir législatif.
Si nous y sommes aussi hostiles, c’est parce que nous considérons que le recours aux ordonnances traduit un profond mépris de l’institution parlementaire. Rappelons-le, cette pratique vise à signer un chèque en blanc au Gouvernement qui, en dehors de toute confrontation pluraliste des différentes propositions, décidera seul du contenu des réformes envisagées.
Et c’est d’autant plus inquiétant que la commission chargée de donner son avis, qui n’est qu’un avis simple, ne sera pas indépendante et, en raison de sa composition, ne garantira en aucun cas le pluralisme.
La banalisation du recours aux ordonnances est dangereuse. Aujourd’hui, le Gouvernement est maître de l’ordre du jour, il dispose de la majorité dans les deux chambres : aucune raison ne justifie le recours aux ordonnances, qui doit, théoriquement, correspondre à une situation d’urgence. Or les prochaines élections législatives n’auront lieu, sauf si le Président de la République en décide autrement, qu’en 2012.
Certes, le redécoupage des circonscriptions électorales est nécessaire : le Conseil constitutionnel l’a rappelé à la suite des élections législatives de 2002, cette recommandation ayant été renouvelée en 2005 et en 2007. Nous avons nous-mêmes souhaité un redécoupage, mais sur des bases démocratiques bien établies par le débat parlementaire.
Par ailleurs, le fait d’avoir inscrit ad vitam aeternam dans la Constitution le nombre de 577 députés, ce contre quoi nous nous sommes prononcés, n’autorise plus aucune souplesse dans l’ajustement du nombre de députés par habitant.
À cela vient s’ajouter la création de sièges de députés élus par les Français de l’étranger. Or la création de ces sièges doit s’insérer dans le plafond des 577 députés. Étant donné qu’il est question de créer une douzaine de sièges de députés – selon M. le secrétaire d’État, ce serait plutôt de sept à neuf –d’autres circonscriptions devront être privées d’un nombre équivalent de sièges.
Enfin, le Gouvernement propose de reprendre les critères traditionnels pour arrêter la nouvelle répartition des sièges de députés, à commencer par la règle assurant à tout département un minimum de deux députés.
Le deuxième critère que le Gouvernement entend conserver est celui de l’attribution automatique d’un siège supplémentaire par tranche de population, désormais fixée à 125 000 habitants. Or cette dernière règle conduira à avoir au plus un député pour 125 000 habitants, contre un pour 108 000 actuellement.
À l’inverse, quelques circonscriptions ultramarines bien définies compteront un nombre beaucoup moins important d’électeurs.
La question de la représentation ne ferait certainement pas l’objet d’aussi vives critiques si le Gouvernement avait accueilli favorablement notre proposition d’élire les députés au scrutin proportionnel, et non plus au scrutin majoritaire, scrutin par ailleurs responsable de la bipolarisation du paysage politique de notre pays.
Ces dispositions vont, hélas, à l’encontre de l’aspiration populaire d’un rapprochement entre les élus et les citoyens.
Pour ces raisons, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter la question préalable.