Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 20 juin 2006 à 16h15
Protection de l'enfance — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je limiterai mon intervention à trois points qui me paraissent importants.

Le premier est l'affirmation du rôle central de la famille ou, plutôt, des familles. Aujourd'hui, on ne peut plus employer un seul terme tant les structures entourant un enfant sont diverses. Il faut donc prendre en compte ces familles.

Cela étant, le champ des maltraitances à enfants ne se circonscrit pas à la famille, contrairement à ce que l'on dit trop facilement. Il ne faut pas oublier les violences en institutions, y compris celles de la protection de l'enfance, et bien évidemment les violences au quotidien imposées aux enfants dans leurs conditions de vie. Pour ne retenir que cette donnée, doit-on rappeler qu'un million, voire deux millions d'enfants vivent en France sous le seuil de pauvreté ? Leurs conditions de logements sont désastreuses, leur accès aux soins est souvent contestable, des maladies réductibles sont trop souvent propagées, et ne parlons pas des développements modernes et prévisibles de l'obésité.

Non seulement il faut lier la prévention et la protection de l'enfance, mais il faut encore promouvoir la bientraitance - à travers, par exemple, le respect des droits des enfants - et tenter de cerner ce que seront, pour la période à venir, les actions d'une bientraitance de nature à guider toute politique à développer territoire par territoire.

Cependant, la famille doit être une priorité. Il faut mettre en place une stratégie d'accompagnement des familles en ce qui concerne l'approche et l'exercice de leurs responsabilités afin d'éviter de mettre en oeuvre des dispositifs répressifs relevant de l'exorcisme et dont personne n'a pu affirmer l'efficacité jusqu'à ce jour. C'est pourquoi les réseaux d'aide à la parentalité doivent être en priorité renforcés par rapport aux dispositifs coercitifs et répressifs.

Le deuxième point consiste à dire que la protection de l'enfance relève d'une mission du service public au regard des enjeux qu'elle recouvre.

C'est le rôle de la puissance publique d'offrir la protection aux enfants qui en ont besoin. Le secteur marchand doit être fermement exclu de ce champ, comme de celui du handicap et des personnes âgées. En revanche, il convient de mieux associer les acteurs publics dépendant de l'État, le conseil général - qui devient le centre de votre dispositif - et les intervenants associatifs.

Nous devons travailler mieux que cela n'a été fait jusqu'à présent sur les articulations au quotidien entre ces différents acteurs, et ce à l'échelon tant national que local.

S'agissant du plan local, je rappelle d'ailleurs que le décret du 10 janvier 2001, dont je n'ose pas dévoiler ici le nom de la signataire, visait à une coordination locale des administrations d'État, sous l'autorité du préfet, avec le président du conseil général.

En effet, l'État doit mieux coordonner les actions de ses intervenants, qu'il s'agisse de la police, de la justice, du tribunal, de la protection judiciaire de la jeunesse, du service social scolaire, du service de santé scolaire, ou encore de la psychiatrie. Il doit également mieux combiner ses actions avec les politiques départementales.

Redonnons donc vie à cet esprit et faisons en sorte que les intervenants déconcentrés de l'État veuillent bien participer à la politique qui sera mise en oeuvre sous l'autorité ou la tutelle du président du conseil général.

Il faut également mieux articuler les interventions judiciaires entre elles au sein du tribunal.

En effet, le rapport 2005 de la Défenseure des enfants pointait à juste titre l'intervention, qui s'effectue le plus souvent sans véritable cohérence, de l'autorité judiciaire dans le champ de la protection de l'enfance.

Outre le parquet, les juridictions civiles - je mentionne le juge des enfants, le juge aux affaires familiales, les juges d'instance pour les tutelles et le tribunal de grande instance - et les juridictions pénales - c'est le cas du juge d'instruction, du tribunal correctionnel, de la cour d'assises, voire de la cour d'appel - interviennent dans le champ de l'enfance et de la famille. Chacune a sa légitimité, mais il serait illusoire de penser aller plus loin dans le regroupement des compétences.

Par conséquent, votre collègue le garde des sceaux doit, me semble-t-il, donner des instructions, voire introduire une disposition dans le code de l'organisation judiciaire, pour instituer une cellule enfance au sein de chaque tribunal de grande instance. De mon point de vue, le coordinateur et l'animateur doit en être le juge des enfants.

Je souhaitais évoquer un troisième point. Dans le cadre de la protection de l'enfance, l'intervention judiciaire ne doit être que subsidiaire.

Afin de lutter contre la judiciarisation croissante à laquelle nous assistons ces dernières années, nombreux sont ceux qui proposent d'affirmer le principe de la subsidiarité de l'intervention judicaire. Pour réduire le champ de cette dernière, des rédactions plus ou moins explicites sont avancées. Certains suggèrent ainsi de changer le critère de compétence pour passer du « danger », notion qui est jugée trop flou, à « l'intérêt de l'enfant ».

Il faut poser deux questions préalables. D'abord, à supposer qu'elle soit réellement excessive - environ 63 % des signalements sont transmis à la justice -, une telle intervention de la justice constitue-t-elle un mal en soi ? Ensuite, si cette tendance représente réellement un danger, comment y faire face ?

À mon sens, l'intervention judiciaire n'est pas nécessairement un mal si chacun respecte les critères de compétences prévues par la loi. Les gens ne s'y trompent d'ailleurs pas. Ils font appel au tribunal pour enfants afin de trancher les conflits les opposant à l'administration sociale. En revanche, la justice n'est clairement pas outillée pour faire face à l'accroissement des contentieux, phénomène que l'on constate depuis plusieurs années. Trop d'appels à la justice tuent la justice !

En outre, dans notre droit, la justice se situe non pas sur le même registre que l'action sociale, contrairement à ce que l'on avance communément, mais en aval de celle-ci. Contrairement à la présentation qui en est souvent faite, justice et action sociale ne sont pas en concurrence. Elles s'inscrivent simplement dans des registres différents.

Il faut réunir deux conditions : identifier une situation de danger et relever l'incapacité des parents à y faire face.

Dans nombre de cas, cette deuxième condition n'est aujourd'hui pas remplie. En effet, le service de l'aide sociale à l'enfance saisit la justice, en général le tribunal pour enfants, souvent pour se rassurer, pour demander une caution judiciaire et pour encadrer son intervention dans un tissu judicaire. C'est ainsi que l'on mobilise en urgence le parquet dans des cas où il ne serait ni nécessaire ni opportun de le faire.

Par conséquent, le dispositif de protection de l'enfance, pour important qu'il soit, n'est qu'un « deuxième rideau social ». Le premier réside dans la politique d'accueil de la petite enfance et dans la place qui est faite à l'enfance dans la vie et dans la ville.

Il s'agit d'abord de permettre à l'enfant de se faire une place dans sa famille et dans la cité et d'être confronté à des autorités qui le protègent sans le dénier dans sa personne. Dans ces conditions, il percevra réellement la loi dans sa dimension protectrice, alors que celle-ci est aujourd'hui trop souvent ressentie comme une atteinte illégitime à la liberté.

Le débat sur la protection de l'enfance est peut-être lié au débat sur la sécurité, mais il ne doit pas s'y résoudre.

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