Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette discussion générale extrêmement riche a permis de soulever toutes les problématiques de ce projet de loi.
Je souhaite remercier l'ensemble des intervenants de la qualité de chacune des prises de parole, commençant, bien sûr, par saluer votre rapporteur, M. André Lardeux, pour ses analyses et la pertinence de ses propositions destinées à améliorer le texte du Gouvernement. Son expérience d'élu chargé d'une collectivité départementale apporte un éclairage bienvenu à nos débats.
Chacun d'entre vous a souligné l'importance des défis auxquels nous sommes confrontés, et j'ai retenu quelques-uns des chiffres que vous avez cités.
Tout d'abord, monsieur le rapporteur, vous nous avez indiqué que 20 % des signalements qui parviennent au juge ne sont pas connus du conseil général. Mme Rozier a, de son côté, rappelé que le nombre d'enfants en danger est globalement en hausse, selon le rapport de l'ODAS : une petite fille sur neuf et un jeune garçon sur dix subissent des violences sexuelles avant d'atteindre leur majorité.
Quant à Mme Campion, elle a rappelé que, selon l'ODAS, 84 000 enfants en danger ont été signalés en 2004.
Mme Schillinger a signalé, de son côté, la hausse du nombre d'enfants maltraités, 5 % sur un an, et du nombre d'enfants en danger, 7 % sur un an.
Quant à Mme Marie-Thérèse Hermange, elle nous disait tout à l'heure que, selon l'INSERM, 15 % des femmes à l'issue d'un accouchement font une dépression sérieuse, médicalement constatée.
J'ajouterai d'autres données chiffrées qui montrent effectivement que le problème de la maltraitance se pose de manière de plus en plus aiguë : chaque année, près de 20 000 enfants font l'objet de maltraitances physiques ou psychologiques. En 1995, il y avait 58 000 enfants en danger ; en 2004, ils étaient 95 000. En 1995, 3 500 enfants étaient victimes de violences sexuelles ; en 2004, ils étaient 5 500. En 1995, 36 000 signalements ont été adressés à l'autorité judiciaire ; en 2004, ce chiffre dépassait 55 000. De plus, nous le savons, hélas !, chaque jour un enfant décède des suites des maltraitances physiques.
Il y a aussi le cas des bébés secoués dans un geste d'exaspération qui peut tuer : 300 cas par an ; 10 % de ces bébés décèdent, 90 % de ceux qui survivent présenteront un retard mental ou des troubles graves de la vue.
Enfin, 97 % des départements chargés de la protection de l'enfance citent les carences éducatives comme premier facteur de risque. Et puis, il y a aussi, ne l'oublions pas, 5 000 à 8 000 mineurs actuellement victimes de la prostitution en France.
Je vous répondrai maintenant en reprenant les trois axes du projet de loi, et je commencerai par le renforcement de la prévention.
Vous avez été nombreux, conscients de la gravité de la situation, à souligner l'importance d'une politique de prévention plus active. C'est effectivement le premier axe de ce projet de loi. M. André Lardeux, Mme Marie-Thérèse Hermange, M. Bernard Seillier, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Philippe Nogrix ont souligné l'intérêt de cet entretien obligatoire prévu par le texte au quatrième mois de grossesse pour mieux identifier d'éventuelles difficultés qui peuvent compromettre le bon accueil de l'enfant par sa mère et par son père.
Nombre d'entre vous ont également souligné l'importance de l'accompagnement, du soutien, de l'aide à la parentalité, à l'instar de M. Bernard Seillier et de Mme Valérie Létard.
Certains parents ne sont pas toujours mal intentionnés, ils sont parfois tout simplement désemparés face aux difficultés qu'ils rencontrent. Comme vous, je suis donc très attaché au rôle du réseau d'écoute, d'appui et d'accompagnement à la parentalité. Vous avez été nombreux à souligner le rôle majeur de la PMI en matière de prévention.
M. Philippe Nogrix a rappelé que la prévention, telle qu'elle est conçue dans le projet de loi, ne stigmatise pas certains publics en particulier. Elle est, au contraire, générale. Vous le dites justement, je crois qu'il faut, en effet, multiplier les points de contact.
M. de Broissia a souligné tout à l'heure le rôle des observatoires départementaux qui seront adossés à la cellule départementale de signalement. Il a souhaité que les associations familiales et les départements soient représentés au conseil d'administration à côté de l'ONED. C'est, en effet, une réflexion qu'il faut ouvrir.
