Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, je salue le choix du Gouvernement de soumettre au Parlement ce projet de loi de ratification moins de dix mois après la signature de la convention sur les armes à sous-munitions à Oslo, le 3 décembre 2008, qui marque une étape majeure dans la lutte contre la production et l’utilisation des armes conventionnelles et pour la protection des populations civiles.
Le tribut humain des armes à sous-munitions a été jugé, à juste titre, bien trop lourd au regard du droit international ; l’utilisation massive de ce type d’armes au Liban au cours de l’été 2006 a suscité une véritable prise de conscience. Leur emploi dans des zones habitées, conjugué à leur fort effet de dispersion, entraîne un pourcentage très élevé de victimes civiles – femmes et enfants notamment. Il fait subir aux populations civiles un risque humanitaire majeur sur le long terme, en raison du taux de dysfonctionnement important de ces armes, qui restent sur le terrain où elles ont atterri sans avoir explosé et constituent, parfois des années après la fin des conflits, une menace quotidienne intolérable.
Il devenait donc urgent d’élaborer un outil juridique international contraignant. Les textes existants – la convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques du 10 octobre 1980 et son protocole V – se sont révélés insuffisants, car ils ne prévoient aucune interdiction de production ou d’utilisation des armes à sous-munitions. Une telle interdiction globale, visant à l’élimination définitive de ce type d’armes, est dès lors apparue comme une étape indispensable à franchir.
La convention d’Ottawa sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction constitue, de ce point de vue, un modèle d’instrument juridique international contraignant. Je veux d’ailleurs saluer, à cette tribune, le choix de Lionel Jospin, lors de son arrivée aux responsabilités, en 1997, d’inscrire notre pays dans cette dynamique internationale pour le désarmement, que la reprise des essais nucléaires en 1994 et en 1995 avait stoppée. En œuvrant pour la signature de la convention d’Ottawa et en faisant procéder à sa ratification le 8 juillet 1998, le gouvernement de la France avait relancé le processus de désarmement pour ces types d’armes. La convention d’Oslo poursuit cette œuvre.
Je ne reviendrai pas sur les différentes étapes ayant permis l’élaboration de la convention qui fait aujourd’hui l’objet de notre débat ; Mme le rapporteur en a retracé les grandes lignes. Je ne reviendrai pas davantage sur les avancées importantes qu’elle permet et qui ont été développées tant par M. le ministre que par Mme le rapporteur, sinon pour préciser que notre groupe, fidèle à ses engagements en matière de désarmement, y souscrit sans réserve et votera, bien entendu, ce projet de loi de ratification.
Je souhaite maintenant formuler deux regrets, puis évoquer les étapes à venir.
Mon premier regret tient à l’introduction dans la convention du principe d’interopérabilité, qui autorise les États parties à participer à des actions militaires conjointes avec des États qui utiliseraient des bombes à sous-munitions. Si son introduction est compréhensible du point de vue du réalisme politique et diplomatique – nombre de pays, dont les États-Unis, la Chine et la Russie, n’ayant pas signé cette convention –, cette disposition réduit de façon importante la portée juridique et pratique du texte.
Dès lors, monsieur le ministre, quelle lecture la France fera-t-elle de cette disposition ? Pouvez-vous assurer à la représentation nationale que, à défaut de s’interdire de s’engager dans une coopération et dans des opérations militaires avec des États non parties à la convention – en Afghanistan, par exemple, aux côtés des États-Unis –, la France n’acceptera pas de prendre part à des opérations militaires au cours desquelles seraient employées des armes à sous-munitions ? Interrogé sur cette même question lors de l’examen du projet de loi de ratification par l’Assemblée nationale, le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, M. Pierre Lellouche, n’a pas apporté les garanties attendues, se bornant à affirmer que la France, dans l’hypothèse d’opérations conjointes avec des pays non signataires de la convention, les encouragerait à ratifier au plus vite celle-ci. Si l’on doit comprendre que la France n’exclut pas de s’engager dans des opérations militaires au cours desquelles seraient employées des armes à sous-munitions, je ne suis pas certaine que cette prise de distance avec l’esprit de la convention sera de nature à inciter les États non signataires à devenir parties à celle-ci. J’espère, monsieur le ministre, que vous saurez lever cette ambiguïté.
Mon second regret est que la convention ne fixe pas de seuil quantitatif pour le stock d’armes à sous-munitions pouvant être conservé ou acquis par les États aux fins légitimes de formation aux techniques de détection, d’enlèvement ou de destruction de ces armes. La convention se borne à indiquer que ce nombre doit être « limité ». À défaut d’un tel seuil, pouvez-vous, monsieur le ministre, donner à la représentation nationale des éléments chiffrés sur le stock que la France entend conserver ou acquérir ? Lors de la conférence de Dublin, notre pays avait annoncé qu’il conserverait 50 000 armes de ce type, au titre de l’article 3, alinéa 6, de la convention. Certaines organisations non gouvernementales jugent ce stock excessif. Que pouvez-vous leur rétorquer ?
Les réserves que je formule, vous l’aurez compris, mes chers collègues, visent non pas à minorer la portée d’un texte qui constitue un pas important vers l’objectif du désarmement, partagé sur toutes les travées de cet hémicycle, mais bien au contraire à garantir le respect de son esprit, pour lui assurer une réelle efficacité.
