Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, c’est une question à laquelle aucun d’entre nous ne peut rester évidemment insensible.
Je comprends parfaitement les motivations et l’inspiration de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen et de ceux de mon groupe qui demandent que disparaisse ainsi de l’article 1er de la Constitution le terme de race.
Je vais être aussi clair que je l’ai été en bien des circonstances, et je remercie M. Hyest d’avoir cité mes propos : les races n’existent pas, mais le racisme existe. Je puis dire que je l’ai rencontré.
Je suis probablement le seul parmi vous qui, étant encore enfant – j’avais douze ans et demi –, est allé, contre l’interdiction de sa mère, à l’exposition du Palais Berlitz sur les Juifs. Visitant cette exposition avec mon frère, à tous les mètres nous avons vu s’étaler les pires ignominies à l’encontre de la race juive dont j’étais, selon les lois de Vichy, l’un des membres.
En 1946, face à l’horreur de ce qu’avait suscité précisément le racisme, les constituants de l’époque ont justement voulu inscrire le principe que, en France, il ne saurait y avoir aucune distinction fondée sur l’origine, la race. On comprend pourquoi. C’était un instrument de lutte contre le racisme, certainement pas une catégorie scientifique !
Nous savions très bien que le racisme existe, mais que le concept scientifique de race, lui, encore une fois, n’existe pas. Ce qui paraissait essentiel, c’était de l’inscrire précisément en termes solennels dans le texte fondamental de nos lois de l’époque.
C’est un moment de l’histoire où, il faut le mesurer, cette volonté s’est exprimée de tous les côtés, pas seulement en France, mais dans tous les pays qui composaient à cette époque les Nations unies parce qu’on émergeait du nazisme.
Partout, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, ultérieurement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans la Convention européenne des droits de l’homme, se trouve la référence à la race pour précisément interdire toute distinction qui serait fondée sur la race parce qu’elle est fallacieuse, honteuse et qu’elle engendre les pires conséquences.
S’y est ajoutée, à l’époque, la lutte que ceux qui pensaient juste menaient contre le colonialisme, qui lui aussi utilisait le concept de race.
Tout contribuait donc à ce que l’on proclame solennellement dans les textes du moment que l’on ne pouvait accepter, dans aucun État se réclamant des droits de l’homme, le racisme, et par conséquent à ce que l’on condamne toute discrimination fondée sur la race.
C’est l’origine de ce terme et c’est l’origine de ce qui se trouve reproduit dans la Constitution, à l’article 1er.
On ne peut pas détacher certains textes solennels et riches de portée de leur origine. On ne peut pas, par exemple, débaptiser la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 parce que, compte tenu de l’époque, la femme n’y est pas mentionnée.
Nous avons hérité des textes qui sont ceux de l’après-guerre et on me permettra de dire qu’ils font partie de notre patrimoine juridique républicain.
J’ajoute que si, et encore une fois c’est parfaitement exact, il ne saurait exister de race, il n’en demeure pas moins que juridiquement nous avons un ensemble de textes qui utilisent ce terme pour lutter contre le racisme.
Je rappelle que ces textes ont valeur supérieure à notre droit interne : ce sont des conventions internationales. On va à Strasbourg combattre le racisme au nom du texte qui, lui, interdit les discriminations entre les races. Il est exact que le terme figure également dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000. Je profite de l’occasion pour saluer la mémoire du représentant français à la convention chargée d’élaborer ce texte, Guy Braibant, qui fut un grand juriste et un grand combattant des libertés.
Nous ne pouvons pas retirer le terme de race dans l’article 1er parce que ce terme est ici lié à la lutte contre la discrimination.
Il y a néanmoins une chose que nous pourrions faire, et je tiens à l’indiquer car il nous faudra peut-être y réfléchir dans le cours de nos travaux. Pour lutter contre la discrimination, les constituants de l’époque, reprenant une tradition, ont seulement énuméré un certain nombre de discriminations puisqu’ils ne se réfèrent qu’aux distinctions d’origine, de race ou de religion. C’était au lendemain de la guerre. Depuis lors, la lutte contre les discriminations a revêtu bien d’autres aspects très importants. Le premier est la lutte contre la discrimination sexiste. Cela s’est poursuivi avec d’autres discriminations, dont la dernière en date est la lutte contre la discrimination à l’encontre des orientations sexuelles.
Par conséquent, soit nous complétons la liste – c’est un travail difficile –, soit – j’aurais certainement l’occasion d’y revenir au cours de la navette parlementaire, mais je demande à chacun d’y penser – nous rédigeons simplement ainsi l’article 1er : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens. » Ce serait plus simple au regard des catégories oubliées comme au regard de la sensibilité dont vous témoignez et qui est peut-être liée à la différence de générations. On n’entreprendrait donc pas l’énumération « sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Il y aurait ainsi deux formulations possibles. La première serait d’affirmer simplement l’égalité devant la loi de tous les citoyens. La deuxième consisterait à compléter la liste, parce qu’il n’y a pas de raison d’oublier les autres discriminations et les fléaux qu’elles engendrent.
Quoi qu’il en soit, s’agissant de l’objet de ces amendements, je le dis très clairement, au regard de ce qu’est le droit et en tant qu’instrument juridique international, il serait incompréhensible que, de l’article 1er, nous retirions d’un seul coup ce qui est la condamnation du racisme exprimée, au départ, dans la Constitution.
C'est la raison pour laquelle, vous comprenant parfaitement, mais appartenant peut-être à d’autres temps, je ne peux vous suivre. Je le dis clairement : je ne voterai pas en faveur de ces amendements.