Intervention de Robert Badinter

Réunion du 18 juin 2008 à 15h00
Modernisation des institutions de la ve république — Article 1er A

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Toute l’histoire de la République, particulièrement de la IIIe République, est marquée par la lutte pour que la France se soude autour de la langue française. Telle est la tradition républicaine !

Je suis, pour ma part – je le dis franchement – pénétré par la langue française : mon père et ma mère étaient des immigrés ; mon père, républicain farouche et patriote ardent, interdisait que l’on parle une autre langue que le français chez lui.

Pourquoi ce rappel ? Certainement pas pour dénier la très grande richesse des langues régionales : chacun connaît les grands chefs-d’œuvre que nous leur devons ; c’est un hommage que je leur rends volontiers. Et il est bon que ces langues soient enseignées, qu’elles fassent l’objet de thèses, de travaux, notamment dans nos meilleures universités, particulièrement régionales.

Toutefois, cela implique-t-il que ces langues doivent trouver leur place dans la Constitution ?

Je rappelle qu’une constitution est un instrument qui sert à gouverner un pays, en définissant les pouvoirs, leurs rapports, et, dans son préambule, figurent les valeurs fondamentales sur lesquelles repose cet équilibre constitutionnel.

Il ne s’agit donc pas d’un catalogue des richesses culturelles nationales ou des différents aspects de la communauté nationale. Tout ce qui est inscrit dans une constitution entraîne ensuite, s’il s’agit de principes généraux, des conséquences.

S’agissant des langues régionales, qui nous occupent aujourd’hui, nous constatons qu’elles trouvent parfaitement leur place dans les universités, dans l’enseignement – je ne vais pas reprendre le détail des propos qui ont déjà été tenus –, et que, dans le domaine des associations, à plus forte raison dans le domaine privé, elles ont plein et entier exercice.

Alors, quelle serait la raison d’être de cette constitutionnalisation ? Je le dis franchement, je n’en vois qu’une, sur laquelle je m’attarderai.

Vous savez tous – cela remonte à 1999 – que, lorsque le gouvernement Jospin a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires – elle porte toujours ce nom –, la question s’est posée de la conformité à la Constitution de son éventuelle ratification, et c’est d’ailleurs le Président de la République qui a saisi le Conseil constitutionnel. Ce dernier a rendu une décision dont je me dois de rappeler les termes, tant ils sont importants.

« Considérant qu’il résulte de ces dispositions combinées que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. […] » J’ai rarement trouvé, dans les décisions du Conseil constitutionnel, des mots d’une telle force !

« Considérant que ces dispositions sont également contraires au premier alinéa de l’article 2 de la Constitution en ce qu’elles tendent à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la vie privée mais également dans la vie publique, à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics. […] » On ne peut pas être plus explicite : cela veut dire, très précisément, que la charte est incompatible avec la Constitution française.

Je tiens à rappeler un principe, et à éclairer très précisément tous mes collègues. Le Conseil constitutionnel statue à Constitution constante. Dès l’instant où l’on modifie la Constitution, le Conseil constitutionnel n’est plus tenu par l’interprétation qu’il a donnée antérieurement.

Disons-le clairement : si le constituant a voulu reprendre, ici, la question des langues régionales, c’est qu’il était animé d’une certaine volonté, et l’on s’interroge sur cette volonté.

Si, d’aventure, la question était à nouveau posée, le Conseil constitutionnel l’examinerait essentiellement au regard de l’adjonction effectuée. Je ne sais pas ce qu’il déciderait, mais je m’inscris en faux contre l’affirmation de certains d’entre vous selon laquelle il ne faut avoir aucune crainte, la jurisprudence du Conseil étant fixée. Ce n’est pas vrai ! Elle est fixée dans l’état actuel de la Constitution ; elle ne peut être fixée au regard d’une modification de la Constitution.

Je conclurai en interrogeant Mme la garde des sceaux. Le Conseil constitutionnel étudiera les travaux préparatoires, si nous adoptons ce texte, pour essayer de dégager la pensée du constituant ; c’est son devoir. Mme la garde des sceaux peut-elle, d’une façon très précise, nous dire que le Gouvernement, en se ralliant à ce qui est à l’origine un amendement parlementaire, considère que l’on ne peut, en aucune manière, ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ?

Il faut, à cet égard, une réponse très claire du Gouvernement, car, en apportant cette précision, celui-ci s’interdit de le faire – mais il éclairerait le Conseil constitutionnel –, et, selon moi, il l’interdit également à ses successeurs.

1 commentaire :

Le 28/04/2020 à 23:08, Jean-Philippe Dubois a dit :

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Quel merveilleux moment d’ éloquence juridique fondée sur une science constitutionnelle sans faille au service de la Nation comme de la continuité républicaine!

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