« Il est rare que se présente l’occasion de prévenir d’indicibles souffrances humaines. »
C’est ainsi que Jakob Kellenberger, le président du CICR, le Comité international de la Croix-Rouge, s’exprimait en février 2008, en exergue d’une année capitale pour le combat international contre les armes à sous-munitions, qui s’est conclue en décembre dernier par la signature de la convention d’Oslo, dont les conséquences humanitaires seront considérables.
Ce texte marque de manière emblématique une étape importante dans la lutte contre les atteintes à la dignité humaine. Il s’agit de la protection des populations civiles, devenues les principales victimes, pendant et surtout après les conflits.
Par le biais des médias, nous devenons les témoins impuissants et révoltés des dégâts qu’infligent aux populations civiles des moyens militaires dont nous ne pouvons maîtriser tous les effets. N’est-ce pas un paradoxe absurde et insupportable que les terrains où sont disséminées des sous-munitions soient souvent des zones de sécurité pour les militaires, tandis que les populations civiles y courent des dangers mortels ? Qui n’a souhaité la mise en place de nouvelles règles internationales au vu des opérations militaires menées dans la bande de Gaza en janvier dernier ? Il s’agit non pas de prendre une position politique en faveur d’un camp ou d’un autre, mais de protéger les civils, qui sont toujours les victimes les plus nombreuses de ces conflits.
La convention que l’on nous propose de ratifier interdit à ses signataires de fabriquer, de vendre et d’utiliser des armes à sous-munitions, qui ont la particularité de semer la mort et de causer des blessures terribles aux populations non combattantes, et ce pendant des dizaines d’années en raison de leur pérennité. Au Laos, par exemple, quarante ans après la guerre, ces armes font encore des victimes !
La très grande majorité d’entre nous, sinon le Sénat unanime, luttent depuis de nombreuses années contre l’utilisation des mines antipersonnel et des armes à sous-munitions et soutiennent des ONG telles que la Croix Rouge ou Handicap international dans leur combat contre l’une des dimensions les plus horribles, les plus cruelles et les plus injustes de la guerre.
À la fin des années quatre-vingt, ces armes avaient été mises au point afin de rendre plus efficace la lutte contre les unités blindées. Hormis quelques spécialistes, peu d’entre nous avaient imaginé le désastre humanitaire qu’elles provoqueraient. Il faut rappeler que les caractéristiques des armes à sous-munitions les rendent extrêmement dangereuses pour les civils, quel que soit leur mode de dispersion, et cela pour deux raisons essentielles : d’une part, du fait de l’importance de leur rayon d’action, qui couvre jusqu’à plus de 30 000 mètres carrés pour certains modèles ; d’autre part, en raison du risque d’explosion permanent, bien après leur dispersion.
Au cours de la guerre israélo-libanaise de l’été 2006 – je devrais plutôt parler d’invasion israélienne –, ces armes ont été massivement employées par l’armée d’Israël, provoquant des dommages dramatiques parmi les populations civiles. Les hommes, les femmes et surtout les enfants sont, encore aujourd’hui, victimes de sous-munitions non explosées et disséminées sur leurs lieux de vie.
Marqué par ce drame humanitaire, un petit groupe d’États, dont la France, a lancé un vaste débat international en vue de l’interdiction totale de ces matériels. Lors de la conférence diplomatique de Dublin de mai 2008, ce cycle de négociations a permis d’aboutir à un texte qui a recueilli, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, l’approbation de plus de quatre-vingt-dix pays et dont la signature officielle a eu lieu le 4 décembre dernier à Oslo.
À la même époque, notre pays retirait plus de 80 % de ses stocks d’armes à sous-munitions, ce dont nous pouvons nous féliciter.
Néanmoins, même si cette convention représente une avancée décisive dans les domaines du désarmement, de la dépollution, de la neutralisation de ces armes et de la prise en charge des populations civiles victimes de ce fléau, il n’en demeure pas moins que son efficacité risque d’être fort limitée.
En effet, des pays producteurs et utilisateurs d’armes à sous-munitions n’ont pas voulu participer au processus engagé. Comme cela a été dit, il s’agit notamment des États-Unis, de la Russie, d’Israël et de la Serbie, qui, soulignons-le, avaient déjà refusé de ratifier le traité d’Ottawa de 1997 concernant les mines antipersonnel. Aujourd’hui, cela a également été dit, seuls 40 % des États producteurs et 20 % des États utilisateurs ont adhéré à la convention ! Soulignons aussi que des États comme l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord, la Géorgie ou le Soudan ont refusé d’y adhérer. Or ces pays sont des zones d’affrontements armés actuels ou potentiels !
Dès lors, il serait irréaliste d’affirmer que la convention d’Oslo deviendra rapidement une source du droit international, s’imposant ainsi à tous, y compris aux États non parties à la convention. Il faudra du temps pour qu’elle s’applique à ces derniers comme une coutume internationale ayant acquis force de droit par sa pratique étendue, représentative et uniforme. Il convient donc de rester vigilant, car le combat pour l’éradication de ces armes est loin d’être achevé.
Gardons toujours à l’esprit le principe formulé par la commission militaire internationale de Saint-Pétersbourg il y a déjà cent quarante ans, selon lequel « pour certaines armes, les nécessités de la guerre doivent s’arrêter devant les exigences de l’humanité ».
La France s’honorera en promouvant et en ratifiant cette convention.