Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à cet instant, nous mesurons tous l’importance du texte auquel nous touchons.
Par conséquent, il est légitime que nous nous attardions sur les mots et sur leur portée.
Avec cet article 1er, nous sommes dans ce qu’il y a certainement de plus fondamental pour nous, ce qui nous réunit tous, sur toutes les travées de cette assemblée : le parti pris républicain. Car la République n’est pas un régime neutre. Elle repose sur l’idée, qui s’oppose à bien des superstitions et à bien des fanatismes, de l’universalité du genre humain et de l’unité fondamentale de l’espèce humaine, reconnue dans le cadre de la res publica, et sur laquelle celle-ci est fondée.
Cette phrase suscite un malaise que plusieurs de nos collègues, dans les deux assemblées, ont pointé du doigt.
Les discriminations sont évoquées pour être repoussées. On pourrait conclure, comme l’a fait à l’instant Robert Badinter, que le mieux serait qu’elles ne soient pas détaillées. Ainsi, dès lors qu’on aurait postulé l’égalité de tous les citoyens, tout serait dit.
Cependant, la phrase détaillée est là. Plusieurs mots sont utilisés. Leur différence tient à ce que certains sont fondés – les distinctions de sexe, de religion, sont des réalités – alors que la distinction de race ne l’est pas. La race n’a pas de fondement, c’est un concept idéologique, qui a été utilisé dans les circonstances que chacun a présent à l’esprit et qui continue de l’être dans des conditions comparables. Voilà d’où vient notre malaise.
Nous sommes partagés. Nous voudrions être d’accord avec ceux de nos collègues, c’est notamment le cas du groupe socialiste, qui disent qu’il est temps de poser un acte politique dans ce texte déjà si politique et de le faire à cet article 1er, lequel est politique plus que tout autre, au sens le plus noble du terme. Affirmons, nous les Français, dans notre texte, que les races sont une invention, qu’elles n’existent pas et que nous en combattons l’idée ! Je pense que de cœur, d’instinct, toute cette assemblée serait d’accord.
Surgit une difficulté. On nous dit que le fait de supprimer ce mot de race serait totalement contre-performant, car voulant combattre le racisme, au contraire, on se priverait de l’outil juridique qui permet de le combattre.
Je ne suis pas certain de cette conclusion. Je demande que l’on s’assure de sa véracité, ne serait-ce que parce que la France est signataire de traités internationaux, qui, eux, posent ce terme de « race ».
Par conséquent, comme ces documents sont de portée supérieure à celle de nos propres délibérations, en toute hypothèse, personne ne pourrait arguer du retrait du mot de « race » du texte de la Constitution pour en conclure aussitôt que le racisme et ses débordements ne seraient plus condamnables dans notre pays !
Aussi, nous pouvons penser que ce risque n’existe pas. C’est une première considération.
Par ailleurs, peut-être pourrions-nous réfléchir, sur une base politique, à une autre proposition, afin de mettre d’accord tout le monde. En effet, personne ici - si j’en crois en tout cas tous ceux qui se sont exprimés - ne soutiendrait que l’un quelconque d’entre nous croit à l’existence des races ou a la moindre faiblesse à l’égard du racisme. Nous cherchons à aboutir et à le faire dans la tradition, qui est celle du Sénat, de sagesse raisonnée.
Pourquoi, madame la ministre, ou monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, n’introduiriez-vous pas à cet instant le mot « prétendue », auquel vous avez vous-mêmes fait référence ? Ainsi, dans la deuxième phrase de l’article 1er de la Constitution, il serait inscrit « sans distinction d’origine, de prétendue race ou de religion ».
Dès lors, nous aurions à la fois la référence à la race au sens que lui donnent les racistes et la référence à l’objection politique que nous soulevons tous, qui est que nous ne voulons pas que la race soit reconnue dans nos textes fondamentaux.
Si vous nous faites cette proposition, je suis sûr que nous aurons tous à cœur d’y souscrire. Ce faisant, nous aurons, premièrement, assuré la sécurité juridique et, deuxièmement, réaffirmé, de manière solennelle et fondamentale, l’universalité du genre humain, à laquelle nous sommes tous ici attachés.