Le deuxième volet de cette réforme, c'est l'organisation du signalement. Sur ce point, vous avez été nombreux à évoquer le rôle de la cellule départementale. M. Vial s'est interrogé, en particulier, sur l'article 5, se demandant si cette cellule ne devrait pas être plutôt facultative dans un premier temps.
Je tiens, pour ma part, au caractère obligatoire de la cellule. Il me semble que c'est l'une des dispositions les plus importantes du texte. En effet, si la cellule n'est pas obligatoire, le dispositif de signalement risque de continuer à présenter les mêmes failles que celles que l'on connaît aujourd'hui, avec entre autres conséquences une disparité entre les départements potentiellement dangereuse pour les enfants.
Il est impératif que nous réussissions à rendre notre système d'alerte et d'évaluation plus fiable. Il n'est pas normal que des situations à risque pour l'enfant échappent à la vigilance des professionnels du fait d'un manque d'organisation du signalement.
Mme Hermange a évoqué le drame de ce petit Pascal, sans doute une exception, mais tout de même, dix-sept intervenants avant que le bon service, celui de l'aide sociale à l'enfance, n'intervienne ! On peut également citer l'affaire d'Angers, plus près de nous, et tant d'autres qui nous rappellent cruellement cette exigence que le signalement soit organisé de manière beaucoup plus efficace qu'aujourd'hui, avec ce souci de ne pas laisser les professionnels seuls face à leur conscience.
Évidemment, il y a le cas dans lequel l'enfant maltraité porte des traces de coups qui attestent des violences répétées et qui infirment d'emblée l'hypothèse d'une chute accidentelle ; le professeur ou le maître d'école sont alors prompts à s'interroger.
Mais il y a aussi d'autres cas dans lesquels il est difficile pour l'éducateur, le travailleur social ou l'enseignant de poser un diagnostic. On ne peut pas laisser des professionnels au contact avec les enfants, mais dont ce n'est pas le métier, la charge de discerner s'il existe ou non des violences psychiques ou sexuelles. On ne peut pas les laisser seuls face à leur conscience parce que, là, on fait courir trop de risques à l'enfant et même à la famille, soit parce que, faute d'être sûr de soi, on n'interviendra pas, soit parce que, au contraire trop sûr de soi, on interviendra trop vite, trop fort, provoquant une décision de justice qui, même prise à titre conservatoire, vient finalement mettre en péril l'équilibre d'une famille.
C'est la raison pour laquelle je souhaite vraiment que l'on réussisse à mettre en place ces cellules départementales ; elles existent déjà dans certains départements, et celles qui seront mises en place devront s'inspirer des meilleures pratiques existantes. Dans le même ordre d'idées, je tiens beaucoup, au moment où nous délibérons sur ce texte, à améliorer le travail des professionnels en leur proposant une définition de ce que doit être le cahier des charges de ces cellules départementales ; les présidents de conseil général pourront s'en inspirer pour mettre en place leur propre structure.
On a mentionné le partage des informations : il est indispensable et il n'est pas incompatible avec le secret professionnel. Il s'agit simplement que toutes les informations parcellaires que les uns et les autres, professionnels au contact des familles et des enfants, peuvent détenir, soient mises en commun pour que l'on comprenne mieux ce qui se passe à l'intérieur d'une famille à l'égard d'un enfant pour lequel on relève des signes préoccupants.
Effectivement, aujourd'hui, dans un esprit de pragmatisme, beaucoup de professionnels arrivent déjà, sous l'impulsion des conseils généraux, à partager des informations, mais c'est loin d'être la réalité générale. Du reste, ils n'en ont pas juridiquement le droit.
Je crois qu'il est temps de remédier à cette lacune en faisant en sorte que ce partage d'informations soit autorisé et que, naturellement, il soit organisé et encouragé chaque fois qu'il permettra de lever les doutes qui pèsent sur la situation d'un enfant.
Je remercie, sur ce point, Sylvie Desmarescaux de nous avoir fait part de sa propre expérience d'assistante sociale et d'avoir souligné combien ce partage de l'information est nécessaire. En évoquant le drame du petit Pascal, Mme Marie-Thérèse Hermange nous invitait également à prendre pleinement conscience de la nécessité de ce partage.
Voilà pourquoi je ne comprends pas les inquiétudes qui se sont exprimées par ailleurs, notamment chez Mme San Vicente, qui s'est interrogée sur le risque que ce secret soit partagé avec des élus. Vous ne trouverez pas trace dans ce texte d'un partage de l'information avec les élus.
Je précise toutefois que notre code de l'action sociale ouvre déjà pour le président du conseil général, signataire de la lettre par laquelle le parquet va être saisi, la possibilité d'avoir accès aux informations strictement nécessaires à l'exercice de ses compétences légales. Quoi de plus normal si on veut lui permettre d'exercer sa responsabilité ? Mais ce n'est nullement une innovation de ce texte, puisque cela existe déjà.
S'agissant du rôle des maires, vous observerez donc qu'il n'est pas prévu dans ce texte de leur confier des possibilités d'accès à des informations détenues par des travailleurs sociaux et couvertes par le secret professionnel.
Je reviendrai tout à l'heure sur d'autres questions qui ont trait aux relations entre ce texte et d'autres en préparation. Je pourrais également apporter des réponses pleinement rassurantes à vos préoccupations.
Toujours à propos de cette nécessité de partage de l'information, je tiens à vous dire combien j'ai apprécié l'intervention de Mme Janine Rozier, qui a souligné à quel point le fait de croiser les regards peut être salutaire pour évaluer, dans son ensemble, une situation préoccupante pour un enfant.
Si une information isolée ne met pas en alerte, plusieurs informations peuvent, en effet, constituer un faisceau d'indices concordants.
La solution retenue, c'est le partage du secret professionnel entre les professionnels également habilités au secret. Cette solution, pour reprendre l'expression de M. Louis de Broissia, me semble juste.
Grâce au projet de loi, l'articulation entre protection judiciaire et prise en charge sociale, qui préoccupait aussi M. Jean-Pierre Michel, sera mieux définie.
C'est aussi important d'affirmer très clairement la subsidiarité de l'intervention de la justice, surtout quand le président du conseil général a déjà trouvé la solution. La justice peut et doit être saisie non seulement dans le cas d'un danger grave et imminent - à ce moment-là, bien sûr, n'importe qui peut la saisir, et heureusement -, mais aussi, en dehors de ce danger grave et imminent, quand on n'arrive pas à obtenir la nécessaire collaboration des parents pour remédier à une situation qui est source de risques pour l'enfant ; dès lors, un peu au corps défendant des responsables de l'action sociale pour l'enfance, on est bien obligé de demander au juge d'intervenir.
À cet égard, il convient, selon moi, de cesser de considérer l'intervention du juge et celle de l'aide sociale à l'enfance comme contradictoires, car, dans la dernière hypothèse, celle de l'absence de collaboration de la part des parents, situation qui n'est pas si rare, le fait de saisir le juge contribuera, très souvent, à lever les obstacles qu'opposent les parents à une coopération destinée pourtant à une meilleure prise en charge de l'enfant.
Ainsi, l'on peut se rendre compte qu'il existe une dialectique entre l'intervention du juge et celle de l'aide sociale à l'enfance, puisque leurs actions respectives se complètent et se fortifient mutuellement, ce qui justifie pleinement l'attente de beaucoup d'entre vous, à savoir que l'échange d'informations entre le procureur et le président du conseil général se fasse dans de meilleures conditions. Il s'agit là d'un point sur lequel vous avez naturellement mon entier accord.
J'en viens à la diversification des modes de prise en charge, gage d'une meilleure intervention au bénéfice de chaque enfant selon sa situation et son évolution. De nombreuses expériences ont été menées dans divers départements. Il est temps que la loi puisse tirer profit des résultats engrangés tout en les confortant juridiquement, tant il est vrai que ces expériences n'avaient pas, jusqu'à présent, de cadre juridique. De cette manière, on pourrait favoriser le développement sur l'ensemble du territoire de formules innovantes, intermédiaires entre le maintien à domicile, avec les risques que cela comporte pour l'enfant, et son accueil en établissement, malgré, malheureusement, les traumatismes inévitables dus à la séparation d'avec les parents.
Philippe Nogrix a évoqué le décloisonnement nécessaire entre les professionnels. Je crois effectivement qu'il s'agit là d'une des clés de la réussite de la réforme, qui se situe bien au-delà des dispositions législatives.
Vous pouvez sur ce point, monsieur le sénateur, compter pleinement sur mon engagement. Le travail est en cours et j'ai bien l'intention de mettre à profit cette mise en mouvement permise par le débat et qui repose sur la rencontre des professionnels. En effet, ceux-ci ont pu constater eux-mêmes que leurs positions respectives n'étaient pas si éloignées quant aux analyses et au diagnostic. Je souhaite, naturellement, que ce travail se poursuive pour que les bonnes pratiques soient en quelque sorte codifiées et mises à la disposition de tout un chacun.
M. Louis de Broissia, Mme Sylvie Desmarescaux ainsi que M. Bernard Cazeau ont, pour leur part, insisté sur la nécessité de ne pas briser les fratries après le placement d'un enfant. Je partage, bien évidemment, cette conviction.
Je sais que la diversification des modes de prise en charge est particulièrement chère à de très nombreux sénateurs. Le rapport consacré par M. Louis de Broissia à ce thème a nourri notre réflexion sur le sujet et je suis heureux qu'il ait pu retrouver dans ce projet de loi l'écho de ses propositions.
Je voudrais aussi répondre à des inquiétudes qui ont été exprimées par de très nombreux orateurs à cette tribune, dont la première concerne les moyens humains et financiers.
J'ai déjà essayé, dans mon intervention liminaire, de répondre à cette préoccupation. J'ajouterai ici que la compensation des charges auxquelles les départements sont exposés constitue un engagement formel pris par le Gouvernement et je suis heureux de pouvoir lui donner une traduction à travers le texte législatif qui nous réunit en cet instant, mesdames, messieurs les sénateurs, et qui, je l'espère, recueillera votre approbation.
Cela étant dit, il faut garder le sens de la mesure. Les enjeux financiers ne peuvent être comparés à ceux de grands transferts sociaux tels que le RMI, l'allocation personnalisée d'autonomie, voire la prestation de compensation du handicap.
Certes, je conçois parfaitement que l'accumulation des transferts de compétences pour les conseils généraux représente aujourd'hui un problème très important et je comprends que l'expérience que l'on a de précédents dispositifs puisse interférer avec le jugement que l'on peut porter sur un nouveau projet.
Toutefois, il ne s'agit pas ici de dépenses liées à des transferts qui, d'une certaine façon, sont imprévisibles au cours du temps et sur lesquels le département n'a guère de marges de manoeuvre ; non, il s'agit de prévoir des moyens de fonctionnement non pas pour que le département exerce une compétence nouvelle, mais pour qu'il exerce mieux une compétence qu'il assume depuis déjà vingt-deux ans et pour laquelle le législateur est invité à préciser un certain nombre de règles nouvelles.
M. Bernard Cazeau, reprenant mes propos, déclarait tout à l'heure qu'il s'agissait d'une réforme d'organisation plus que de moyens. Pour autant, j'ai aussitôt reconnu qu'il fallait des moyens nouveaux. En effet, comment faire plus de prévention sans moyens nouveaux ? Comment diversifier les modes d'intervention auprès des familles et des enfants sans moyens nouveaux ?
Or ces moyens nouveaux, je le répète, ont été chiffrés ; ils ont fait l'objet d'une évaluation. Certains d'entre vous se sont d'ailleurs fait l'écho d'évaluations réalisées dans leur propre département. Je ne demande pas mieux que de confronter ces évaluations avec celle que j'ai conduite directement en relation avec l'Assemblée des départements de France et ses services.
En fait, il n'est pas très difficile de savoir combien coûtera l'examen réalisé au cours du quatrième mois de grossesse, ou à combien revient le fait de porter de 40 % à 100 % le taux d'enfants qui, entrant en classe maternelle, feront l'objet d'un bilan réalisé par la PMI. Il s'agit là d'une règle de trois assez simple. Certes, il existe d'autres cas où le calcul est plus compliqué, mais, là aussi, il est possible de parvenir à des résultats objectifs.
En tout état de cause, quelle que soit l'évaluation, qui, certes, pourra varier - j'ai évoqué la somme de 150 millions d'euros, car j'ai voulu voir large, même si les chiffres exacts de l'évaluation à laquelle nous avons procédé font état de 138 millions d'euros - je suis tout à fait disposé à la réviser si l'on me démontre qu'elle est mal fondée.
Toutefois, jusqu'à présent, l'Assemblée des départements de France, qui a examiné le projet de loi article par article, est parvenue aux mêmes chiffres, que nous avons donc ajustés. Or, ainsi que certains d'entre vous l'ont remarqué, il est tout de même rare que des textes soumis au Parlement aient fait l'objet, préalablement à leur présentation, d'une véritable étude d'impact sur le plan financier.