Pour l’avenir, nous devons mesurer le chemin qui reste à parcourir.
Le premier défi à relever est, bien entendu, celui de l’élargissement du champ des signataires de la convention. Rendre ce texte universel est l’objectif prioritaire. Très tôt, du fait de l’opposition de nombreux États à une interdiction globale de production et d’utilisation des armes à sous-munitions, il est apparu qu’il serait particulièrement difficile à atteindre. Je salue l’engagement personnel de notre rapporteur, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sur ce point. Je suis certaine qu’elle sera persévérante !
Un groupe d’États a manifesté sa volonté de contourner ces oppositions qui bloquaient les discussions entamées sous l’égide de l’ONU, et a engagé une démarche propre pour l’interdiction des armes à sous-munitions. Cette action, lancée au mois de février 2007 à Oslo, sur l’initiative de la Norvège, s’est progressivement étoffée. Lors de la conférence de Dublin, elle rassemblait 111 États, parmi lesquels la France. Cela a permis d’élaborer le texte aujourd’hui soumis à ratification.
Il s’agit d’une avancée incontestable, car la convention d’Oslo constitue aujourd’hui l’instrument international de référence dans ce domaine. Cependant, sa portée se trouve limitée par le nombre important d’États non signataires. De ce point de vue, on constate une situation de blocage, qui ne doit pas perdurer.
Dans cette perspective, deux voies complémentaires doivent être explorées.
La première est, indiscutablement, celle qui est tracée par l’Union européenne.
Dans le cadre de son programme de développement, la Commission européenne a élaboré une stratégie européenne contre les mines antipersonnel pour la période 2008-2013. Cette stratégie se décline selon différentes priorités : assistance aux pays en voie de développement pour la mise en œuvre de la convention d’Ottawa, opérations de déminage sur le terrain – notamment au Cambodge, en Afghanistan, au Liban –, programme de développement pour répondre aux problèmes économiques et sociaux posés par les mines dans ces pays. L’aide combinée des États membres et de la Commission européenne dans ce domaine fait de l’Union le premier dispensateur au monde d’aide contre les mines antipersonnel.
Cette politique montre combien la coopération européenne en matière de désarmement est possible et utile. On peut dès lors regretter qu’une telle coopération n’existe pas dans le domaine qui nous occupe aujourd’hui, et que ni le Conseil ni la Commission n’aient à ce jour élaboré une stratégie commune. En outre, nombre d’États membres doivent encore ratifier la convention d’Oslo.
La seconde voie est celle de la poursuite des discussions, sous l’égide des Nations unies, au sein de la conférence d’examen de la convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques, dite CCAC.
Il n’y a pas lieu, me semble-t-il, d’opposer la convention de 1980 et la convention d’Oslo. Il convient plutôt de rechercher une complémentarité et un approfondissement de ces instruments.
C’est dans cet esprit que s’est tenue, au mois d’août, au sein de la conférence d’examen de la CCAC, une réunion d’experts d’États parties à la convention d’Oslo et de pays non signataires. À Carthagène se tiendra, au mois de novembre prochain, une conférence de suivi et de révision de la convention d’Ottawa sur les mines antipersonnel. Comment la France entend-elle se saisir de cette occasion pour relancer la dynamique de la convention d’Oslo sur les armes à sous-munitions, dont les problématiques et les enjeux sont analogues ?
Le second défi majeur est celui de la mise en œuvre de la convention par la France.
J’évoquais voilà quelques instants la question du stock des armes à sous-munitions, dont la convention prescrit la destruction dans un délai de huit ans, renouvelable une fois, avec la réserve précédemment évoquée. L’étude d’impact jointe au projet de loi évalue le coût de cette destruction entre 30 millions et 60 millions d’euros et précise que le ministère de la défense financera le démantèlement de ces munitions sur son budget. Au regard du coût annoncé, quelles assurances pouvez-nous nous donner quant au respect du délai imparti ? En outre, il a été souligné que la France ne dispose pas des capacités industrielles nécessaires pour opérer ce démantèlement. Le recours à nos partenaires européens, dans le cadre des actions communes européennes que j’évoquais à l’instant, est-il la solution de rechange privilégiée par le Gouvernement ?
Conformément aux obligations fixées par la convention, il apparaît essentiel, monsieur le ministre, que le Gouvernement s’engage également à présenter rapidement un projet de loi visant à inscrire l’interdiction de la production et de l’utilisation des armes à sous-munitions en droit pénal. La France doit être exemplaire en la matière afin de donner toute sa force à la convention.
Enfin, monsieur le ministre, à quelle hauteur la France entend-elle prendre part à la dépollution des restes d’armes à sous-munitions évoquée à l’article 6 de la convention ? Je pense, par exemple, à la situation du Cambodge, pays que je connais depuis de nombreuses années et dont la population vit quotidiennement des drames liés à la présence de mines antipersonnel et d’armes à sous-munitions, la moitié des victimes, tuées ou mutilées, étant des enfants. Le nombre d’armes à sous-munitions n’ayant pas explosé à l’impact y est évalué entre 2 millions et 6 millions. La France a déjà apporté son concours pour des opérations de dépollution et d’assistance aux populations civiles. Nous en sommes fiers.
Monsieur le ministre, les parlementaires resteront vigilants sur les conditions de mise en œuvre effective de la convention. Les membres de mon groupe voteront ce projet de loi de ratification.