En effet. Si l’on ajoute qu’elle a par ailleurs, comme l’indique le rapport Leonetti, offert à son personnel un bonus de rémunération en violation de la loi – qui dispose que le travail accompli durant la journée de solidarité ne donne pas lieu à rétribution – et que le service du lundi de Pentecôte est resté un service réduit de jour férié, alors que la majorité des utilisateurs de la SNCF étaient censés aller au travail ce jour-là et avaient donc besoin de prendre le train, nous avons, avec l’exemple de cette seule entreprise nationale, une belle démonstration de la manière on ne peut plus chaotique et fantaisiste dont a été mise en œuvre cette journée de solidarité.
Je soulignerai surtout la position surprenante de l’État lui-même qui, au travers de l’arrêté du ministre de l’éducation nationale en date du 8 décembre 2004, a décidé que, pour les personnels placés sous son autorité, toutes académies confondues, cette journée serait celle du lundi de Pentecôte et a permis, simultanément, aux recteurs d’académie de choisir un jour différent afin de s’adapter aux nécessités locales. C’est ce que l’on appelle, dans mon département, « vouloir une chose et son contraire ».
Je ne multiplierai pas les exemples pour illustrer la manière dont l’esprit de cette loi a été détourné au cours de la mise en œuvre de celle-ci. Ils sont nombreux ; nous le savons tous, car nous avons vécu la situation sur le terrain.
Comme de nombreux parlementaires, j’ai soulevé à plusieurs reprises auprès des ministres compétents de l’époque, soit au travers de courriers, soit par des questions écrites, les incohérences et les inconvénients qu’entraînait pour nombre de familles et pour divers corps de métiers la manière dont cette journée était mise en œuvre.
Ainsi, en juin 2007, j’écrivais un courrier au ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, en citant quelques exemples des absurdités relevées le dernier week-end de Pentecôte dans mon département. J’indiquais notamment ceci : « Ces quelques exemples démontrent que l’organisation de la journée de solidarité aboutit, dans de nombreux cas, à des situations abracadabrantes et crée, en tout état de cause, de profondes inégalités entre les différentes catégories de travailleurs. Je considère donc qu’il serait sans doute plus réaliste, plus judicieux et plus efficace de maintenir la contribution spécifique sans pour autant imposer cette journée de travail fictif ou de décider, purement et simplement, de réduire d’une journée le nombre de jours de congés annuels dont bénéficient les Français. »
Je ne peux donc que me réjouir de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui et que le groupe Union centriste-UDF votera.
Je ferai cependant observer que l’instauration de la journée de solidarité est fondée sur une ambiguïté. Il a, en effet, été expliqué aux Français qu’en travaillant une journée de plus on augmentait la richesse produite et, par voie de conséquence, notre capacité à contribuer à la solidarité nationale.
Ce principe est à la fois vrai et faux. Vrai en ce sens que des entreprises de production fabriquent effectivement plus et augmentent leur chiffre d’affaires. Mais faux car beaucoup d’activités, que je serais tenté de qualifier d’« activités de soutien » – je pense notamment aux services des collectivités publiques – ne créent pas de richesses nouvelles, mais supportent bien des charges supplémentaires en raison de l’ouverture une journée de plus chaque année.
Pour une collectivité, ouvrir ses services une journée de plus que prévu, ce sont des charges de fonctionnement une journée de plus, mais sans aucune recette nouvelle.
La charge supplémentaire a été d’autant plus lourde que, dès lors que de nombreux parents étaient au travail tandis que leurs enfants n’avaient pas école ce jour-là, il revenait, bien entendu, aux collectivités locales de faire le nécessaire pour que ces enfants ne soient pas livrés à eux-mêmes.
Sans vouloir contester le fait que ce sont tous les Français, et pas seulement ceux qui travaillent dans le secteur marchand, qui doivent participer à cette journée de solidarité – sinon, le terme « solidarité » n’a plus de sens –, je souhaitais cependant formuler cette observation au regard des remarques que l’État ne manque pas de faire régulièrement – notamment en ce moment – aux collectivités locales sur le fait qu’elles ne participent pas assez à la réduction des déficits publics.
C’est bien beau de faire ce type de reproches aux collectivités, mais encore faudrait-il être cohérent et ne pas leur infliger de charges nouvelles sans contrepartie comme cela a été le cas – parmi beaucoup d’autres – avec la journée de solidarité !
J’aimerais aussi que l’on ait des chiffres plus précis sur ce que rapporte effectivement cette journée en recettes supplémentaires pour la solidarité nationale, mais également sur les coûts supplémentaires qu’elle génère, et pas seulement pour le secteur public. Le rapport cite, en effet, des chiffres en réalité difficiles à vérifier ; ce sont des estimations tout à fait théoriques.
On pourrait également s’interroger, au moment où notre pays est à nouveau en panne de croissance, où les déficits publics sont supérieurs à ce qui était attendu et où l’État vient d’annoncer une réduction de ses dépenses de l’ordre de 7 milliards d’euros, pour savoir si c’est véritablement en augmentant les charges et les contraintes qui pèsent sur l’ensemble des agents économiques – comme cela a été le cas avec la journée de solidarité – que notre pays va durablement se donner des moyens supplémentaires pour répondre aux incontestables besoins de solidarité en direction des personnes âgées et des personnes handicapées.
Peut-on simultanément se plaindre du poids des prélèvements et des contraintes qui entravent notre économie et continuer, chaque fois qu’un problème surgit sur le devant de l’actualité, à instaurer de nouvelles taxes ? N’est-ce pas plutôt en réduisant les contraintes, en libérant la croissance et le travail – et j’approuve à cet égard le propos de M. le rapporteur – que notre pays rejoindra le cercle vertueux d’une croissance retrouvée générant, sans instauration de taxe nouvelle, des recettes supplémentaires nous permettant de faire face aux besoins de solidarité entre les générations ? Je crois que c’est aussi cette question essentielle qui nous est posée au travers des incohérences auxquelles a donné lieu la mise en œuvre de la loi de 2004.
Quoi qu’il en soit, et même si ce texte ne tranche pas sur ce choix de société, le bon sens l’emporte avec cette proposition de loi. Nous la voterons donc sans hésiter, avec l’espoir que les employeurs utilisent intelligemment la souplesse qui va leur être donnée et ne recréent pas de « vraies fausses journées » de solidarité.