Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous, sénateurs communistes, souhaitons tout d’abord réaffirmer que nous avons toujours été de fervents militants du plurilinguisme et de la diversité culturelle. À cet égard, les langues régionales font indiscutablement partie de cette riche et indispensable diversité qu’il convient de préserver. C’est pourquoi nous avons toujours soutenu leur pratique et leur enseignement. Pour autant, nous ne sommes pas favorables à leur inscription dans l’article 1er de la Constitution : cela ne contribuerait pas pour autant à les rendre plus vivantes, mais conduirait avec certitude à écorner les grands principes de notre République.
Le premier article de la Constitution définit la République comme l’œuvre de tous et appartenant à tous, quelles que soient les particularités de chacun. Ainsi, la République consacre ce qui rapproche les citoyens contre ce qui les divise. La meilleure façon de protéger les particularismes est bien de garantir leur libre expression privée en les protégeant de toute ingérence publique.
Pourquoi alors introduire ce particularisme et pas un autre ? Et demain, est-ce que ce sera le tour de la religion ? Cela risque d’apparaître discriminatoire et d’ouvrir la voie à une division entre citoyens contraire à l’esprit de notre République.
Ne serait-ce qu’en matière linguistique, les personnes pratiquant des langues dites des migrants, d’ailleurs plus nombreuses que celles qui pratiquent une langue régionale, ne pourraient-elles pas légitimement par exemple se sentir victimes de discriminations ?
Le français est une langue mouvante qui ne cesse d’évoluer et, aujourd’hui comme hier, c’est le parler populaire qui lui apporte ses nouvelles lettres de noblesse. Les nouveaux mots courants apparus ces dernières années doivent beaucoup aux parlers, aux métissages des cultures et à la culture des quartiers populaires. Les langues importées par l’immigration ont en effet introduit une syntaxe, une prononciation et un lexique nouveaux qui ont une incidence certaine sur notre langue.
Pourquoi la Constitution évoquerait les langues régionales, qui plus est avant le français qui n’est mentionné qu’à l’article 2 ? Et ce, alors même que notre langue nationale est de plus en plus menacée, y compris dans les instances internationales ou européennes où elle est pourtant l’une des langues officielles. Dans le contexte de mondialisation actuelle où de nombreuses langues nationales sont de plus en plus mises en danger par l’usage de l’anglais qui devient hégémonique, la priorité reste de consolider la place du français, y compris sur l’échiquier international. « Union européenne : alerte sur les langues » titrait Le Monde en date du 10 juin : l’article soulignait que le français et l’allemand, deux des trois langues de travail de l’Union européenne qui compte vingt-trois idiomes officiels, continuent de perdre du terrain à Bruxelles au profit de l’anglais.
En mars 2006 à Bruxelles, Jacques Chirac, alors Président de la République, avait quitté la salle du Conseil, refusant d’entendre le français Ernest-Antoine Seillière, président du patronat français, s’exprimer en anglais, qui est devenu la langue de l’économie dominante. Le président Chirac avait bien raison, car, comme le disait Stendhal, « le premier instrument du génie d’un peuple, c’est sa langue ».
Comment ne pas relayer l’inquiétude de l’Académie française quant à la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution ? C’est une démarche extrêmement rare de la part de cette vénérable institution.
L’Académie « qui a reçu le mandat de veiller à la langue française dans son usage et son rayonnement » demande « le retrait de ce texte dont les excellentes intentions peuvent et doivent s’exprimer ailleurs, mais qui n’a pas sa place dans la Constitution ». Les académiciens contestent en particulier la primauté donnée aux langues régionales, désormais inscrites dans l’article 1er de la Constitution alors que la langue française reste mentionnée dans l’article 2. « Depuis plus de cinq siècles, la langue française a forgé la France. Par un juste retour, notre Constitution a, dans son article 2, reconnu cette évidence : “ La langue de la République est le français”. »
Même si elle ne l’a pas ratifiée, la France applique de nombreux articles de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. La législation française prend déjà en compte le fait linguistique régional, même si cette législation doit être encore améliorée car unité du pays ne signifie pas pour autant uniformisation. Les langues régionales font bien sûr partie du patrimoine de la France ! C’est tellement évident ! Mais pourquoi l’inscrire dans la Constitution ?
Le français est avant tout une langue fédératrice, qui permet de donner corps aux principes de liberté, d’égalité et de fraternité de notre République. Tous différents, nous sommes tous égaux en droits. Ainsi, l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui a institué sous François Ier le français comme langue du royaume permet à chacun de se faire comprendre et de comprendre les autres, de se défendre, de témoigner, d’ester en justice. Remettre en question cette ordonnance, ainsi que le prévoit pourtant la Charte européenne, constituerait un net recul, comme l’a d’ailleurs confirmé le Conseil constitutionnel en 1999. L’usage du français pour les actes législatifs et les autres documents est une nécessité politique démocratique.