« Une expertise est menée par une société indépendante. Sur trente-trois personnes, il en ressort que treize ont des “pensées mortifères”. La direction nous a alors juré que ça n’avait rien à voir avec les reconversions. »
C’est le témoignage d’un employé de France Télécom, en Ardèche, sur les différentes reconversions imposées au personnel depuis quelques années sur son site.
« Ils ont recommencé, poursuit-il. En 2008, on nous demande à nouveau de changer de métier […] pour la troisième fois en trois ans. Et impossible de refuser. […] D’autant qu’après la pression est constante. On nous compare avec les autres sites. […] On sait que deux ou trois sites vont fermer dans un avenir proche. Résultat, il règne une concurrence permanente entre nous. »
Ce salarié conclut en ces termes : « On se sent lâchés. On n’est plus rien […], on est devenus des artisans du CAC 40. »
Écoutez encore cette analyse de Christophe Dejours, psychanalyste, membre de la commission Le Breton mise en place par le Gouvernement :
« On ne peut les expliquer – il parle bien sûr des suicides – avec les références habituelles de la psychiatrie. Il y a une bascule dans l’ordre social, dans le fonctionnement de la société, c’est aussi le signe d’une rupture dans la culture et la civilisation : les gens se tuent pour le travail.
« Les gestionnaires qui ne regardent que le résultat ne veulent pas savoir comment vous les obtenez… C’est comme ça que les salariés deviennent fous, parce qu’ils n’y arrivent pas. Les objectifs qu’on leur assigne sont incompatibles avec le temps dont ils disposent.
« On prend les gens, on les casse, on les vire. L’être humain, au fond, est une variable d’ajustement, ce qui compte c’est l’argent, la gestion, les actionnaires, le conseil d’administration. »
Vingt-trois collaborateurs de France Télécom se sont donné la mort en dix-huit mois, et souvenons-nous de la série de suicides qui frappa le personnel du Technocentre de Renault à Guyancourt : on parlait déjà de la pression constante à la rentabilité pesant sur le personnel.
Dans ce contexte, monsieur le Premier ministre, vous arrive-t-il de vous interroger sur la « politique de civilisation », sur le type de société, sur les relations au travail, sur le mode de management que vous avez encouragés avec votre fameux slogan « travailler plus pour gagner plus » ?