Je me réjouirai d’abord de la qualité d’écoute qui caractérise notre débat, ce qui n’est pas si fréquent. Nos opinions sont différentes, et nous les confrontons : c’est le jeu de la démocratie, et si le débat peut continuer sur ce ton, nous en sortirons tous grandis. On progresse toujours davantage en confrontant des raisonnements plutôt qu’en vitupérant.
Madame la garde des sceaux, je vous écoute toujours avec attention, mais si je vous ai demandé tout à l’heure l’autorisation de vous interrompre, c’est parce que vous nous avez reproché de vouloir donner des leçons. Or, tant s’en faut ! Nous défendons nos convictions : c’est notre fierté de parlementaires, et c’est aussi notre droit le plus élémentaire.
Je vous donne acte de ce que, en 1981, François Mitterrand avait inscrit parmi ses 110 propositions celle d’accorder le droit de vote aux étrangers résidant depuis un certain nombre d’années sur notre sol.
Cette proposition n’a toujours pas été mise en œuvre aujourd’hui.
Peut-on, madame la garde des sceaux, essayer de comprendre objectivement, sans polémiquer, pourquoi nous ne sommes pas parvenus à tenir cet engagement ?
La raison de cet échec, c’est que, pour accorder le droit de vote aux étrangers résidant en France depuis un certain nombre années, il faut réviser la Constitution. En l’absence d’un tel préalable, nous ne pouvions pas voter de loi accordant le droit de vote aux résidents étrangers. D’ailleurs, si nous en avions néanmoins voté une, le Conseil constitutionnel l’aurait déclarée inconstitutionnelle. Personne, je pense, ne me démentira sur ce point.
Nous étions donc obligés de réviser la Constitution, en utilisant la procédure prévue à l’article 89 de la loi fondamentale, mais nous nous heurtions alors au droit de veto dont dispose le Sénat.
Nous avons à de multiples reprises tenté d’ouvrir le débat. S’il s’engage enfin aujourd’hui, c’est précisément parce que nous discutons d’une révision constitutionnelle, ce qui ouvre une « fenêtre », si je puis m’exprimer ainsi.
Lorsque le ministre de l’intérieur, à l’automne 2005, a évoqué cette question, Jean-Pierre Bel a demandé à la conférence des présidents l’inscription à l’ordre du jour du Sénat de la proposition de loi de M. Lionel Mamère, qui avait déjà été adoptée à l’Assemblée nationale. La conférence des présidents lui a opposé un refus ! À l’époque, nous ne disposions même pas de la possibilité de choisir les textes inscrits à l’ordre du jour réservé !
Nous avons essayé de contourner ce refus en déposant une proposition de loi, symboliquement cosignée par Nicole Borvo Cohen-Seat, Jean-Pierre Bel et Marie-Christine Blandin, et en demandant sa discussion immédiate. Cette demande, vous l’avez rejetée, chers collègues de la majorité, comme c’était votre droit. Il n’y a donc pas eu de débat.
Chaque fois que nous en avons la possibilité, nous posons donc le problème du vote des résidents étrangers. Si ce dossier n’a pu avancer – ce que beaucoup ont du mal à comprendre –, c’est en raison du droit de veto accordé à la majorité du Sénat par la Constitution en matière de révision constitutionnelle.
Nous ne pouvons franchir cet obstacle. C’est pourquoi nous sommes opposés au droit de veto constitutionnel du Sénat. Nous posons le problème maintenant, afin de situer les responsabilités : si nous ne progressons pas sur ce sujet du droit de vote des étrangers, ce n’est pas parce que la gauche ne le veut pas, c’est parce que la droite s’y oppose !
Nous continuerons, avec sérénité et détermination, à aborder cette question car, les idées ayant progressé, le temps est maintenant venu d’avancer dans cette voie.
Nous ne voulons pas polémiquer, madame la garde des sceaux. Je ne vous ai donné aucune leçon, j’ai simplement rappelé un enchaînement chronologique. D’ailleurs, si quelqu’un souhaite me démentir, je l’écouterai très attentivement.
Monsieur le président, par souci de clarté, nous avons souhaité que le débat ait lieu une fois pour toutes sur le premier des dix amendements en discussion commune, c’est-à-dire l’amendement n° 163 rectifié de Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous n’expliquerons pas notre vote sur les amendements suivants, mais nous demanderons, en revanche, quelques scrutins publics.