Monsieur le ministre délégué, ce débat devait être pour la République une occasion de réaffirmer avec force et clarté son attachement à l'un de ses principaux devoirs : la protection envers la jeunesse.
Malheureusement, la grande réforme annoncée de la protection de l'enfance n'est pas la révolution tant attendue que pouvaient laisser entrevoir les grands préalables tant nationaux que départementaux que vous aviez souhaité mettre en musique.
La lecture de ce projet de loi nous laisse en effet sur notre faim ; il pourrait, pour l'essentiel, se résumer à un aménagement des pratiques - parfois réalistes et préconisées par nombre de travailleurs sociaux -, mais il trouve ses limites dans un flou financier qui plombe les meilleures intentions.
La protection de l'enfance est, quoi qu'on en dise, une réussite des départements en matière de décentralisation. Elle compte de nombreux résultats positifs, au premier rang desquels on peut noter une réduction significative des inégalités interdépartementales. Nous, nous l'avons fait, monsieur le ministre délégué, mais il faut un petit peu plus pour continuer !
Les services sociaux départementaux ont su faire face à des situations humaines de plus en plus difficiles à appréhender, accentuées par la précarité. On l'a dit, le budget de la protection de l'enfance a plus que doublé en vingt ans.
En améliorant les circuits de décision, tout en réaffirmant les rôles de l'État et de la justice, le projet de loi va dans la bonne direction. Les présidents de conseil général ont été satisfaits de voir leur rôle de chef de file reconnu et la répartition des compétences entre les collectivités locales et l'autorité judiciaire facilitée. Cela permettra une plus grande souplesse d'intervention et évitera peut-être des erreurs, souvent montées en épingle par les médias.
Notre interrogation se cristallise autour du financement, sans lequel les personnels nécessaires à une meilleure pratique ne pourront pas être déployés. En effet, monsieur le ministre délégué, il est contradictoire de vouloir améliorer les conditions d'exercice de leurs fonctions par les travailleurs sociaux et, partant, de renforcer les droits des enfants si, en même temps, l'État compte encore une fois se désengager en termes de moyens.
Vous avez d'ailleurs évalué, ce qui paraissait correct, l'accroissement des dépenses résultant du nouveau dispositif à 150 millions d'euros sur trois ans. La compensation de ces charges, inscrite dans l'article 17 de l'avant-projet de loi, a été supprimée de la version présentée en conseil des ministres. On nous parle maintenant d'un fonds de compensation, financé conjointement par le ministère de la santé et la CNAF. Compte tenu de l'état financier et des perspectives de cette dernière, cette formule semble bien obscure et, surtout, fragile à long terme, comme nous le verrons dans quelques jours avec M. Vasselle.
Avez-vous anticipé les difficultés des départements à financer cette réforme, dans le contexte du transfert du RMI et de la montée en charge de la prestation de compensation du handicap, qui résulte d'un autre texte que vous avez fait adopter il y a quelques mois ?
Vous le savez, l'aide sociale à l'enfance représente déjà 30 % du budget d'action sociale des départements. Ces dépenses ont progressé de 45 % au cours des cinq dernières années, et même de 55 % pour ce qui concerne les placements. Comment les départements pourraient-ils faire face à de nouvelles dépenses, sachant que la réforme suppose en outre la mobilisation de moyens supplémentaires de la part du secteur psychiatrique ?
Par ailleurs, une des nouveautés de ce projet de loi est la mise en avant de la prévention, grâce à une prise en charge médico-sociale plus précoce des enfants et de leurs familles. Les modes d'intervention auprès des enfants menacés que vous proposez étaient déjà expérimentés depuis de nombreuses années avec succès par maints départements, mais sans réelle base légale.
La souplesse et l'individualisation des réponses permises par les nouveaux dispositifs peuvent répondre aux demandes de l'ensemble des professionnels de la protection de l'enfance. L'extension des missions des services de prévention maternelle et infantile en matière de prévention des difficultés familiales autour du petit enfant constitue, à cet égard, un progrès indéniable pour les départements attentifs aux risques liés à la périnatalité.
Néanmoins, là encore, les problèmes financiers risquent d'avoir pour conséquence l'instauration d'un système de protection de l'enfance à double vitesse. Une déconcentration de l'aide sociale à l'enfance sans compensation financière entraînera, de facto, des inégalités de traitement selon les territoires.
On peut citer comme exemple les mesures d'accompagnement en économie sociale et familiale, prévues par l'article 12 du projet de loi et mises à la charge des départements. La mesure est bonne en soi ; toutefois, connaissant la pénurie de conseillers en ce domaine et la difficulté à les recruter, il est à craindre que ceux-ci ne soient confinés à certaines collectivités, celles qui pourront s'offrir leurs services.
L'ambition d'une vraie réforme de la protection des mineurs en danger aurait été, au contraire, de permettre à tous les enfants de bénéficier, quel que soit leur lieu de résidence, de la meilleure réponse possible à leur mal-vivre, et non de réserver les nouveaux dispositifs aux plus chanceux, c'est-à-dire à ceux qui habitent dans les « bons endroits ».
Enfin, monsieur le ministre délégué, je dois vous avouer ma perplexité quant à la pérennité du texte qui nous est soumis aujourd'hui. En effet, tout laisse à penser que son contenu risque d'être littéralement « colonisé » par les dispositions prévues dans le projet de loi sur la prévention de la délinquance.