Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 8 avril 2009 à 14h30
Développement et modernisation des services touristiques — Article 13

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Les études d’opinion sur le sujet ne manquent pas, mais vous ne retenez que celles qui abondent dans le sens de votre projet. Pourtant, lorsque les résultats des sondages ne sont pas diamétralement opposés, ils sont souvent paradoxaux. Il n’y a pas de quoi en tirer des conclusions absolues, comme vous le faites !

En réalité, mes chers collègues, la seule étude sérieuse et complète sur le sujet est celle qui a été réalisée à la fin de l’année 2008 par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CREDOC. Que montre-t-elle ? Que les réponses d’un même individu sont en fait très différentes selon qu’il se place en position de consommateur ou de travailleur potentiel !

Ainsi, 52, 5 % des sondés se disent favorables à l’ouverture des commerces le dimanche, mais 79 % de ces mêmes sondés estiment qu’une telle autorisation aurait des conséquences négatives pour les salariés concernés, notamment du point de vue de leur vie familiale. Enfin, 75 % d’entre eux affirment que le temps d’ouverture des commerces est déjà suffisant pour qu’ils puissent opérer leurs achats.

Dans le même temps, seulement 39 % des Français actifs seraient prêts à travailler régulièrement le dimanche et 64 % des Français ayant un emploi s’y opposent, tout comme 49 % des étudiants. Il est intéressant de le noter, ce sont les chômeurs qui seraient les plus nombreux à accepter, à 61 %, de travailler le dimanche, preuve que la réalité de la paupérisation implique l’acceptation des dégradations des conditions d’emploi.

En revanche, les résultats de l’enquête du CREDOC sont sans ambiguïté sur la question des effets économiques du travail dominical. Les conséquences sur l’économie seraient globalement nulles et certaines filières seraient même déstabilisées. Ainsi, 43 % des Français déplaceraient leurs achats de la semaine le dimanche. Le CREDOC en déduit logiquement ceci : « On s’attend donc à ce que l’effet net de la libéralisation de l’ouverture des magasins le dimanche sur la demande globale adressée au commerce soit très limité, et que l’essentiel des ventes réalisées le dimanche corresponde au transfert de ventes initialement réalisées les autres jours de la semaine. »

C’est sur la structuration des dépenses que les effets négatifs se font sentir. Le CREDOC attend une « déformation de la structure des parts de marché des différents circuits de distribution ». Les grandes surfaces spécialisées seraient les grandes gagnantes, les surfaces alimentaires de centre-ville étant handicapées. Ce résultat laisse supposer qu’à consommation égale le coût pour la balance commerciale devrait ainsi être négatif.

En effet, les grandes surfaces spécialisées vendent d’abord des biens de loisirs, comme les téléviseurs, le matériel informatique, l’ameublement ou le textile, qui sont largement importés.

L’étude du CREDOC est également claire sur les créations d’emplois induites. Sur les quatre scénarios possibles, un seul serait créateur d’emploi. Et encore, de 8 000 emplois seulement…

A contrario, l’étude commandée en 2006 par M. Renaud Dutreil, alors ministre des PME, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales, montrait clairement que cela aboutirait à détruire jusqu’à 200 000 emplois dans les petits commerces. Est-ce bien le moment de prendre un tel risque ?

L’effet qu’il faut attendre sur la croissance et l’emploi est donc tout à fait nul, voire très négatif.

Dernier argument avancé par les promoteurs du travail dominical : seuls les salariés volontaires travailleront le dimanche. C’est une illusion ! Pire, une tromperie ! Contrairement à ce que certains prétendent, le libre consentement à une telle organisation du travail serait en pratique impossible à vérifier, en particulier en période de difficultés économiques, les éventuels chantages à l’emploi réduisant à néant toute liberté de choix des salariés, notamment au moment de l’embauche ou du renouvellement d’un contrat à durée déterminée ou d’un contrat d’intérim. Les salariés français savent très bien que le rapport de force dans les entreprises n’est pas en leur faveur. Cette évolution aurait donc inéluctablement pour conséquence de contraindre des dizaines de milliers de salariés, parmi les plus fragiles, à travailler le dimanche.

Faut-il rappeler que des branches professionnelles ne respectent toujours pas leurs obligations en matière salariale et ont des minima salariaux inférieurs au SMIC ?

Ainsi, le salaire moyen à temps complet dans la grande distribution est de 1 274 euros par mois, et 6 salariés sur 10 sont à temps partiel. Les primes qu’on leur fait miroiter pour travailler le dimanche ne constituent en fait qu’un rattrapage par rapport à ce que devraient être leurs salaires si la grille de la branche était conforme à la loi.

Par ailleurs, et j’insiste beaucoup sur ce point, ces amendements et sous-amendements constituent également une attaque contre les partenaires sociaux. En effet, il est proposé de supprimer l’effet suspensif des recours contre les autorisations d’ouverture, ce qui signifie de facto la fin des astreintes financières en cas d’ouverture sans autorisation.

En d’autres termes, nous en sommes convaincus, la généralisation du travail le dimanche constituerait une erreur économique et sociale.

Pensez-vous, mes chers collègues, que les 170 000 chômeurs supplémentaires en deux mois, qui viennent s’ajouter aux 2 millions de chômeurs, que les licenciés des plans économiques et les dizaines de milliers de salariés à temps partiel, dont le pouvoir d'achat a donc considérablement diminué, dépenseront l’argent qu’ils n’ont pas ou qu’ils n’ont plus parce que les commerces seront ouverts le dimanche ?

Je pourrais allonger mon propos en évoquant la destruction de la vie familiale, l’incohérence entre la semaine de quatre jours en milieu scolaire et l’absence des parents pour travailler le dimanche ou le démantèlement de ce qui reste de vie parentale.

Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, il serait, me semble-t-il, judicieux que nos collègues retirent leurs amendements.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion