Nous souhaitons profiter de ce débat, ouvert je l'espère, sur la protection de l'enfance pour revenir sur un sujet qui nous tient particulièrement à coeur : la décentralisation des services de la protection judiciaire de la jeunesse, prévue par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales.
Une fois encore, la question de la décentralisation des responsabilités et des moyens revient au coeur du débat, ce qui est bien normal tant elle est problématique. En effet, lorsqu'un enfant rencontre des difficultés ou est en danger, quel que soit l'endroit du territoire où il se trouve, il doit avoir les mêmes chances que les autres de s'en sortir.
L'action de la protection judiciaire de la jeunesse, dont les moyens sont déjà réduits comme peau de chagrin, ne saurait dépendre du bon vouloir et des moyens des exécutifs départementaux. Cela confirme une évolution que nous pressentions et dénoncions depuis quelques années, tendant au démantèlement des principes directeurs de la justice des mineurs par le biais d'une remise en cause de l'unité de celle-ci et du désengagement de l'État.
L'article 59 de ladite loi a en effet pour objet de transférer, à titre expérimental, du juge des enfants au département, la responsabilité de la mise en oeuvre des mesures d'assistance éducative décidées judiciairement, de telle sorte que les départements en aient désormais l'entière maîtrise, à l'exception des mesures de placement auprès de personnes physiques ou en établissement psychiatrique.
Cette décision est lourde de signification pour l'avenir. Sous prétexte de mettre un terme à la « judiciarisation » de la justice des mineurs, on remet en cause le partage des responsabilités en matière d'assistance éducative issu des lois de décentralisation, principe qui sauvegardait le caractère national de la politique de protection de l'enfance.
Avec la mise en oeuvre de l'article 59 de la loi relative aux libertés et responsabilités locales, l'ensemble des dispositifs de protection des mineurs échappent désormais au juge, puisque celui-ci n'a plus la maîtrise de l'application de ses propres décisions. Le choix de l'institution de placement ne lui appartient plus, puisqu'il n'a le pouvoir ni de placer le mineur dans un établissement situé en dehors du département ni même de choisir l'établissement dans le ressort du département.
Cette décentralisation de l'action éducative est, ni plus ni moins, la marque du désengagement de l'État en matière de protection des mineurs. Ce désengagement se traduit d'ailleurs par la baisse régulière, année après année, des crédits alloués à la famille et à la protection judiciaire de la jeunesse.
Alors que l'État devrait être un « incitateur », voire un « garant », en matière de protection de l'enfance - c'est du moins ce que vous semblez affirmer, monsieur le ministre -, il est clair que l'intérêt porté à l'action éducative dépendra de l'engagement financier des conseils généraux, envisagé sous l'angle de la maîtrise des coûts et de leurs choix politiques, en fonction des priorités de l'action sociale.
Cette situation est d'autant plus source d'inégalités que l'ensemble des dispositifs de prévention, en matière de protection de l'enfance, est mis en péril au travers de la loi relative aux libertés et responsabilités locales. En ce qui concerne tant la détection, par les médecins et les infirmières scolaires, que l'intervention, par les pédopsychiatres ou les services d'accueil d'urgence, les enfants ne seront pas traités de façon égale sur l'ensemble du territoire national, ce qui est intolérable s'agissant d'enfants en situation de danger.