Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, la convention sur l’interdiction des armes à sous-munitions que le Sénat est invité à ratifier aujourd’hui est à la fois très importante, historique et exemplaire à bien des égards.
Monsieur le président de la commission des affaires étrangères, j’apprécie tout particulièrement que, pour souligner l’importance de cette convention, nous débattions solennellement en séance publique de son projet de loi de ratification et qu’il n’ait pas été recouru, comme c’est fréquemment le cas, hélas, au motif de la trop grande complexité technique et juridique de ce type de textes, à la procédure d’adoption simplifiée.
Importante et historique, cette convention l’est car elle marque une avancée décisive sur la voie du désarmement et dans le domaine du droit humanitaire international. Il s’agit du premier texte international interdisant formellement ce type d’armes.
Exemplaire, cette convention l’est aussi car elle illustre le rôle déterminant que peuvent jouer certaines ONG, comme la Croix Rouge et Handicap international, pour sensibiliser les opinions publiques et influencer les gouvernements et les institutions internationales. Alors que, dans cet hémicycle, certains de nos collègues éprouvent parfois des réticences, qui leur semblent légitimes, quant au rôle des ONG, voici un exemple probant de l’utilité de ces dernières.
Dans ce cas d’espèce, la conjonction entre la volonté politique de certains États, dont la France, et le volontarisme tenace des ONG et de la société civile a permis d’aboutir à un texte d’une grande portée.
Du strict point de vue humain, qui devrait d’ailleurs guider toute action politique, économique et sociale, il devenait urgent et nécessaire qu’un nombre significatif d’États montrent l’exemple en s’engageant à interdire la fabrication et l’utilisation de ce type d’armes. Quatre-vingt-dix-huit États l’ont fait à ce jour, mais beaucoup manquent encore à l’appel, et non des moindres : les États-Unis, la Russie, la Chine, mais aussi le Brésil, l’Inde, le Pakistan, Israël, la Turquie et nombre de ces pays qu’il est convenu d’appeler « émergents ». C’est dire tout le chemin qu’il nous reste à parcourir.
Cela étant, il faut bien mesurer que ce texte est l’aboutissement, certes inachevé, d’un long processus. Dès les années 2000, les ONG, les opinions publiques mais aussi les États furent de plus en plus nombreux à prendre conscience que ce type d’armes contrevenaient au droit international humanitaire, lequel se fonde principalement sur la distinction entre les populations civiles et les combattants.
En effet, alors que ces armes avaient été initialement conçues pour détruire des regroupements de blindés ou « saturer » des pistes d’atterrissage, elles furent peu à peu détournées de leur vocation et de plus en plus souvent utilisées contre des zones habitées suspectées d’abriter des combattants. À cet égard, tout le monde a évidemment en mémoire la guerre israélo-libanaise de 2006.
Ajoutons que 30 % environ des munitions n’explosant pas à l’impact, celles-ci deviennent des « résidus explosifs de guerre » qui, plusieurs mois et même plusieurs années après l’arrêt des combats, sont à l’origine d’accidents graves, voire mortels, touchant en premier lieu les enfants.
Les civils sont donc les premières victimes de ces armes. Plus largement, les conflits actuels tendent à frapper plus lourdement les civils que les combattants. Les guerres d’Irak et d’Afghanistan, ainsi que, tout récemment, un rapport de l’ONU sur l’intervention israélienne dans la bande de Gaza, nous montrent que les guerres « propres » et les frappes « chirurgicales » n’existent pas. Ce que l’on appelle les « dommages collatéraux », ce sont les civils qui en font les frais !
Dans les années 2000, les bombes à sous-munitions n’étaient interdites par aucun instrument juridique contraignant, car elles n’entraient pas dans le champ d’application de la convention d’Ottawa de 1997 sur les mines antipersonnel. Elles faisaient l’objet d’un débat récurrent entre les représentants des États et ceux des ONG, pour lesquelles une mine devait être définie en fonction de ses effets, et non pas uniquement de sa conception.
Bien qu’il ait cessé d’utiliser des armes à sous-munitions depuis 1991 et qu’il n’en produise plus depuis 2002, notre pays s’est longtemps accommodé d’un statu quo international sur cette question. Il considérait, en effet, que les armes autres que les mines antipersonnel faisaient l’objet de négociations spécifiques dans le cadre de la convention de Genève sur certaines armes classiques et que cette dernière couvrait le large éventail des munitions non explosées et abandonnées.
Pour sortir de cet imbroglio juridique et diplomatique, et parce que ses membres étaient frappés par le drame de la guerre du Liban et n’acceptaient plus la lenteur des discussions, un petit groupe d’États, aiguillonné par des ONG, décida en 2006 de lancer une initiative parallèle. Baptisé « processus d’Oslo », ce cycle de négociations a abouti au texte que nous examinons aujourd’hui.
Je me félicite donc de ce que le Gouvernement ait changé d’attitude, et choisi de jouer peu à peu un rôle dynamique dans le processus d’Oslo. Je me réjouis, en particulier, qu’il ait montré concrètement l’exemple en annonçant, l’année dernière, le retrait de 90 % de nos stocks de bombes à sous-munitions.
Comme je l’ai indiqué d’emblée, la convention d’Oslo représente une avancée considérable du droit humanitaire international. Elle vise l’interdiction totale de la production, du stockage, du transfert, de la conservation et de l’utilisation de ces armes, mais elle a aussi pour objectif de renforcer la coopération internationale en vue d’aider les victimes civiles, en imposant aux États parties une obligation de nettoyage des zones polluées par les munitions non explosées. Enfin, elle prévoit également une obligation d’assistance aux victimes en matière de santé et de réinsertion sociale.
Toutefois, il faut être réaliste, et apprécier ce texte à sa juste valeur. Il reste en effet beaucoup à faire, puisque seulement 40 % des États producteurs et 20 % des pays utilisateurs ont adhéré à la convention d’Oslo.
Notre diplomatie – les parlementaires du groupe auquel j’appartiens la soutiendront de façon exigeante – devrait désormais œuvrer plus activement à prendre des initiatives fortes pour faire progresser les discussions, afin que l’ensemble de la communauté internationale puisse signer un tel texte.
Comme nous y invite l’ONG Handicap international, nous devrons également être vigilants sur la mise en œuvre des obligations d’assistance aux victimes incluses dans le traité d’Oslo, car l’expérience nous a montré que les engagements internationaux d’assistance précédemment pris en matière de mines antipersonnel étaient, il faut bien le dire, très peu respectés.
Enfin, je souhaite que le Gouvernement nous soumette rapidement un projet de loi visant à transposer dans notre droit pénal les dispositions de cette convention. À cet égard, monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner des précisions sur un éventuel calendrier ? Ce texte devrait, notamment, comprendre l’extension du champ de compétence de la commission pour l’élimination des mines antipersonnel aux armes à sous-munitions, ainsi que le groupe CRC-SPG l’avait demandé dès 2006, au travers d’une proposition de loi.
Pour notre groupe, et plus largement pour les communistes, la lutte pour le désarmement et le respect du droit humanitaire international est un combat de longue date, qui est constitutif de notre identité et de notre idéal d’émancipation humaine.
Le groupe CRC-SPG votera donc avec enthousiasme ce texte, car la convention sur les armes à sous-munitions constitue bien une avancée considérable – historique, n’ayons pas peur du mot !